dimanche 24 juin 2018

Le lieutenant "Jean", ce héros (3)

6 juillet 1943. Sous le nom de "Lefort", Krugell passe en Suisse près d'Annemasse, "entre deux sentinelles italiennes, en escaladant un mur haut de 3 m muni de barbelés. Il est fait prisonnier par les soldats suisses et interné au camp des Charmilles à Genève". Sa volonté "de rejoindre l'armée française" suscite rapidement l'intérêt du Service de renseignement suisse de Genève, qui lui propose de travailler pour lui. Krugell accepte "à sa condition de transmettre aux SR français et alliés les renseignements qu'il fournirait par la suite et d'être autorisé de rejoindre l'armée française aussitôt que celui lui était possible...“ Rentré en France, l'officier alsacien recueille bientôt de précieux renseignements, notamment le plan au 3/1 000e du dépôt SNCF de Creil. 


A Paris, il prend contact avec l'abbé Louis Paul, "un grand chef, auquel il transmettra dorénavant tous les renseignements. L'abbé Louis l'envoya à Quimper pour convoyer deux sous-officiers américains au départ de Pantin et pour rallier Londres avec eux. Ce départ n'eut pas lieu et Krugell revînt à Paris.“

Une nouvelle mission périlleuse l'attend : convoyer des aviateurs alliés en Espagne. Devenu entre-temps "Pergeot" puis "Pierre Kervran", enfin "Jean Rem", il prend, en avril 1944, un express entre Paris et Toulouse, et, à Saint-Laurent-Saint-Paul, se retrouve la tête d' "une véritable caravane : environ 35 Français, Américains et Anglais. L'auberge de la gare reçoit tout ce monde qui à la tombée de la nuit fait mouvement en auto par groupe de cinq en direction de la zone interdite, bande de terrain large d'environ 30 km et parallèle à la frontière espagnole.“

Il raconte : "On passe la nuit dans une grange et à six heures du matin la montée commence. Presqu'aussitôt on atteint la neige des Pyrénées, deux guides expérimentés frayant le passage. On monte à 2 000 m d'altitude. La première nuit est passée dans une grange à 1 000 m. Le lendemain, la pénible marche continue à travers une tempête de neige. Au soir venu, pas de repos. On change de guides. On descend dans la vallée de Luchon. Pour éviter de tomber entre les mains de l'ennemi on fait un crochet en suivant un chemin qui longe un torrent bordé de crevasses. Il fait noir. Un Américain tombe dans une crevasse et se blesse grièvement. On le cherche et la pénible montée continue, les guides ne se rendent pas compte qu'aucun des participants n'a de l'entraînement. Ainsi l'on marche jusqu'au jour et c'est près du téléférique (sic) de Super-Bagnères, dans une cabane, propriété des Eaux et forêts, que la caravane peut se reposer. Les guides la quittent, se promettent de revenir vers 17 h. La frontière n'est plus qu'à 3 km à vol d'oiseau.
Vers 15 h 30 du bruit dans la cabane. Les guides seraient-ils déjà revenus ? Non, ce ne sont pas les guides. On entend des cris, des hurlements, des coups de feu qui claquent. Ce sont les Boches qui approchent et qui entourent la caravane. A l'exception d'un Français, d'un Anglais et de quatre Américains." Krugell est tombé aux mains de l'occupant, le 21 avril 1944. Emprisonné, interrogé, il est dirigé sur le camp d'internement de Compiègne-Royallieu, anti-chambre de la Déportation. 

Quelques semaines plus tard, il participera à une retentissante évasion d'un train de déportés, déjà contée ici.