samedi 27 octobre 2018

Emile Roger construisit le premier "taxi" parisien



Le fiacre automobile construit par Emile Roger et mis en circulation
en décembre 1896 
à Paris. (Illustration parue dans La Science française).

C'est finalement grâce à la publication La Science française qu'on en apprend le plus sur l'incroyable carrière d'Emile Roger (1850-1897), l'ingénieur-constructeur de Châteauvillain déjà évoqué sur ce site. Ses réalisations étaient particulièrement suivies par Yves Guédon, ingénieur civil, co-auteur du «Manuel pratique du conducteur d'automobiles», publié dès 1897.
Celui qu'Alphonse Allais qualifiait d'«infatigable apôtre des voitures automobiles» précisa ainsi, en 1895, que le Haut-Marnais était alors «le seul constructeur français qui soit allé en Amérique montrer nos voitures françaises, et établir une succursale à New York. Plus de 100 voitures de luxe et de livraison sont en construction à ces ateliers...»
Ayant transformé en 1896 sa société Roger & Cie en Compagnie anglo-française de voitures automobiles, Emile Roger devait également figurer dans l'Histoire parisienne comme le constructeur du premier taxi ayant roulé dans les rues de la cité !

L'événement est survenu le 1er décembre 1896. Alors, le transport des voyageurs dans la capitale était assuré par des fiacres tirés par des chevaux. Jusqu'à ce qu'apparaisse, grâce à Emile Roger, le «fiacre automobile». La Science française rapporta, en décembre 1896 : «Un premier fiacre, actionné par le pétrole, sorti des ateliers de la société Roger et cie, fait depuis quelques jours le service de place dans Paris, son cocher se nomme Biguet, un nom que les Revues de fin d'année vont faire connaître... Le fiacre Roger est du type dit landaulet formant coupé ou landau suivant qu'il est ouvert ou fermé...»
Le journal La Croix avait signalé l'imminence de cette première dès son édition du 1er novembre 1896 : «Ce soir ou demain au plus tard, le premier fiacre automobile sera mis en circulation dans les rues de Paris, et chacun pourra le prendre aussi bien qu'un vulgaire sapin... Le tarif est celui des fiacres ordinaires : un franc cinquante la course, deux francs l'heure avant minuit et demi et deux francs cinquante après». Quelques jours plus tard, une autre publication, Gil Blas, devait écrire de son côté que la sortie a été retardée «pour l'adoption d'un nouveau procédé de marche arrière que la Compagnie anglo-française (ancienne maison E. Roger) désire adopter à ce véhicule».

C'est un ancien cocher de «fiacre à chevaux», Biguet, qui avait eu l'idée de cette innovation. Il s'était associé avec un industriel parisien, Dalisson, pour financer son projet, réalisé par le constructeur castelvillanois et l'Association des ouvriers en voitures.
C'est un peu plus tard que le service de «fiacres automobiles» se généralisera, mais l'oeuvre d'Emile Roger peut bel et bien être considérée comme le premier «taxi» ayant circulé dans Paris.
Dans ces conditions, on peut croire Yves Guédon quand il écrivait, au décès prématuré de l'industriel, que «c'est l'une des figures les plus connues et les plus considérables du monde automobile qui disparaît».

lundi 15 octobre 2018

En 1912, un Haut-Marnais "précurseur de la police de l'air"


C'est une révélation : le titulaire du 279e brevet mondial de pilote est né à Manois (Haute-Marne). Décédé à Nanterre en 1972, Georges Collin avait appris à piloter à l'âge de 20 ans.

Jusqu'à présent, les recherches du club Mémoires 52 avaient permis d'identifier huit Haut-Marnais de naissance ayant obtenu avant la Première Guerre mondiale leur brevet de pilote décerné par l'Aéro-club de France. C'est-à-dire qu'ils firent partie des 1 600 premiers citoyens de la planète à être devenus aviateurs, puisque seul l'ACF délivrait alors des brevets à l'échelle internationale.
Or nous venons de faire l'heureuse découverte de l'existence d'un neuvième pilote. Elle est d'autant plus intéressante que Georges Collin est le deuxième Haut-Marnais à avoir été breveté, entre le capitaine Médéric Burgeat (brevet n°44), de Chevillon, et Louis Lenfant (n°386), de Saint-Dizier.

Selon la revue L'Aérophile, Georges Collin est né le 28 janvier 1890 à Marrois (sic). En fait, c'est bien Manois qu'il fallait lire, comme le confirme l'état civil de la commune, avec cette difficulté que l'enfant a été inscrit sous le nom de Couvreur sur l'acte. Il est en effet le fils de Marie-Eugénie Couvreur, 20 ans, sans profession, fille d'Eugène Couvreur (un tréfileur). Ce n'est qu'en 1894, toujours à Manois, que la jeune femme épouse Georges-Camille Collin, lequel reconnaît l'enfant. Au moment du recensement de 1906, cette famille n'habite plus à Manois, où réside toujours le grand-père maternel. Elle s'est en effet installée à Troyes où le jeune homme exerce la profession d'électricien.

Georges Collin s'engage volontairement, pour trois ans, le 17 mars 1909, en mairie de Troyes, au titre du 5e régiment du génie (le fameux régiment des sapeurs du chemin de fer). Caporal le 26 septembre 1909, il passe dans la réserve de l'armée, muni de son certificat de bonne conduite, le 17 mars 1912.
C'est donc pendant son temps de passage sous les drapeaux que Georges Collin apprend à piloter. Il passe son brevet sur un biplan H. Farman. Il existe alors, en 1910, une «école Farman» dont les élèves volent à Etampes, à Mourmelon, à l'aérodrome de la Beauce... Peut-être le jeune homme était-il du nombre. Le prestigieux brevet n°279 lui est décerné le 8 novembre 1910 par l'Aéro-club de France, le même jour qu'une certaine Marie Marvingt. A 20 ans, il est alors un des plus jeunes pilotes de la planète (ils sont une dizaine à ne pas être majeurs).

Curieusement, on retrouve ensuite peu de traces de l'activité aérienne de Georges Collin - souvent confondu avec Ferdinand Collin (le mécanicien de Louis Blériot qui dirigea l'école de Buc) -, en cette période où tous les journaux ne cessent de s'intéresser aux exploits des pilotes. Il en est un qui fait exception : c'est le quotidien Gil Blas. Dans son édition du 28 juin 1912, un journaliste écrit, non sans humour : «L'aviateur Collin a accompli, il y a deux jours, à Issy-les-Moulineaux, une étonnante performance : il a pris sur son appareil un agent de police tout harnaché, botté, ceinturonné (sic), et il lui a fait accomplir quelques évolutions magistrales. Voilà donc le premier agent de police qui ait essayé d'ordonner la circulation dans l'air. C'est un précurseur. Lorsqu'on organisera – un jour prochain – le service aérien, ce brave policier méritera de recevoir les premières ailes dans le dos.» 

Notons que le Haut-Marnais, qui venait d'être dégagé des obligations militaires, avait effectivement sa résidence, à cette époque, à Issy-les-Moulineaux. La commune, souvent qualifiée de «berceau de l'aviation», abritait déjà un terrain militaire où évoluèrent Blériot, Farman, Santos-Dumont... Il n'est donc pas surprenant que le Champenois y prenne l'air de temps à autre. Mais il déménage rapidement pour s'installer à Sainte-Savine, près de Troyes. C'est là qu'il s'est en effet marié le 9 avril 1912 avec Louise Aubry. Puis il s'en va résider à Troyes.

Deux ans plus tard, la guerre éclate. Georges Collin est mobilisé, et retrouve son 5e régiment du génie le 3 août 1914. Curieusement, il ne servira donc pas dans l'aéronautique militaire durant le conflit, à l'issue duquel il recevra la médaille interalliée et la Médaille commémorative.

Ce pionnier de l'aviation sera membre, dans les années 20, de la fameuse association des Vieilles tiges, puis, dans les années 30, il quitte Troyes pour Paris. Il décède à Nanterre le 9 mai 1972, à l'âge de 82 ans.

Sources principales : L'Aérophile ; état civil de la commune de Manois ; registre militaire 3 R 617 (Archives départementales de l'Aube).

Photo d'illustration : un biplan H. Farman, appareil sur lequel Georges Collin apprit à piloter.

dimanche 14 octobre 2018

Henry de Graffigny, la tête dans les étoiles, le coeur en Haute-Marne



«Quelles sont les causes des changements produits à la surface de la Lune ? Qu'est-ce que cette tache rouge, plus large que la terre, apparue sur Jupiter ? (…) Quels mondes, quelles humanités éclairent les soleils de rubis, d'émeraude et de saphir qui constituent les systèmes d'étoiles doubles ? Que de points à élucider encore ! Que les personnes, donc, qui veulent se rendre compte, sans fatigue, de la constitution générale de l'Univers et comprendre ce que notre terre et ses habitants sont dans l'espace, vous suivent dans votre audacieuse et féconde tentative, ô vous qui avez choisi pour mission de les transporter à travers les magnifiques panoramas des cieux...»

Ces mots sont ceux d'un des plus illustres Haut-Marnais, l'astronome Camille Flammarion. Ils figurent en préface des «Aventures extraordinaires d'un savant russe» (1888), un ouvrage ayant pour co-auteur un de ses compatriotes aujourd'hui bien oublié, en dépit d'une oeuvre pléthorique : Henry de Graffigny. On lui attribue en effet quelque 250 ouvrages (le premier écrit à l'âge de 17 ans), 3 000 articles...

Né Raoul Marquis, le 28 septembre 1863, l'homme qui se qualifiait tantôt d'ingénieur civil, tantôt de chargé de cours à la Faculté des sciences de Paris, voire de «professeur d'automobilisme à l'Association philotechnique» (sic), aura largement contribué, à cheval sur les XIXe et XXe siècles, à expliquer les progrès de la science auprès du grand public. 
S'il a surtout écrit sur l'aérostation et l'aviation (lui-même effectua 45 vols scientifiques en ballon et collabora à la revue L'Aérophile, d'où est issue cette illustration méconnue), sur l'électricité et l'automobile, il a également rédigé des manuels de bricolage et de tapisserie, créé des pièces de théâtre de Guignol, et il est même l'auteur d'un guide «pour se mettre en ménage». Egalement romancier, Henry de Graffigny prophétisa en 1909 l'émergence d'une «téléphonie sans fil» et imagina un «véhicule astral» dans «Voyage de cinq Américains dans les planètes».

Dans cette œuvre abondante, celui qui a choisi le nom de son village natal (Graffigny-Chemin) pour forger son pseudonyme n'oubliera jamais le département qui l'a vu naître, bien qu'il semble l'avoir quitté jeune. Ainsi, invité par le maire de Nogent, cousin de son «illustre maître et ami» Flammarion, Raoul Marquis tenta vainement, en 1882, de s'envoler en ballon, expérience malheureuse évoquée dans ses «Récits d'un aéronaute». Publié entre autres par Albin Michel (encore un Haut-Marnais) ou Hachette, il baptisera encore du nom d'Outremécourt – un village proche de Graffigny – un héros de son «Tour de France en aéroplane». Henry de Graffigny ne manquera pas enfin de louer les réalisations de ses compatriotes, comme Philippe Lebon, de Brachay, le marquis Jouffroy d'Abbans, de Roches-sur-Rognon, le pionnier de la construction automobile Emile Roger, de Châteauvillain...

Chargé, en dernier lieu, de la chronique scientifique du journal l'Ouest-Eclair, Henry de Graffigny est décédé en juillet 1934 à Septeuil (Yvelines). Deux ans plus tard, paraissait «Mort à crédit», œuvre de Louis-Ferdinand Céline qui, pour imaginer son personnage de Roger-Martin Courtial des Pereires, s'inspira du chroniqueur scientifique haut-marnais, qu'il avait bien connu...