samedi 15 septembre 2018

La Benz-Roger, ou l'histoire méconnue d'un pionnier haut-marnais de l'automobile




Jusqu'il y a peu, nous ignorions jusqu'à l'existence d'Emile Roger, pourtant l'un des pionniers de l'automobile sur la planète. Car si le monde entier connaît aujourd'hui la marque Mercedes-Benz, qui sait qu'existèrent, à la fin du XIXe siècle, des voitures Benz-Roger (ou Roger-Benz) ? Et que leur constructeur était Haut-Marnais ! 

Ce que confirme l'état civil de la commune de Châteauvillain : il est né dans le bourg le 17 décembre 1850, fils d'Edme-Marcel Roger, cultivateur originaire de Latrecey, et d'Alexandrine Aubriot.
Emile Roger ne travaillera pas la terre mais se dirigera vers une carrière dans l'industrie. Il est dessinateur à Paris lorsqu'il est appelé le 22 septembre 1870 au 14e bataillon de chasseurs à pied. Aussitôt, il prend part à la guerre contre l'Allemagne. Sergent-major le 1er janvier 1871, il est libéré de ses obligations militaires le 26 octobre de la même année.

Ce que fut sa vie professionnelle, ce sont deux notices nécrologiques publiées par la revue «Le chauffeur», l'une des premières publications dédiées à l'automobile, et par "La Science française" qui nous l'apprennent.
Lycéen à Chaumont, entré à l'Ecole des arts et métiers de Châlons-sur-Marne (1866), Emile Roger travaille d'abord, comme dessinateur, dans les ateliers des sociétés Cail, de Fives-Lille (compagnie spécialisée dans les ouvrages et matériels ferroviaires) et Letestu (fabricant de pompes). Directeur de la Société de location de locomobiles (1879), il s'établit à son compte en 1883, fabriquant des moteurs à gaz, au pétrole. C'est à ce Castelvillanois que l'on doit l'introduction, en France, du fameux moteur Benz, l'invention de l'Allemand Karl Benz.
«Dès 1885, écrit «Le Chauffeur», à une exposition organisée par M. Nicolle au palais de l'industrie, Emile Roger aurait envoyé une Voiture à trois roues avec un volant horizontal, lequel, d'après les idées de M. Benz, inventeur du système, devait assurer la stabilité du véhicule.» Pour "La Science française", le Haut-Marnais devient agent général, pour la France, de la maison Benz en 1888, et c'est plutôt à l'Exposition universelle de 1889 de Paris (celle de la Tour Eiffel) qu'il présente "une voiture à trois roues activée par un moteur Benz".


Etabli au 52, rue des Dames, à Paris, l'ingénieur-constructeur Roger est indéniablement un pionnier de la construction automobile, non seulement en France mais dans le monde. Ses publicités dans la presse vantent des «voitures sans chevaux mues par moteurs spéciaux au pétrole», pouvant rouler à 20 km/h «sur bonnes routes plates bien entretenues». Ses voitures, précisera-t-il, sont équipées de «quatre roues garnies de cercles en caoutchouc», et «la direction, spécialement brevetée, permet de conduire ces voitures plus facilement même que les voitures attelées».

Première course du monde
1894 est une date majeure de l'histoire mondiale de l'automobile. Cette année-là, Le Petit Journal décide de créer, sous le nom de Concours, une course automobile entre Paris et Rouen. L'initiative intéresse 102 concurrents. Fait extraordinaire : trois sont Haut-Marnais. Il y a Georges Tirant, de Baissey, dont le véhicule marche à la vapeur, Emile-Martial Lebrun, de Bettaincourt-sur-Rognon, dont la voiture quatre places est dotée d'un moteur automatique, et Emile Roger. Ce dernier, nous dit le journal, est «à la barre» de la Roger-Benz numéro 12 (avec moteur à pétrole). Parmi les autres concurrents, figurent de futurs grands noms de l'automobile : Panhard et Levassor, Les Fils de Peugeot frères, De Dion...
Finalement, à l'issue d'éliminatoires, seuls 21 des 102 équipages inscrits participeront au Concours. Dont un seul Haut-Marnais : Emile Roger. Ils partiront le 22 juillet 1894 du rond-point Inkermann. De Dion arrivera le premier à destination en 5 h 40, Roger terminera quatorzième sur quinze en 8 h 9 minutes. Mais il aura eu le bonheur d'être allé au terme de la première course automobile du monde... Et de recevoir un prix que nous qualifierons d'encouragement. Au grand dam de la revue "L'Industrie vélocipédique" : «De l'avis de tous les gens compétents et de toute la presse en général», le système Roger «méritait mieux qu'un cinquième prix... La gravure incluse est la représentation de la machine qui a pris part au concours. Elle est d'un modèle à la fois élégant et solide, elle est à quatre places et a la force de quatre chevaux. Sa direction est d'une facilité telle, qu'elle peut être conduite par un enfant, son système d'embrayage et du frein la mettent à même d'être arrêtée instantanément.» Précision notable de la revue : la voiture Roger n'a connu aucune avarie entre Paris et Rouen, à la différence d'autres concurrents. A noter que l'auteur de ces lignes, Henry de Graffigny, est lui-même... Haut-Marnais de naissance, mais sans doute ignorait-il qu'Emile Roger, «habile ingénieur de Paris», était un compatriote...

L'année suivante, deux «voitures gazoline quatre places» sont engagées par Emile Roger dans une autre célèbre course célèbre, Paris-Bordeaux (aller-retour). La numéro 12 se distinguera à nouveau. «L'écho des mines et de la métallurgie» rendra ainsi un bel hommage aux «Voitures Roger», «élégantes et légères... Les courses des plus honorables qu'ont produite les voitures Roger montrent combien ce constructeur cherche toujours à se perfectionner et nous lui adressons ici nos plus sincères félicitations pour le résultat qu'il a obtenu...»

Créateur, le 1er juin 1896, de la Compagnie anglo-française des voitures automobiles, dont il est administrateur-directeur, Emile Roger décède prématurément, en 1897, après avoir été victime d'une anémie cérébrale ayant entraîné une paralysie générale. Autre révélation : c'est à Châteauvillain, «dans la maison de son père sise rue sur l'Eau, où il se trouvait momentanément», qu'Emile Roger, qualifié d'ingénieur civil, marié à deux reprises (avec Marie-Hélène Breand puis Alice Baillot), rend son dernier souffle, le 25 novembre 1897, à l'âge de 47 ans. «C'est avec Levassor le second des ouvriers de la première heure automobile qui, si près du début, manque déjà à l'appel», écrit «Le Chauffeur» dans son édition du 10 décembre 1897. "La mort est venue le surprendre en pleine prospérité ; deux mois de maladie ont suffi pour le terrasser", lit-on dans "La Science française", où l'on précise que celui qui lui succède à la tête de la société, c'est un camarade de l'école de Châlons, M. Hitier. 

dimanche 9 septembre 2018

Le jour où un repli en Haute-Marne a été envisagé - 10 septembre 1914



10 septembre 1914. Cinquième jour de la bataille de la Marne dans le "triangle" Vitry-le-François/Saint-Dizier/Bar-le-Duc. Tous les regards sont tournés vers Maurupt. Depuis trois jours, ce village situé à moins de 20 km de Saint-Dizier est le théâtre de furieux combats pour sa possession. Par deux fois, le 8 septembre 1914, le 72e RI a repris la localité. Le lendemain, le village a été bombardé «avec un acharnement incroyable». Dans la nuit du 9 au 10, c'est l'ultime coup de boutoir de l'ennemi. Ils sont cinq régiments d'infanterie, selon une source française, à se lancer à l'assaut de la position. Les 9e et 18e BCP et le 72e RI vont se battre toute la matinée.

En début d'après-midi, Maurupt reste aux Français, mais nos troupes sont exsangues. Alors un ordre de repli est ordonné, entre 14 h et 15 h. Officiellement, pour «se reformer dans les bois en arrière». Le lieu de rassemblement choisi : la maison du bois d'Amboise, en forêt de Maurupt, à mi-chemin entre ce village et Saint-Eulien. Nous ne sommes qu'à une poignée de kilomètres du sol haut-marnais. Selon le général commandant la 5e brigade, le 72e RI, dont le colonel Montéron va bientôt prendre le commandement, ne compte plus au maximum que 400 hommes et six officiers. C'est dire les pertes «considérables» subies.

Au moment où l'ordre de repli était donné, le général Gérard, commandant le 2e corps d'armée, rédige depuis son PC de Landricourt une instruction personnelle et secrète qui témoigne des craintes de l'état-major, même si le repli est présenté comme une manœuvre projetée sur les flancs droit et gauche de l'ennemi, «et dans le but d'attirer plus au sud l'ennemi». Ce qui passerait par la défense, par la division Rabier, d'une ligne Vouillers – Villiers-en-Lieu. Puis, «si nécessaire», d'une ligne Sapignicourt – Ambrières – La Neuville-au-Pont, c'est-à-dire côté gauche de la route Vitry – Saint-Dizier. Dans sa mission de recherche de liaison, le 19e chasseurs à cheval se porterait sur Hoéricourt.

Cette IPS aura un début d'exécution. Car les ambulances de la 4e DI se portent, pour l'une à Ambrières, tandis que l'autre reçoit l'ordre, à 17 h, d'aller cantonner à Hoëricourt.
Mais il n'y aura pas de repli en Haute-Marne. Restées en forêt de Maurupt, les troupes passeront une soirée et une nuit tranquilles, même si, selon le JMO de la 4e DI, «tous les villages brûlent». En effet, l'ennemi n'a pas été moins affaibli que les soldats français par ces journées de furieux combats. Alors il s'est retiré.
Au matin du 11 septembre 1914, nos troupes repartent de l'avant. Avant midi, le 128e RI et le 9e BCP entrent dans Maurupt. Trois colonnes convergent vers Sermaize-les-Bains qui est également réoccupé. Le lendemain, c'est Revigny-sur-Ornain qui redevient français.
La bataille de la Marne est terminée. Selon le site Mémoire des hommes, 524 soldats français sont morts sur le territoire de Maurupt-le-Montois en septembre 1914. dont 253 du 72e RI.

Cette illustration, tirée de l'ouvrage "En plein feu", représente un autre épisode des combats livrés ce 10 septembre 1914 dans la région : la conquête du bois de Faux-Miroir, près de Contrisson.