mercredi 28 décembre 2011

Hommes de sciences à l'honneur dans "Mémoires de Haute-Marne" n°3




Le numéro 3 de "Mémoires de Haute-Marne" vient de paraître. Il est essentiellement consacré à des hommes de sciences nés dans le département, et notamment dans l'arrondissement de Langres.

Au sommaire :
- Camille Flammarion et sa famille (par Jean Petit, vice-président du club Mémoires 52) ;
- Scientifiques du Pays langrois : Laurent, Violle, Desgrez, Delannoy, Walferdin (par Lionel Fontaine et Didier Desnouvaux) ;
- Un héros de la Campagne du Mexique : le général Théodore Galland, de Baissey ;
- Un Haut-Marnais, officier FFI à 71 ans : le commandant Recouvreur, d'Ageville ;
- De nouvelles précisions sur des pilotes haut-marnais de la Der des Der et de l'aviation civile ;
- L'hommage d'une Chaumontaise à son bisaïeul, Adulphe Toussaint, sculpteur de pierres (par Marie-Claude Simonnet).

Ce numéro est disponible au prix de 10 euros auprès du club Mémoires 52, 1 bis, rue Dutailly, 52000 Chaumont.

1870 : un vétéran de la Garde reprend les armes à 81 ans...

Dans le numéro 28 de « Dossier 52 », notre président-fondateur Jean-Marie Chirol reproduisait un article paru dans L'Illustration en 1935, intitulé « Glanes historiques », qui évoquait l'épisode du bris d'une assiette par Napoléon lors de son passage par Ceffonds, le 28 janvier 1814, mais aussi l'incroyable histoire d'un vétéran de la Grande Armée ayant repris les armes en 1870.

Il s'agit d'un nommé Bourgeois, de Noidant-le-Rocheux (canton de Langres), grand-oncle du Dr Bonnet, de Nogent. Voici ce que le médecin raconte dans cet article  : « Il y eut une escarmouche aux abords du fort de La Bonnelle, à 6 km au sud de Langres, tout près de Noidant-le-Rocheux. Au bruit du canon et de la fusillade, l'oncle Bourgeois accourut sur le terrain du combat, où il ramassa un fusil abandonné. Il avait 84 ans ! Avançant toujours, il arriva devant les Prussiens, qui firent prisonnier l'octogénaire et le conduisirent à leur chef, un commandant, qui parlait fort bien notre langue. Quand le feu eut cessé, cet officier lut avec solennité au vieillard une décision du commandement ennemi ordonnant que l'on fusillât sur le champ tout civil surpris les armes à la main. Il ajouta qu'en raison de l'âge du prisonnier la reddition de son arme serait simplement exigée et qu'on lui laisserait la vie et même la liberté. « Je ne puis rendre les armes, répondit le vieillard. Je suis de la Garde impériale. Ce serait la première fois ». L'officier allemand interrogea alors mon grand-oncle sur l'Epopée en manifestant un respect pour ce témoin survivant. Il décida pour en finir : « Nous allons allumer un grand feu, vous y jetterez votre fusil, vous brûlerez votre arme et, de part et d'autre, l'honneur sera sauf. » Ainsi fut fait... »

Ce grand-oncle Bourgeois ne peut correspondre qu'à Nicolas Bourgeois, domicilié à Noidant-le-Rocheux lorsqu'il reçut la médaille de Sainte-Hélène. Il est précisé, dans le dossier relatif à cette distinction conservé par les Archives départementales (cote R 25), qu'il servit dans le Train d'artillerie de la Garde. Mort à Noidant, le 5 décembre 1885 (et non en 1882, comme il est précisé dans L'Illustration), à l'âge de 96 ans, il était né à Buzon (faubourg de Langres) le 17 mai 1789, fils de Gilles, cultivateur. Nicolas Bourgeois était veuf de Catherine Prodhon à son décès. Il l'avait épousée en 1816 à Noidant.

lundi 5 décembre 2011

Au revoir, "Pépé"




Fervent serviteur du sport amateur haut-marnais (il était le fondateur du club de volley-ball de l'ASPTT de Chaumont, devenu aujourd'hui CVB 52 HM, club de Pro B dont il était le président d'honneur et dont il assistait, jusqu'à récemment, à toutes les rencontres à domicile), pacifiste, libre penseur, président d'honneur de l'association des militants de gauche Ensemble, Robert Jeanmougin, qui a donné son nom, de son vivant, à un complexe sportif chaumontais, vient de nous quitter à l'âge de 93 ans.

Il fut membre bienfaiteur du club Mémoires 52, dont il appréciait tout à la fois nos publications et la personnalité de notre président fondateur Jean-Marie Chirol, dont il partageait nombre de convictions.

Nous entretenions nous-même, avec lui, des relations basées sur le respect et l'amitié, de par nos activités professionnelles et notre intérêt pour l'histoire des Haut-Marnais ayant servi au sein du 21e régiment d'infanterie coloniale en 1944-45.

Car si Robert Jeanmougin souhaitait davantage mettre en avant ses « états de services civils », comme il nous l'a jadis écrit, il n'en était pas moins un brillant combattant de la Seconde Guerre mondiale.

Né en 1918 à Amblans (Haute-Saône), Robert, alias « Pépé » Jeanmougin, fut d'abord un agent de l'administration postale avant de rejoindre volontairement, avant guerre, l'armée (au 9e zouaves à Alger). Réintégré aux PTT après la dissolution de l'armée d'armistice, en poste en Haute-Marne, domicilié en 1944 à Sarcicourt, il rejoignit le maquis Duguesclin, où il servit, comme sergent, au sein de la 3e compagnie du lieutenant Agniel. Après la libération de Chaumont, il estima qu'il n'en avait pas assez fait en s'enrôlant au bataillon de Chaumont (caserné au quartier Foch) puis au 21e RIC, d'abord au sein de la section de mortiers de 81 de la compagnie d'accompagnement du 1er bataillon, puis de la compagnie de commandement, en qualité d'adjoint à l'officier d'état civil.

« Ma triste mission, nous écrira-t-il en 1993, consistait à ramasser les restes des tués du 1er bataillon sur les divers champs de bataille, à collecter leurs effets personnels, à les faire placer dans un cercueil puis à les faire inhumer au cimetière militaire de Strasbourg ». De terribles souvenirs qui conduiront cet ancien militaire, promu sergent-chef en 1945, à devenir plus tard un pacifiste convaincu, partisan, notamment, de la réhabilitation des « mutins » de la Der des Der.

Dernier président de l'association des combattants républicains de la Haute-Marne (nous garderons en mémoire ce dimanche où, sur la place de la Concorde à Chaumont, à l'occasion d'une poignante Fête des drapeaux, il remit solennellement l'emblème de cette amicale qui venait d'être dissoute), Robert Jeanmougin ne manquait jamais la cérémonie d'hommage aux résistants chaumontais fusillés à La Vendue.

Robert Jeanmougin était, non par la taille, mais par sa simplicité, sa générosité, la force de ces convictions, un homme grand. Nous saluons ici sa mémoire et adressons nos sincères condoléances à sa famille.

La photo qui accompagne cet hommage provient de sa collection personnelle. Elle représente les hommes de la 3e compagnie du maquis Jérôme, cliché pris en septembre 1944. Le sergent Jeanmougin est à l'extrême-droite de cette photo, au troisième rang.

dimanche 27 novembre 2011

Le 1er Régiment de France en Haute-Marne



Mi-août 1944, un détachement du 1er RF lors d'une cérémonie à Champigny-lès-Langres. (Collection Hubert Gallion/CM 52).

Il y a sept ans, à l'occasion du 60e anniversaire de la Libération, plusieurs vétérans du 1er Régiment de France revenaient sur les lieux de leurs combats livrés en 1944, dans le Sud-Est haut-marnais. Une unité dont le rôle a peu à peu été oublié. Et pour cause. Avant de se rallier début septembre 1944 aux FFI de la Haute-Marne, ce corps était perçu par la Résistance pour ce qu'il était à l'origine : un régiment créé à l'initiative du maréchal Pétain, le seul toléré par l'armée d'occupation, quoi que le patriotisme de la majorité des hommes qui le composaient ne puisse aujourd'hui être mis en doute.

C'est le 28 mai 1944 que trois compagnies du 2e bataillon, placées sous les ordres du commandant Samuel Meyer, ont été dirigées sur l'ex-zone occupée pour assurer la surveillance de la ligne à haute tension Paris-Kembs, entre les régions de Troyes et de Belfort. Mis sur pied à l'été 1943, stationné dans l'Indre et le Cher, ce régiment équipé "à la française" était commandé par le colonel puis général Berlon.

En Champagne, les hommes du 1er RF sont rapidement en contact avec des résistants locaux. Une proximité qui décidera des éléments isolés à rejoindre les rangs de la Résistance. C'est ainsi que dans la nuit du 17 au 18 août 1944, 17 soldats cantonnés à Hûmes (près de Langres) faussent compagnie à leurs camarades, emportant avec eux deux mitrailleuses Hotchkiss. Le patriote André Roy, de Montigny-le-Roi, les conduira dans un bois, où ils formeront le noyau du maquis de Fresnoy. Trois sous-officiers du régiment, les sergents Marcel Chamalbide, Robert Greland et Albert Grisot, en commanderont plusieurs groupes.
De son côté, un Meusien de 21 ans, Gaston Dieu, rejoint les rangs du maquis Duguesclin (ou maquis Jérôme), au sein duquel il est blessé accidentellement le 11 septembre vers Juzennecourt.
D'autres éléments cantonnés dans l'Aube se joignent aux maquisards de ce département (lire à leur sujet l'excellent ouvrage de l'ancien journaliste chaumontais Roger Bruge, « 1944. Le temps des massacres »).

Reste qu'au-delà de ces ralliements isolés, ce n'est pas sans une certaine méfiance que les patriotes considèrent ces militaires français. En témoigne ce récit d'un officier jedburgh opérant dans la région d'Auberive, le capitaine Maurice Geminel (mission «Bunny»). Avec Paul Carteron, chef du maquis Max (Auberive), le jeune Meusien décide d'essayer «de convaincre le commandant du bataillon de passer dans la Résistance. Nous avons monté une expédition, une nuit, avec de nombreux camions, espérant revenir avec des sous-officiers et des soldats (à défaut d'officiers) volontaires pour nous rejoindre. Malheureusement, l'opération échoua, nous fûmes accueillis à l'entrée de la caserne (Note : le cantonnement de Hûmes, vraisemblablement) par des coups de feu tirés par le poste de garde, et nous fûmes obligés de rentrer à Auberive, ne voulant pas engager un combat avec de jeunes Français qui avaient dû recevoir des consignes très précises. » Toutefois, au moins un soldat du 1er RF, Albert Montlaur, rejoindra le maquis de Carteron.

Le passage des éléments du II/1er RF aux FFI interviendra officiellement le 3 septembre 1944. Les 248 hommes du sous-groupement B, alors cantonnés à Belmont (près de Fayl-Billot), se fixeront en forêt de Bussières-lès-Belmont, aux côtés des FFI du maquis Henry. La veille, Meyer avait notamment rencontré le major canadien Roy Farran, du 2nd SAS régiment (qui se rendait d'Auberive vers la forêt de Darney, dans les Vosges), qui ne cachera pas son plaisir de voir « à nouveau des soldats élégants (sic) et disciplinés ».
Voici donc ces militaires incorporés dans les FFI. « Une conversion du dernier moment, afin d'éviter d'être considérés comme traîtres », estimera le capitaine Stanguennec (« Pierre »), commandant la compagnie de gendarmerie de Langres, chef du maquis Henry (Bussières-lès-Belmont).

Reste que le 1er RF prendra sa part dans les combats de la Libération, et que ceux-ci lui coûteront six victimes :
. Pierre Bernard, 18 ans, né à Saint-Servan (Ille-et-Vilaine) ;
. Armand Dalloz, 21 ans, né dans l'Ain ;
. Raymond Jamet, de Vallon-en-Sully ;
. aspirant Michel Pasquet, 19 ans, né à Château-Chinon (Nièvre) ;
. Jean Perrotet, 23 ans, né dans le Vaucluse ;
. Waclav Wlazyk, né dans le Pas-de-Calais, tué à quatre jours de son 20e anniversaire.

Tous ont trouvé la mort le 11 septembre 1944, lors du combat de Belmont, face aux troupes allemandes, en se rendant au château de Saulles, afin d'assurer la protection du poste de secours qui y a été installé. Leur nom figure sur le monument dédié à la Résistance du Sud haut-marnais.
Voici ce que nous écrivions à ce sujet, en 2004, dans notre ouvrage « 1944 en Haute-Marne : l'album de la Libération » , à la date du 11 septembre 1944 : « Un détachement du II/1er RF se rendant au château de Saulles se heurte en début de matinée à un important convoi allemand stationné à l'entrée de Belmont. Celui-ci appartient à une unité de Russes en provenance de Bourgogne, le 615e bataillon de l’Est. Au cours du combat, deux civils (Louis Raillard et Louis Bourrier) et six soldats du II/1er RF, dont l'aspirant Michel Pasquet, sont tués, sept autres (dont plusieurs blessés) faits prisonniers. La 1ère compagnie du maquis de Bussières, venue en renfort, perd également six blessés. Le corps-franc intervient aussi contre le convoi à la sortie de Grenant (deux blessés). Ce convoi est mitraillé à 16 h 05 par quatre ou cinq P-47, pendant 45 minutes. Côté allemand, le bilan est lourd : 80 véhicules sont détruits, de même que des pièces d'artillerie. Le nombre des victimes est relativement important (le chiffre de 25 tués est avancé). » Toujours à la date du 11 septembre : « Trois jeunes infirmières volontaires de la Résistance, Micheline Morey, 22 ans, Geneviève Cornubert, 23 ans et Marie-Louise Bailly, 22 ans, sont arrivées au château de Saulles la veille. Ce 11 septembre au soir, il y a également au château un blessé et quatre FFI. Vers 22 h, des Allemands font irruption. Trois FFI s'enfuient, le quatrième et le blessé sont abattus (Charles Lemmer et Roger Simonet). Les interrogatoires et tortures des trois infirmières commencent. Tôt, le lendemain matin, les Allemands amènent au château le gardien qui est interrogé et brutalisé. Le 13, vers 3 h, il parvient à s'évader mais ne sait ce que sont devenues les infirmières. Leurs corps mutilés seront retrouvés sous un tas de détritus... »

Après la Libération, les hommes du 1er RF iront rejoindre les casernes chaumontaises. Il se murmurait alors qu'ils devaient encadrer les unités mises sur pied dans le département pour poursuivre la lutte. Mais des frictions éclateront avec les FFI, si bien que les militaires quitteront rapidement le département. 

 En guise de complément : parmi les cadres et hommes du régiment ayant servi en Haute-Marne, citons également les lieutenants Bertrand d'Arras, Philémon Raissiguier et Armand Triquet ; l'adjudant Charles Ponti ; les caporaux Pascal Leone et Paul Thomassin, les soldats Jean Garchery, Marcel Davoult, Louis Roux, André Begel et Jean Ferré, tous capturés (et pour certains blessés) lors du combat de Belmont. Ces informations inédites ont été apportées dans un dossier relatif aux FFI de Haute-Marne et conservé par le Service historique de la Défense (merci à Yves Martin).

Sources : « Résistance, répression, libération en Haute-Marne », Lionel Fontaine, André Grossetête, Marie-Claude Simonnet, éditions Dominique Guéniot, 2007 (épuisé) ; Dossier 52 n°37 (sommaire : « Soixante après : le parachutiste de Brethenay identifié ; Il avait couvert le Jour J... ; 27 août 1944 tragique à Marac et à Villiers-sur-Suize ; 30 août 1944 : les otages de Marnaval ; Un Haut-Marnais parmi les déportés de Grandrupt ; Le 1er Régiment de France dans les combats de la Libération ».

jeudi 10 novembre 2011

Un soldat bragard décédé le 11 novembre 1918

Demain, chaque commune de France se souviendra du 11 novembre 1918, date de la cessation des hostilités dans le pays.

C'est précisément ce jour-là que décède un Haut-Marnais. Il s'appelle Fernand Larcelet. Né à Saint-Dizier en 1886, il était soldat de 2e classe dans le 360e régiment d'infanterie de Toul, régiment de réserve du 160e RI ayant accueilli en son sein plusieurs centaines d'habitants de l'arrondissement de Wassy. C'est des suites de blessures de guerre que Larcelet rend son dernier souffle à l'hôpital de Zuydcoote, dans le Nord.

A priori, ce Bragard ne serait pas le seul Haut-Marnais à cesser de vivre ce jour-là. Soldat au 160e RI, Marcel Poirel, dont le nom figure sur le monument aux morts de Doulaincourt, serait également décédé le 11 novembre 1918, et repose depuis à Nancy. Toutefois, le ministère de la Défense ne conserve pas la trace de ce Doulaincourtois parmi les morts pour la France.

Bien évidemment, ni Larcelet ni Poirel ne sont les derniers Haut-Marnais à être victimes du conflit. Nombre d'entre eux succomberont à leurs blessures dans les semaines, les mois, voire les années qui suivent, et certains tomberont lors des opérations toujours menées en Orient.

Selon Jean-Marie Chirol, 8 392 Haut-Marnais ont perdu la vie lors de ce conflit. Soit l'équivalent de la population de Langres d'aujourd'hui.

vendredi 21 octobre 2011

Trois enfants de Bonnecourt dans la Guerre de sécession

Il y a 150 ans, éclatait aux Etats-Unis d'Amérique la Guerre de sécession. Conflit fratricide auquel plusieurs Haut-Marnais de naissance ont pris part. Parmi eux : au moins trois enfants du village de Bonnecourt, dans le canton de Neuilly-l'Evêque, qui ont servi dans les rangs nordistes.

D'abord, les frères Noirot. Né en 1839, Jean-Pierre, alias John Peter, a servi comme soldat (1864-1865) dans la compagnie C du 55th Ohio Infantry Regiment. Vétéran de la guerre civile, on signale qu'il souffre de rhumatismes, de diarrhées chroniques, qu'il ne voit plus de l'oeil gauche, et que son cœur est fragile. Ce qui n'empêche pas ce citoyen de l'Ohio de vivre jusqu'en 1914, décédant à l'âge de 75 ans.
Son frère Nicolas, né en 1826, est également considéré comme un vétéran de la Civil war, mais nos recherches ne nous ont pas permis, à ce jour, d'identifier le régiment dans lequel il servait.

Quant à Pierre-Alfred Dechanet (Dechanette), s'il a vu le jour à Marcilly-en-Bassigny en 1839, il a grandi à Bonnecourt. Il était laboureur à Findlay, Ohio, lorsqu'il a été enrôlé, en 1861, dans le 1st Minnesota Volunteer Regiment. Ce soldat s'est blessé accidentellement à la main en avril 1863, à quelques semaines de la bataille de Gettysburg où son régiment devait se couvrir de gloire. Pensionné, il meurt en 1911.

Les frères Noirot et Pierre-Alfred Dechanet, qui ont suivi leurs familles aux USA au milieu des années 1850, n'étaient pas les seuls Haut-Marnais à prendre part à la guerre civile américaine. Plus de précisions dans la nouvelle publication du club Mémoires 52, « Keskidees. Emigrés bassignots et comtois aux Etats-Unis. 1830-1870 », à paraître fin octobre 2011.

lundi 3 octobre 2011

Raymond Parant, pilote bragard de la Grande Guerre et de l'Aéropostale



La fiche de Raymond Parant conservée par le ministère de la Défense.


Raymond Parant est né à Saint-Dizier le 29 avril 1897. Son père, Henri-Paul, 39 ans, exerce la profession de mécanicien. Avec son épouse Catherine-Marthe Gilbert, il réside alors rue Passe-Loup, dans la cité bragarde. Puis il s'installera à Paris.

Dessinateur, le fils Raymond-Désiré s'engage le 14 juillet 1915 au 1er groupe d'aviation comme mécanicien. Formé à Pau, il est breveté pilote le 3 mai 1916 sur appareil Nieuport, et affecté, comme caporal, le 17 novembre de la même année, dans l'escadrille N 49 (future Spa 49). Promu sergent, il y sert jusqu'à l'Armistice, y côtoyant des « as » tels Pegoud et son compatriote haut-marnais Bretillon.

Cité à l'ordre de l'armée en septembre 1919, Parant effectue ensuite une brillante et prometteuse carrière civile. Selon la revue L'Avion, il entre chez de Marcay en 1920, puis devient chef pilote à l'école Henriot à Mourmelon (Marne) en 1921, formant 200 pilotes. Le Bragard devient ensuite pilote de la fameuse Aéropostale entre 1922 et 1925, avant de rejoindre la Cidna (Compagnie internationale de navigation aérienne). Il réside à Bucarest (Roumanie) lorsqu'il est fait chevalier de la Légion d'honneur, en 1928. Celui qui apporte son soutien pour l'obtention de cette distinction, c'est un Haut-Marnais également, le Chaumontais Pierre Burello (mort en service commandé en 1938).

Parant vole pour la Cidna jusqu'en 1926, puis devient pilote pour les Photos aériennes Moreau (au Maroc), avant de rejoindre la firme Potez en septembre 1931. Crédité de plus de 5 000 heures de vol, il pilote l'avion chargé de transporter les commissaires du Tour de France aérien, lorsque l'appareil s'écrase le 6 juin 1932 non loin d'Avignon, sur le territoire de la commune de Pujaut (Gard). Il y trouve la mort, ainsi que MM. Lévitan (journaliste), Bouillat et Cailleux (commissaires).

Parant, qui laisse une veuve épousée en 1927 à Champigny-sur-Seine (Yvonne Debant), était âgé de 35 ans. Ses obsèques seront célébrées à Joinvile-le-Pont.

Sources : état civil de la commune de Saint-Dizier ; dossier de membre de la Légion d'honneur ; site « Mémoires des hommes » du ministère de la Défense ; revue L'Avion (juin 1932) ; site d'Albin Denis.

mercredi 31 août 2011

13 septembre 1944 : les FFI bragards entrent dans Chaumont

En 1968, l'amicale des maquis du Val et Mauguet, de Saint-Dizier, se fendait d'une motion pour rappeler le rôle joué par les FFI bragards dans la libération de Chaumont, le 13 septembre 1944. En filigrane, les anciens maquisards de la cité ouvrière pointaient du doigt la méconnaissance, pour ne pas dire le manque de reconnaissance, de cette participation. Qu'en fut-il exactement ?

En deux jours, les 30 et 31 août 1944, la 4e division blindée de la 3e armée américaine (Patton), progressant en direction de la Moselle, libérait la majeure partie de la moitié Nord de la Haute-Marne. Un témoignage fait même état, dès le 30 août, d'une reconnaissance d'autres éléments US, venant de Bar-sur-Aube, jusqu'aux abords de Jonchery ! Chaumont va-t-elle rapidement tomber ? Le 31, l'ennemi, menacé au nord et à l'ouest, commence à évacuer la ville, sabotant le viaduc. Le 1er septembre, des blindés légers, appartenant vraisemblablement au 106th Cavalry group du 15e corps américain (3e armée Patton), montrent le bout de leur acier à Rimaucourt. Enhardis, les FFI de la compagnie du capitaine Jean Châtel tentent, en vain, de s'emparer d'Andelot, à une quinzaine de kilomètres de Chaumont en direction de Neufchâteau, donc sur un axe de repli ennemi.

Finalement, en ce début septembre, Chaumont ne sera pas prise. Il semble que les Alliés envisagent cette libération dans le cadre de l'offensive qui sera menée en direction de la Lorraine par le 15e corps, alors dans le Loiret et dans l'Aube, et qui se rassemblera sur la Marne à compter du 10 septembre 1944.

Dans l'attente, le 12e corps, qui est déjà entré dans Thionville, en Moselle, voit son flanc Sud menacé par la présence de troupes allemandes à Andelot et Chaumont, et surtout par les troupes de la Wehrmacht qui se replient du Sud-Ouest, du Centre et du Sud de la France via Langres et Chaumont.

Certes, les Américains ont installé des avant-postes dans le secteur de Chaumont : le 121st Cavalry squadron est entré dans Vignory le 2 septembre, dans Bologne le 3, et il est encore positionné vers Leurville (canton de Saint-Blin), en liaison avec la compagnie Châtel. Mais il convient d'étoffer ce dispositif de couverture.

Aussi, le 6 septembre 1944, le colonel Emmanuel de Grouchy (« Michel »), commandant des FFI de Haute-Marne, part-il rencontrer, dans le département de la Marne, le lieutenant-colonel Robert I. Powell, de l'état-major de la 3e armée, qui lui confie cette mission de couvrir le flanc Sud des troupes de Patton.

Des FFI du Nord Haute-Marne sont alors dépêchés pour l'exécuter. Il s'agit surtout d'une compagnie de marche constituée à partir de la Compagnie du Der, de FFI aubois (Commandos M) et marnais (maquis des Chênes) ; d'éléments du Bataillon de Joinville ; et du Bataillon FFI de Saint-Dizier (commandant Jean Grob), le tout sous les ordres du major britannique Nicholas Bodington, chef du réseau du Special Operations Executive (SOE) « Pedlar », dont le PC a été installe à Montier-en-Der, et de son adjoint le capitaine Percy Harrart, dit « Peter ».

Selon le journal de marche du colonel de Grouchy, c'est le 9 septembre 1944 que la Compagnie du Val (capitaine Victor Thérin), formant la 1ère compagnie du Bataillon FFI de Saint-Dizier, « va s'installer à Bologne et Marault, avec points de surveillance à Marault, liaison avec les éléments américains à Bologne. »
Et c'est dans la nuit du 9 au 10 qu'un accrochage survient entre la compagnie bragarde, dont les effectifs sont estimés par le capitaine Thérin à environ 160 hommes, et les Allemands. La motion de l'amicale des maquis du Val et Mauguet précise que « les sections de pointe », commandées par l'adjudant Marcel Carlin (6e section) et l'aspirant Robert Mougel (2e section), ont repoussé une forte patrouille dont l'effectif est évalué à 40 hommes, entre le cimetière de Bologne et Marault...

Le sergent Martial Thiery et le caporal Georges Mainvis, de Saint-Dizier (aujourd'hui disparus, ils étaient alors âgés de 21 ans), se souviennent que les FFI étaient installés dans un fourré, à droite de la route menant à la gare de Bologne, lorsque la patrouille allemande s'est présentée. Des coups de feu ont claqué. Trois FFI ont été blessés : Georges Jeanne (un Normand de 23 ans), Robert Villeneuve, 21 ans, et Paul Géraud, 18 ans. Ce dernier a reçu une balle explosive dans le talon. Robert Shandelon (né en Moselle en 1926) et le sergent Thiéry font les morts. Les Allemands inspectent le fourré au briquet puis reprennent leur patrouille en emportant un FM. C'est alors qu'un FFI fait feu et en tue trois. Le journal du colonel de Grouchy confirme que la Compagnie du Val déplore, dans cet accrochage, trois blessés, contre trois tués et trois blessés côté ennemi. Selon la motion de l'amicale, Jeanne a eu le poumon droit perforé et a été soigné à l'hôpital américain de Romilly-sur-Seine, et Géraud sera amputé du pied droit.

Au lendemain de cet accrochage, la compagnie bragarde se replie sur Bologne, tandis que le 15e corps arrive enfin pour se rassembler sur la Marne (la 2e DB française, entre Vignory et Bologne).

Le 11, c'est l'attaque de ce corps en direction des Vosges. Un accrochage a lieu à Andelot. Le bourg sera conquis le lendemain par la division Leclerc. Encore un nouvel axe de repli allemand coupé...

Le 13, après un accrochage à Villiers-le-Sec qui leur a coûté un tué, les FFI du maquis Jérôme (secteur de Chaumont), qui étaient positionnés à l'ouest de Chaumont depuis plusieurs jours, poussent en direction de la cité-préfecture, que les Allemands ont évacuée au matin en direction de Montigny-le-Roi. De son côté, la Compagnie du Val occupe Briaucourt et Brethenay. Elle atteint « Chaumont à 17 h 30 (1ère et 4e sections) et 21 h (2e et 3e sections) ».

Le 14, les FFI bragards exécutent une reconnaissance sur Condes et sur le plateau de Brethenay, avant de regagner le Nord du département. Ils reviendront, en partie, quinze jours plus tard, à Chaumont, pour s'engager au sein du 21e bataillon de sécurité.

Note : le maquis Mauguet (2e compagnie du Bataillon FFI de Saint-Dizier) a également pris part aux opérations aboutissant à la libération de Chaumont, mais nous ignorons précisément le rôle qu'il y a joué.

mardi 30 août 2011

Les Keskidees arrivent


En novembre 2011, paraîtra la prochaine publication du club Mémoires 52. "Keskidees. Emigrés bassignots et comtois aux Etats-Unis. 1830-1870", est l'oeuvre de deux membres de l'association, Didier Desnouvaux et Lionel Fontaine.

Plus de détails sur la page créée à cette occasion :

http://keskidees.voila.net/

jeudi 11 août 2011

La division Leclerc et la Haute-Marne

La Haute-Marne reste très attachée au souvenir de la 2e division blindée du général Leclerc. Monument départemental, le char « Edith », détruit le 11 septembre 1944, rappelle les combats d’Andelot, au cours desquels huit soldats ont trouvé la mort. Ce bourg possède une place du Commandant-Cantarel, et Prez-sous-Lafauche a inauguré une place « Sous-lieutenant-De-Masclary », tombé dans le village avec le soldat Armand Buton. Par ailleurs, des éléments de la 2e DB sont entrés dans Chaumont le 13 septembre 1944, et ont notamment réalisé la jonction avec les troupes de la 1ère armée française en plusieurs localités du département.

La Haute-Marne a d’abord donné à la division Leclerc plusieurs combattants de valeur. Citons en premier lieu le Compagnon de la Libération André Sorret, capitaine au Régiment de marche du Tchad, né le 29 mai 1918 à Bettaincourt-sur-Rognon. Sous-lieutenant en 1940 au 24e RI, il participe aux campagnes de la colonne Leclerc puis sert comme lieutenant dans la compagnie d’accompagnement du 2e bataillon du RMT. Capitaine, il est fait Compagnon de la Libération le 13 juillet 1945. André Sorret trouve la mort le 2 octobre 1949 en Indochine, au sein du 5e bataillon colonial de commandos parachutistes.
Domicilié à Ecot-la-Combe, ancien du 260e RI en 1940, le capitaine Jean Châtel – membre d’une famille originaire du Territoire-de-Belfort – commande le maquis local, qui est intégré au sein d’une compagnie FFI dont Châtel prend la tête et qui se bat à Andelot, d’abord le 1er septembre 1944 (l’action contre la garnison locale échoue) puis le 12. Châtel, époux d’une Américaine, sert quelque temps, avec plusieurs de ses hommes, aux côtés du 106th Cavalry group, en Lorraine, avant de rejoindre l’état-major du 15e corps américain (26 octobre 1944) comme officier de liaison auprès de la 2e DB.
Dans le département, vécut également le général Jean Razy. Ce Polytechnicien né en 1914, capitaine au RMT, est considéré comme l’un des pères de l’Aviation légère de l’armée de terre. Il résidait à Aubepierre-sur-Aube. N’oublions pas non plus cet enfant de Colombey qu’est Philippe de Gaulle, enseigne de vaisseau au sein du Régiment blindé de fusiliers-marins. Son oncle Alain de Boissieu repose d’ailleurs dans le petit cimetière du village.

Nous avons également identifié six Haut-Marnais tombés dans les rangs de la 2e DB. Il s’agit, dans l’ordre chronologique de leur décès, de :
. l’adjudant René Quantin, né à Joinville en 1910, chef de section dans la 6e compagnie, 2e bataillon du RMT, tué à Mézières le 10 août 1944 dans la Sarthe, Compagnon de la Libération à titre posthume ;
. le chasseur Gilbert Gobillot, né en 1922 à Neuilly-l’Evêque, du 1er escadron du 12e RCA, tué par éclat d’obus le 11 août 1944 à Ancines, également dans la Sarthe.
. le maréchal des logis Louis de Torcy, d’Eclaron, né en 1918 à Paris. Sous-officier dans le 3e escadron du 12e RCA, il est tué le 13 août 1944 en forêt d’Ecouves. A noter qu’au sein de ce régiment, le sous-lieutenant de Masclary (escadron hors rang) trouvera la mort le 11 septembre 1944 à Prez-sous-Lafauche.
. le soldat Jean-Pierre Richard, né à Coupray en 1924, issu de l’escadron FFI de Vaugirard (Paris), soldat au 2e bataillon du RMT, tué le 13 septembre 1944 à La Ville-sur-Illon (Vosges).
. Georges Deparis, né en 1921 à Saint-Dizier, du 1er RMSM, carbonisé dans son char le 28 novembre 1944 à Burgheim.
. Alexandre Gairaut, né en 1925 à Paris, membre du Cercle nautique bragard, du 1er RMSM également, mort par accident le 6 mai 1945, sur le lac Amersee, en Allemagne.

Parmi les noms de combattants parvenus à notre connaissance, citons encore :
. Jacques Denamur, de Saint-Dizier, fait prisonnier en Tunisie, évadé d’Italie par la Suisse, engagé à Paris au 12e cuirs, titulaire d’une citation américaine ;
. André Reine, de Graffigny-Chemin, blessé à Grüssenheim dans les rangs du 3e bataillon du RMT ;
. Marcel Renaud, né en 1921 à Langres, passé en Afrique du Nord en 1941, sergent au 1er RMSM , blessé en Alsace ;
. le sergent Maurice Carlier, de Saint-Dizier, chef du char « Lützen » (2e compagnie du 501e RCC) ;
. le matelot Roland Maupin, de Bourmont, conducteur du « Terrible » (3e escadron du RBFM)…

Enfin, signalons qu’à la Libération de la Haute-Marne, la division Leclerc a accueilli de nombreux volontaires issus de ses maquis :
. de la compagnie du Val : Pierre Florentin et Jacques Michelot, d’Eurville, Fernand Rodary, de Roches-sur-Marne (tous affectés au 501e RCC) ; Jean Thieblemont, de Saint-Dizier (RMSM) ; André Geiregat, de Roches-sur-Marne, au groupe d’escadrons de réparation ;
. du maquis Mauguet : Just Hector, de Saint-Dizier (13e bataillon du génie) ;
. de la compagnie Châtel : André Simonnot, de Rimaucourt ;
. de Saint-Dizier : Jacques Vesselle, Max Urbain, Raymond Fandard, Gilbert et Marcel Bécard, tous engagés au RMSM ; etc.


Les soldats de la division Leclerc morts en Haute-Marne sont :

. le sous-lieutenant Jean-Marie Bailloud de Masclary, né en 1914 en Indre-et-Loire, 12e RCA, le 11 septembre à Prez-sous-Lafauche, d’une rafale de mitrailleuse dans la poitrine ;
. le caporal Gilbert Biscay, né en 1925 à Paris, 3e RMT (10e compagnie), blessé à Andelot, décédé en juillet 1945 en Corse ;
. Jehan Blumereau, né en 1921 à Maisons-Alfort, 1er RMSM, le 14 septembre à Germay ;
. Armand Buton, né en 1922 à La Roche-sur-Yon, RMT, le 11 septembre à Prez-sous-Lafauche ;
. Robert Chaplain, né en 1921, 1er RMSM, le 11 septembre à Bologne ;
. le quartier-maître torpilleur Rémy Cousin, né en 1922 dans la Mayenne, du RBFM, le 11 septembre à Sommerécourt ;
. Robert Derocle, né en 1924 à Tunis, 1er RMSM, le 11 septembre à Andelot ;
. l’adjudant-chef Roger Deschamps, né en 1916 à Clichy, 501e RCC, le 12 septembre à Andelot ;
. François Espiard, né à Chalon-sur-Saône en 1919, de l’escadron de Montségou, dans un hôpital américain à Germay, le 15 septembre (selon le site de Gilles Primout consacré à la libération de Paris, Espiard a été blessé au genou le 13 septembre 1944 à Ville-sur-Illon et est mort d’une crise cardiaque, le Haut-Marnais Richard, de la même unité, a été tué sur le coup lors du même combat) ;
. Marc Logez, né en 1920 dans le Pas-de-Calais, 501e RCC, le 12 septembre à Andelot ;
. Manuel Morillas Montuno, né en 1914 au Chili, 3e RMT (9e compagnie), le 12 septembre à Illoud ;
. le sergent Henri Pertuiset, né en 1919 à Paris, 501e RCC, le 12 septembre à Rimaucourt ;
. le sapeur François Riccardi, né en 1920 à Valence (Drôme), 13e BG, le 12 septembre à Andelot ;
. Gabriel Vaugien, né en 1922 à Alger, 13e BG, le 12 septembre à Andelot ;

mardi 12 juillet 2011

Des inventeurs restés dans l'ombre

La Haute-Marne n’a pas manqué d’inventeurs nés sur son sol. Illustres, à l’exemple de Philippe Lebon, de Brachay (éclairage au gaz), ou de Jouffroy d’Abbans, de Roches-sur-Rognon (navigation à vapeur). Fameux, comme Emile Baudot, de Magneux (télégraphe), et Cornevin, de Montigny-le-Roi (vaccin contre le charbon). Et d’autres restés à jamais anonymes. Astreints – dans leur intérêt, reconnaissons-le – à déclarer leur trouvaille auprès des services de l’Etat, ces inventeurs, industriels ou simples travailleurs soucieux de faire progresser leur profession, ont heureusement laissé une trace, par le dépôt de demande de brevet, dans les publications officielles. Citons ainsi le charron Agnan Caussin, de Brethenay, qui, en 1840, baptise la machine qu’il a imaginée du nom de « moissonneuse », ou le cultivateur bragard Louis-Augustin Buret-Sollier qui, en 1844, conçoit un « genre de machine (sic) propre à battre les grains » - que ne se sont-ils associés pour mettre au point une moissonneuse-batteuse… Ou encore le Langrois Claude Roret, inventeur d’une « canne niveau de pentes » (1847) à destination des géomètres, ou l’ingénieur Muel, de Ragecourt (aujourd’hui Rachecourt), concepteur d’une charrue portant son nom.

Parmi tous ces anonymes, il en est un qui mérite de passer à la postérité : Hugues Champonnois, considéré comme le créateur de la distillerie agricole. Né le 12 germinal an XI (2 avril 1803) à Chaumont, il est issu, côté paternel, d’une famille de marchands chaudronniers (son grand-père Gilles, son père François) et, côté maternel, d’une famille de marchands chapeliers (les Dimey). Aîné d’une famille de cinq enfants, selon l’auteur d’une notice nécrologique, le jeune homme est élève au Conservatoire des Arts et métiers à Paris, suivant les cours d’un des célèbres frères Molard. C’est par l’intermédiaire de celui-ci qu’il fait la rencontre, déterminante, du comte Jean-Antoine Chaptal, Pair de France. C’est ce chimiste renommé qui le décide à se diriger, plutôt que vers la pharmacie ou la chimie, vers la sucrerie, en 1825. Champonnois met alors au point, au bénéfice de cette activité, un laveur continu. Dès 1829, le Bulletin des sciences technologiques évoque ce système imaginé par le Chaumontais, « construit par M. Hallette, (qui) fonctionne très bien, expédie beaucoup de besogne et dépense peu d’eau. » Entre-temps, Champonnois est qualifié de manufacturier chimiste lorsqu’en 1828, à 25 ans, il épouse, à Pont-la-Ville (canton de Châteauvillain), une Haut-Marnaise, Marie-Delphine Jourdain.

En 1834, on le désigne comme fabricant de sucre indigène. Avec Charles-Edouard Daboville (ou d’Abobille) – est-ce le futur général d’artillerie ? -, qui demeure à Jonchery, il dépose un brevet de cinq ans pour un appareil « servant à opérer par la continuité, la concentration instantanée des sirops et autres liquides ».En 1836, avec Adrien-Xavier Martin, il met au point un « système complet de fabrication du sucre indigène, fondé sur des méthodes toutes nouvelles ». On le retrouve encore, dans les années 1840, inventeur d’un appareil calorifère applicable aux poêles et cheminées, puis de pompes dites économiques.
C’est en 1854 – année où, d’ailleurs, il écrit une « Notice sur les distilleries agricoles de betteraves et autres » - que Champonnois crée les premières distilleries agricoles. Un événement dont le cinquantenaire sera célébré en 1904.

Titulaire d’une grande médaille d’honneur à l’Exposition universelle de 1855, on dit de lui, en 1869 : « C’est à M. Champonnois qu’est due l’introduction définitive de la distillation de la betterave dans les fermes, par la création d'un outillage simple, relativement peu coûteux, par l'emploi d'un mode facile et peu dispendieux de traitement de la betterave et par la reconstitution de cette racine quant à sa valeur nutritive. Le procédé Champonnois consiste, on le sait, à découper en cossettes les betteraves préalablement lavées et à les faire macérer dans un cuvier par les vinasses. Le jus ainsi obtenu est dirigé dans une cuve où il est soumis à une fermentation continue par le mélange avec le jus plus ancien d'une cuve précédente en pleine fermentation, lorsque le travail du ferment est terminé, ce jus est dirigé dans la chaudière à distiller et la vinasse constitue ce qui reste dans la chaudière, lorsque ce jus a été complètement épuisé d'alcool. Un laveur, un coupe-racines, trois cuves à macérer, quatre cuves à fermenter, un appareil distillatoire, une ou deux pompes à jus, deux réservoirs à vinasse et un réservoir à alcool, forment l'outillage nécessaire à l'exploitation agricole de ce procédé.»Notons que le Chaumontais a travaillé dans le laboratoire d’un chimiste réputé, Payen. Lequel, membre de l’Institut, a adressé un rapport élogieux, en 1854, à la Société impériale et centrale d’agriculture de France sur le procédé de M. Champonnois, prenant pour exemples des exploitations auboises.

Ingénieur civil, domicilié rue des Petits-Champs à Paris, Champonnois est qualifié de fabricant de distilleries agricoles lorsqu’il est fait membre de la Légion d’honneur – il sera officier de cet ordre. Il meurt dans la capitale le 18 avril 1896, à 94 ans.

Parmi ses frères, Gilles-Victor, né le 11 nivôse an XIII (1er janvier 1805) à Chaumont, élève à l’école polytechnique, promotion 1824, sorti en 1826, affecté aux Ponts-et-Chaussées, sera ingénieur ordinaire, notamment dans le Morbihan, en 1831, et décédera avant 1855.

mercredi 15 juin 2011

Un hommage à Emil Moravek à Heuilley-le-Grand

Hommage de la Tchéquie à Emil Moravek

Madame l'ambassadrice de Tchéquie en France viendra à Heuilley-le-Grand (canton de Longeau), dimanche 19 juin, rendre hommage à l'aviateur Emil Moravek, décédé sur
la commune le 15 juin 1940. Une gerbe sera déposée devant la plaque commémorative du monument aux morts entre 15 h et 16 h. La population est invitée à s'associer à cet hommage. Un verre de l'amitié sera offert en mairie en clôture de la manifestation.

Rappelons qu'un hommage exceptionnel a été rendu à ce pilote tchèque il y a quelques années, à l'initiative de Serge Forgeot, maire de la commune. Notre président fondateur Jean-Marie Chirol était en contact avec M. Forgeot lors de ses recherches sur les combats de juin 1940 en Haute-Marne.

mardi 7 juin 2011

Des Haut-Marnais du Jour J

En juin 1994, pour le 50e anniversaire du débarquement en Normandie, le club Mémoires 52 publiait un numéro spécial consacré aux Haut-Marnais du Jour J.
Outre François Andriot, de Chaumont, et le sergent Jacques Sénée (inhumé à Champcourt), qui appartenaient au fameux commando Kieffer et à qui nous avons consacré un précédent chapitre, citons :
. Gilbert Mura, né dans les Vosges en 1922, qui habitera Arc-en-Barrois, alors quartier-maître à bord de la frégate « La Surprise » ;
. André Ribeiro, né à Reims, futur colonel domicilié à Langres, alors sergent navigateur au sein du groupe de bombardement « Lorraine », qui effectue deux missions sur les lieux du débarquement. Des extraits de son témoignage sont parus dans ce supplément. Retenons celui-ci : « A 6 h 13, nous arrivons à la pointe de Barfleur et nous longeons la côte d’assez près. La mer est grosse et les embruns viennent s’écraser sur le plexiglas du nez du Boston, réduisant momentanément la visibilité. Nous sommes maintenant à hauteur de la presqu’île, devant et sur notre gauche, mais beaucoup plus près de la côte que prévu, le spectacle est somptueux, fantastique, inoubliable. La mer est pleine de bateaux, encore des bateaux, des centaines, des milliers de toutes tailles, de tous gabarits. Ils dansent sur une mer très grosse en dessous de leurs barrages de ballons. C’est vraiment le Jour J. Parti de France depuis trois ans et demi, c’est le jour que j’attendais, doutant souvent de pouvoir l’atteindre et le voir. Un instant je me dis : « Tu peux maintenant te faire descendre, tu as vu le débarquement, il est en route, avec une opération d’une telle envergure, c’est gagné, ça ne peut que réussir… » A 6 h 21, l’écran de fumée était tendu par le Boston de Ribeiro sur Utah beach.
. Georges Caublot, de Laferté-sur-Amance, parachuté le 9 juin 1944, à 20 ans, dans les rangs du 4th Special air service, dans le cadre de l’opération « Samwest » (en Bretagne) ;
. Charles Husson, né dans les Vosges en 1921, domicilié à Chaumont, évadé de France fin 1942, soldat (comme Caublot) au 4th SAS, parachuté en Bretagne le 12 juin 1944, tué lors de la libération de Vannes ;
. le supplément cite par ailleurs Georges Bournoville, qui aurait été parachuté dans le secteur de Sainte-Mère-Eglise dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, et blessé le 7. Il était né à Saint-Maurice et était parachutiste. S’agissait-il d’un Français détaché auprès des troupes américaines ?

Concernant le commando Kieffer, François Andriot avait communiqué à Jean-Marie Chirol, en 1999, une copie de son témoignage. Nous avons choisi de publier ici les instants où il prend pied sur le sol de France, devant Ouistreham, sur la plage « Sword », dans les rangs de la section de mitrailleuses K-Guns : « Vers 7 h 30, ordre nous est donné de monter sur le pont en vue de mettre pied à terre et nous sommes prêts au moment où la coque racle le sable et la barge s’échoue. Nous sommes balayés par un feu d’armes automatiques et nous nous faisons le plus petit possible, à plat ventre ! Les marins lancent les échelles, mais personne ne peut débarquer car elles tombent à l’eau, peut-être touchées par le feu ennemi. L’autre barge transportant les Français vient près de nous et nous sautons dessus pour utiliser leurs échelles. Juste avant de m’engager, je vois un soldat blessé essayant de revenir à bord, couvert de sang. Chargés comme nous le sommes, il n’est pas aisé de descendre vers la mer et je saute dans l’eau, laquelle m’arrive à la taille, et ma K-Gun va au fond… Je la recherche et, accompagné de mon chargeur, Rossey, nous essayons de courir le plus vite possible vers le haut de la plage, dans des nuages de fumée. Nous passons entre des piquets de bois reliés entre eux et surmontés de mines et obus. C’est la raison pour laquelle nous avons débarqué à marée haute… Les nuages de fumée se déchirent, quand les bombes de mortier ou obus explosent, et le feu des armes automatiques est intense. Il est impossible de décrire le vacarme… Les Allemands ne sont pas morts et nous en donnent la preuve. Le quartier-maître en charge de ma mitrailleuse, mon chargeur et moi-même, courons vers la rive le plus vite que nous sommes à même de le faire, chargés comme nous le sommes, car nous sommes des cibles magnifiques pour les Boches et la vitesse est primordiale. Les balles de la mitrailleuse allemande d’une casemate sur notre gauche – cette casemate existe encore maintenant – passent devant nous dans le sable… Un gradé allemand en chemise blanche est debout sur l’ouvrage, balançant des grenades… Mais pas pour longtemps ! »
Pour le 1er bataillon de fusiliers-marins commandos, la journée sera rude. Après le regroupement dans les ruines de la colonie de vacances de Riva-Bella, la section de K-Guns progresse sous les mortiers et les balles sur la route côtière : le chef de pièce d’Andriot, Lemoigne, est tué. Puis c’est son chef de section, le lieutenant Hubert, qui tombe, ainsi que Labas. Après les fameux combats contre le casino d’Ouistreham transformé en blockhaus, les commandos poursuivent dans l’après-midi en direction des ponts de l’Orne tenus par les paras britanniques. « Avec l’envoi de quelques bombes fumigènes, raconte encore le Chaumontais, nous commençons à courir, le plus vite possible, et en balançant nos grenades fumigènes. Je reçois une brûlure sur la main droite, souvenir durable du 6 juin et ma seule égratignure pour toute la guerre. Je n’ai jamais couru aussi vite de ma vie, malgré tout ce que j’ai sur le dos ! Sac de 60 livres, linge de rechange, vivres, couverture, munitions (300 cartouches), un revolver Colt 45, des grenades, sans oublier la K-Gun assez lourde sur mon épaule… » Au soir, l’unité aura perdu dix tués et de nombreux blessés, dont son chef, Philippe Kieffer.

vendredi 20 mai 2011

Héros champenois du commando Kieffer



Les deux amis Charles Husson et François Andriot. (Collection CM 52).


Dans son numéro 24 de Dossier 52 (avril-mai 2001), le club Mémoires 52 rendait hommage au lieutenant Yvonne Fontaine, inhumée à Montier-en-Der. Nous précisions que cette femme au courage extraordinaire, titulaire de la Médaille militaire, a côtoyé, dans la Résistance auboise, le major anglais Benjamin Cowburn (« Germain »), dont l’équipe s’est attaquée, avec succès, au sabotage des locomotives des Rotondes de Troyes, à l’été 1943.
C’est tout à fait fortuitement qu’en 2003, le club découvrait que l’un des artisans de ce succès repose dans le cimetière de Champcourt, commune associée à Colombey-les-Deux-Eglises. Qu’il était également l’un des héros du fameux commando Kieffer ayant débarqué le 6 juin 1944 et auquel appartenait un fidèle membre du CM 52, François Andriot.
Ainsi donc, la seule unité française constituée ayant pris pied sur les plages de Normandie comptait, parmi ses 177 fusiliers-marins commandos, deux hommes ayant des attaches avec la Haute-Marne.

Jacques Sénée naît à Antony, dans la région parisienne, le 26 novembre 1919. Entré à l’Ecole militaire d’administration, il en sort en avril 1940 avec le grade d’aspirant, à quelques semaines de l’offensive allemande… et de la défaite. Dès sa démobilisation, il se jette corps et âme dans la Résistance à Troyes, où il réside avec sa jeune épouse, originaire d’une famille haut-marnaise. D’ailleurs, le couple, qui aura quatre enfants, connaît bien le département pour y rendre visite à sa famille, à Champcourt.

Membre d’un mouvement de Résistance français, « Ceux de la Libération Vengeance », et d’un réseau britannique, Jacques Sénée fait la connaissance du major Cowburn. « En mai 1943, racontera le résistant dans des souvenirs inédits confiés par son épouse en 2003, « Germain » s’était présenté au Dr Mahée, notre nouveau chef du réseau CLV, agent de Buckmaster : il déclarait vouloir s’attaquer au dépôt de Troyes, faute de quoi la RAF interviendrait. Aucune hésitation n’était possible, le dépôt étant bordé de maisons, notre action sauverait probablement la vie à quelques Français qui n’auraient pu échapper aux bombes… « Germain » demandait seulement quelques hommes pour exécuter sa mission. Le docteur me chargea de les lui fournir… Ce fut un jeu d’enfant pour moi de trouver quatre hommes… »

Et sur proposition d’un ingénieur de la SNCF né à Chaumont, Gabriel Thierry (futur Compagnon de la Libération), c’est « le dernier samedi de juin » (Note : la plupart des récits consacrés à cette action la situent plutôt au 4 juillet 1943) que l’opération contre le dépôt de Troyes-Preize est projetée. Jacques Sénée a appris que l’occupant avait eu vent de ses activités clandestines, mais l’opération est maintenue. Avec « Germain » et les quatre patriotes, dans la nuit, le jeune homme dispose les charges explosives sur les locomotives, à la barbe des cheminots et soldats allemands. « Après avoir posé la dernière charge, nous partons tranquillement sans user des précautions prises à l’arrivée. Vraiment ce sabotage avait été ridiculement aisé », écrira Jacques Sénée, précisant que « sur 20 locomotives attaquées, treize avait été stoppées pour longtemps et deux endommagées légèrement ».

Dès ce joli coup réalisé, le jeune patriote quitte Troyes : à l’aube, il prend le train pour Paris, gagne Tours, d’où il s’envole pour la Grande-Bretagne en compagnie de trois résistants, grâce à deux avions Lysander. Outre-Manche, Jacques Sénée est déterminé à rejoindre le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) pour accomplir de nouvelles missions en France occupée. Mais sa situation de résistant « brûlé » dans son pays interdit cette perspective. « Jamais nouvelle ne m’a plus abasourdi », confiera-t-il dans ses notes. Affecté à l’état-major à Londres, ce qui ne lui convient pas, il décide de rejoindre les Commandos de la France libre. Ce qu’il obtient le 1er novembre 1943, date de son engagement officiel dans la marine. Pour l’anecdote, il perd son grade d’aspirant pour celui de second-maître (c’est-à-dire sergent). L’entraînement commando est rude, mais son abnégation est récompensée en mars 1944 : il reçoit son fameux béret vert et l’insigne de commando.

Sénée est chef de demi-section au sein de la troop 8 du 1er bataillon de fusiliers-marins commandos, que commande le lieutenant de vaisseau Kieffer et qui compte dans ses rangs un Haut-Marnais, François Andriot (soldat dans la section K-Guns).

Ouvrons ici une parenthèse : fils d’imprimeur, Andriot est né à Chaumont le 14 juillet 1921. Adhérent de la Jeunesse ouvrière chrétienne, il a décidé, plutôt que d’être contraint à travailler en Allemagne, de quitter la Haute-Marne en compagnie d’un ami chaumontais, Charles Husson (né en 1921 à Saulxures-lès-Bulgnéville, dans les Vosges). Le départ a eu lieu le 4 décembre 1942. Déterminés à rejoindre Londres et la France libre, ils devaient passer par l’Espagne. Mais comme de nombreux candidats à cette cause, Andriot et Husson ont été arrêtés le 13 décembre par la Garde civile, emprisonnés, puis internés dans le sinistre camp de concentration de Miranda. Ils n’ont été libérés que le 14 mai 1943, en arguant de leur qualité de canadiens-français ! Husson ne rejoindra pas le commando Kieffer mais une autre illustre unité de la France libre, le 4nd Special Air Service (le 2e régiment de chasseurs-parachustistes de la France libre, magnifié par le livre – et la série TV – « Bataillon du ciel » de Joseph Kessel). Parachuté en Bretagne le 12 juin 1944, Husson sera grièvement blessé le 5 août 1944 lors de la libération de Vannes et décédera le lendemain à l’hôpital de cette ville (une rue de Chaumont porte aujourd’hui son nom).

Après la campagne de Normandie, Jacques Sénée revient en Grande-Bretagne, et c’est désormais en qualité de lieutenant (enseigne de vaisseau) qu’il participe à la difficile et méconnue conquête de l’île de Walcheren, en Hollande, où il débarque le 1er novembre 1944. Durant ses opérations, et jusqu’à la Libération, son épouse, également impliquée dans la Résistance, vit à Champcourt.

Les combats terminés en Europe, on retrouve Jacques Sénée en Afrique du nord, toujours sous l’uniforme de fusilier-marin : il est de ceux qui, en 1946, créent à Cap Matifou, en Algérie, l’Ecole des fusiliers-marins commandos. Trois ans plus tard, il demande une affectation dans l’armée de terre. Lieutenant à la 1ère Demi-brigade de commandos parachutistes puis au 6e bataillon colonial de commandos-parachutistes, il sert en Indochine à partir de l’été 1949, à la tête du 3e bureau de cette unité. Le 10 janvier 1950, il trouve la mort à Yem Neu Naï, en Annam, à l’âge de 30 ans. Son nom sera donné à un commando de la Marine ayant servi en Indochine.

Titulaire de nombreuses décorations (dont la Légion d’honneur et la médaille militaire), Jacques Sénée, inhumé à Antony, repose depuis le 13 mai 1993 dans la cimetière de Champcourt, où l’a rejoint sa veuve. Nous l’avions revue avec plaisir en juin 2004 à Ouistreham, à l’occasion de la remise de la Légion d’honneur à notre ami chaumontais François Andriot, aujourd’hui retiré en Grande-Bretagne où il s’était marié. Il n’y aurait plus, aujourd’hui, que dix survivants du commando Kieffer, et parmi eux le Haut-Marnais Andriot.

Nous publierons des extraits des témoignages du sergent Sénée et du matelot Andriot sur « leur » Jour J le 6 juin, à l’occasion du 67e anniversaire du débarquement en Normandie.

mardi 3 mai 2011

Un blog sur la tragédie de la vallée de la Saulx

Un remarquable et fort bien documenté "hommage aux martyrs de la vallée de la Saulx" du 29 août 1944. A consulter via ce lien :

http://martyrsdelasaulx.blogspot.com/

jeudi 28 avril 2011

Trois journalistes américains capturés à Brethenay

Le 12 septembre 1944, une jeep de l’armée américaine, baptisée « June », roule sur la N 67, en direction de Chaumont. A son bord : quatre hommes. Le conducteur, le soldat James Schwab, et trois correspondants de guerre. Venus du camp de presse de la 3e armée Patton, ils se rendaient, dira-t-on plus tard, sur la Loire, afin de couvrir pour leurs publications respectives la capitulation du groupement allemand du général Elster.

Qui sont ces trois journalistes ?
. John M. Mecklin, du Chicago Sun.
. Edward William Beattie, d’United Press, qui était en poste à Berlin avant la guerre, ce qui explique qu’il était bien connu du Dr Goebbels.
. Wright Bryan, d’Atlanta Journal, resté célèbre pour avoir réalisé, au profit de la NBC, le premier reportage du Jour J, consacré à l’action des parachutistes américains dans la nuit du 5 au 6 juin 1944.

Il est environ 13 h lorsque sur cette route bordée d’arbres, surgit un obstacle constitué de branches. Le conducteur, Schwab, stoppe le véhicule. Pendant deux minutes, ses occupants discutent de la conduite à tenir. Beattie écrira ultérieurement que le fait que la jeep tirait une remorque les a empêchés de faire demi-tour.
Soudain, un feu violent s’abat sur le groupe. Les journalistes cherchent à se mettre à l’abri. « Tout à coup, rapportera Beattie, Bryan tourne la tête et dit : « Je suis touché ». « Est-ce grave ? », demandais-je. « Non, c’est juste ma jambe, et je n’ai pas l’impression que l’os soit touché »… » De son côté, Mecklin essaie de ramper le long d’un fossé. Il aurait pu s’échapper si…
… Si une seconde jeep américaine n’était arrivée sur la route au même moment. A son bord : six autres soldats américains, dont le sergent Harris, du 749th tank battalion, alors cantonné en forêt de Mathons, près de Joinville. Beattie racontera : la deuxième jeep « essaie de faire marche arrière. Elle est en train de tourner, lorsqu’une balle allemande met son moteur hors de marche. Les six occupants de la jeep sautent et plongent dans le fossé, au moment où les Allemands surgissent du bois, tirant en courant. Trois des six hommes de la jeep sont blessés. Les trois autres nous rejoignent en tant que prisonniers des Allemands. Nous n’avons jamais su ce qui s’est passé pour les trois hommes blessés de l’autre jeep… » Selon le fils du sergent Harris, Mecklin aurait également rapporté cet événement dans un article (nous n’en avons pas retrouvé trace), précisant que deux hommes du 749th battalion avaient été tués.
Quoi qu’il en soit, le résultat de cette embuscade, c’est que sept Américains ont été capturés.

Plusieurs questions relatives à cet événement peuvent se poser. D’abord, où s’est déroulé précisément cet accrochage ? Beattie ne le précisera pas, se contentant d’indiquer qu’il était « enroute (sic, et en français dans le texte) to Chaumont ». Toutefois nous savons, par des témoignages recueillis sur place par Claude Ambrazé, du club Mémoires 52, qu’il s’est produit aux abords de Brethenay. Peut-être dans le creux de la route formé entre ce village et Condes, à hauteur du pont-canal, là où quelques jours plus tôt, une précédente embuscade avait causé la mort du FFI André Legros, la blessure d’un autre patriote, tandis qu’un officier français parachuté, le lieutenant Bernard Savouret Garat de Nedde, parvenait à s’échapper.
Autre question : comment se fait-il qu’une jeep – nous ignorons si celle qui la suivait était chargée de l’accompagner – se soit aventurée dans une région non encore libérée, car même si ce 12 septembre, la division Leclerc attaque Andelot, ce n’est que le lendemain que Chaumont sera évacuée par sa garnison ? Personne n’a-t-il songé à avertir cet équipage qu’à Brethenay, deux embuscades ont déjà eu lieu les jours précédents, que dans ce village deux habitants ont été exécutés par les Allemands ? C’est surprenant.

Toujours est-il que Wright Bryan est transféré dans un hôpital, tandis que ses compagnons sont conduits dans d’anciens baraquements à Chaumont (dans une caserne ?). Bryan sera ensuite interné en Pologne et libéré en janvier 1945 par les Russes. Mort en 1991, il était président pour le développement de Clemson University.
Beattie sera également prisonnier de guerre en Allemagne. Il écrira un ouvrage sur sa condition de prisonnier de guerre : « Diary of a Kriegie », paru en 1946, dont nous avons eu connaissance que d’extraits.
Pendant trois jours, les sergents Harris, Forrest Eeadler et Charles Padgett suivront le destin de la garnison de Brethenay, repliée dans la nuit du 12 au 13 septembre 1944 en direction de Montigny-le-Roi via Chaumont. C’est grâce à la bienveillance d‘un de leurs geôliers qu’ils s’évaderont durant la retraite et seront recueillis à Jonvelle (Haute-Saône). Il semble que le troisième journaliste, Mecklin, ait pu retrouver la liberté à cette occasion, trois jours après sa capture. Il sera correspondant du Time en Indochine, et accompagnait le fameux reporter Robert Capa lorsque celui-ci trouva la mort sur une mine en Extrême-Orient en 1954.

Sources : cette histoire a été évoquée dans "Dossier 52" n°37 (Spécial Libération) en 2004.

lundi 18 avril 2011

L'énigme de la disparition d'André Guignard (27 août 1944)

A notre connaissance, au moins deux victimes de la répression allemande en Haute-Marne n’ont jamais été identifiées.
Le 21 septembre 1944, deux hommes ont été retrouvés morts dans le bois de Saint-Roch, en lisière de Chaumont. L’un s’avérera correspondre à Martial Champied, né en 1909 à Troyes, arrêté le 22 août 1944 à Clairvaux, emprisonné à Chaumont et, selon L. Hutinet (« Livre d’or de la Résistance haut-marnaise »), exécuté le 26. L’autre est un homme d’une quarantaine d’années resté encore aujourd’hui inconnu.
Quelques semaines plus tôt, le 27 août, ce sont deux autres corps qui ont été découverts sur le territoire de Coupray : celui d’Antoine Papa, de La Courneuve, réfugié à Coupray, exécuté deux jours plus tôt, et celui d’un homme d’une trentaine d’années, vraisemblablement tué le même jour.
Nul n’a donc jamais su qui étaient les inconnus du bois de Saint-Roch et de Coupray.

A l’inverse, plusieurs résistants arrêtés par les Allemands en Haute-Marne n’ont jamais plus donné de nouvelles. C’est le cas de :
. Michel Chement, de Pressigny, porté disparu le 1er septembre 1944 lors du combat de la gare d’Andilly livré par le maquis de Varennes ;
. Raymond Chevalier, né le 6 mars 1914 à Saint-Blin, membre du groupe Siroco et porté disparu le 8 septembre 1944 près de Prez-sous-Lafauche. Il a été fait prisonnier avec Hubert Mayer, né à Frebécourt (Vosges) en 1925 et décédé en déportation le 1er février 1945.

Le cas qui nous préoccupe ici est celui d’André Guignard, chef du secteur Est de Chaumont des FFI, qui, avec Marc Bongrain (d’Illoud), chef du sous-secteur de Bourmont, est porté disparu le 23 août 1944 à Auberive, « à la suite d’une liaison avec le chef départemental (Note : le colonel Emmanuel de Grouchy, alias « Michel ») et les autres chefs de secteur », précisera Grouchy, qui a alors son PC à la ferme de La Salle. Nous savons que le FFI Robert Ingret, qui les accompagnait, a été abattu sur place par les troupes d’occupation qui ont intercepté leur véhicule. Quant à Guignard et Bongrain, l’auteur de la brochure consacrée au maquis d’Auberive dira : « Ils furent arrêtés, emmenés et jamais on ne put retrouver leur trace ».
Que sont-ils devenus ? La question hante encore leurs camarades, qui ne l’ont jamais résolue. Comme Maurice Noirot, de Noyers, l’un des derniers à avoir vu Guignard vivant (c’était le matin même à Nogent, au départ de leur mission).

Selon le dossier de déporté – car pour l’Etat, le chef du secteur Est de Chaumont est considéré comme décédé en déportation - de Guignard, Bongrain et lui-même ont été d’abord conduits dans l’abbaye d’Auberive, puis dirigés sur la prison de Langres. Or l’on sait que le 27 août, les captifs de cette prison ont été transférés en camion jusqu’à Chaumont, d’où ils sont partis le jour-même en train jusqu’à Belfort puis à Neuengamme. L’un de ces déportés, Raymond Gourlin, communiquera à Jean-Marie Chirol, président du CM 52, une liste de ses camarades de la prison de Langres : ni le nom de Guignard, qu’il a connu brièvement au maquis de Leffonds, ni celui de Bongrain n’y figurent. Ce qui n’exclut pas leur présence dans le train. La liste – reconstituée – des déportés du convoi du 29 août 1944 (Belfort – Neuengamme), publiée par la Fondation de la mémoire de la Déportation, comprend ainsi le nom de Bongrain, sans toutefois que son numéro de matricule à Neuengamme ne soit indiqué. Mais aucune trace du nom de Guignard, alias « Dédé ». Signalons toutefois que cette liste n’est pas exhaustive.

Guignard a-t-il été déporté et exécuté en tentant de s’évader du convoi entre Chaumont et Belfort ou entre Belfort et Neuengamme ? L’hypothèse n’est pas à exclure. D’ailleurs, un des déportés haut-marnais par ce train, décédé récemment, le pensait. Peut-être un lecteur de cet article, originaire des Vosges ou du Territoire de Belfort, deux départements situés sur le trajet du convoi, a-t-il connaissance de la découverte du corps d’un inconnu mort sur la voie ferrée, entre le 27 et le 29 août 1944…

Reste également une autre possibilité. A force de persévérance, Jean-Marie Chirol avait pu démontrer qu’un résistant porté disparu en juillet 1944, déporté précisément par ce même convoi du 27 août 1944, était en fait mort à Neuengamme… sous un nom d’emprunt. Or Guignard avait sur lui une fausse carte d’identité au nom d’André Legrand, né à Asfeld (Ardennes) – précision apportée par son épouse. Toutefois, la FMD ne mentionne aucun déporté de ce nom et originaire de cette commune parmi les dizaines de milliers de victimes qu’elle a recensées…

Rappelons brièvement qui était André Guignard. Né à Toulouse en 1912, sous-officier, il s’est marié en 1935 avec une Nogentaise (un fils est né de cette union). Etabli à Chaumont, il a intégré l’organisation du colonel de Grouchy en 1944, créant et dirigeant le secteur Est de Chaumont. Durant l’été, il a commandé des sabotages (30 juillet et 3 août 1944 entre Merrey et Lénizeul, 20 août au pont de La Pommeraie), réceptionné un parachutage (12 août entre Tronchoy et Rolampont) et conduit l’audacieuse opération qui a abouti à la libération du résistant Louis béchu. La disparition de Guignard est intervenue au moment-même où l’ordre de guérilla générale était donné aux FFI haut-marnais…

(Article publié dans le numéro 43 de « Dossier 52 »).

jeudi 17 mars 2011

Il y a 100 ans, un aéroplane se posait à Chaumont




Le lieutenant pilote Remy (photo aimablement communiquée par Albin Denis, animateur d'un site sur les débuts de l'aviation militaire française).

L’événement n’a pas bouleversé l’Histoire de l’aviation. Mais il a marqué pour le moins la population chaumontaise : le 13 avril 1911, soit près d’un an après un événement similaire à Valleret, près de Wassy, puis à Saint-Dizier, un aéroplane se posait sur le sol du chef-lieu haut-marnais. En l’occurrence, un biplan Farman 11, piloté par un pionnier de l’aviation militaire, le lieutenant du génie Rémy.
Il s’agit vraisemblament de cet aviateur, prénommé Henry, né à Saint-Germain-en-Laye en 1881, titulaire du brevet de pilote mondial n°143, qui parviendra au grade de capitaine et mourra, avec le capitaine observateur Faure, dans la chute de son avion, le 5 novembre 1914, à Issy-les-Moulineaux.
L’officier avait décolé de Mourmelon (Marne) pour rejoindre Besançon, où était caserné son régiment du génie d’origine. « Après avoir voyagé à 1 000 m de hauteur moyenne, malgré la brume et le froid, rapporte le journal L’Aérophile, il faisait escale à 7 h (du soir, sans doute, Ndlr), à (La) Croix-Coquillon, près de Chaumont. » En fait, selon le journaliste haut-marnais Robert Collin, c’est exactement près du bois Beauregard, au-dessus de Buxereuilles, que l’appareil a dû se poser.
L’officier ne pourra poursuivre son vol et passera la soirée en compagnie du général commandant la 13e division d’infanterie à Chaumont. C’est le lendemain, à 4 h 25, que Rémy parvient à redécoller et à rejoindre sa destination.
Deux ans plus tard, Chaumont verra l’inauguration de sa station d’atterrissage, non pas à La Croix-Coquillon, mais à La Vendue. C’est d’ailleurs un pionnier chaumontais de l’aviation militaire, le commandant Charles-Henri Lindecker, commandant en second le 2e groupe aéronautique à Reims, qui viendra représenter le ministère de la Guerre à cette inauguration (octobre 1913).
Si la cité chaumontaise fait aujourd’hui partie de l’Histoire de l’aviation, ce n’est pas grâce au site de La Vendue, mais à celui de Semoutiers, à une dizaine de kilomètres de là, où seront stationnés en 1939-40 des groupes de l’armée de l’air française, puis dans les années 50-60 l’USA air force. Aujourd’hui, le site est occupé par le 61e régiment d’artillerie, qui met en œuvre ces aéronefs sans pilote que sont les drones.

vendredi 11 mars 2011

Missions spéciales alliées en Haute-Marne (1944)




Légende de la photo : le capitaine jedburgh Maurice Geminel. Photo prise dans l'abbaye d'Auberive. Le colonel Geminel est membre du CM 52.

La participation des agents alliés aux opérations de la Résistance haut-marnaise, à l'été 1944, a longtemps été méconnue, faute d'informations sans doute. Cela nous a paru d’autant plus dommageable que les représentants britanniques, américains et français des missions spéciales ont apporté, dans leurs rapports, un regard fort intéressant, parce qu’extérieur, sur les difficultés mais aussi sur les succès des patriotes de ce département. Voici un essai de recensement des opérations aériennes et terriennes impliquant des agents alliés, paru dans notre ouvrage « 1944 en Haute-Marne » en 2004.


Jeudi 1er juin 1944.
Dans la nuit du 1er au 2, deux parachutages ont lieu en Haute-Marne : des armes sur le terrain « Toboggan », près de Voillecomte, deux hommes près de Leffonds. Il s'agit d’officiers américains d’origine française de l’OSS, les lieutenants René Jean Guiraud (« André »), originaire de Chicago, et Louis Gérard-Varet Hyde (« Frédéric »). Constituant le circuit « Glover » du Special operations executive (SOE), ils sont les deux premiers agents des services spéciaux alliés à être parachutés en Haute-Marne. Lire au sujet de cette mission l’excellent ouvrage d’André et Josette Grossetête consacré à la fin tragique du maquis de Voisines.

Mardi 27 juin 1944. 
Le chef du circuit « Glover », le lieutenant américain Guiraud (« commandant André »), est capturé à Langres avec deux hommes, dont Gaston Simonet, qui s'évadera de l'hôpital local grâce aux religieuses et à la direction de l'établissement. Déporté, Guiraud sera le seul citoyen américain présent à Dachau lors de la libération du camp. Son coéquipier Hyde restera dans le Sud haut-marnais jusqu'à la libération, organisant de nombreux parachutages.

Lundi 10 juillet 
Dans la nuit du 10 au 11, parachutage d'armes sur le terrain « Gargouille », près de Robert-Magny. Deux membres du circuit SOE « Pedlar », parachutés la veille dans l'Aube, participent à cette opération : le lieutenant Robert Cormier dit « Bob », saboteur américain, et le sergent radio britannique Herbert Roe, dit « Maurice ». Leur chef, le major Nicholas Bodington (« Nick »), de la section française du SOE, saute cette même nuit près de Troyes.

Dimanche 23 juillet 
Un avion Stirling du Squadron 190 s'écrase près de Graffigny-Chemin. Il transporte le premier élément de l'opération SAS « Rupert », qui doit opérer dans la région du Der. Parachutistes ou membres de l'équipage, il y a treize victimes (dont le major Félix Symes et le lieutenant Ian Grant, du 2e régiment SAS) et trois survivants.

Vendredi 4 août 
Dans la nuit du 4 au 5 août, le groupe du lieutenant Donald V. Laws, du 2e régiment SAS, saute près de Bailly-le-Franc (Aube), aux confins de la Marne et de la Haute-Marne. L'opération « Rupert » est enfin lancée.

Vendredi 11 août 
Dans la nuit du 11 au 12, le commandant Michel Pichard (« Pic » ou « Gauss »), nommé délégué militaire départemental de la Haute-Marne par le général de Gaulle, sa soeur Cécile (« Altesse ») et le radio Maurice Roschbach (« Sévillan ») sont parachutés sur le terrain « Hôtel », à Rivière-les-Fosses, dans le cadre de la mission « Génératrice ». Ils établiront leur PC à Courcelles-sur-Aujon.

Samedi 12 août 
Dans la nuit du 12 au 13, les groupes des lieutenants Peter Cameron et Marsh, du 2e régiment SAS, sautent près de Giffaumont, toujours dans le cadre de l'opération « Rupert ». L'équipe Cameron opérera ensuite dans la région de Chevillon et Morley. Pour sa part, le lieutenant Laws, qui a réceptionné les deux groupes, ira se fixer en forêt de Trois-Fontaines (Marne).

Jeudi 17 août 
. Dans la nuit du 17 au 18, l'équipe jedburgh « Bunny » est parachutée sur le terrain « Amarante » de Selongey (Côte-d'Or). Elle comprend le capitaine Jocelyn F. Radice, venu du 2e régiment SAS, le capitaine Maurice Géminel (« Gerville »), un Meusien de 24 ans qui avait été blessé près de Perthes le 14 juin 1940, et le sergent radio « Jim » Chambers. Le commandant Pichard les dirige sur le maquis de la ferme de la Salle (Auberive).- « retrouvé » par le club Mémoires 52 en 2000, le colonel Géminel est un fidèle membre de notre association.

Mardi 22 août.
. De retour d'une liaison en Côte-d’Or auprès de l'état-major de la Région D (dont dépend la Haute-Marne), les capitaines Radice, Géminel (de l'équipe « Bunny ») et Carteron, chef du maquis de la Salle, ainsi que quelques maquisards, sont pris sous le feu allemand à Plesnoy. Jocelyn Radice, 26 ans, ancien combattant d'El Alamein, est blessé par balles aux deux genoux. Soigné à Orbigny-au-Mont puis à la ferme de la Salle, il est conduit à l'hôpital de Langres sous une fausse identité, mais y succombe le 27 août.

Mercredi 23 août
. Ordre de guérilla générale pour les FFI de la Région D.
. A Giey-sur-Aujon, des SAS accrochent des soldats allemands, qui perdent un tué. Commandés par le capitaine Grant Hibbert, ces hommes appartiennent eux aussi au 2e régiment SAS, mais dans le cadre de l'opération « Hardy ». Ils sont basés entre Gurgy (Côte-d'Or) et Arbot. Le lendemain, en représailles, les Allemands tirent au mortier sur le village, sans faire de victime.

Jeudi 31 août
. Dans le Sud-haut-marnais, l'escadron D du 2e régiment SAS se fixe près d'Auberive, au lendemain d'une action menée contre la garnison de Châtillon-sur-Seine. Commandé par le célèbre major canadien Roy Farran, il comprend le détachement du capitaine Grant Hibbert (opérant depuis la fin juillet entre Recey-sur-Ource et Arbot) et celui de Farran, qui a quitté Rennes avec ses jeeps armées le 19 août. Dans la nuit, sept jeeps supplémentaires sont parachutées au profit des SAS (sans doute sur le plateau de Vivey), portant le nombre de véhicules à 18.
. A minuit, sur le terrain « Hôtel » de Rivière-les-Fosses, un avion Stirling largue l'équipe jedburgh « Stanley », ainsi que deux officiers de la Direction générale des services spéciaux, les jeunes sous-lieutenants André Burguière (« Denis ») et Claude Voillery (« Ely »), formés par l'Ecole des cadets de la France libre. L'équipe « Stanley » est composée de deux Anglais, le capitaine Oswin E. Craster et le sergent E. J. Grinham, et d'un Français, le lieutenant Robert Cantais (« Carlière »). Tous iront servir dans le maquis de Bussières.- membre du conseil d’administration de la Fondation De Gaulle, Claude Voillery, qui a été membre du CM 52, garde un souvenir ému de sa présence au sein d’une compagnie du maquis de Bussières. Son ami Burguière a trouvé la mort en 1945 en Hollande.

Vendredi 1er septembre
. Dans la nuit du 1er au 2, sur le terrain « Félix », non loin d’Auberive, parachutage du lieutenant Dominique Mendelsohn (« Benjamin ») pour le circuit « Glover », et parachutage d’armes sur le terrain du Fréhaut, à Soulaucourt-sur-Mouzon.

Samedi 2 septembre 
. Adjoint au commandant de la 35e DIUS, le général de brigade Edmund B. Sebree arrive à Joinville à la tête d’un groupement qui relève le CCB de la 4e DBUS. Sa mission, jusqu'au 9 septembre : assurer la sécurité du flanc droit de la 3e Armée. Ce jour-là, Sebree envoie en mission une traction avant sur Chaumont. Entre Brethenay et Condes, elle est prise vers 14 h sous le feu allemand : le chauffeur Roger Blandin est blessé et capturé, et le FFI André Legros, 19 ans, de Joinville, tué. L’autre passager, le sous-lieutenant Bernard Sabouret Garat de Nedde, dit « Lenormand », parvient à s’échapper, via Riaucourt et Bologne. Là, Pierre Ambrazé, ingénieur des Ponts et chaussées, lui confie sa moto qui permet à l’officier de rejoindre Joinville. Il avait été parachuté quelques jours plus tôt à la ferme de Baudray (Osne-le-Val) avec trois autres officiers : son radio « Montigny » (Michel Faivre) dans le cadre de la mission « Bébé », Raymond Marmande (« Larcy ») et le radio «Bussy» (Georges Brana) dans le cadre de la mission « Chat ». Note : c’est en 2004 que le CM 52 a identifié le sous-lieutenant Sabouret Garat de Nedde comme étant l’officier survivant de l’embuscade de Brethenay. Coïncidence : son épouse a des attaches familiales à Autreville-sur-la-Renne.
. L'équipe jedburgh « Arnold » (capitaine Michel de Carville, lieutenant JHF Monahan et sergent Alan de Ville) quitte la Marne, où elle a été parachutée, pour Montier-en-Der puis Saint-Dizier, où elle est mise à la disposition du major Bodington. 
. Le major Farran scinde son squadron SAS en trois détachements : le capitaine Hibbert avec huit jeeps ira servir aux côtés du maquis de Varennes, lui-même avec huit jeeps se porte vers la forêt de Darney (Vosges), le lieutenant Pinci et 23 hommes restent à Auberive.

Lundi 4 septembre.
Un maquis se constitue à la ferme de Pincourt-le-Haut (territoire de Donnemarie), qui a reçu lors d’un parachutage des armes et deux agents français de la mission « Outil » : André Rigot (« Laurent » ou lieutenant « André ») et Pedro (« Boissier » ou lieutenant « Armand »). Le lieutenant Robert Josselin, dit « capitaine Nancy », prend le commandement du maquis de Pincourt.

Vendredi 8 septembre.
Ayant appris la veille que les Allemands évacueraient Châtillon-sur-Seine, le capitaine Géminel et les SAS montent une embuscade sur la route de Chaumont, près de Latrecey. Le combat contre un convoi s'engage à 14 h. Devant la réaction allemande, le repli est ordonné, mais Géminel, grièvement touché à un genou, reste sur le terrain. Il échappe aux recherches allemandes, est finalement découvert par l'abbé Paul Marotel, de Latrecey, et ramené dans le village par des habitants. Géminel est ensuite opéré à Auberive par le médecin-capitaine Henri Le Brigand, qui commande le groupe chirurgical mobile 3. Ce service de santé venu de Paris se compose du sous-lieutenant Marc Dalloz, de Dijon, des infirmiers Eliane Simonard et Jean Lafontaine. . Un avion allié mitraille une voiture au carrefour de Gurgy, à l'ouest d'Auberive. Son chauffeur, le lieutenant Michel Pinci, du 2e régiment SAS, est tué par une balle (des sources discordantes situent aussi sa mort entre le 9 et le 11).

Samedi 9 septembre .
Dans la nuit du 9 au 10, des parachutages ont lieu à Lavernoy, sur la route Saulles – Frettes, et à Frettes. Sur ce dernier, devait arriver l’équipe jedburgh « Nicholas » qui est finalement réceptionnée en Haute-Saône. Le lieutenant Alphonse Sybille, du BCRA, est parachuté avec l’agent « Fantin » (Léon Feldman) sur le terrain « Cherbourg » de la ferme de la Dhuys.

Lundi 11 septembre.
Dans la nuit du 11 au 12, trois officiers alliés sont parachutés près de Leuchey : le capitaine Darwin J. Kitch (« Carel »), nouveau chef du circuit « Glover » devenu "Steady", les lieutenants Curtenius Gillette (« Giuseppe ») et Jacques Boissière (« Bocace »).

Mercredi 13 septembre .
Aux opérations de la conquête de Langres par la 1ère division blindée française et les unités qui lui sont rattachées, prend notamment part l’Operational group (de l’OSS) « Christopher », composé d’une cinquantaine de parachutistes américains d'origine norvégienne largués quelques jours plus tôt à Avot en Côte-d’Or et commandés par le capitaine Melvin Hjeltness. Le lieutenant Gillette, du circuit « Glover », a été blessé au cours de la journée, de même que le parachutiste américain Langeland (après la libération de Langres, le groupe « Christopher » rejoint Auberive puis l’Angleterre le 22 septembre).

dimanche 27 février 2011

Galerie militaire haut-marnaise (I) : le commandant Picot de Dampierre

Picot de Dampierre (Anne-Marie-André-Henry) (Dinteville 22 septembre 1836 – Bagneux 13 octobre 1870). C’est dans sa famille maternelle, au château de Dinteville (canton de Châteauvillain), qu’il voit le jour, fruit de l’union de Charles-Jacques-Pierre Picot, marquis de Dampierre, 57 ans, ancien Pair de France, « demeurant pour le moment au château de M. le vicomte de Sainte-Maure », et d’Alix de Sainte-Maure, 37 ans. Le nouveau-né descend du général Auguste-Marie-Henri Picot de Dampierre, tombé à Valenciennes en 1793. Son père a été aide de camp du général Dessolle, son oncle, Jacques, combattant de Marengo, est mort à Saint-Domingue en 1802 après avoir promu général de brigade provisoire. Grand chasseur, propriétaire de chevaux de course, ce conseiller général de l’Aube, veuf de la fille du comte de Rougé depuis deux ans, prend le commandement du 1er bataillon des mobiles de l’Aube, à l’âge de 34 ans. Lors du combat de Bagneux, devant l’hésitation de ses hommes qui voyaient le feu pour la première fois, il les entraîne au cri de « Allez, en avant, mes enfants ! » et tombe, mortellement blessé par une balle à l’abdomen. C’est le capitaine Casimir-Perrier, commandant sa 4e compagnie, et futur président de la République, qui emporte son corps (l’officier décède à l’ambulance des religieuses d’Arcueil). Le commandant Picot de Dampierre repose au cimetière de Bagneux, où un buste rappelle sa mémoire. Note : il ne paraît pas descendre de la famille de Dampierre qui a possédé la seigneurie de Saint-Dizier durant le Moyen-Age.

dimanche 13 février 2011

Serge Lampin n'est plus

(Photo La Nouvelle République).


Nous venons d'apprendre le décès de Serge Lampin, inhumé mardi à Châtellerault (Vienne).
Cet enfant de Sainte-Menehould (Marne) était l'un des rescapés de la destruction du maquis de Trois-Fontaines-l'Abbaye au combat de la maison forestière de Brassa (entre Trois-Fontaines et Baudonvilliers), mi-juillet 1944. Déporté, il avait survécu et était venu témoigner de son engagement dans la Résistance, en l'an 2000, en mairie de Trois-Fontaines. Nous l'avions rencontré à cette occasion.
Pour découvrir son histoire, lire notre série d'articles consacrés aux résistants de la forêt de Trois-Fontaines.

Un redoutable tueur de loups

Difficile à imaginer aujourd’hui, mais la Haute-Marne fut une terre de loups. Il suffit de « dévorer » le magnifique ouvrage d’Albert et Jean-Christophe Demard, « Le chemin des loups », paru en 1978 aux éditions Guéniot et consacré aux « empreintes » laissées par cet animal mythique aux confins de la Haute-Marne et de la Haute-Saône, pour s’en rendre compte.

C’est une mention dans « L’almanach du commerce » de 1820 qui révèle l’existence de la redoutable « arme de destruction massive » de loups qu’un certain Boudard a installée à Choiseul (canton de Clefmont). Il s’agit d’une batterie de destruction constituée de six canons, « disposés de manière que le loup, quelque position qu’il prenne pour saisir l’appât, reçoit nécessairement deux coups de mitraille ». « Grâce » à cette invention, le nommé Boudard a pu tuer, de 1791 à 1820, 155 loups, dont quatorze le même hiver. L’almanach précise même que la batterie du sieur Boudard a pu ôter la vie à quatre loups à la fois !

Que savons-nous de ce chasseur de loups ? Qu’il se nomme en fait Claude Baudard, qu’il est né vers 1756, vraisemblablement à Vrecourt (Vosges), et que, célibataire, il était employé dans la maison de madame de Nettancourt, à Choiseul, lorsqu’il est décédé dans le village le 6 novembre 1834. Il était l’oncle de Jean-Nicolas Détieux, garde forestier en retraite à Vrecourt (source : état civil de la commune de Choiseul).
Selon les Cahiers haut-marnais, Baudard, ancien régisseur du château de Choiseul, était attaché au directoire du district de Bourmont sous la Révolution, et le frère du curé Nicolas Baudard (né en 1749 à Vrécourt, fils de Nicolas et Thérèse Guinot), président de l’assemblée cantonale d’Huilliécourt (canton de Bourmont).

C’est d’abord à Brainville-sur-Meuse que Baudard a expérimenté sa machine. Le Comité de salut public, « sur le rapport de la Commission des armes et poudres, arrête qu’il sera mis à la disposition du district de Bourmont 25 livres de poudre, qui sera employée à éprouver la batterie établie par le citoyen Baudart (sic) dans la commune de Brainville pour détruire les loups et autres animaux dangereux. » Le même Comité a d’ailleurs offert à Baudard une « indemnité » de 4 000 F « pour l’invention d’une machine à détruire les loups ».

Signalons que de 1791 à 1804, ce sont 1 781 loups qui ont perdu la vie en Haute-Marne. Parmi les redoutables chasseurs de loups de ce département, l’Histoire a conservé la trace de Michel, industriel à Ecot-la-Combe.

mardi 1 février 2011

Du sang sur la neige : les Haut-Marnais libèrent la cité Sainte-Barbe



Robert Creux (1929-1945), né à Saint-Dizier, engagé à 15 ans et demi au 21e RIC, tué le 2 février 1945 à la cité Sainte-Barbe. (Collection Lionel Fontaine)
Il y aura, demain, 66 ans, 18 marsouins du 21e régiment d'infanterie coloniale nés ou engagés en Haute-Marne trouvaient la mort lors de la libération de la cité Sainte-Barbe, quartier ouvrier de la commune de Wittenheim, près de Mulhouse. Voici une relation inédite de cette rude bataille basée sur de nombreux témoignages recueillis depuis une vingtaine d'années.

"Lorsque les marsouins du 1er bataillon du 21e régiment d'infanterie coloniale laissent derrière eux la caserne Lefèbvre de Mulhouse, le 2 février 1945 à 1 h 15, voilà treize jours que leurs camarades de la 9e division d'infanterie coloniale luttent âprement pour arracher à l'ennemi les cités ouvrières, usines et mines de potasse de la périphérie mulhousienne.
Treize jours sous le froid et la neige, marqués par des attaques et autant de contre-attaques, depuis le lancement de l'offensive de la 1ère Armée française contre la poche de Colmar. L'objectif du bataillon : Sainte-Barbe, une cité excentrée de la commune de Wittenheim où logent les familles des ouvriers de l'usine Théodore. Après la conquête de Wittenheim par les hommes du 6ème RIC, le 30 janvier, Sainte-Barbe est, pour la 9e DIC, le dernier obstacle avant la ville d'Ensisheim, sur l'Ill.
Nul doute, comme pour chacun des points d'appui qu'on lui a arrachés, que l'ennemi ne cèdera pas aussi facilement cet ensemble de maisons neuves aux hommes du commandant Gilles Paris de Bollardière. « Renseignements franchement mauvais, écrira le capitaine Robert Vial, patron de la 1ère compagnie : l'ennemi va défendre avec acharnement la cité qui constitue sa dernière ligne de défense avant Ensisheim. Présence de chars probable ». Les troupes allemandes qui s'y accrochent sont celles qui viennent d'être chassées de Wittenheim.

Il est 1 h 15 lorsque le I/21e RIC quitte Mulhouse en GMC. Le déplacement est relativement court : une petite heure. Les camions stoppent à proximité de la cité Anna, conquise quelques jours plus tôt par le II/23e RIC. « Il fait très froid et la plaine est recouverte de neige miroitant sous le clair de lune », relève le journal de marche du bataillon. A pied, les Haut-Marnais gagnent le Jungholtz, un petit bois aujourd'hui disparu qui est situé à environ 500 m à l'ouest de la cité Sainte-Barbe. Ce sera la base de départ de l'attaque. Pour la rejoindre, le bataillon emprunte le carrefour 236. « Nous distinguons une masse noire, écrit le caporal Jean Maire. C'est un half-track qui est immobilisé. Les pneus avant sont complètement cramés et il se dégage une forte odeur de brûlé. Sur le côté, un casque de tankiste semble recouvrir quelque chose de noir. A côté, un bras et la main complètement carbonisés. Et presque sous le véhicule, une masse noire qui est certainement le corps du malheureux conducteur ». La veille, en effet, une action de la 1ère division blindée a échoué dans la conquête de Schoenensteinbach, hameau de Wittenheim, et les pertes ont été lourdes, comme peuvent le constater les hommes du commandant de Bollardière. Cette première vision de mort impressionne également le soldat Paul Rivault (3ème compagnie), qui garde le souvenir de « plusieurs cadavres de soldats français et allemands qui n'avaient pas encore été évacués ». Quant au soldat Marcel Pesme, de la même unité, il reconnaît que la scène l'a mis « tout de suite dans l'ambiance... »Le bois est enfin atteint : il a été nettoyé dans la nuit par deux sections du 23e RIC, les sections Nicolaï et Parcollet de la 6e compagnie du II/21e RIC et la section de déminage de la Compagnie anti-chars du régiment. Un nettoyage « sans résistance », rapporte sobrement le capitaine Jean Surun, le gendre du célèbre général Mangin, qui commande la « 6 ».

5 h. Les hommes du commandant Paris de Bollardière s'installent aux lisières Est du Jungholtz. La discrétion est de rigueur, car les avant-postes ennemis ne sont qu'à une centaine de mètres. La moindre imprudence, et les Allemands peuvent faire appel à leur artillerie, qui causerait un terrible massacre dans ce petit espace boisé où se sont massés 800 hommes. Le risque des mines n'est pas non plus négligeable. « Un ordre est donné : éparpillez-vous et faites votre trou ! se souvient le caporal Maire. Avec les pelle-pioches, chacun creuse son emplacement à une profondeur d'environ 15 cm ».

6 h. Le bataillon semble avoir été repéré : des obus de 88 s'abattent sur le petit bois Et causent des pertes aux marsouins. « Un jeune, arrivé le 30 janvier à la caserne de Mulhouse et affecté dans mon groupe, est touché d'un éclat d'obus, raconte le caporal Guy Seigle, de la 2e compagnie. Un obus de mortier dévié par des branches d'arbre tombe à côté de moi sans exploser. Nous sommes plaqués au sol. Nous nous faisons le plus petit possible. On entend des blessés appeler... ». Arrivé à la 2e compagnie le 27 janvier – moins d’une semaine !, le jeune Abel Mangin - il n'a pas 18 ans - raconte son baptême de feu : « J'étais derrière une touffe de jeunes arbres, en attendant la fin de cet enfer, quand Pierre Delaborde est venu me voir et m'a pris sous sa coupe. Nous nous sommes rendus près d'un soldat qui était allongé. Il l'a secoué mais il était mort... ». Vraisemblablement, il s'agit là du caporal Guy Leroy (section Delattre), première victime de cette journée.

« Cela dure trois quarts d'heure. La terre tremble, témoigne Jean Maire. Quand nous nous relevons, les trous apparaissent remplis d'eau glacée et nos vêtements sont complètement trempés sur le devant. Durant le bombardement, nous n'avons rien senti... »Subitement, le calme revient. Il ne dure pas.

Il est 6 h 50 lorsque l'artillerie française ouvre à son tour le feu en prélude de l'attaque. Le tir ennemi cesse. Il est 6 h 50, et les bouches à feu françaises vont à leur tour donner. Avant que celles-ci ne déposent un écran de fumigènes, le caporal Seigle, un ancien de l'armée d'armistice engagé en Haute-Marne, jette un oeil vers l'objectif du bataillon : « Au premier plan, des prés, des bosquets d'épines et à 400 m, des jardins entourés par des haies et des grillages, au milieu les maisons d'habitation. Le sol est recouvert de flaques d'eau, de neige fondue et surtout de boue. Des départs de coups de fusil et d'armes automatiques sont visibles entre les maisons. J'ai repéré l'école, bâtiment qui se détache au fond d'une place à gauche d'un groupe de maisons. C'est notre objectif ». La préparation d'artillerie, assurée par le 1er groupe du Régiment d'artillerie coloniale du Maroc (RACM) et la compagnie de canons d'infanterie du 21e RIC, débute : elle doit durer dix minutes. Mais cinq se sont à peine écoulées que la 2e compagnie du lieutenant Chabot, chargée de conquérir le centre de Sainte-Barbe, s'élance sur le « billard » séparant le Jungholtz de la cité. La 1ère section du lieutenant Marcel Girardon est en pointe : elle tombe rapidement sur les avant-postes ennemis, surpris par cet assaut mené par les marsouins au milieu de leurs propres obus ! La section Delattre emboîte son pas : « Nous progressons par bonds en nous couchant le plus souvent dans la neige fondue, écrit Guy Seigle, qui commande l'équipe fusil-mitrailleur du 3e groupe du sergent Soulard. Arrivés aux premiers bosquets, des Allemands se montrent en levant les bras... Certains obus tombent même sur mon groupe. La progression par bonds désorganise un peu l'alignement, ce qui fait que les hommes ayant perdu de vue leur chef avancent à l'aveuglette. Des balles traçantes allemandes arrivent sur nous. Deux hommes tombent, l'un devant moi, l'autre à côté, je suis encadré par le tir ennemi. C'est même un mélange d'obus allemands et français avec en plus un tir d'armes automatiques en provenance des maisons. Pour masquer notre avance, notre artillerie tire des fumigènes qui nous cachent mais dissimulent notre objectif. Tout le monde progresse dans les champs. A l'approche des jardins, j'entends le commandant d'unité crier : « Baionnette au canon !... ». Un dernier fossé précédant les jardins est atteint par les hommes de l'adjudant-chef Delattre : le chef de section et ses chefs de groupe en profitent pour regrouper leurs hommes. Le caporal Seigle constate ainsi que son équipe de fusiliers - le FM est tenu par Henri Prévot, de Rimaucourt, et Roland Schneider, de Roches-sur-Rognon - est au complet. Il n'en est pas de même au sein de toute la 2e section. Le voltigeur Abel Mangin, du 1er groupe (sergent Léon Porché), qui raconte son baptême de feu : « Avec Pierre Delaborde, j'ai retrouvé le groupe ou ce qui en restait derrière un transformateur, devant des tranchées allemandes desquelles partaient des grenades à manche. Il me semble qu'à cet endroit, nous avons fait quelques prisonniers que j'ai conduit à l'arrière au PC du lieutenant Chabot. Je suis revenu le long d'un plan d'eau. J'y ai vu quelques blessés dont René Picard qui attendait les infirmiers. Les obus continuaient à tomber sur le plan d'eau et les environs. » Le tireur FM Pierre Delaborde, de Roôcourt-la-Côte, se souvient que son chargeur Picard « a été blessé par un éclat d'obus alors qu'il était assis contre un arbre, à mes côtés ». Ce Rolampontais a été grièvement touché au bras, tandis que le tireur au rocket-gun Jules Lamontagne a reçu un éclat de mortier lui ayant sectionné le tendon d'une jambe. Lamontagne était originaire de Fontaines-sur-Marne, tout comme Lucien Martin, alias « Bidouille » : celui-ci, déjà blessé le 17 novembre 1944 devant Bondeval, a écopé d'un éclat dans l'abdomen. Deux soldats de la 2e section originaires de la Somme ont également été tués : Roger Drioux et Robert Doffin.

Dans la foulée de la compagnie Chabot, les marsouins de la 3e compagnie s'élancent sur le glacis gelé. Parmi les premiers éléments, un jeune Meusien de 17 ans, Jean Guillon, chargeur du rocket-gun de la 3e section : « Les environs, c'était marigots gelés et enneigés. En nous « étalant » sur la glace, arriva ce que nous redoutions, surtout avec nos charges d'obus de rocket : la glace céda. Et plouf pour nous quatre ou cinq jusqu'au cou ! Avec bien du mal, nous nous en sommes sortis et avons repris la progression, pour voir le capitaine Eon déjà aux premières maisons. Là, un civil alsacien donnait des directions et avait l'air de renseigner sur les positions schleus. Et ce sous un déluge de feu, mortiers et 88, après le feu au départ des chars qui nous avaient occasionné plusieurs blessés... ». La section de l'aspirant Thiabaud vient de perdre le soldat Joseph Ferrer, tué, les soldats Grattesol (du Doubs), Robert François et Raymond Leclerc, blessés, tous deux originaires de Saint-Dizier. Tireur FM, Robert François n'a que 18 ans : le brancardier qui vient lui porter secours n'est autre que son beau-père Raymond Stuber, sergent au sein du service de santé commandé par le médecin-capitaine Marcel Heckenroth.

La 2e section du sous-lieutenant Marcel David arrive également en vue de Sainte-Barbe. Marcel Pesme, de Laneuville-à-Bayard, servant dans le 6e groupe du caporal François Lemut, raconte : « Un violent tir de 88 nous a fait obliquer sur la gauche, traverser un fossé plein d'eau - car la neige fondait - et obliquer ensuite à droite pour entrer dans la cité. Là, nous avons été accueillis par le tir des Allemands. A ce moment là, Marceau Feit a reçu la balle qui l'a tué... ». Le Meusien René Rihn, déjà blessé à Pont-de-Roide, compte également parmi les premiers tués de la section. Louis Oudin, tireur FM du 4e groupe du sergent André Héno, se souvient pour sa part de civils - et parmi eux une jeune femme - qui se portent au devant des libérateurs. Les marsouins doivent les prier de se mettre à l'abri dans leur domicile. Paul Rivault, voltigeur dans la 1ère section du lieutenant Georges Bernard, précise : « Ma première vision en regardant vers les maisons distantes d'une centaine de mètres a été une bâche allemande avec une croix rouge, sous laquelle se trouvait un blindé qui n'a pas tiré sur nous. Je ne sais ce qu'il est advenu, car notre groupe est parti sur la gauche par rapport à cet engin, en direction des premières maisons. Nous avons franchi rapidement la distance entre le bois et les habitations que nous avons atteint sans perte. Les gens terrés dans les caves nous ont prévenu que les Allemands étaient cachés dans presque chaque habitation. Alors que nous parlons à ces personnes, nous avons essuyé les premiers tirs, sans dégât... ».

La 2e compagnie prête à nettoyer le centre de la cité, la 3e qui la suit pour conquérir le secteur droit : c'est à la 1ère compagnie, celle issue du maquis d'Auberive, de s'attaquer à ce gros morceau que constitue l'usine Théodore. Ecoutons le caporal Jean Maire, de la 2e section : « Sur notre droite, nous pouvons assister à l'assaut de la 1ère section. Sur un fond de ciel rougeoyant, à moins de 100 m, nous distinguons de profil les nombreuses silhouettes sombres qui s'élancent, le fusil à la main, et nous entendons leurs cris de sauvage. Le spectacle est saisissant... ». Les hommes de l'adjudant-chef Guy Rosquin s'élancent. Jean Maire : « Après avoir quitté le fourré où nous étions camouflés, nous marchons en file indienne en contrebas de la voie ferrée, que nous voyons aboutir plus loin à une usine. De toutes parts, les balles claquent, venant on ne sait d'où... Derrière moi, j'entends un cri. C'est Grandperrin - un nouveau - qui croit avoir été touché. Il a la manche de capote coupée à hauteur de poitrine, mais la balle a seulement égratigné son bras... Nous suivons un fossé rempli d'eau. Alors pour être moins en vue, nous n'hésitons pas à nous enfoncer jusqu'aux genoux dans cette eau glacée, mais nous n'y sentons rien... Ensuite, il y a un petit terrain découvert que nous devons traverser en rampant. Au bout, nous franchissons une clôture en grillage dans laquelle notre chef de groupe a pratiqué une ouverture à l'aide de sa pince coupante... » René Pitollet, caporal au sein de la 1ère section de l'aspirant Georges Caminade, note dans ses carnets : « Riposte des boches avec leurs canons à six tubes, dont le bruit ressemblait au beuglement d'une vache. Lecomte est tué dès le départ ainsi que Raspès, qui faisaient partie de mon groupe...» Ce 2e groupe, le caporal Pitollet en prend le commandement, après la blessure au talon du sergent-chef Laure : Gilbert Lecomte et Jean-Baptiste Raspès étaient tous deux Haut-Marnais. La liste des victimes de ce département s'allonge...

Dans la cité, la progression commence, 3e compagnie à l'extrême-droite avec pour objectif la salle des fêtes, 2e compagnie au centre pour s'emparer de l'école et de la mairie. Le caporal Guy Seigle, de la section Delattre, poursuit son récit : « Nous repartons en franchissant une route... Les haies des jardins se passent facilement. Nous avançons vers les premières maisons. Avec quelques hommes, je me dirige vers l'école en traversant la place sur laquelle se trouve un rond-point couvert de végétation. Les Allemands se retirent des maisons qu'ils occupaient avant notre arrivée pour nous précéder à l'école. Voyant cela, notre chef de section nous fait signe de bifurquer vers une maison à droite de l'école, mais celle-ci est sous le feu des Allemands embusqués et nous nous trouvons bloqués là. Nous sommes en avance sur le reste de la compagnie qui se débat toujours dans les jardins des premières maisons du village. Nous avons pu profiter d'un repli partiel de l'ennemi. C'est à dire que nous sommes infiltrés derrière sa ligne de défense. Nous occupons seulement deux maisons : le chef de section est dans l'une et moi avec le sergent et le groupe FM dans l'autre. Nous formons ainsi une petite enclave de 8 à 10 hommes dans deux maisons... »

La compagnie Eon progresse sur la droite. La section Bernard va rapidement se heurter à une énergique résistance ennemie : « Nous avons franchi deux ou trois pâtés de maisons avant d'arriver en bordure du terrain de foot, témoigne le soldat Paul Rivault. Nous devions le traverser pour atteindre les maisons en face où étaient embusqués les Allemands. Ils nous voyaient arriver... » Fusils et mitrailleuses crachent sur le groupe commandé par le sergent Maurice Landivaux, de Chaumont, engagé sur ce terrain découvert et enneigé jouxtant la salle des fêtes située à la sortie de Sainte-Barbe. Une balle au front tue le sous-officier, un pompier âgé de 32 ans. L'explosion d'un obus ôte la vie au jeune Anicet Vanaquer (17 ans), de Marnaval, et blesse Lucien Minot. Le soldat Raymond Rousset, père de famille bisontin, est également tué. « J'ai dû être blessé au troisième bond en avant ordonné par le caporal qui avait pris le commandement du groupe », raconte Paul Rivault, touché d'une balle à l'épaule. Le FM, servi par Jean-Louis Renaud et Roger Levallois, fait l'objet des tirs de l'ennemi : le tireur a les deux joues traversées par une balle, son chargeur, originaire de Laneuville-à-Bayard, trouve la mort. Seuls sont indemnes le caporal Jean Régin, Joseph Sguerra et Monso. En quelques instants, le groupe Landivaux a perdu quatre tués et trois blessés. Cinq s'étaient engagés en Haute-Marne...
La section David pousse en direction de la place jouxtant le théâtre. Parvenue à son objectif, elle aperçoit un camion ennemi qui, par une marche arrière, entreprend de remorquer une pièce de 88 : par leurs tirs, Louis Oudin et le caporal Jean Renard abattent passagers et servants.
Les hommes du lieutenant Georges Bernard atteignent également le théâtre. Ils entreprennent le nettoyage d'une rue bordée de palissades en bois. Débouche alors une auto-mitrailleuse allemande. La blindée enfonce une palissade et se retranche, par le jardin, derrière une maison. Armé de son fusil lance-grenades, le soldat François Roussille, de Versailles, essaie imprudemment de la mettre hors de combat. Il n'en aura pas le temps : un projectile l'atteint de plein fouet en pleine poitrine. Adossés à une palissade, des marsouins voient arriver un véhicule transportant des soldats allemands, tandis qu'ils essuient des coups de feu tirés depuis plusieurs fenêtres. Le radio Joseph Decombe est tué d'une balle dans la tête. Une balle explosive éclate contre la palissade, à quelques centimètres de la tête de Gilbert Hinderschiett, tireur au rocket-gun. Non loin, une rafale partie d'une cave atteint au bas-ventre le soldat Fernand Billey, de Fesches-le-Chatel (Territoire de Belfort). Ses camarades parviendront à le mettre à l'abri dans un sous-sol, mais il succombera à ses blessures. Le caporal Pierre Blanchard, chef de groupe, est également touché à la cuisse.
Le soldat Aimé Poirot, ayant repéré un canon de 37 mis en batterie, se glisse dans une maison et fait feu au lance-grenades : un servant est tué par un éclat au front, les trois autres se replient. Ils seront faits prisonniers. Dissimulé derrière un garage, l'auto-mitrailleuse ouvre le feu, blessant indistinctement un prisonnier et, au genou, le soldat Roger Rondeaux. Une balle brise l'anneau-grenadière du fusil d'Aimé Poirot, mais le marsouin, qui bénéficie de la "baraka" depuis le début de la campagne, est indemne.
Alors que les compagnie
s Chabot et Eon procèdent au nettoyage de Sainte-Barbe, la compagnie Vial livre combat pour conquérir l'usine. En pointe, la 3e section du sous-lieutenant Roignant pénètre dans le périmètre de cette entreprise et rapidement, bénéficiant de l’effet de surprise, atteint la lisière Nord. Dans la foulée, elle a capturé une trentaine d'Allemands, dont leur commandant. Une mitrailleuse lourde ennemie installée sur le crassier crache le feu : le groupe du sergent Jean Creste (1ère section) l'enlève à la grenade, faisant 12 prisonniers. La 2ème section de l'adjudant-chef Guy Rosquin parvient à son tour dans l'usine. Le caporal Jean Maire raconte : « Nous atteignons de petits baraquements en planches, dans lesquels nous pénétrons avec prudence, mais il n'y a rien. La section est alors dispersée à l'extérieur, tout derrière des tas de bois qui servent à nous camoufler. En face de nous, se trouvent deux gros bâtiments vitrés avec, au milieu, un pont roulant. Un peu à gauche, une tour métallique portant une grande roue sur laquelle s'enroule le cable qui permet aux cabines de descendre dans la mine... Tout de suite, sur notre droite, devant un baraquement de planches, une dizaine de Boches sont alignés. Ils ont été faits prisonniers par la 3ème section. Nous sommes encouragés, et nous n'attendrons que l'ordre de nous porter plus en avant. Mais voici que des hommes se replient : ce sont des blessés de la 3ème section qui rejoignent le poste de secours. Le sergent Thomas, qui traîne sa jambe avec beaucoup de mal, nous apprend que plusieurs camarades sont tués, dont le caporal Roger Clément...".Que s'est-il passé ? Une cinquantaine de fantassins ennemis appuyés par trois blindés viennent de lancer une contre-attaque visant à reprendre l'usine Théodore. Le capitaine Robert Vial raconte ce combat : "Nous apercevons, par les perspectives des rues, un groupe compact d'ennemi qui se porte, au pas de gymnastique, du centre de la cité vers l'usine... Très vite, la contre-attaque se développe : elle prend l'usine d'enfilade et parvient, en l'espace de quelques minutes, au contact de ma compagnie, qu'elle fusille du haut des fenêtres de grands bâtiments. Des pertes : notre position est difficile... Un char, puis deux, qui ont déjà pris à parti la compagnie Chabot dans les rues de la cité, foncent sur nous en dirigeant sur notre flanc droit le feu de toutes leurs mitrailleuses. Il faut évacuer la baraque attenante à l'usine, où nous avons rassemblé les prisonniers. Mouvement périlleux que le chef de section (Note : le sous-lieutenant Roignant) exécute avec un sang-froid remarquable. Les prisonniers d'abord, que tirent sans merci leurs camarades, puis les nôtres, un à un. Nous nous installons quelques mètres plus loin, toujours dominés par la haute façade de l'usine d'où sortent des coups de feu qui, tout à coup, étendent à terre l'un de nous. Les brancardiers ne suffisent plus...".

Alors que la 1ère compagnie est contrainte au repli par cette contre-attaque énergiquement menée, retrouvons la 2e compagnie aux prises avec l'ennemi aux abords de l'école, dans le centre de Sainte-Barbe. Les hommes de la 2e section de l'adjudant-chef Delattre sont retranchés dans deux maisons. Parmi eux, le caporal Seigle : "Nous voyons l'arrière de l'école et pouvons tirer sur les Allemands qui ont du mal à passer les grillages en se repliant. Avec quelques hommes, je sors de la maison pour reconnaître le côté aveugle de celle-ci, lorsqu'au coin du mur, je me trouve en face d'un soldat allemand aussi surpris que nous. Nous le faisons prisonnier...". Autre soldat de la section, René Lambert, un Parisien venu du maquis de Pincourt, témoigne : "L'adjudant-chef Delattre m'a commandé d'aller, à travers les jardins, chercher des munitions pour le lance-grenades. A mon retour pour approvisionner les tireurs de la section, j'ai entendu un coup de feu...". Un homme tombe. Le caporal Seigle raconte : "Cela fait une heure que nous sommes installés dans cette maison lorsque Roland Sanrey me dit vouloir lancer une grenade à fusil sur un tireur qu'il a repéré dans le clocher de l'église. Malheureusement, il n'aura pas le temps de tirer car, repéré lui aussi, il est tué d'une balle en plein front par ce tireur qui embête tout le monde...". Roland Sanrey, d'Andelot, avait 20 ans. Son demi-frère André Pernot sert aussi dans la section Delattre : il sera également blessé ce jour-là. La 2e section n'est pas la seule à souffrir. La 3e, confiée provisoirement à l'adjudant-chef haut-marnais André Holveck, n'est pas épargnée. "Je me suis rendu à l'église, écrit le soldat Abel Mangin, j'ai remarqué de nombreux corps, et parmi ceux-ci, j'ai reconnu la chevelure blonde du sergent Roy, que j'avais vu 5 minutes avant ; il venait d'être tué par un Allemand qui était posté dans une descente de cave...". Le sergent Jean Roy, chef de groupe dans la section Holveck, avait 26 ans ; il était originaire de Luzy-sur-Marne. Le caporal Guy Seigle se souvient que Roy, "qui veut nous rejoindre, est tué en traversant la rue. Notre chef de section, lui, a réussi à passer, mais le sergent-chef Jeanjean, qui arrive avec quelques hommes, est blessé en essayant lui aussi...". Adjoint à l'adjudant-chef Delattre, Maurice Jeanjean, 34 ans, a reçu une balle dans le bras. Ayant été précédemment malade, il venait de retrouver la 2e compagnie quelques jours plus tôt, ramenant avec lui trois volontaires des communes voisines de Sommeville (où il réside) et Fontaines-sur-Marne : Abel Mangin, Jules Lamontagne et Lucien Martin.

Bloqués par l'efficacité du tireur embusqué dans le clocher, les marsouins de la compagnie Chabot vont devoir également composer, vers 9 h, avec un ennemi autrement plus redoutable : un char (un Tiger selon certains témoignages), l'un de ceux qui, selon Robert Vial, appuieront la contre-attaque de l'usine. Face au mastodonte, les tireurs des trois rocket-guns de la section de commandement, dirigés par l'adjudant-chef haut-marnais Robert Vitry, s'activent. Le soldat André Herdalot, 20 ans, note dans ses carnets : "Un de mes camarades et moi-même tirons dessus. Mais il ouvre le feu sur nous avec son canon et ses mitrailleuses. Des camarades tombent...". Parmi les blessés, Maurice Habermacher, de Manois, dont l'oreille est coupée par l'éclat d'une pierre d'une maison touchée par un projectile. Pour venir à bout du blindé, le lieutenant Chabot décide de faire appel aux Tank-Destroyers du Régiment colonial de chasseurs de chars. Voilà plus de deux heures déjà que le 1/21ème RIC se bat.

A l'extrême-droite de la cité, dont le nettoyage a été confié à la 3ème section (aspirant Thiabaud) de la 3ème compagnie, survient une rencontre insolite que raconte Jean Guillon, chargeur du rocket-gun dont le tireur est un autre Meusien, Mario Marchetti : "Marchetti et moi nous trouvions sur le perron d'une maison à la recherche d'un éventuel blindé. Mais avec cette particularité que nous étions face aux Allemands... que nous prenions pour des gens de la 2ème compagnie qui, eux, avaient revêtu l'imperméable vert. D'où notre méprise, et notre échange de signes d'amitiés, auxquels ils ont répondu... jusqu'à ce qu'on nous fasse remarquer notre bévue... C'est alors que les choses se précipitèrent...". De cette maison contre laquelle les deux Meusiens ont pris position, des coups de feu claquent. Deux marsouins se précipitent dans l'habitation. Ils tentent de gagner l'étage : le caporal Gilbert Combre et le soldat Robert Creux, le benjamin du bataillon (et l'un des cadets de la 1ère Armée). Né en janvier 1929 à Saint-Dizier, il vient de fêter son seizième anniversaire ! Dans la cage d'escalier, le très jeune soldat est fauché par deux rafales, "la seconde dans sa chute, au cours de laquelle il a heurté le caporal à un bras. On a même précisé alors qu'il l'avait reçue dans le dos, Combre y ayant échappé. Régnait alors pas mal de confusion puisque nous apprenions aussi la mort d'Amode Dominici. Roger Georges a vu les deux Allemands sauter d'une fenêtre du haut (...), sûrement ceux qui venaient d'abattre Creux. Il les a canardés sans succès...". La mort de leur jeune copain déchaîne les hommes de la 3ème section. Le groupe du sergent-chef Michel Procot s'empare de la maison : de la cave, sortent douze Allemands... et des civils. Sous le coup de la colère, leur Feldwebel est abattu. Jean Guillon se souvient également d'un "copain ch'ti râlant sur un tas de fumier proche, une balle dans le ventre, criant de les abattre tous. Mon premier vrai combat... Ces deux gamins des deux bords s'affrontant (j'avais moi aussi 17 ans), "ils" n'étaient pas plus âgés, notamment ce jeune revêtu d'une chasuble croix-rouge : "Ich Polak... Ich Polak.." pour lequel nous étions pleins de commiscération...". Ces prisonniers sont parqués dans un jardin, leur garde étant assurée par Jean Paroissien, l'observateur de la section. Quand un "mouchard" s'avisera de renseigner par signes un tireur, auteur de quelques coups de feu, il sera abattu. "A 9 h 30, note l'aspirant Thiabaud dans son carnet, ma section borde les lisières sud de la cité Sainte-Barbe...". Ses pertes s'élèvent à 2 tués (Robert Creux et Joseph Ferrer) et 7 blessés : Amode Dominici qui décèdera le 4 février, Demoulin, Grattesol, Robert François, Raymond Leclerc, Pernoud et Vasseur.

A la gauche de la section Thiabaud, les autres sections du capitaine Eon sont aux prises avec les Allemands défendant farouchement le cinéma-théâtre. Balles de fusils-mitrailleurs et grenades visent particulièrement les fenêtres du bâtiment. Dans les rangs de la compagnie, la liste des tués et blessés s'allonge Une balle explosive atteint grièvement à la jambe l'adjudant-chef Jean Gérin, un ancien marin qui commande la section de commandement : il sera amputé. Un de ses agents de liaison, le varois Michel Baretge, est également mis hors de combat.
Quant à l'auto-mitrailleuse, celle que n'a pu réduire François Roussille, elle se montre redoutable. A la 2ème section, le caporal Hubert Marceau et le soldat René Petitpas, de Marnaval, sont blessés. Agé de 19 ans, ce dernier rend l'âme en appelant sa mère. "Le capitaine Eon veut rejoindre le lieutenant Bernard, qui se trouve de l'autre côté de la rue, écrira le journaliste Michel Bollot. Il est pris sous le feu de l'auto-mitrailleuse qui n'est qu'à 30 mètres du PC. Une balle lui traverse le talon gauche. Le capitaine refuse d'être évacué avant d'avoir dicté ses ordres au lieutenant Bernard...".Pour museler cette blindée, les servants du rocket-gun de la 1ère section sont requis. Gilbert Hinderschiett se hisse sur le plancher d'une cabane de jardin, près d'une maison dans laquelle se sont retranchés ses camarades. Il enlève quelques tuiles et, par cet orifice, tire sur l'auto-mitrailleuse toujours sur la petite place. Au second coup, une rocket atteint les chenilles. Endommagée, la blindée parvient néanmoins à se replier lentement, sans qu'Hinderschiett puisse toutefois l'atteindre à nouveau. La compagnie peut, sur ce point, être provisoirement soulagée. Mais Stanislas Rosanski a été touché dans l'action...
Le sergent-chef Jean Vignole conduit un groupe de la section Bernard en direction d'une maison. Il entreprend de traverser la rue, lorsque deux rafales crépitent du larmier. Criblé de balles, le sous-officier s'écroule. Kremenski, un brave quadragénaire père de famille, est blessé au bras et à l'épaule. Colère parmi leurs camarades : la maison est prise d'assaut, deux soldats Allemands capturés dans la cave. "Ils n'avaient plus d'armes et s'étaient rendus, se souvient le sergent André Héno. Un officier les a rassemblés dans la cour du théâtre, leur a demandé de faire leur prière et, malgré mon intervention personnelle, les a bel et bien descendus sans autre forme de procès.. Vignole était mon ami : nous venions tous deux d'Afrique noire. Il avait laissé, au cours de notre passage en Algérie en 1943 et 1944, une fiancée qui l'attendait à Lapasset en Oranie". L'abnégation des marsouins paie. Un à un, les soldats Allemands abandonnent le théâtre. Les hommes du sous-lieutenant Marcel David et la SME du lieutenant Lucien Quetstroey investissent le bâtiment. Désormais, ils vont faire converger leurs tirs en direction des Allemands qui tiennent plusieurs maisons environnantes. Installé près d'une rampe d'escalier, Louis Oudin lâche des rafales de FM en direction des soldats ennemis qui se replient. Il est 10 h 30 lorsque le PC de la 3ème compagnie est installé dans le bâtiment.

C'est à cet instant que les blindés du RCCC, ayant réussi à rentrer dans Sainte-Barbe malgré les mines, peuvent intervenir. La situation s'est alors améliorée, puisque devant la 2ème compagnie, l'ennemi entame un décrochage vers le Nord. Quant au char Tiger, il s'est également replié en direction du Nord-Est de la cité. Pour accompagner ces mouvements, la CCI du capitaine haut-marnais Claude Chaize et les blindés font feu sur les maisons encore occupées par l'ennemi. "Nous préférons que les chars nous fassent appuis d'artillerie avec leurs pièces de 76, écrira l'adjudant-chef Georges Chapron, de la SME. Quand nous avons repéré une fenêtre ou un ennemi qui est caché, nous leur indiquons et cela ne dure que l'espace d'un instant : ni bas de mur ni bonhomme ne restent !...". Guy Seigle (2ème compagnie) : "Au bout d'un quart d'heure, il y a déjà beaucoup de dégâts, des maisons brûlent en dégageant de la fumée. D'un bond, nous quittons notre position, traversons la rue pour entrer dans l'école. Je vois des Allemands en tenue blanche s'enfuir, nous leur tirons dessus. Ils sont empêtrés dans les haies des jardins. Mon groupe FM reçoit l'ordre de pénétrer dans le sous-sol de l'école...".

Il est 11 h 15 lorsque les hommes du lieutenant Antoine Chabot s'emparent de ce bâtiment. Une surprise attend le lieutenant Marcel Girardon, commandant la 1ère section : dans le sous-sol de l'école, se sont entassés environ 300 civils, "hommes, femmes et enfants complètement affolés, se demandant ce qui va leur arriver..." (Guy Seigle). "Girardon, sans avoir bien compris ce qui lui arrive, est d'un seul coup saisi par les épaules, porté en triomphe dans la cave aux vastes dimensions. Il a toutes les peines du monde à se dégager. Dehors, il n'a pas fait un pas qu'il essuie un nouveau coup de feu..." (capitaine Vial).

Dans l'usine Théodore, la situation de la 1ère compagnie reste délicate. Caporal Jean Maire : "Nous commençons à nous organiser un peu mieux. Quelques moellons qui traînent sur place servent à édifier un muret qui va nous protéger. Tandis que j'ai l'idée d'entrer dans un petit baraquement qui se trouve tout derrière nous, une rafale d'arme automatique s'abat dans ma direction et les balles arrivent juste à mes pieds après avoir traversé les planches. Je sors, tout fier de n'être pas touché. Par contre, Lhotel, du 4ème groupe, vient de prendre une balle dans le bras droit. Il a très mal, et s'en va en jurant vers l'arrière mais en se camouflant le plus possible...". La position est de moins en moins tenable : "A une centaine de mètres à notre gauche, au sommet d'un crassier, une mitrailleuse a été mise en batterie. Mais les servants ont du mal à utiliser leur arme car ils ont sont repérés et dès qu'ils font dépasser leurs têtes, ils sont ajustés avec précision. L'un d'eux aura son casque transpercé sur le côté, au ras de l'oreille. Et avec toutes ces fenêtres, qui sont autant de postes de choix pour l'ennemi, il n'est pas facile de localiser un tireur au fusil. Le caporal Jean Duport, notre chef de groupe, veut essayer d'observer. Il se met debout, laissant dépasser sa tête au-dessus du tas de bois qui le protège. Au bout de quelques econdes, nous le voyons tomber à la renverse. Son c asque roule à côté de sa tête et en plein milieu de son front apparaît un trou d'oùle sang commence à s'échapper. Il respire quand même. Nous l'entourons, absolument impuissants car nous avons compris qu'il n'y a plus rien à faire. Encore quelques minutes, un dernier râle, et c'est la fin...". Il est midi environ. Les hommes du commandant Paris de Bollardière se sont donc emparés de leurs objectifs principaux (l'école et le théâtre) mais restent bloqués dans l'usine. En outre, indique le journal de marche du 1/21ème RIC, "la partie Nord de la cité est toujours fortement défendue et des mouvements d'engins blindés sont décelés aux lisières de l'usine et du bois de Ruelisheim...".

A ce moment, des violents tirs d'artillerie allemande s'abattent sur la cité, particulièrement dans le secteur conquis par la 3ème compagnie désormais confiée au lieutenant Bernard. Dans le théâtre, un explose sur la scène : le lieutenant Edmond Thouvenot, un ancien combattant des Brigades internationales en Espagne ayant pris le maquis en Haute-Marne, est blessé, de même que Rouzier et le jeune René Jubeau (17 ans). L'ennemi fait également donner des mortiers de six tubes : "Me trouvant dans la salle d'eau de l'école, raconte le caporal Seigle, un obus tombe sur la maison. J'ai reçu un éclat de sanitaire dans le genou gauche. Cet éclat n'étant pas profondément entré, je l'ai retiré moi-même...". Le soldat Jean Dorckel, de la section Bernard, progresse avec Roland Bassuel : quand il se retourne, il constate que son copain a disparu. Le Bragard a été littéralement enterré par l'explosion d'un de ces obus. Un membre dépassant trahit sa présence : Bassuel sera conduit au poste de secours pour y recevoir de l'oxygène.

En début d'après-midi, la progression reprend en direction de la partie Nord de la cité, où l'ennemi est toujours retranché. La 3e compagnie suit ainsi l'axe de la route d'Ensisheim, qui marque les lisières Est de Sainte-Barbe. Deux groupes sont en pointe : celui du sergent-chef Auzimour (1ère section) et celui du sergent André Héno (2ème section). Postés chacun derrière la fenêtre d'une maison, Bernard Moginot et Louis Oudin, tireurs FM respectifs de ces groupes, couvrent l'avance de leurs camarades. Le premier, abrité derrière le mur, se relève pour réapprovisionner son arme automatique. Une balle l'atteint à la cuisse. "Glinglin" comprendra plus tard que le projectile a ricoché contre le volet de sa fenêtre ! Réapparaît une auto-mitrailleuse. Peut-être celle qui harcelait les marsouins aux abords du théâtre. Oudin se dit qu'il est temps d'en finir : il lâche sur la blindée plusieurs rafales de balles perforantes. Elle se replie. Mais le Bragard n'aura guère l'occasion de savourer ce répit : une balle, tirée d'une proche maison, le touche à la main. Son chargeur René Paroissien - frère du soldat de la 3ème section - le remplace au FM.
La 3ème section de la 2ème compagnie progresse également vers les lisières Nord. Elle aussi a subi, au cours de la journée, quelques pertes. Son chef, l'adjudant-chef Georges Holveck, 35 ans : un éclat de fusant reçu dans le dos.Le tireur FM Jean Dubreuil : "une balle de parabellum tirée d'une fenêtre de cave en traversant une rue", précise-t-il. Son chargeur Emile Nottebaert, de Froncles : lui ayant succédé au FM, il tombe peu après. Le fonctionnaire caporal Georges Ballu : "abattu d'une rafale de mitrailleuse en traversant la place entre l'église et l'école. Il a été touché à la poitrine, son porte-cigarette était percé d'une balle... Une lettre du soldat Forest relatait ses derniers moments", nous écrira son frère Denis Ballu.
Devant la section Holveck, un char allemand soutient la résistance au Nord. Celui-ci qui s'est replié ? Quoi qu'il en soit, deux TD du RCCC viennent l'affronter et l'immobilisent. Mais leur lieutenant est tué ultérieurement. Désormais, marsouins des compagnies Chabot et Bernard sont réunis pour nettoyer les ultimes résistances encore rencontrées, dans les dernières maisons de la cité en direction d'Ensisheim. "Les Allemands ont installé trois nids de mitrailleuses d'où ils tirent sur les brancardiers qui viennent ramasser les blessés", relate le journaliste Michel Bollot. Les secouristes du médecin-capitaine Marcel Heckenroth ont fort à faire durant la journée : Jacques Lasdrat, de Charmes-les-Langres, touché au bas-ventre, succombera le 6 février, René Nicard compte parmi les blessés.
Un blindé français vient soutenir les fantassins. Les Allemands le prennent pour cible... et le manquent. L'engin se replie et envoie quelques obus sur la maison. Agitant des drapeaux blancs, une vingtaine de soldats ennemis en sortent. Il est environ 16 h. Sainte-Barbe est presque entièrement nettoyée.

Reste à reconquérir l'usine. Elle ne pourra se faire que par l'appui d'un peloton de Sherman. Les sections Caminade et Rosquin sont chargées de l'opération. Ecoutons encore le caporal Jean Maire, du groupe Duport : "Au cri "En avant !", tout le monde s'élance en gueulant. Les chars soutiennent notre progression par leurs tirs au canon et à la mitrailleuse... Au moment où notre 5ème groupe franchit un grillage, des balles claquent tout près de nos oreilles... Sur des rails, se trouvent plusieurs wagons plats endommagés. Derrière, nous découvrons un Boche, assis, qui en nous voyant jette son fusil. Aucun doute possible, c'est lui qui vient de nous ajuster. Nous sommes très excités et d'un réflexe commun, Blanchard et moi, nous tirons. Touché au ventre et à la tête, l'homme s'affaise. Duport est vengé. Nous continuons à foncer, tandis que derrière nous, les chars ne cessent de tirer pour nous appuyer... Alors nous entrons dans un des grands bâtiments de l'usine... Nous fouillons le local où se trouvent de grands bacs métalliques mais il n'y personne. Par contre, sous les fenêtres qui sont assez hautes, nous trouvons des cartouches vides, et même quelques lambeaux de vêtements vert de gris... Un peu plus loin, se trouvent deux corps allongés. Ce sont deux gars de la 3ème section qui étaient donc arrivés jusque là ce matin. Je reconnais mon pauvre Roger Clément...". L'avance se poursuit : "Derrière moi j'entends crier : "En avant ! Allez-y les gars". C'est notre capitaine Vial qui, entouré de quelques hommes, avance lui aussi à grandes enjambées, le colt au poing, sans casque, et le sourire aux lèvres.. Notre section marque un temps d'arrêt. Le capitaine a pris la décision de regrouper toute la compagnie. Alors nous en profitons pour regarnir un peu nos chargeurs qui en ont bien besoin. Et puis, sur un nouvel ordre, nous reprenons la progression. Tout en face, il y a un petit bâtiment avec des soupiraux au ras du sol. Bedin ouvre la porte et perçoit un peu de bruit. "Raouss" crie-t-il ! Alors un Boche se présente, le fusil à la main. Sous la menace de la mitraillette, il jette son arme et lève les bras. Puis un deuxième arrive, lentement, un troisième, un quatrième et un cinquième, qui sont donc tous faits prisonniers... ». La fouille des bâtiments se poursuit. L'ennemi ne lâche pas prise et cause encore quelques victimes à la 1ère compagnie : le sergent-chef Marcel Contestabile, adjoint à l'adjudant-chef Rosquin, et l'un des frères Mognot sont blessés. Mais l'usine est enfin entre les mains du bataillon De Bollardière. Les Allemands qui ont pu décrocher se sont retranchés dans le bois de Ruelisheim.

C'est de ce bois qu'un véhicule de reconnaissance ennemi débouche et fonce sur la route de Ruelisheim, passant devant la compagnie Vial qui commençait à s'installer pour la nuit dans Théodore. Le caporal Maire est témoin du passage de ce véhicule « occupé par quatre Boches habillés de noir - des tankistes - et armés d'une mitrailleuse. Ils ont l'air ébahis en nous voyant et n'ont pas le réflexe de tirer à temps. Notre fusil-mitrailleur n'a pas le temps non plus de réagir. Mais ils n'iront pas très loin car dans la cité, un tireur bien posté, et aux réflexes rapides, fait leur affaire...". Pour ce fait d'armes, le jeune haut-marnais Mario Cappellaro, 20 an, tireur FM du groupe Charles Dominé (1ère section, 2ème compagnie) sera décoré de la médaille militaire. Il la recevra le 19 mai 1945 des mains du général de Gaulle.

L'heure est désormais au bilan, et il est lourd pour le 1/21e RIC : 32 tués, 83 blessés (dont six décéderont) et six disparus. Ces derniers ont essentiellement été faits prisonniers lors de la contre-attaque menée dans l'usine, comme les soldats Charlier, Nadeau et Pignal. A elle seule, la 3e compagnie compte 16 tués et 33 blessés (dont deux officiers) et la 2ème (selon André Herdalot) 11 tués et 35 blessés. Les pertes ennemies s'élèvent à 145 prisonniers dont 5 officiers. Le nombre des tués et blessés allemands n'est pas connu.

Parmi les marsouins tués au combat ou mortellement blessés, 18 s'étaient engagés en Haute-Marne : on citera encore le caporal Roger Clément, du maquis d'Auberive, André Delanne (décédé le 5 février), de Villiers-sur-Suize, Serge Hemonnot, de Ravennefontaine (la veille de sa mort, à l'âge de 23 ans, il avait adressé quatre lettres à sa famille), Pierre Mathis, de Cirey-sur-Blaise (à 21 ans, il était père d'un jeune enfant), Jacques Berthomeau, de Sexfontaines, ou encore Henri Mielle, 18 ans, de Perrancey. Originaire du même village, son camarade Jean Mussy, de la 1ère compagnie, précise qu' "il fut tué d'une balle dans la tête par un tireur caché dans un wagon de potasse avec un fusil à lunette".

Signalons que le 1/21ème RIC ne fut pas le seul à payer cher la conquête de la cité Sainte-Barbe. Le II/21ème RIC du commandant Sicardon a pris également part aux combats, dans une proportion moindre, mais n'en a pas moins subi des pertes. La 7ème compagnie déplore notamment 5 tués. Le lieutenant-colonel Delteil, adjoint au chef de corps, a été blessé dans la matinée, et le médecin-auxiliaire Advinier, du 25e Bataillon médical, tué.