mardi 29 novembre 2022

"La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale. Dictionnaire historique et biographique".




Portrait de Lionel Jouet, conservé par les Archives départementales de Seine-Maritime. 


 En Meurthe-et-Moselle, il était connu sous le nom de Gilbert. En Haute-Marne et en Haute-Saône, sous les alias Roussel, Baron, voire Jacques. Commissaire aux effectifs interrégional (CEIR) dans l'interrégion n°21, ce responsable FTP devait échapper à toutes les polices du Nord-Est de la France depuis août 1943, avant d'être capturé entre le 8 et le 12 janvier 1944 en gare de Besançon (alors qu'il devait avoir rendez-vous à Chaumont le 13 janvier 1944), écroué dans la prison de la Butte de cette ville, puis fusillé.

Au terme d'une enquête dans différents centres d'archives, nous sommes arrivé à la conviction que Roussel ou Baron correspondait à Richard, pseudonyme de Lionel Jouet (1912-1944), militant communiste normand, effectivement arrêté en gare bisontine le 8 janvier 1944, dernier fusillé de la Citadelle de Besançon le 18 août 1944.

Le parcours de Roussel figure parmi les 330 notices biographiques contenues dans le nouvel ouvrage du club Mémoires 52, "La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale. Dictionnaire historique et biographique".

Au fil des 535 pages richement illustrées, le lecteur prendra aussi connaissance des événements qui se sont déroulés dans chacune des 550 communes du département. Des articles sur la vie quotidienne, les maquis, les combats de juin 1940 et de la Libération complètent le propos de ce travail, le plus original et le plus ambitieux du club Mémoires 52 depuis sa création en 1991.





lundi 7 novembre 2022

René Migeot, traqué de Langres à Bordeaux, via Reims et Dijon (1941-1944)


Source de l'illustration : AD 21.

Né à Paris le 6 octobre 1918, René Migeot est le fils de deux Haut-Marnais, Charles Migeot et Marie-Rose Porte, tous deux originaires de Larivière-sur-Apance. Charles est employé des chemins de fer dans la capitale où il vit jusque dans les années 20, avant de s'installer avec sa famille à Langres, faubourg des Auges. 

Lui-même employé SNCF, après avoir été apprenti chaudronnier au dépôt de Chalindrey puis ajusteur, René Migeot adhère aux Jeunesses communistes à Langres. Il en est l'animateur du groupe avec son frère Jean-Alfred. Mobilisé (il a été incorporé le 1er septembre 1938 au 171e régiment d'infanterie de forteresse, passé au 10e RIF du secteur fortifié de Mulhouse un an plus tard), fait prisonnier, il est libéré comme cheminot. Démobilisé en septembre 1940, il décide de s'investir dans les activités du PCF clandestin et s'entoure de plusieurs camarades dont son frère cadet Jean-Alfred. La police française le soupçonne d'avoir distribué des tracts les 16 mai et 13 juin 1941 à la gare de Langres et au dépôt de Chalindrey.

Le 22 juin 1941, au moment de l'attaque de l'URSS, les Allemands se saisissent des militants et sympathisants communistes haut-marnais. Charles Migeot est arrêté, mais ses deux fils parviennent à fuir dans la matinée. René Migeot se réfugie à Saint-Dizier, chez l'épouse d'Yves Thomas, secrétaire de la section du Parti à Saint-Dizier et qui a été lui-même arrêté. C'est alors que le jeune cheminot entre en contact avec un responsable interrégional nommé Edouard, en l'occurrence Edouard Boulanger, ancien maire de Rueil. Ce dernier lui confie la mission d'animer l'imprimerie clandestine du PCF située à Tinqueux, près de Reims.

Le jeune militant s'y rend fin juin - début juillet 1941. Il est rapidement rejoint par une communiste auboise, Alice Cuvillers, pour l'épauler dans ses activités. "Nous avons constitué un faux ménage", précisera René Migeot. "Nous devions mener la vie tranquille et rangée d'un jeune ménage et ne fréquenter personne, ne pas attirer l'attention", confirmera la jeune militante.

Première alerte à Reims

Mais de strictement "professionnels", leurs liens devaient vite évoluer vers une relation plus intime. Et pendant plus d'un an, mais surtout à partir d'octobre 1941; Alice et René, depuis leur pavillon de Tinqueux, ne cesseront de mettre en forme et de tirer des tracts et journaux du PCF et du Front national. Jusqu'à ce que la police française ne soit mise, fin juillet 1942, sur la piste d'un nommé Lévêque, qui réceptionnait, chez lui, les courriers destinés à l'un et à l'autre. Le 3 août 1942, c'est le piège.

C'est d'abord Alice Cuvillers qui tombe entre les mains des hommes du commissaire Henri Jacquet. Inquiet de ne pas la voir revenir, René Migeot s'arme d'un revolver 6,35 mm et se rend à son tour, à 20 h 15, dans la rue de Clairmarais, domicile d'Aimé Lévêque. Tentative d'interpellation. Coups de feu contre deux policiers. Fuite.

Désormais, Vichy est aux trousses du communiste haut-marnais. Un avis de recherche est lancé. D'abord réfugié chez un nommé Mercier, le Langrois, inconsolable de l'arrestation de sa compagne, retrouve bien vite une nouvelle mission de l'interrégional Boulanger : le rejoindre à Dijon, en Côte-d'Or. 

Coups de feu dans les rues de Dijon

Début octobre 1942. C'est un homme seul et traqué qui est hébergé au 11, rue des Rosiers à Dijon, chez Lucie Huguenot et sa fille adoptive. Seul, car son père a été déporté (il mourra à Auschwitz), sa mère et sa compagne ont été arrêtées, et son frère était en fuite. 

A Dijon, René Migeot réalise le même travail qu'à Reims : la fabrication de tracts et journaux. Il ne dira jamais son nom à ses hôtes, mais leur révélera certaines informations : qu'il était originaire de la région de Langres, qu'il a travaillé à Chalindrey, qu'il a tiré sur un inspecteur de police à Reims...

Son séjour en Côte-d'Or est de courte durée. Le 19 décembre 1942, un cheminot dijonnais reconnaît rue Monchapet la bicyclette qui lui a été volée. Un jeune homme l'utilisait. Aussitôt, la police est prévenue. Un inspecteur se présente au domicile du cycliste, lui demande de l'accompagner jusqu'au commissariat. Mais en chemin, le jeune homme sort un revolver, fait feu à deux reprises sur le policier qui est légèrement blessé, et s'enfuit. Ce cycliste, c'était René Migeot.

Tandis que les policiers dijonnais arrêtent Lucie Huguenot qui, victime d'une crise cardiaque après d'éprouvants interrogatoires, mourra le 10 janvier 1943 à l'hôpital de la Chartreuse, et que les matériels d'imprimerie et tracts sont saisis, le Haut-Marnais part se cacher, d'abord chez un camarade dijonnais. Puis il décide de se réfugier chez une tante maternelle à Parnot, en Haute-Marne, tenté par l'idée de quitter l'organisation, inconsolable de l'arrestation d'Alice Cuvillers - ses lettres d'amour enflammées en témoignent.

Avec Georges Bourdy

En mai 1943, pour ne pas nuire à la sécurité de sa famille, René Migeot quitte la Haute-Marne pour Reims, entre de nouveau en contact avec le PCF qui lui reproche sa trop longue disparition du circuit, et finalement, par l'intermédiaire de Georges Bourdy, interrégional FTP qu'il connaissait, il accompagne celui-ci en Gironde.

Commissaire militaire interrégional, c'est-à-dire en charge des opérations militaires des FTP pour plusieurs départements du Sud-Ouest dont la Gironde, Migeot, alias "Georges", renoue avec l'action clandestine. Après trois années d'une longue traque, en Champagne, en Bourgogne, en Aquitaine, il tombe aux mains de la police française dans la deuxième quinzaine de septembre 1943, à Libourne.

René Migeot est fusillé le 26 janvier 1944 au camp de Souge, près de Bordeaux, aux côtés de Georges Bourdy. Son père Charles est mort à Auschwitz, son frère Jean-Alfred n'est pas revenu de Dachau. Seules sa compagne, qui a été déportée à Ravensbrück, sa mère, internée à Saint-Dizier, et sa soeur auront survécu au conflit.

Sources principales : dossier d'enquête de la police française, 1072 W art. 2, Archives départementales de la Côte-d'Or ; fiche matricule, R art. 1750, Archives départementales de la Haute-Marne ; Dossier 52 consacré à la famille Migeot.