lundi 27 septembre 2021

La chute de Saint-Dizier (14 juin 1940)

Extrait de «10 jours de juin», copyright club Mémoires 52, 2020


Jeudi 13 juin 1940


Perthes

Dans l'édition qui doit paraître le lendemain, le journal Le Petit Haut-Marnais écrit : «La bataille continue avec une rage accrue de la mer à l'Argonne.» Autant dire qu'à l'extrémité nord du département, en milieu d'après-midi, on ne s'attend pas encore à voir surgir l'ennemi. Et pourtant...

Perthes est le premier village haut-marnais sur la RN 4 en direction de Vitry-le-François. Depuis la veille, les Perthois voient passer les habitants des villages marnais voisins, Saint-Vrain, Thiéblemont, Heiltz-le-Hutier, qui ont pris la route de l'exode. Après le départ des troupes françaises cantonnées dans la localité, ne subsistent qu'une poignée de territoriaux – les réservistes du 74e régiment régional (RR) de protection1 - et de soldats nord-africains...

Soudain, vers 16 h 30, apparaît l'avant-garde de la 1. Panzer-Division, pointe du fameux général Guderian. A sa tête, l'oberstleutnant (lieutenant-colonel) Hermann Balck, qui a passé les ponts du canal à Etrepy, a atteint Blesme puis Saint-Vrain. La ligne de défense organisée par la 3e division d'infanterie nord-africaine (DINA) du général Mast, sur le canal de la Marne-au-Rhin, est donc percée.

C'est en tirant que les Allemands pénètrent dans Perthes, qu'abandonne la population. Plusieurs soldats français tombent, dont un, désarmé, devant la mairie. Sous les tirs ennemis, l'instituteur du village, Louis Fournier, parvient à fuir. Il arrive à Saint-Dizier, annonce au commissaire de police que les Allemands ne sont plus qu'à 10 km de la cité bragarde. Comment le croire... A quelques mètres de là, en mairie de Saint-Dizier, le préfet Fernand Bidaux, arrivé à 16 h, rassure les élus : les blindés allemands auraient été repoussés au-delà de Vitry-le-François, déclare-t-il, avant de s'en retourner vers Chaumont à 17 h...


Non, l'ennemi n'a pas été repoussé. Et à Perthes, il est furieux. On lui a tué un officier, qui sera inhumé dans le cimetière communal. Alors les Allemands mettront le feu à 35 habitations. L'incendie durera jusqu'au lendemain.


Après Perthes, il y a Villiers-en-Lieu. A 18 h 30, huit blindés allemands y font leur apparition. Deux soldats français du 311e régiment d'artillerie lourde portée (RALP), l'adjudant Robert Bladner et le canonnier Marcel Quillier, tous deux âgés de 34 ans, sont tués, un soldat tunisien mortellement blessé. Ce dernier appartient, selon la préfecture, au 48e bataillon de pionniers tunisiens (commandant Georges Mengel), et non au 44e bataillon de pionniers tunisiens (capitaine Negroni) qui vient de se battre à Etrepy, à Pargny-sur-Saulx, à Sermaize-les-Bains. La 1ère compagnie (capitaine Albert Lapalu) du 44e, après s'être repliée après 16 h 20 sur le PC du bataillon à Maurupt-le-Montois, avait reçu l'ordre «d'aller s'installer défensivement à Hallignicourt. Arrêtée par l'ennemi près de Perthes, la compagnie s'échappe, par la forêt de Trois-Fontaines, Chancenay, Ancerville, Chamouilley2...»


Entre Perthes et Saint-Dizier, sept soldats français trouvent la mort : trois Nord-Africains, Albert Mocquet, de Charmes-la-Grande (il a 37 ans et sert au 74e RR), inhumé au bord de la RN 4, Léon Rullier, 31 ans, André Peloile, ainsi que le maréchal des logis Henri Stern, du 403e régiment d'artillerie de défense contre avion (RADCA)3, ce dernier enterré dans un jardin face au terrain d'aviation de Robinson.


Saint-Dizier

Prochaine étape, et de taille, pour les Allemands : la cité bragarde4. Vers 18 h 45, soit moins de trois heures après l'avertissement lancé par l'instituteur de Perthes, c'est la surprise : des coups de feu sont entendus du côté de Robinson ! A l'extrémité du faubourg de La Noue, près du canal de la Marne-à-la-Saône, un char français est en position, aux côtés d'une trentaine de soldats nord-africains et d'éléments du 71e groupe de reconnaissance divisionnaire d'infanterie (1ère DIC) du chef d'escadrons Georges Massacrier, un cavalier de 52 ans : c'est le «Beaune» du lieutenant Jean Adelmans, un B1 bis du 41e bataillon de chars de combat (BCC) venu de la forêt de Trois-Fontaines.

Quant aux Nord-Africains, ils appartiennent à deux compagnies du 46e bataillon de pionniers nord-africains (algériens) qui viennent d'arriver à Saint-Dizier, en provenance de Châteauvillain (où elles stationnaient depuis le 5 juin), la 2e du lieutenant Cougniaud par le train, dès 2 h, la 1ère du capitaine René Payerne par autobus, à 16 h 30. Aussitôt, ces éléments d'un bataillon commandé par le capitaine Pirot avaient reçu l'ordre d'occuper le pont sur le canal sur la route de Vitry-le-François, et le pont sur la Marne sur l'axe Saint-Dizier – Bar-le-Duc – celui de la rue de Vergy. Alors qu'«une partie des hommes sont démunis de casques, que les fusils-mitrailleurs modèle 1915 ont été donnés sans chargeurs» (rapport du capitaine Payerne), les pionniers de la 1ère compagnie se sont donc portés vers leurs positions, ceux de la 1ère section avec le sergent Harat sur la Marne, ceux de la 2e section avec le sergent Bentaleb sur le canal. «Une équipe du génie est affectée à chaque pont pour le faire sauter au moment opportun, écrit le capitaine Payerne. Le reste de la compagnie augmentée de la 2e compagnie formera un centre de résistance dans Saint-Dizier aux environs du PC du commandant de la place (chef d'escadron Champsaur5). L'installation du dispositif est terminé à 17 h 30

Auparavant, sont arrivés, vers 17 h, des éléments du GRDI 71, partis dans la journée de Fleury-sur-Aire (Meuse) et passés par Saudrupt. Initialement, ces cavaliers devaient se rendre à Vitry-le-François, mais la ville vient de tomber. Dans la cité bragarde, le commandant Massacrier ne dispose que de l'escadron motocycliste (capitaine Georges Chalès) et de l'escadron porté (mitrailleuses et canons). Le journal de marche du groupe rapporte : «Au moment où ils vont sortir de Saint-Dizier par la route de Vitry, la barricade se ferme et un char ami isolé qui se trouvait là tire ses dernières munitions sur les blindées ennemies arrêtées à quelque 600 m de ladite barricade. En même temps une courte très mais vive fusillade se déclenche des fenêtres des maisons bordant la rue dans laquelle l'escadron motocycliste et l'escadron porté sont engagés. Le brigadier Lantier est légèrement blessé. Cette fusillade est le fait de civils...» Cette curieuse précision témoigne de la hantise de la «Cinquième colonne» qu'éprouvent les soldats français. Un sous-officier de l'escadron moto, le maréchal des logis Halphen, précisera même, dans son rapport : «Quelques parachutistes allemands descendent aux abords de la ville...»

Le capitaine de pionniers Payerne se portait avec le capitaine Levrault, l'adjoint du commandant Champsaur, jusqu'au pont du canal en direction de Vitry lorsque le combat s'est engagé avec l'avant-garde de la 1. Panzer-Division. «Les hommes ne pouvaient pas tenir devant un ennemi en nombre et terriblement armé, témoigne René Payerne. La section combat, les hommes se replient d'arbre en arbre... Je rejoins le gros de la 2e compagnie au milieu d'une panique générale provoquée par la fuite des habitants et d'éléments militaires isolés...»

Au GRDI 71, «l'escadron motocycliste avec l'escadron porté refluent vers la place centrale de Saint-Dizier... Craignant que l'ennemi ne fasse irruption dans Saint-Dizier, le commandant de GR fait débarquer les mitrailleuses et les canons de 25 et les installe de façon à interdire l'accès des routes de Bar-le-Duc, Ligny-en-Barrois et Chaumont...» Mais «l'ennemi n'ayant pas insisté», les cavaliers vont bientôt quitter Saint-Dizier pour prendre la direction d'Humbécourt.

Repli aussi pour l'équipage du char «Beaune», composé du sergent-chef Gilbert Thiebault, du caporal Robert Chapellier, et des chasseurs Adolphe Boeglin et Joseph Enderlin. Le blindé ayant tiré jusqu'à épuisement de ses munitions contre l'avant-garde allemande, revient jusque l'hôtel de ville, puis se dirige sur Joinville. De leur côté, les pionniers ont décroché jusqu'à Eurville, où ils vont stationner, pour quelques heures, à partir de 23 h...


Pendant ces opérations, Saint-Dizier est sous le feu allemand. Stationné à Brillon-en-Barrois, le capitaine Robert Lux, 45 ans, commandant l'escadron hors rang du GRDI 71, note : «Arrivés à l'entrée Nord-Est de Saint-Dizier, c'est une véritable panique de la population civile. Les blindés sont à 1 km Est de la ville ; des avions bombardent les points stratégiques : dépôts d'essence, voies ferrées, camps d'aviation. Ils mitraillent en outre les troupes déjà installées...» Des incendies se déclarent en plusieurs endroits : aux Cités de l'Est, à Robinson (que l'illustre groupe de chasse I/5 a quitté le 11 juin), à La Noue, mais encore à la société Péchelbronn dont les réservoirs brûlent, ce qui accrédite la rumeur que «Saint-Dizier est en feu». A 20 h, les cloches de l'église Notre-Dame sonnent le tocsin. A la même heure, la 127e batterie (lieutenant Chêne) du 53e groupe du 403e RADCA6 abat un avion Dornier 17 au-dessus de Chamouilley. Les ponts du canal, rue Molière, et de la Marne, rue de Vergy, sont dynamités. «A 22 h 30, sur 18 000 habitants, il ne reste à Saint-Dizier que 700 à 800 personnes qui attendent, la peur au ventre, la suite des événements», écrit Jean-Marie Chirol.



Situation confuse : l'ennemi, impressionné par les tirs du «Beaune», croit la ville solidement tenue et attend la fin de la nuit pour l'investir ; de son côté, un bataillon français de la division Mast ne bouge pas de Saudrupt, sur la route de Bar-le-Duc, car il pense la cité bragarde déjà occupée...







Vendredi 14 juin 1940


Saint-Dizier

Paris, ville ouverte, tombe. Saint-Dizier aussi. Vers 5 h, deux blindés allemands, venant de la direction de Chancenay, entrent dans la cité bragarde par l'avenue du Général-Sarrail, et se dirigent vers la Chaussée Saint-Thiébault. Au passage, un immeuble SNCF est incendié. Vers 6 h, les éléments avancés de la 1. Panzer-Division pénètrent à leur tour dans la ville. Avec un canon de 25 et des fusils Lebel, une trentaine de soldats nord-africains défendent les abords de l'hôtel de ville. Avenue de Verdun, le combat s'engage. La façade de la mairie est grêlée de balles.

Dans la ville, des soldats français tombent, dont trois à proximité de la mairie7. Entre le 13 et le 16 juin, dates d'inhumation de plusieurs corps, dix militaires sont morts dans la cité bragarde, soit au combat, soit des suites de blessures. Il s'agit notamment, outre du capitaine Brun, de l'armée de l'air, de Marceau Marella (422e régiment de pionniers), de Boutaled, «trouvé mort dans la rue sans pièces d'identité», d'Abdelkader Bellapache (des suites de blessures), Ouadi Ali Oueld (46e bataillon de pionniers)... La préfecture évoque également une tombe «contenant plusieurs corps non identifiés», ainsi qu'un inconnu pouvant s'appeler Fatui.

Le pont Godard-Jeanson, sur la Marne, est intact, l'ennemi poursuit donc sa progression sur Marnaval (où Emile Jeanmaire a trouvé la mort). Dans les environs de la cité, à Hoëricourt, le chef de la Défense passive, Albert Lang, a été mortellement blessé, et à Moeslains, dans la nuit, deux soldats, Paul Péroche, 25 ans, et René Boudin, du 242e régiment d'artillerie lourde divisionnaire (RALD), ont été tués dans leur véhicule sur la route de Valcourt8.


«On ne se rend pas !», entre Güe et Chamouilley

Composés de réservistes dont l'âge ou les situations familiale et professionnelle ont valu de ne pas être affectés dans des unités combattantes, les régiments régionaux de protection (RR) ont reçu notamment pour mission de défendre des ouvrages d'art ou infrastructures militaires dans leur département. C'est le cas, dans la Meuse, du 62e RR commandé par le lieutenant-colonel Henri Moreau. Les circonstances – la percée de Sedan et l'invasion de la région de Saint-Dizier - amèneront ces réservistes à affronter l'ennemi, à faire parfois acte de bravoure.

«Le 14 juin 1940, écrit ainsi le lieutenant-colonel Moreau9, un détachement de 20 hommes du 62e RR, commandé par l'adjudant Michel, se repliait de Güe sur Chamouilley, après la destruction du dépôt d'essence dont il avait la garde. A l'entrée du village, vers 9 h, rejoint par deux auto-mitrailleuses ennemies, le détachement prit sa formation de combat et riposta aux rafales des attaquants. A une première sommation de se rendre, l'adjudant Michel, debout, répondit : «Jamais ! On ne se rend pas !» et commanda à nouveau le feu. Après la troisième sommation, l'adjudant Michel fut tué. La lutte cessa et les survivants furent faits prisonniers...»

Ces hommes de la 2e section de la 2e compagnie sont tombés sur le territoire de la commune de Cousances-aux-Forges (Meuse), à l'exacte frontière avec la Haute-Marne :

. Bertrand Chevallier, 30 ans ;

. Maurice Haudot, 38 ans, né à Sommelonne (grièvement blessé, il est décédé «une heure et demie après à Ancerville10 où il avait été transporté») ;

. sergent Joseph Kieffer ;

. caporal Albert Louis, 41 ans ;

. adjudant Henri Michel, 48 ans, né à Morley, chef d'une section de mitrailleuses.

Quatre de ces victimes ont été «malheureusement inhumés sans cercueil» (selon le maire de Cousances), à gauche de la route entre le village et Chamouilley.

Les soldats Louis Viard et Ferdinand Caillard ont également été blessés durant ce combat. Le lieutenant-colonel Moreau rendra aussi hommage, dans son rapport, à l'attitude des sergents Lucien Laroche et Grellier, des caporaux Coquerel et Mosser, des soldats Hert, Pierre Lemetayer, Jules Poupart, Ludovic Fays, Edouard Oudin, Marcel Boulanger, Victor Brillant, Lucien Bailly et Jules Lelièvre.

Entre Sapignicourt et Perthes

Saint-Dizier est perdu (le général Guderian y arrive à 12 h 45), mais à l'ouest, des troupes françaises ont reçu pour mission de défendre des positions sur la Marne : Perthes, Hauteville, Larzicourt, Montcez-l'Abbaye, Saint-Remy-en-Bouzemont, Cloyes, Frignicourt, Arzillières, Drosnay. Il s'agit d'éléments de la 3e division cuirassée de réserve (DCR), dont le PC est à Outines. Selon le journal de marche du 16e bataillon de chasseurs portés (commandant Maurice Waringhem), la division «est réduite à 20 ou 25 chars (H-39 ou R-35 du 10e bataillon) et à un bataillon de chasseurs de 300 hommes, réduit lui-même à sept sections de voltigeurs et trois sections de 25...»

Les combats qui vont se dérouler nous sont d'abord connus grâce à une relation du 10e bataillon de chars de combat (BCC)11 parue dans la presse de l'Occupation : «Aux premières heures, à la Maison-aux-Bois, on constitue des groupes de chars qui vont avoir pour mission, en compagnie d'éléments du 16e de bataillon de chasseurs, de tenir, sans esprit de recul, jusqu'à la nuit. Nous n'avons plus de ravitaillement depuis trois jours et n'avons pas dormi depuis sept nuits car on s'est battu ou fait mouvement sans arrêt.

Le groupe n°3 comprend cinq chars et un tracteur (équipage : caporal Pages et chasseur Arnaud, 10e bataillon de chars, 3e compagnie). Ce groupe est appuyé par une section de fusiliers-voltigeurs et un canon de 25 du 16e BCP. Le groupe est placé sous les ordres d'un jeune officier de 20 ans, le sous-lieutenant Géminel, du 10e BCCA, 3e compagnie. Objectifs : défendre Larzicourt, Hauteville, Blaise, et si possible atteindre Perthes (9 km à tenir pendant plus de quinze heures)».

La section de chasseurs qui, coïncidence, s'est battue quelques jours plus tôt dans un autre village champenois nommé Perthes, est commandée par le sous-lieutenant Raymond Blanchou, de la 3e compagnie (capitaine Edouard Fosse).


«A 5 h, le détachement se met en marche. A Larzicourt, un char est posté dans l'axe du pont, char du caporal-chef Coulazou, chasseur Gemelas, mécanicien. Le reste du détachement pousse sur Perthes (nord du cours d'eau). Nous croisons des civils qui s'enfuient et annoncent que les Allemands ne sont plus qu'à 3 ou 4 km... Nous traversons avec précaution Sapignicourt. De là, au-dessus de la lignée de peupliers qui bordent le canal, nous apercevons de hautes flammes dans la direction de Perthes.»

Frais émoulu de l'école de Saint-Cyr, Maurice Géminel est un Meusien de 20 ans. Né à Beauzée-sur-Aire, ancien élève du lycée de Bar-le-Duc, il raconte12 : «Je continue vers Perthes, à une dizaine de kilomètres, avec le reste de mon groupe, mon char toujours en tête...» Les soldats croisent des civils. Des ordres aux chefs de chars : rentrer dans les tourelles, fermer les volets. Géminel, lui, reste debout afin d'observer. Ce qu'il voit : Perthes qui brûle... Soudain, «je ressens un choc formidable et je suis précipité au fond du char... Je réalise instantanément qu'un obus est entré par le volet avant et a frappé mon pilote en plein visage...» Camille D'Andréa, Italien de naissance de 23 ans, a été tué sur le coup. «Il me semble que je suis indemne. Ce n'est que plus tard que je comprendrai que l'obus est arrivé à l'instant précis où je me suis soulevé pour sortir ma tête à l'extérieur, et qu'ainsi, il m'est passé entre les jambes...» Le chroniqueur du bataillon poursuit : «Des coups partent des rives boisées du canal. La tourelle du char du sous-lieutenant Géminel est bloquée par des éclats d'obus et il devient impossible d'utiliser les armes du char. Une épaisse fumée se dégage du moteur et le feu se déclare à bord. Géminel essaie de dégager le corps de son mécanicien. Il ouvre la porte de la tourelle, se couche sur l'arrière du char et, sous une pluie de balles, se laisse rouler à terre dans un champ de blé... L'ennemi poursuit son bombardement. Le petit détachement se regroupe à 500 m, sous les ordres de Géminel. Les trois chars, le canon de 25 et le fusil-mitrailleur ripostent. Les Allemands semblent occuper solidement la rive opposée du canal. Des groupes se faufilent sur plus de 600 m de front. Le sergent, chef de pièce du canon de 25, est grièvement blessé. Il n'est encore que 7 h 30 et il faut absolument tenir toute la journée...»


Du côté des chasseurs, le sous-lieutenant Blanchou vient de perdre un de ses sous-officiers. Dans un compte-rendu adressé au commandant Waringhem et au capitaine Fosse, son commandant de compagnie, l'officier rapporte, à 7 h 45 : «Installation impossible, village occupé, à 7 h 30 une arme antichars ennemie a détruit un de nos chars : mécanicien tué. Le sergent Gay est tué (commandant le groupe de combat installé au sud de Perthes).» Marius Gay sera cité à titre posthume pour sa conduite lors des opérations : «Le 14 juin 1940, chargé d'atteindre les lisières du village de Perthes-sur-Marne (sic), s'est courageusement porté en avant sous le feu de l'ennemi. Est tombé mortellement blessé en entraînant ses hommes.»


Poursuivons la lecture de la relation du bataillon de chars : «Les munitions diminuent sérieusement... Le détachement manœuvre en retraite vers la deuxième ligne de défense... la Marne. Le canon de 25 est attelé, les blessés sont ramassés et les trois chars se replient les derniers. Un des trois chars reste à Larzicourt avec celui qui y est déjà, et les deux autres se rendent à Hauteville. L'un de ces deux chars est posté sur la route en direction d'Ambrières, et le dernier, ainsi que le canon de 25, est mis en position à une centaine de mètres du pont de la Marne (au sud). Le sous-lieutenant Géminel est sur le dernier char. A 9 h, tout est en place.

A 13 h 30, des coups de canons et d'armes légères se font entendre durant une heure environ. L'ennemi avance sur Larzicourt. De son char, Coulazou tire sans discontinuer sur l'ennemi qui attaque en force, et progresse en chantant. De nombreux soldats allemands tombent sous les balles de mitrailleuses tirées par le caporal-chef qui fait avancer son char afin de donner un peu de champ à notre défense. A trois reprises il se fait réapprovisionner par le tracteur, sans souci du danger, et reprend à chaque fois le tir. A Hauteville, le combat n'est pas moins intense. Vers 16 h, des fantassins ennemis apparaissent. On les voit du clocher de l'église où se trouve son observateur. Ils installent des mitrailleuses dans les fossés de la route et les bosquets avoisinants. Ils ouvrent le feu mais Géminel les réduit au silence avec sa mitrailleuse... De nouveaux éléments ennemis arrivent et, cependant aucun ne peut franchir le pont balayé par nos tirs. Nous avons l'impression que les troupes allemandes cherchent à passer la Marne en divers endroits pour nous prendre en tenaille. Soudain, une pièce antichar ennemie est mise en batterie à courte distance... Géminel a l'oeil : en quelques coups de canon de son char, il tue tous les servants de l'antichar.

Nous apprenons maintenant que l'ennemi a franchi la Marne à Frignicourt. En fin de journée, l'ordre de repli nous parvient au moment même où les troupes allemandes débouchent de partout à la fois... Le détachement se dirige sur Blaise, mais le village est déjà «occupé». Nos chars forcent le passage. Nous récupérons alors notre canon de 25 qui avait été capturé en début d'après-midi par l'ennemi. A l'approche de la nuit, nous nous replions, avec nos quatre chars criblés d'obus, et nos blessés, vers Drosnay. Ainsi, la mission qui nous avait été assignée a été remplie.»

«Je viens de retrouver mon bataillon et le capitaine, c'est inespéré, témoigne le sous-lieutenant Géminel. Le capitaine me prend dans ses bras et m'embrasse... Il m'explique que, pour lui, je n'existais plus (le caporal-chef Coulazou qui avait connaissance, avant de se replier, de la destruction du char piloté par d'Andréa, imaginait que j'avais également été tué)... Je fais alors un bref récit de la journée du 14 (sur 24 officiers combattants du bataillon, douze ont été tués ou blessés)...»13

C'est à 19 h que les chasseurs, qui ont perdu une quarantaine d'hommes «hors de combat», sont touchés par l'ordre de repli. L'officier qui l'apporte leur dit : «Si vous le pouvez sans accrochage grave, attendre la tombée de la nuit pour exécution du repli, sinon opérer par bonds successifs sur les trois axes...» Cet officier d'état-major de la division, c'est un certain capitaine Philippe de Hauteclocque, le futur maréchal Leclerc, d'ailleurs blessé le lendemain à Magnant (Aube). Le décrochage amène les hommes du commandant Waringhem jusqu'à Drosnay et Giffaumont14 pour y organiser des réduits (...) "


1Mis sur pied par le centre de mobilisation 74, le 74e RR est surtout composé de réservistes haut-marnais et alsaciens. Nous retrouverons cette unité commandée par le lieutenant-colonel Raoul tout au long de ce récit.

2Le lendemain, la compagnie Lapalu rejoindra les restes de son bataillon près de Thil (Aube), après être passée par Eurville, Wassy, Bailly-aux-Forges, Sommevoire et Nully. Elle ne comptait plus qu'une trentaine d'hommes, dont deux officiers et trois sous-officiers. Une autre compagnie, la 1ère du 48e bataillon de pionniers tunisiens (capitaine Leroy) aurait, selon un vétéran, «été décimée dans les bois de Saint-Dizier».

3Dans la nuit, le peloton Richard de l'escadron moto du GRDI 71, envoyé en mission par le général Mast, «pénètre dans Perthes que, vers 23 h, traversent en trombe 150 véhicules allemands...» L'escadron se porte alors sur Montier-en-Der.

4Les opérations de Saint-Dizier ont été détaillées par Roger Bruge («Les combattants du 18 juin», tome 1, Fayard) et par Alain Rivière («Les débuts d'une guerre, les débuts de nombreux malheurs»). Nous renvoyons nos lecteurs à ces deux publications.

5Peut-être Gaspard-Norbert-Aimé Champsaur (1893-1955), commandant de réserve de l'armée de l'air en 1938.

6De nombreuses batteries anti-aériennes ont été mises sur pied, avec des Haut-Marnais notamment, sous les écussons des 403e (futur régiment de Chaumont) et 404e régiments d'artillerie de défense contre avions (RADCA), positionnées de Chancenay à Chalindrey, en passant par Bricon. Le journal de marche de la 3e section (capitaine Charles Aubertin) de la 4e compagnie de mitrailleuses du groupement IV des Forces terrestres anti-aériennes, cantonnée à Torcenay, a été publié par le club Mémoires 52 en 1996.

7Le jardinier Paul Diot, blessé par balles, décède le 21 juin à l'hôpital. Selon Alain Rivière, quatre soldats sont morts aux abords de la mairie.

8Le Journal officiel conserve la trace, en 1941, de citations de soldats blessés dans la région de Saint-Dizier : le sapeur Joseph Rubert (102e bataillon du génie), blessé le 12 juin 1940 et amputé de la jambe gauche, le sapeur Marcel Vincent (1er régiment du génie), atteint «par éclat de bombe, le 14 juin 1940, à son poste, à Saint-Dizier, au cours d'un bombardement de l'aviation», amputé de la jambe droite, le caporal Henri Duniaud, du 3e RIC, blessé par balle le 15 juin 1940 «à son poste de combat à Saint-Dizier»...

9Rapport conservé par le Service historique de la Défense (SHD) à Vincennes.

10Trois militaires français sont tombés également le 14 juin 1940 à Ancerville : Marcel Esnault, Henri Senard et Laurent Fargal, tous appartenant, selon la municipalité, à la 102e section d'électriciens de campagne. Autres soldats tués le même jour dans des villages meusiens limitrophes de la Haute-Marne : le caporal Paul Carion et le sergent Louis Facon, de la 5e compagnie du 422e régiment de pionniers, à Baudonvilliers (sources : dossiers 1969 W 96 et 97, Archives départementales de la Meuse).

11Publiée dans «La Haute-Marne 1939-1944», Jean-Marie Chirol, Saint-Seine-l'Abbaye, 1984.

12«Blessures de guerre», document inédit communiqué au club Mémoires 52. Notre association a consacré une brochure aux opérations en Haute-Marne du futur colonel Maurice Géminel.

13Echappant à la capture, Maurice Géminel sera affecté au Maroc. Il se fait breveter parachutiste en Angleterre en 1943, intègre la mission jedburgh «Bunny» (sous le nom de capitaine «Gerville») et saute aux confins de la Côte-d'Or et de la Haute-Marne en août 1944. Touché à deux reprises en opérations (à Auberive et à Latrecey), le futur colonel Géminel aura donc reçu toutes les blessures de sa carrière militaire en Haute-Marne ! Membre du club Mémoires 52, il est décédé en 2013.

14Où le lieutenant Eysseric réunit des isolés du 14e régiment de tirailleurs algériens, du 12e régiment de zouaves et du 239e RI.

Les tirailleurs sénégalais sur la Meuse (17-20 juin 1940)

Croquis de la défense de Bourmont. (Archives du 14e RTS, SHD).

Relation extraite de "10 jours de juin", copyright club Mémoires 52, 2020

17 juin 1940



Le 14e régiment de tirailleurs sénégalais s'installe sur la Meuse. Parti de Goncourt, le bataillon Voillemin a gagné Bourmont par Saint-Thiébault occupé par un bataillon du 69e régiment régional1, ne laissant en route, derrière lui, que deux Européens et deux tirailleurs, plus le groupe Baoua. Un récit non signé sur le combat de Bourmont et relatif au 1er bataillon résume2 : «5 h 30 : le bataillon s'installe en position défensive à Bourmont. 1ère compagnie : Saint-Thiébault, la gare. 3e compagnie : entre Saint-Thiébault et le village de droite, sur la route venant de Prez-sous-Lafauche. 2e compagnie : en réserve dans le Haut-Bourmont, défendant les routes de Vittel et autres...» Des éléments du III/14e RTS (commandant Pierre Chalmel) sont à Nijon et Graffigny3. Le dispositif de la division, dont le PC est à Vrécourt, est complété, au nord, par le I/3e RIC (à Goncourt), appuyé par le 2e groupe du 1er RAC et un détachement du 92e RI, et deux bataillons du 12e RTS (à Harréville-les-Chanteurs et sur les hauteurs Sud de Bazoilles-sur-Meuse), soutenu par la 8e batterie du 1er régiment d'artillerie coloniale (RAC). La liaison est prise avec la 36e DI (dont le 57e RI s'installera le lendemain à Bazoilles) et l'escadron à cheval du GRDI 71 (unité déjà croisée à Saint-Dizier, à Brainville-sur-Meuse).


Le bataillon Voillemin n'est pas appelé à rester à Bourmont. En effet, à 21 h, il reçoit l'ordre de se replier en direction de Lamarche. A 23 h, rapporte le commandant Voillemin, «le chef de bataillon rencontre dans le bois entre Bourmont et Graffigny un escadron du 2e spahis qui remonte sur Bourmont. Le capitaine commandant cet escadron fait connaître au chef de bataillon qu'il est en possession d'un ordre écrit de son colonel lui enjoignant de réoccuper Bourmont et de tenir le pont sur la Meuse, pour permettre le déclenchement, le 18 au matin, d'une contre-attaque de la IIIe armée en direction générale nord-sud ou nord-est-sud-ouest...»

Cet officier spahi, c'est le capitaine de Géloes, qui confirme cette entrevue : «Avant Bourmont, nous croisons deux bataillons de tirailleurs : tous les défenseurs de Bourmont ; en vain, j'épuise tous les moyens de leur faire faire demi-tour...»

En fait, Voillemin souhaitait avoir confirmation de cet ordre de son chef de corps. Il se rend alors à Nijon. Mais le PC est vide. Finalement, c'est le 18 juin que l'ordre de l'état-major de la 1ère DIC est donné de revenir sur Bourmont. En attendant, ce sont les spahis qui défendent la position... (...)


18 juin 1940

Harréville-les-Chanteurs

Au matin, des blindés allemands foncent sur Harréville-les-Chanteurs où 1 500 à 2 000 réfugiés encombrent le village. Sa défense est assurée par le II/ 12e RTS (chef de bataillon Lucien-Georges Graff, chevalier de la Légion d'honneur depuis 1920) et le 3e groupe du 1er RAC. Le bataillon4 était parti de Montplonne (Meuse) dans la nuit du 15 au 16 juin 1940, passant par Liffol-le-Grand la nuit suivante, couvrant ainsi plus de 70 km. Il venait, au lever du jour, de relever deux pelotons de cavalerie, défendant le pont sur la Meuse avec trois pièces de 75, «le village et les lisières des bois à l'est de la Meuse» (rapport du colonel René Barberot, chef du 12e RTS).

Le commandant Graff rapporte les événements de la journée5 : «Les Allemands ont tenté de forcer le passage du pont vers midi, en se servant de chars, accompagnés d'une infanterie mordante, appuyée par des batteries de minenwerfer. Au préalable, j'avais été averti par le maire d'Harréville6 que des officiers allemands voulaient parler au commandant français... J'ai simplement répondu par écrit que je ne parlais aux Allemands qu'à coups de fusils et au besoin de canons. Puis, j'ai alerté le bataillon, qui combattait isolément, et me suis porté au pont. C'est alors que je vis déboucher le premier char léger, qui s'est arrêté devant la barricade de l'entrée du pont. Au préalable, les Allemands avaient fait venir des civils pour enlever la barricade. C'est alors que le capitaine Cosperec, de la CAB 2, s'est avancé sur le pont pour prévenir les civils que le feu allait être ouvert. L'ennemi a alors ouvert le feu à la mitraillette sur les objectifs visibles. Mon secrétaire a été tué à mes côtés. J'ai fait alors tirer sur le char par un canon de 75. L'obus a passé au-dessus de la tourelle et a éclaté sur le mur voisin. Les civils se sont enfuis. Le bataillon a alors ouvert le feu de toutes ses armes, mais le char avait pu faire marche arrière et disparaître derrière la maison voisine. A partir de ce moment, l'ennemi a tenté de franchir la Meuse à plusieurs reprises, soit par le pont, soit dans l'eau. Les attaques ont repris de la vigueur à la tombée de la nuit et, si on ne s'est pas battu à l'arme blanche7 dans les jardins d'Harréville, on s'est battu à la grenade devant les jardins bordant la rivière et aucun ennemi n'a pu prendre pied sur la rive Est. Vers 23 h, l'ennemi s'est retiré et aurait franchi la Meuse sur un autre pont avant le jour». C'est à la même heure que parvient l'ordre de repli sur Pompierre (Vosges), exécuté à 1 h...

Durant cette journée où la 8e batterie du 1er RAC a tiré 300 obus sur une colonne d'artillerie allemande, le 12e RTS déplore la mort de onze hommes, dont les noms figurent sur un monument :

. le Guinéen Fararah Dantillia,

. Raymond Fradin, 24 ans,

. le sergent guadeloupéen Félix Jeangeal, 33 ans,

. Dialo Mansa,

. Kondé Moussa (Guinéen de 22 ans),

. Magria Niger,

. le sergent Marcel Nisseron, 25 ans,

. le sergent Kamara Mouba (ou Nouba),

. Isidore Ravetllat, 27 ans,

. et deux tirailleurs inconnus (le service historique de la Défense cite également les noms de Mazadou Garba, Nigérien de 23 ans, et Bocary Keita).

Par ailleurs, le sergent Louis Molinier, jeune sous-officier de 25 ans, mourra le lendemain de ses blessures à Vittel.


Bourmont

Le I/14e RTS est de retour à Bourmont. Le récit non signé sur le combat des 18 et 19 juin rappelle le contexte du mouvement : «5 h : le bataillon est arrivé à Lamarche. Un contre-ordre de la division fait savoir que le bataillon doit revenir à Bourmont et défendre le village sans esprit de recul. 12 h : position défensive à Bourmont. Mêmes emplacements que la veille.»

Le retour des tirailleurs libère les spahis marocains qui prennent la direction de Neufchâteau. Ils gagnent Soulosse et Saint-Elophe. Pour le glorieux régiment, la campagne de France se terminera le 23 juin, par la reddition, à Etreval...


A Bourmont, une section de canons de 75 est mise à disposition du bataillon. Le commandant Voillemin se rend au pont du bourg pour étudier la possibilité d'installer une de ces pièces afin de renforcer le canon de 25 déjà en batterie.

A son retour, à 14 h 30, le chef de bataillon s'arrête voir le lieutenant René Dumora dont la section est en batterie en lisière de la «route circulaire».

Des éléments motorisés allemands débouchent alors de la sortie Sud-Ouest de Saint-Thiébault, sur la RN 74. Dumora ouvre le feu et l'ennemi riposte.

L'arrivée des Allemands à Saint-Thiébault ne permet pas d'installer le 75 au pont de la Meuse. Deux pièces sont affectées à la défense des barricades de Bourmont-Haut : sortie «route circulaire», au sud, et sortie route de Vittel, au sud-est.


La relation détaillée des combats, tels que présentés dans l'ouvrage du journaliste Louis Dartigues («Les coloniaux au combat»), est la reproduction du rapport rédigé par le commandant Voillemin en captivité. La voici, demi-heure par demi-heure :


16 h : les Allemands bombardent Bourmont-Bas (point d'appui Mollard) par artillerie et minen.

17 h 45 : un groupe de maisons est en feu. Selon le maire de la commune, déjà bombardée par l'aviation allemande le 13 juin dans l'après-midi, une femme a été tuée et brûlée dans son immeuble.

18 h : première attaque ennemie (sur Bourmont-Bas). L'ennemi, fixant par ses feux la défense du pont, essaie de tourner cette résistance par le nord et par le sud. Débouchant de Saint-Thiébault, il franchit la Meuse simultanément au nord face à la station, au sud à 400 m du pont. Le point d'appui Mollard, par ses tirs, rend difficile la progression de l'ennemi. Mollard commande aux quatre sections de la 1ère compagnie, à deux sections (sous-lieutenant Louis Lechevalier et aspirant René Tamisier) de la 2e compagnie, deux sections de mitrailleuses (lieutenants René Dumora et Raymond Desfourneaux) et un canon de 25.

18 h 30 : le chef de bataillon envoie le motocycliste au PC du régiment (Nijon) pour rendre compte de la situation, signaler les possibilités de franchissement de la Meuse par l'ennemi, et demander l'appui d'autres éléments du régiment pour contre-attaquer...

A 20 h 30, l'avance ennemie est stoppée à hauteur de la voie ferrée, près de la station et à 400 m du pont. Le motocycliste revient de Nijon, rapportant la réponse du colonel. Aucun élément du régiment ne peut être employé au profit du 1er bataillon. Ce bataillon doit résister avec ses seuls moyens.

Rapport Voillemin : «21 h 30 : Des patrouilles du PA Mollard constatent le repli de l'ennemi sur la rive gauche de la Meuse. L'attaque ennemie sur Bourmont-Bas, qui paraît avoir été exécutée par une compagnie appuyée par de l'artillerie et des minen, a complètement échoué. Nos pertes sont numériquement légères (trois tués, treize blessés). Malheureusement, un officier mitrailleur, le lieutenant Desfourneaux, a trouvé dans ce combat une mort glorieuse ; deux autres chefs de section de grande valeur, le lieutenant Dumora (mitrailleur) et l'adjudant-chef Négrerie (1ère compagnie) ont été blessés. Ce premier succès exalte le moral déjà élevé de la belle troupe du capitaine Mollard.»

C'est vers 20 h que les Allemands vont produire leur attaque sur Bourmont-Haut. Ils ont franchi la Meuse au sud de Bourmont, enlevé la barricade à la sortie Sud et le canon de 75, et pénétré dans la commune. «Des éléments arrivent plus en avant que le monument aux morts et dans l'esplanade près de la vieille église» (récit sur le combat de Bourmont).

Voillemin donne l'ordre de contre-attaquer (une section de la 2e compagnie et une section de la CA, selon ce récit) pour bouter l'ennemi hors du bourg. Un combat de rue s'engage. Il va durer jusque dans le courant de la matinée du lendemain.

Rapport du commandant Voillemin : «23 h 30. L'ennemi, qui paraît s'être renforcé, se montre plus mordant et tente une attaque de flanc (par l'ouest du village), en s'infiltrant dans les vergers. Il est repoussé par la section de commandement de la CAB. Il tente alors de reprendre sa progression à la gauche, dans les rues du village. Ses tentatives sont repoussées mais la troupe de contre-attaque a beaucoup souffert, en particulier le caporal Lalatonne est tué, l'adjudant Dechêne, le caporal-chef Marcerou, le caporal Nalette8 de la CAB sont blessés. Elle est relevée vers 24 h par la section Bertrand (3e compagnie). Cette section repousse au cours de la nuit plusieurs autres tentatives ennemies ; au cours de ce combat, le sous-lieutenant Bertrand est mortellement blessé».

Aux environs de 21 h, écrit le colonel Montangerand, «la situation devenait donc grave, aussi, se trouvant tout à fait à l'aile du CAC, s'attendant à être encerclé d'un moment à l'autre, car sa gauche était absolument en l'air, le colonel décidait de brûler le drapeau du régiment, qui venait de lui être apporté par l'officier des détails ; l'opération fut faite dans le logement de l'instituteur de Nijon».


Graffigny

Si le I/14e RTS devait lâcher Bourmont et se replier, ce serait par Graffigny. Or, reconnaîtra le colonel Montangerand, ce village «a été abandonné par erreur». Il faut donc le réoccuper. La 10e compagnie du III/14e RTS, qui s'est battue le 15 juin à Rupt-aux-Nonains (Meuse), est chargée de la mission. Son commandant d'unité, le lieutenant Ambroise Coat, rapportera, le 4 juillet 1942, de l'Oflag X10 : «Le 18 juin, la 10e compagnie était chargée de contre-attaquer pour reprendre le village de Graffigny, occupé par l'ennemi et d'y démolir les barricades pour permettre le passage du 1er bataillon qui devait effectuer son repli9 par cette voie. La contre-attaque devait s'effectuer à minuit et avec l'appui de feux de la CA, qui n'ayant pu repérer ses tirs de jour, effectuait un appui moral en tirant largement à droite et à gauche de la zone de contre-attaque.» Le lieutenant Coat peut compter, durant cette action, sur les aspirants Jean Arnould et Gaston Lamazou de Betbeder, chefs de sections, et sur l'adjudant-chef Diallo Sekou. «Energiquement stimulés par l'adjudant-chef indigène dès le départ, les Sénégalais poussèrent franchement de l'avant, l'opération s'effectua assez rapidement malgré le tir de minen et dès 1 h 45, les deux sections de tête commandées par les aspirants Arnould et Lamazou pénétraient dans le village, repoussant l'ennemi qui croyait probablement à une grosse contre-attaque. Le tir de minen allemand s'étant effectué derrière nous, l'opération ne coûtait que trois blessés. A 2 h 15, toutes les barricades étaient détruites et la voie rendue à nouveau libre. A 2 h 30, la compagnie recevait du bataillon l'ordre de se replier sans délai sur le village de Chemin où une estafette du bataillon signalait le nouvel itinéraire de repli déjà effectué par le reste du bataillon...»

Parmi les hommes qui se sont distingués, outre l'adjudant-chef Diallo Sekou (qui sera proposé pour une citation à l'ordre de la division), le capitaine Michel de Lavergne de Tressan, commandant la CAB 3, signale le caporal Destandeau, chef de pièce, qui, «au cours de la contre-attaque de nuit sur Graffigny, a rejoint l'échelon de combat des voltigeurs sous le feu de l'ennemi et combattu avec eux, contribuant au succès de l'opération». La compagnie Lavergne de Tressan, dont le commandant était secondé par le lieutenant Maurice Dixneuf, a en effet pris part aux opérations. L'officier était parti en liaison à Nijon où «le colonel me confie qu'il vient de brûler le drapeau» et, de retour à Chemin, où il a été rejoint par sa compagnie venue de Vrécourt (Vosges), il a appris ceci : «Avant même que son installation soit terminée, il me faut envoyer une section en soutien à une contre-attaque menée par la 10e compagnie, mon ancienne unité, pour reprendre Graffigny. Avant que cette section soit revenue, je reçois l'ordre de démarrer, il est 2 h du matin...»

Un autre élément du bataillon se trouve alors à Graffigny : c'est la 9e compagnie du capitaine Marie Jarty, venue elle aussi de Vrécourt. «Arrivée à Grafigny (sic) vers 17 h 50. Peu après notre arrivée le village est attaqué : petites attaques ennemies qui ne permettent pas à mes hommes de se reposer. Les dernières munitions de FM sont consommées.» Le 19 juin, «l'ordre de repli pour 3 h arrive à 2 h. Il ne reste au bataillon que la 9e compagnie, la CAB 3 et la 10e compagnie à effectif réduit. Une section de ma compagnie reste avec deux sections de la 10e pour protéger le repli», en direction de Bulgnéville (Vosges).


Goncourt

Le III/12e RTS (capitaine Souverain) a relevé dans l'après-midi des éléments des bataillons Sompairac et Arragon. Dans la nuit, c'est la bataille. Capitaine Souverain10 : «Le 19 juin, à partir de 0 h 30, l'ennemi, à plusieurs reprises, attaque notre dispositif. Il est accueilli par notre feu qui, malheureusement, perd de plus en plus de son efficacité, faute de munitions de FM... Vers 2 h, l'ennemi crie, en français, de cesser le feu car l'armistice vient d'être signé. La fusillade n'en continue pas moins jusque vers 3 h 15, heure à laquelle est reçu l'ordre de décrocher et de se replier sur Chatenois... Comme il fait déjà jour, l'ennemi nous aperçoit et des éléments en position dans les maisons du village et sur les crêtes plus à l'ouest nous prennent sous leurs feux. A 5 h, le repli est terminé...»


Mercredi 19 juin 1940


Bourmont

Après son échec au sud, l'ennemi tente de pénétrer dans Bourmont par la route de Vittel, mais est refoulé avec des pertes importantes.

A 9 h 30, six camions allemands sont détruits ou endommagés sur la RN 74 par les armes du PA du capitaine Roger Mollard.

Au même moment, l'ennemi fait une tentative sur la route de Vittel qui est stoppée et s'infiltre plus au sud, en direction du château. Rapport du I/14e RTS : «Des éléments ennemis parviennent jusqu'au château. Une pièce de mitrailleuse du 53e RI (sic)11, incorporée au bataillon depuis son arrivée à Bourmont, placée à l'angle du château, est mise hors de service par une rafale de pistolet-mitrailleur tirée du château même (tireur tué, pièce détériorée)».

Le sous-lieutenant Louis Lechevalier est tué à son poste de combat, «au début de l'après-midi», au cours d'une action ayant pour objet d'envelopper l'ennemi ainsi infiltré.

Le commandant Voillemin prend la décision de regrouper ses forces dans Bourmont et d'y résister jusqu'au bout. Coupé du PC12, il ne peut attendre aucun renfort et ravitaillement en munitions. Par ailleurs, Gonaincourt ne pouvant efficacement être défendu par la seule 3e compagnie, dont les effectifs sont amputés13, sera évacué (le tirailleur Fangassi Kone, 31 ans, est mort le 17 juin dans le village). L'ordre de repli sur Bourmont arrive à cette compagnie alors qu'elle est déjà attaquée14.


Un violent bombardement s'abat sur Bourmont-Haut (et touche aussi Bourmont-Bas). C'est l'attaque générale et finale.

Rapport Voillemin : «15 h 40. Par suite du tir intensif, un seul mortier reste en état de tirer. Placé non loin du PC du bataillon, il est violemment pris à partie par les minen et les canons d'infanterie de l'ennemi, qui ne réussissent pas à le démolir. Dans toutes les unités, beaucoup de fusils-mitrailleurs sont hors d'usage...

15 h 45. Le lieutenant Risch est blessé par un obus, à l'entrée du PC du bataillon.

16 h 4515 (sic). Il ne reste plus de munitions de mortier, la section Tamisier a ses trois FM hors d'usage et ne dispose plus que d'une bande chargeur.

16 h 30. La SM Desque n'a plus de munitions, l'ennemi atteint les vergers à 200 m de l'église.

17 h. Ne disposant plus d'aucune munition (la chenillette, vide de ses munitions, a été incendiée vers 15 h), le chef de bataillon décide la reddition, qui a lieu à 17 h. Pour éviter des pertes désormais inutiles, le chef de bataillon envoie au capitaine Mollard l'ordre de cesser le feu. L'ennemi envoie le même ordre à ses troupes.

18 h. Vers Bourmont-Bas, l'acharnement du combat est tel que le feu ne cessera complètement que vers 18 h, après l'envoi de parlementaires».

Le commandant Voillemin complète ces précisions : «La situation est désespérée. Le commandant fait sonner le cessez-le-feu. Le bataillon doit se rendre. Il est constitué prisonnier après félicitations du major allemand sur le (…) du combat livré par nos tirailleurs...» «Défendre Bourmont sans esprit de recul, jusqu'à épuisement des munitions», tel était l'ordre donné par le colonel Montangerand. La mission aura été remplie...

«Le commandant de la troupe ennemie s'étonna qu'un bataillon ait pu résister aussi longtemps ; il déclara qu'il avait cru avoir affaire à un régiment.16»


Ainsi s'achève le dernier combat de l'armée française en Haute-Marne en juin 1940.

Côté français, les pertes sont lourdes. Le JMO du bataillon fait état de 40 morts17 (dont trois officiers), 78 blessés – auprès desquels le médecin-lieutenant Henri Connaud a fait preuve d'un «courage remarquable et un dévouement absolu» (rapport du capitaine Mollard) - et 60 disparus. Le rapport du colonel Montangerand parle de 38 tués, 63 blessés et 78 disparus dont 19 présumés blessés prisonniers. A ces pertes s'ajoutent un mort et un blessé parmi les mitrailleurs. Huit chefs de section sur douze engagés à Bourmont sont hors de combat...

Dans la population civile, sont à déplorer les décès de Marie Guinet, de Mme Jannel et de Jean Jannel.

Les morts de Bourmont sont les suivants selon le rapport du commandant Voillemin :

. Bale Soropogui, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. sous-lieutenant Jean Bertrand, 26 ans ;

. Boubakar, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. Emile Caillard, 31 ans, CAB I, mortellement blessé le 19 juin (médaillé militaire à titre posthume en 1942) ;

. Jean Carrère, 30 ans, CRE, le 18 juin ;

. Codogba, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. Jean-Baptiste Darmayan, 30 ans, CAB I, le 19 juin ;

. lieutenant Raymond Desfourneaux, 26 ans, chevalier de la Légion d'honneur à titre posthume (1942) ;

. Dia Die, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin (Mondaga Diadie, 29 ans, selon le ministère des Armées) ;

. Dian Balou, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. Diouhe Boye, 1ère compagnie, le 19 juin (Diouhe, 22 ans, selon le ministère des Armées) ;

. caporal Dita Gougou, 3e compagnie, le 19 juin (Dita Goncou selon le ministère des Armées) ;

. sergent Maurice Dulong, 21 ans, 3e compagnie, le 19 juin ;

. Jean Duquerroy, 27 ans, 2e compagnie, le 19 juin ;

. Facine Mara, 2e compagnie, le 19 juin ;

. Gotro Batou, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. Gouasma Kone18, 1ère compagnie, le 19 juin ;

. André Granereau, 32 ans, CRE ; le 18 juin, «fait prisonnier par une patrouille ennemie, a été mortellement blessé en prévenant un détachement ami de la présence de l'adversaire. A été cité» (médaillé militaire en 1942) ;

. Tiga Campaore, 3e compagnie, tué le 19 juin, médaillé militaire à titre posthume en 1943 (Kombi Kompaore selon le ministère des Armées) ;

. Lagbo, 3e compagnie (tué le 19 juin, médaillé militaire à titre posthume en 1943);

. caporal19 Pierre Lalatonne, 20 ans, Guadeloupe, 2e compagnie, mortellement blessé le 18 juin, médaillé militaire à titre posthume en 1942 ;

. Lamina Camara, CAB, le 19 juin ;

. Joseph Laurent, 33 ans, CAB I, le 19 juin ;

. sous-lieutenant Louis Lechevalier, chevalier de la Légion d'honneur à titre posthume (1942) ;

. Mamadou Taraore, 2e compagnie, le 19 juin (Mamadou Taraure, selon le ministère des Armées) ;

. Maniore Bazi, 2e compagnie, le 19 juin (Yenyare Bazi, 24 ans, selon le ministère des Armées) ;

. Mauro Beavogui, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. Oroba Korofo, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. Panadi Coussobe, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. Pogba, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. caporal Georges Sans (ou Sanz), 22 ans, CAB I. Caporal mitrailleur, tué le 19 juin 1940, il recevra la médaille militaire à titre posthume (1943),

. caporal Sekou Dore, 3e compagnie, le 19 juin ;

. Soule Mana Konate, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. Tobga, 3e compagnie, le 18 ou 19 juin ;

. Panga Tolno, 1ère compagnie, le 19 juin ;

. caporal Robert Touaye, 31 ans, 3e compagnie, de Côte-d'Ivoire (tué le 19 juin, médaillé militaire à titre posthume en 1943) ;

. Zoumana Diora, 2e compagnie, le 18 ou 19 juin (ou Dioran selon le ministère des Armées).


Le site Mémoire des hommes donne d'autres noms, qui peuvent parfois correspondre à ceux cités ci-dessus ;

. Adjiba, Guinéen de 22 ans, le 19 juin ;

. Akiou, 22 ans, du Burkina-Fasso ;

. Aliou Diallo, tué le 18 juin, médaillé militaire à titre posthume en 1942 ;

. Patte Diallo, 24 ans, disparu le 19 juin ;

. Didier, le 20 juin ;

. Ge Goudougou Beyla, le 19 juin (Guinéen de 24 ans, selon le relevé du cimetière) ;

. Ouedrago Kindaogo, 24 ans, du Burkina-Fasso, le 19 juin ;


Quant à la liste du cimetière de Bourmont, elle comprend aussi le nom de Gilbert Brotreau, classe 1926, du recrutement de Saintes. Selon le site Mémoire des hommes, il était soldat au 57e RI. S'agit-il du soldat du 41e RMIC (sic) cité comme tué à Bourmont par le colonel Montangerand ?


Bertrand (Jean-Albert), sous-lieutenant (Clichy, Seine, 25 septembre 1914 – Bourmont 19 juin 1940). Fils de Marcel Bertrand, garçon de recette, et de Julie Apessesche. Admis (avec rang du 10 octobre 1937) dans les réserves de l'infanterie coloniale comme sous-lieutenant au 13e RTA ; marié à Bois-Colombes avec Lydie Surville (1938) ; sous-lieutenant de réserve au 13e RTA, affecté au 14e RTS le 20 février 1939 ; lieutenant des troupes coloniales à titre définitif le 10 août 1940. «Officier de réserve d'une haute valeur morale, animé des plus nobles sentiments de devoir et d'abnégation», a, le 18 juin, «réussi crânement à contenir l'assaillant qui avait pris pied dans le village. A été mortellement blessé au cours du combat. A été cité» (Légion d'honneur en 1942).

Desfourneaux (Raymond-Marie-François), lieutenant (Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme, 26 janvier 1914 – Bourmont 19 juin 1940). Incorporé le 26 septembre 1933 à Saint-Cyr (avec le 186e rang après concours) ; sous-lieutenant au 3e RTS, au Maroc, en 1937 ; officier au 14e RTS. Cité (JO 1942).

Lechevalier (Louis-Fernand-Armand), sous-lieutenant (Ouistreham 16 octobre 1916 – Bourmont 19 juin 1940). Admis à l'école spéciale militaire de Saint-Cyr le 27 septembre 1937 avec le numéro 213 après concours ; élève de la promotion 1937-1939 ; nommé sous-lieutenant d'infanterie coloniale pour prendre rang du 22 août 1939 ; officier au 14e RTS. «Jeune officier plein d'allant», chef de section, mort «en faisant lui-même le coup de feu avec le FM d'un de ses hommes qui venait d'être tué» (JO 1942).


Parmi les héros de Bourmont qui seront distingués, citons :

. le capitaine adjudant-major Henri Girard, «d'une haute conscience professionnelle», chevalier de la Légion d'honneur en 1942 ;

. le capitaine Gaston-Marcel Gautier, «jeune capitaine commandant une compagnie d'accompagnement (…), entraîneur d'hommes exceptionnel et un guerrier hors de pair...» (Légion d'honneur en 1942) ;

. le lieutenant Claude Redier, commandant de groupe franc : «Pendant plus de 24 heures consécutives, a réussi avec une poignée d'hommes, à tenir en échec des forces très supérieures en leur infligeant de lourdes pertes et à les repousser finalement jusqu'aux lisières du village» (Légion d'honneur en 1942).

. l'aspirant René Tamisier, qui «a fait preuve d'un mépris absolu du danger... A résisté sur place jusqu'au bout, sur une position non organisée et violemment battue, infligeant à l'adversaire de très lourdes pertes» (médaille militaire en 1941) ;

. l'adjudant Georges Duchêne, chef de section d'engins, a dirigé, le 18 juin, «avec précision, en terrain découvert, le feu de ses mortiers sur une colonne motorisée ennemie, malgré un tir extrêmement violent d'armes de toute nature et a semé la panique chez l'adversaire. A été grièvement blessé en participant volontairement à une contre-attaque de nuit contre des éléments ennemis qui s'étaient infiltrés dans la position» (médaille militaire en 1941) ;

. l'adjudant Paul Daogo Balima ;

. le sergent-chef Robert Camon : à Gonaincourt, le 19 juin, «servait lui-même un FM dont le tireur avait été tué» ;

. le sergent-chef Yves Scavennec, mitrailleur : «le 16 juin, à Bourmont, a cloué au sol une attaque ennemie qui cherchait à déborder la position. Bien que sérieusement blessé, a refusé de quitter son poste de combat» ;

. le sergent-chef Camille Lagoidet, grièvement blessé le 19 juin à Bourmont au bras droit (médaillé militaire en 1942) ;

. le sergent-chef Tauga, grièvement blessé le 19 juin ;

. le sergent Sadou : le 19 juin, «s'est emparé d'une mitrailleuse allemande qu'il a lui-même servie contre l'ennemi dont il a repoussé l'attaque. Ne s'est replié qu'après avoir reçu l'ordre formel de son chef de section» ;

. le caporal-chef Daniel Marcerou (groupe franc), grièvement blessé le 18 juin...


Quelles sont les pertes de l'ennemi ? Dans son rapport rédigé le 26 septembre 1940 (il s'est évadé le 25 août), le capitaine Mollard écrit que le régiment allemand qui l'a attaqué «compta 385 morts». En fait, selon le colonel Montangerand, ce chiffre a été fourni aux officiers français par des habitants de Bourmont qui ont procédé aux inhumations. Evidemment, il est difficile de donner du crédit à ce chiffre. En 1941, sept corps de soldats allemands reposant à Bourmont seront exhumés. Il n'en est pas moins vrai que l'unité ennemie qui a combattu dans le bourg - le 41. Infanterie-Regiment (10. Infanterie-Division20) - a été éprouvée. Ce régiment était commandé par l'oberst Adolf Auffenberg-Komaron qui a été blessé par un éclat d'obus lors des opérations, avec le hauptmann Hummel pour commander le 2e bataillon et le hauptmann Esch à la tête du 3e.






21 juin 1940


Les corps de dix tirailleurs, dont deux inconnus, sont inhumés dans la commune de Graffigny-Chemin. Trois jours plus tôt, le III/14e RTS s'y était en effet battu. Le maire du village écrira, en 1948 : «Le 18 au soir, quelques maisons furent occupées et après un combat qui a duré toute la nuit, les Allemands occupent le reste du village», combat qui, précise l'élu, a causé la mort de treize soldats. Mais selon le rapport du lieutenant Coat, qui a dirigé l'action, si trois de ses hommes ont été blessés le 18 juin, aucun mort n'a été à déplorer. Et si les soldats enterrés n'étaient pas plutôt des Africains du I/14e RTS, dont le colonel Montangérand croit savoir qu'ils ont été exécutés à Graffigny «quelques jours» après le combat de Bourmont ?

Car comme le chef de bataillon Voillemin, le chef de corps a consigné cette importante information dans ses rapports : «28 indigènes du régiment auraient été passés par les armes le 20 juin 1940 à Graffigny, ce qui ne doit pas surprendre de la part des Allemands, lesquels ne nourrissaient pas à l'époque d'excellents sentiments vis-à-vis des Sénégalais», écrira-t-il le 31 juillet 1941. «Etant en captivité à Neufchâteau, j'ai appris en effet que les Allemands, désagréablement surpris de la résistance offerte par le I/14e RTS les 18 et 19 juin à Bourmont et des lourdes pertes qu'ils avaient subis, avaient fusillés (sic) une trentaine de mes Sénégalais...», notera de son côté Marcel Voillemin.

Dans un article paru dans le magazine Histomag'44, Julien Fargettas, historien ayant longuement enquêté sur les massacres de soldats noirs en 1940, parlera d'une «présomption» de crime de guerre à Graffigny-Chemin. Cette hypothèse sera confirmée...


Pour la vérifier, la liste des militaires français inhumés en Haute-Marne, en 1941, est précieuse, car en ce qui concerne Graffigny-Chemin, les numéros de matricules des victimes ont été précisés. C'est important, car l'identification des tirailleurs venus d'Afrique s'est généralement révélée difficile. En outre, si les maires, dans la mesure de leurs moyens, ont eu à cœur de donner une digne sépulture à ces hommes, ils ont souvent commis des erreurs dans la rédaction des actes de décès, prenant par exemple la commune d'origine de la victime pour son patronyme, ou pensant que l'appellation SRI pouvait être un nom ou un prénom, alors qu'il s'agit d'un élément du matricule... Notons encore que les Allemands ont parfois enlevé des corps tout document permettant des les identifier.

Parmi les victimes de Graffigny-Chemin, il y a un nommé Ouagadougou, originaire de la Côte-d'Ivoire, décédé le 21 juin 1940, dont le numéro de matricule est 13 054. Or le rapport du commandant Voillemin précise, non seulement les noms des hommes du bataillon qui ont été tués et blessés à Bourmont et Gonaincourt, mais également ceux qui étaient portés disparus, «présumés blessés» ou non. Et fort heureusement pour la mémoire de ces tirailleurs, les numéros de matricules ont souvent été indiqués.

Ce qui nous a amené à découvrir, parmi la liste des disparus à la date du 1er août 1940, le nom de Yemnoaga Sana (3e compagnie), matricule... 13 054. C'est-à-dire le numéro porté par «Ouagadougou» (sans doute sa ville d'origine). De même, qu'il s'agisse de Voreyemba Labori (Moryemba Kabore), Tiecoura (caporal Tiekoura Ba), Comnoaga Zoungraa (Comndaga Zoungrana) ou Ouagoudou/matricule 13147 (Fibila Guiguina), tous ces tirailleurs inhumés à Graffigny-Chemin21 correspondent bien à des disparus du bataillon, tous appartenant, d'ailleurs, à la 3e compagnie... De son côté, le ministère des Armées, qui a identifié six des morts du village22, confirme, parmi eux, la présence de Foromo Kamara, 33 ans (sergent-chef à la CAB). Nous avons donc la certitude que six des dix morts de Graffigny-Chemin sont des hommes portés disparus après la chute de Bourmont, et qui ont très vraisemblablement été exécutés23...


Ces sorts tragiques ne sont pas isolés dans la région. Des tirailleurs souvent inconnus ont été enterrés là où leurs corps ont été retrouvés : deux dont un inconnu à Sommerécourt24, un à Lezéville (le Guinéen Gondota Mzere Kore, 32 ans, tué d'une balle dans la poitrine le 21 juin), trois à Doncourt-sur-Meuse (dans une tombe collective, et dont deux ont été «enterrés par des soldats allemands qui ont gardé les plaques d'identité»), trois à Gonaincourt25, un «non identifiable» près de la halte de Hâcourt, deux à Goncourt (un «décapité» et un identifié26), un à Outremécourt, un à Soulaucourt-sur-Mouzon («Soumiat Jean (présumé), originaire de la Côte-d'Ivoire, tué du 23 au 24 juin 1940»), trois à Nijon, trois à Breuvannes27... Pour ces deux dernières communes, nous savons que des tirailleurs ont été exécutés. Jules Roy, ancien maire de Nijon, témoigne ainsi : «Un groupe de Sénégalais échappé de Gonaincourt traverse la forêt et entre à Nijon en même temps que les Allemands, et l'on se bat. La plupart des tirailleurs sont faits prisonniers. Les autres se réfugient dans la forêt... Les prisonniers sont réunis sur la place avec les Européens. Après les avoir copieusement frappés, les Allemands les obligent à tenir les bras en l'air pendant un long moment avec une pierre dans chaque main. L'un d'eux est déshabillé et roulé dans les orties. Le tirailleur Kampti28 est abattu à la mitrailleuse et achevé d'une balle dans la tête. Deux autres qui s'étaient réfugiés dans des maisons sont pris le lendemain et fusillés...» De son côté, le maire de Breuvannes-en-Bassigny indiquera : «Trois tirailleurs sénégalais prisonniers ont été abattus par les troupes allemandes sur le territoire de la commune et enterrés au cimetière communal». De même, d'après des habitants de la région de Bourmont, le 19 ou le 20 juin, «les Allemands abattent les Sénégalais faits prisonniers à coup de fusils et même à coup de crosses, derrière le château de Doncourt qu'ils occupaient»29.

Il est à noter que d'autres camarades, européens, ont parfois aussi subi le même sort que des Sénégalais. Ainsi, près de Chaumont, l'ennemi a fait feu sur cinq soldats blessés du 149e RIF, dont deux ont survécu en simulant la mort. Le brigadier de spahis Danvin a également été abattu, à Germisay... Et qui était-il, ce soldat capturé à Ainvelle (Vosges), exécuté le 18 juin, à Enfonvelle, près de Bourbonne, à la suite d'une action du lieutenant de cavalerie de Rohan-Chabot ayant coûté la vie à un officier allemand ? Un soldat portant l'uniforme de l'armée belge, selon le maire30 ? Ou peut-être, selon la préfecture, un «soldat marocain ou noir fusillé par les Allemands sous toutes réserves, date inconnue du 17 au 19 juin» ?

D'après le recensement des tombes réalisé par la préfecture, 436 militaires français et 78 civils français étaient inhumés en Haute-Marne en 1941. Sur ce nombre, 100 étaient des tirailleurs «sénégalais et malgaches», en fait africains : 58 dans le canton de Bourmont, 22 dans celui de Poissons, treize dans celui de Saint-Blin. Leur sacrifice, soit au combat, soit après leur capture, méritait d'être rappelé à la connaissance des nouvelles générations... (...)

1 Deux bataillons de ce régiment forment le groupement Brusseaux avec deux bataillons du 294e RI et le 46e régiment d'artillerie de forteresse tractée.

2Joint à la réponse du maire de Bourmont au questionnaire de 1947 sur les événements survenus dans chaque village durant la Seconde Guerre mondiale (15 J 81, ADHM).

3 Le 14e RTS est appuyé par le I/1er RAC, le 201e RAC est à Soulaucourt-sur-Mouzon.

4Où le lieutenant Routier commande la 6e compagnie (il décède le 21 juin 1940), et le lieutenant Cardineau la 7e.

5Document établi en juin 1946 et communiqué par Etienne Guillermond, auteur d'une biographie du résistant Addi Bâ, tirailleur qui appartenait à ce régiment. Ame du maquis de Lamarche, il a été fusillé à Epinal en 1943.

6En fait M. Collignon, adjoint.

7 Cette précision corrige un premier rapport du commandant Graff, qui écrivait : «Vers 21 h, des patrouilles essaient de nouveau de franchir la Meuse. Elles sont repoussées à la grenade et voire même au coupe-coupe par les tirailleurs de la 6e compagnie (lieutenant de Peralo) ».

8Ou Valette.

9 Repli qui ne se fera jamais, faute d'en avoir été informé. Lire plus loin.

10Louis Dartigues, op. cit.

11Du 53e régiment de mitrailleurs d'infanterie coloniale, plutôt ? A moins qu'il ne s'agisse du 57e RI, dont un soldat a trouvé la mort à Bourmont.

12 Un officier, le sous-lieutenant Charles Dupouy, avait été envoyé par le colonel Montangerand porter un ordre de repli au commandant Voillemin. Né dans les Landes en 1897, il devait être tué ce 19 juin 1940 à Vrécourt (Vosges), comme le caporal Marcel Coffigniez, tandis que le soldat Henry Campet était blessé. Deux Sénégalais ont également été inhumés dans le village.

13 Gonaincourt devait être défendu par le I/3e RIC du capitaine Marty. Ce ne sera pas le cas.

14 Selon le maire, trois tirailleurs ont été tués à Gonaincourt.

15Sans doute plutôt 16 h 15.

16Colonel Montangerand, rapport du 15 mars 1941.

17 L'état dressé par le maire le 3 août 1940 confirme ce chiffre (dont neuf inconnus).

18Un tirailleur du même nom, même compagnie, est porté tué le 18 juin.

19Caporal-chef selon le JMO.

20 L'historique de la division précise que le leutnant Steinbüge s'est distingué à Bourmont en prenant deux nids de mitrailleuses, que les oberleutnant Bruder et Schmidt, de l'IR 41, ont été blessés.

21 Les autres noms, selon la liste préfectorale de 1941 : Folou (Guinée, matricule 28 784), Baouli Bonifi (32 017), Komisseretou, Kadegitien (44 497) et Furcariath (54 171), ces deux derniers correspondant aux tirailleurs initialement inconnus, enfin un soldat ivoirien portant le numéro 73 975.

22 Avec Maoro Beaugui, 30 ans, et Rayende, 27 ans.

23 Ainsi donc, sans compter sans doute des tirailleurs décédés de leurs blessures, plus d'une cinquantaine de défenseurs de Bourmont ont perdu la vie.

24 Aule Rabla, du 14e RTS, mort le 19 juin (ministère des Armées).

25 Selon la préfecture : Kissidougou, Labe et un Soudanais, tous du 14e RTS, portés décédés à la date du 22 juin 1940.

26 Pour la préfecture, il s'agit de Diebougou ; pour le ministère, de Kansie Ouloute, mort le 19 juin. Il est originaire du Burkina-Fasso (Haute-Volta).

27 Dont Tenga Kombeleinzigari, de la Haute-Volta, et G'Banan Ze, Guinéen de 22 ans.

28Dans un travail resté inédit (“L'arbre du Sénégalais”), André Grossetête, membre du club Mémoires 52, a rappelé que selon les recherches menées par l'Union nationale des combattants, Kampti se nommait en fait Knoubou Nouffé. A l'initiative de Jules Roy, une croix en bois – aujourd'hui en triste état - a été installée sur un orme pour perpétuer la mémoire du tirailleur. Une autre victime inhumée à Nijon s'appelait Pato Noro, originaire du Dahomey.

29«Témoignages sur la bataille de Bourmont», Société historique et archéologique de Bourmont, 1990. Le même document indique qu'un Sénégalais fait prisonnier «venait de trancher la tête d'un Allemand avec sa machette».

30 Roger Bruge évoque en effet la présence de soldats belges dans les Vosges voisines.