mercredi 5 août 2020

Le maquis Duguesclin (2) : bientôt 120 volontaires



Quatre volontaires du maquis : Jacques Jaillot, René Dupont, "Le Bagnard"
et Antoine Simons. (Collection A. Simons).


27 août 1944
 «Le maquis s'installe à proximité de la ferme de La Ville-au-Bois (lieutenant Bigorgne). Le lieutenant Parcollet se rend à la ferme de La Salle à bicyclette avec le commandant «Picq» (sic) et prend contact avec le colonel. Il rentre dans l'après-midi avec une voiture armée du capitaine «Max».» Rectifions l'orthographe de «Picq» : il s'agit du commandant Michel Pichard, alias «Pic» (ou «Gauss» ou «Génératrice»), délégué militaire départemental (donc représentant militaire du général de Gaulle). Parachuté une quinzaine de jours plus tôt à Rivière-les-Fosses, à l'extrémité sud du département, il a pris ses quartiers dans la vallée de l'Aujon. C'est un responsable national du BOA, donc doublement indiqué pour organiser des parachutages au profit des FFI. Quant à «Max», il s'agit de Paul Carteron, chef du maquis de La Salle (ou maquis Max), près d'Auberive. Nous noterons qu'il existe, dans le secteur, un troisième maquis : le maquis Gérard, constitué le 23 août 1944 dans le bois de Courcelles-sur-Aujon (puis à la ferme de la Rente-sur-Villiers, territoire de Giey-sur-Aujon, PC du commandant Pichard), sous les ordres du lieutenant Guy Vidal («Gérard»).
 Un des FFI du maquis Gérard, Pierre Esprit, de Giey-sur-Aujon, se souvient que le 31 août 1944, au lendemain d'une embuscade dressée par son groupe entre Arc-en-Barrois et Langres, il est allé avec son chef et un FFI prénommé Marceau rendre visite au maquis Duguesclin. Ce camp était «situé sur l'autre rive de l'Aujon, dans les sapins entre la «Voie des vaches» et la «Voie de Champlain», un peu plus loin que l'ancienne ferme de La Ville-au-Bois, territoire de Giey. Nous avons vu le capitaine Schreiber et bon nombre de jeunes Chaumontais dont Pierre Michaut. Notre lieutenant, déçu du comportement de Marceau la veille, leur a légué une nouvelle recrue».
 Journal de marche du maquis : «Le même jour, réunion du capitaine Schreiber et des lieutenants Chaize, Bocquillon, Blanchot, Dubreuil, Perrin. L'effectif atteint 120 hommes par l'arrivée du sous-lieutenant Maingon et de 40 jeunes venus de nuit par les bois après une marche de 20 km». Quelques précisions sur plusieurs de ces officiers. Né à Chaumont en 1910, Raymond Dubreuil, sous-lieutenant de réserve d’artillerie, exerce la profession de chef comptable au Petit Haut-Marnais. Le lieutenant Albert Perrin est également Haut-Marnais : sous-officier d'artillerie à Chaumont à la fin des années 30, il a vu le jour à Rennepont en 1908. Habitant de Latrecey ayant vécu en Asie, Léon-Henry Maingon a 65 ans : il est né en effet à Damery (Marne) en 1879 ! Il n'est pas impossible que son groupe corresponde à celui dont fait partie un volontaire de Latrecey, Robert Roblin, qui se souvient : « Un habitant du village, M. Riottot, m'a dit «On s'en va». Et avec six gars de Latrecey, dont Galizzi, nous avons pris, à pied, la direction d'Aubepierre, guidés par un garde-forestier, Brochard».
Parmi les premiers volontaires de Duguesclin, il y a également Antoine Simons, jeune habitant de Blessonville d'origine hollandaise, qui gagne le maquis après le massacre de Châteauvillain (24 août 1944) : « A la nuit, un agent de liaison m'emmène quelque part dans la forêt au-dessus de Giey – le maquis -, une toute petite clairière, des abris de fortune couverts de bâches en plus ou moins bon état et dessous une bonne et épaisse litière de paille. La nourriture : beaucoup de gruyère, du pain frais souvent, quelques fois un morceau de viande, des patates de temps en temps, du vin et de l'eau à volonté, mais seulement pour boire. Je retrouve avec étonnement et satisfaction réciproque Maurice et Camille Lacroix... » Il s'agit de deux frères originaires de son village.

28 août 1944
 «Les hommes présents commencent leur instruction et s'installent. Dans l'après-midi, un convoi armé se porte du maquis de Giey au maquis de La Salle, en vue de chercher des armes. Le sous-lieutenant Bocquillon organise le réseau de renseignements du maquis et récupère l'adjudant-chef Descamps avec son groupe.» Emilien Descamps est âgé de 45 ans. Il est adjudant-chef depuis 1937. Né dans le Pas-de-Calais, sous les drapeaux depuis la fin de la Première Guerre mondiale, il est militaire en Haute-Marne depuis 1929, d'abord au 21e RI, puis en 109e RI en 1939.
 «Ce jour, le curé de Courcelles réussit, de concert avec le maquis, et par une savante manœuvre, à effrayer la garnison russo-allemande, forte de 400 hommes, qui quitte précipitamment le village, et le lieutenant Perrin en profite pour procéder à de nombreuses perquisitions, notamment de véhicules.» La Haute-Marne accueillait le quartier général d'une division de l'armée allemande composée de Russes (notamment des cosaques), la Freiwilligen-Stamm-Division. Les 400 hommes évoqués appartiendraient plutôt à une unité dépêchée par les autorités militaires allemandes de Vesoul.
 A propos de la vie au camp, Antoine Simons se porte volontaire pour assurer les gardes, ce qui présente pour lui l'avantage d'être armé d'une Sten : «Invariablement, les tours de garde duraient douze heures : un homme seul le jour et deux la nuit. On était embusqués au coin d'une tranche à environ 1 km du camp avec consigne de tirer sans avertissement sur tout Allemand qui pourrait se présenter dans le but évident d'alerter le camp...»

29 août 1944
 «Le lieutenant Bigorgne et trois hommes en opération sont arrêtés à Saint-Loup-sur-Aujon et menacés d'être fusillés, puis ils sont relâchés.» L'adjudant Brochard est l'un de ces hommes.
 «10 h : 400 Russo-Allemands venus par Aubepierre et Rouvres s'approchent du camp et se déploient en tirailleurs autour de la ferme de Laville-au-Bois. Mais ne connaissant pas l'emplacement exact du maquis, ils ne peuvent mener à bien leur manœuvre. Dans l'après-midi, embuscade sur la route Arc-Aubepierre. A cette date, l'armement pour 150 hommes se compose de deux FM, 25 mitraillettes, quinze fusils et 30 grenades».

Nuit du 29 au 30 août 1944
 «Le lieutenant Parcollet apporte au camp des fusils et des mitraillettes par convoi auto. Une compagnie de 70 hommes du maquis Max arrive à 2 h du matin : elle avait fait son mouvement à pied et avait échappé de justesse à un détachement de 100 Russes installés à Saint-Loup.»
Cette compagnie du maquis de La Salle correspond à un important contingent de volontaires partis de Langres. L'un d'eux, Jean Pujol, raconte : «C'est le 25 août (…) que j'ai appris l'ordre de mobilisation des FFI de la Haute-Marne. Aucun écrit, tout se disait de bouche à oreille entre personnes qui se connaissaient de longue date, et qui ne dévoilaient pas l'identité de leurs contacts (…) C'est le 27 août que mes camarades de la filière sont venus à mon domicile. «On part. Viens-tu ?» J'ai répondu : «Je suis prêt. Laissez-moi seulement une demi-heure pour rassembler quelques affaires.» Devant mes parents interloqués, ils ont attendu devant la porte que je mette quelques objets dans mes poches : rasoir, savon à barbe, peigne, mouchoir, etc. (…) A la dernière minute, ma mère m'a glissé une médaille dans la poche «pour me protéger», à l'effigie de la Vierge, et nous sommes partis. Nous sommes sortis de Langres par la Porte des Terreaux. Elle n'était pas barrée et semblait libre. Une chance ! A peine sous la voûte, nous découvrons deux sentinelles allemandes que les piédroits de la porte nous avaient masqués. L'une d'elles se précipite vers nous. Je me dis «Ca y est ! L'aventure est finie avant de commencer !» Mais l'autre sentinelle, un peu plus éloignée, qui devait être le chef de poste, fait signe de laisser tomber. Et nous passons, indifférents, devant le premier Allemand qui ne sait quelle contenance prendre. Nous prenons, à travers les buissons, la direction de Buzon (…) Nous allons chercher des légumes dans les jardins en contre-bas, qui étaient très nombreux et très cultivés à l'époque. Nous étions partis assez tard dans l'après-midi. De Langres à la ferme de La Salle, il y avait environ 25 km à parcourir à pied. Aussi, la nuit nous a surpris. Nous avons demandé l'hospitalité à une ferme isolée, où nous nous sommes reposés dans la grange sous des bottes de paille. Le fermier n'a pas posé de questions, mais on voyait à son air qu'il avait compris et était heureux de nous rendre ce service. Au matin, il a même aimablement refusé notre offre de l'aider à rebatteler la paille. A La Salle, dans la même journée, le 28 août, nous avons été armés, puis transportés en camions dans la forêt d'Arc, au-dessus de Giey-sur-Aujon... Nous avons été conduits dans une sorte de clairière, en pleine forêt...» C'est ainsi que le maquis Duguesclin accueille dans ses rangs nombre de Langrois, comme André et Jacques Favre, Jacques Jaillot, Marc Pleux, Maurice Poinsenot (ancien élève au Petit séminaire âgé de 17 ans, neveu d'un autre maquisard originaire d'Arc-en-Barrois, Jean Poinsenot), Bernard Voirin... Jean Pujol précisera encore que convoyés «tous feux éteints», «nous étions tous armés».

30 août 1944
 «Instruction des hommes. Embuscades sur les routes d'Arc à Chameroy, dans la région de Bugnières et dans la vallée de l'Aube (lieutenant Blanchot). Dix gendarmes, dont un brigadier, rejoignent le maquis. Les groupes en embuscade ont fait dix prisonniers russes et un milicien». Jean Pujol témoigne au sujet des captifs : «Cinq Russes en ont profité pour déserter et rejoindre notre maquis. Gardés prisonniers et enchaînés pendant trois jours, ils furent libérés après avoir prouvé leur bonne foi et accepté de combattre avec nous...»

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