vendredi 15 octobre 2021

17 juin 1940. La «résistance désespérée» du 294e RI


Extrait de "10 jours de juin", copyright club Mémoires 52, 2020


Le 1er bataillon du 294e régiment d'infanterie avait été isolé du reste de sa division le 14 juin 1940 après l'explosion du pont sur la Marne à Joinville. Commandant la 2e compagnie, le capitaine Jacques Noirot a alors conduit les hommes du bataillon en direction de la Meuse puis des Vosges. Il va participer, aux côtés des soldats du 53e bataillon de mitrailleurs motorisé, aux combats de la région de Trampot et d'Aillianville longuement détaillés par Didier Desnouvaux dans «10 jours de juin». Voici quelle est la part prise par le bataillon Noirot dans ces opérations.


«Six hommes du bataillon Noirot, dont un officier, ont donc trouvé la mort près de Trampot. Le rapport du capitaine Noirot relate longuement la résistance acharnée opposée par les fantassins. «Il est 8 h 15, l'ennemi précédé de motocyclistes descend des camions qui arrivent sans cesse. Le groupe du sergent Wiart avec l'aspirant Fontaine est à la sortie Nord-Ouest sur la route de Trampot à Germay, le groupe du sergent Chambroux, sur la route de Trampot à Grand, le groupe du sergent Petit est resté à la sortie Nord-Est en groupe de recueil.» Le combat s'engage face à ces Allemands qui débouchent du chemin de Trampot-Brechainville et de la route d'Aillianville - «de la force d'un bataillon», selon le lieutenant d'Herbecourt, qui commande la 3e compagnie -, ces éléments français décrochent en combattant. «Le sergent Wiart est blessé (…), les caporaux Jouineau, Cohen, les soldats Papin (sans doute tué1), Pheffer, Le Guidoux sont blessés en franchissant les obstacles...» Dans son récit, le capitaine Noirot souligne l'efficacité de «notre unique mitrailleuse (qui) interdit la route d'Aillianville, et fait subir à l'ennemi de lourdes pertes, en particulier motocyclistes et mitrailleurs...»

La liste des victimes s'allonge. A la 2e compagnie, sont blessés le sergent-chef Weber, le sergent-chef Poirson, les sergents André Cazenave, Delommel, Lorcin, les soldats Isidore Ben Soussan, Leroux, Barre, Berquez, Broucke, Bongrand, Devos, Dumont, Gaudin, Buffenoir, Goebbels, Vingtans... Noirot ne tarit pas d'éloges sur le comportement au feu de ses hommes, à qui le commandant Regnault a réitéré l'ordre de «tenir jusqu'au bout» : «Beaucoup parmi (ces blessés) restent à leur poste, utilisent leurs paquets de pansements... La 3e compagnie tient avec ses deux sections sous le tir précis du minen. Le caporal Nisse, les soldats Piegeat et Delattre se font tuer à leur poste2». Par bonds, les hommes du 294e RI décrochent. «Je fais installer les deux sections de la 1ère compagnie sur les lisières Nord d'Aillianville (une section de mitrailleuses du 53e tient sous son feu la route de Trampot), à gauche des mitrailleuses, la section franche et la section de l'adjudant Angelot au cimetière et en avant de ce dernier.»

L'ordre de repli vers l'Est est donné, tandis que «les lisières Sud du bois sont bombardées ainsi que les lisières Nord du village d'Aillianville». L'adjudant Gail continue à tirer avec sa mitrailleuse, le lieutenant Henri Vieillard3 tombe, «ses dernières paroles furent pour ses hommes «Ah mes enfants».» Pendant le repli, les Allemands ajoutent à la confusion en sonnant le cessez-le-feu, «une rafale de mitrailleuse répond à chacune de ses sommations». Enfin, poursuit le capitaine Jacques Noirot, «nous arrivons à la lisière Sud des bois et nous retrouvons les éléments de la 2e compagnie accompagnés de ceux de la CA qui, en petites colonnes, dans un ordre impeccable, gravissent les pentes d'Aillianville». La 3e compagnie est particulièrement éprouvée, «les tirs de minen lui font subir de lourdes pertes», le lieutenant d'Herbecourt, qui semble connaître la région4 et rapporte que sa 2e section «est anéantie», «devra se dégager à la grenade, assailli à quelques mètres par deux ennemis qui le mitraillent sans résultat. Il ramène le reste de sa compagnie à travers bois...» A 12 h, Noirot, qui déplore notamment la mort d'un officier, le sous-lieutenant Gandon, retrouve le capitaine Pelisson, du bataillon de mitrailleurs, au sud d'Aillianville, puis tous se replient sur Bazoilles-sur-Meuse où le commandant Regnault, reconnaissant envers la résistance des fantassins, «me sert la main très émotionné (sic)». Un an plus tard, à l'Oflag 12 B de Mayence, le commandant Regnault ira témoigner, auprès du lieutenant-colonel Bussienne, de l'héroïsme des «200 à 250 hommes» du détachement Noirot, qui a fait une «résistance désespérée de 10 h à 14 h»5...


Gandon (Gaston-Germain), sous-lieutenant (L'Isle-Adam, Yvelines, 1er juin 1907 – Trampot 17 juin 1940). Sous-officier au centre de mobilisation n°81, nommé sous-lieutenant de réserve (1938). Officier dans la 3e compagnie du I/294e RI. «Officier remarquable par son calme et son mépris du danger. Le 17 juin 1940, à Trampont (sic), a infligé de lourdes pertes à l'ennemi. A été mortellement blessé au cours de l'action. A été cité.» (citation accompagnant sa nomination dans l'ordre de la Légion d'honneur à titre posthume, parue au Journal officiel du 30 juillet 1942).»

1 Il n'est pas recensé par le ministère des Armées.

2 Ils ne sont pas recensés par le ministère des Armées.

3 Contrairement à ce qu'écrit alors le capitaine Noirot, qui songe à proposer cet officier pour la Légion d'honneur à titre posthume, le lieutenant Vieillard, officier de réserve servant dans la CAB 1, n'a pas été tué. Laissé pour mort sur le terrain, il sera ramassé par les Allemands.

4 Pierre d'Herbécourt (1904-1978) est né à Paris. Sa carrière d'archiviste l'a mené dans le Bas-Rhin, dans la Meuse (avant la mobilisation), dans l'Aube, puis dans le Maine-et-Loire. Enseignant à l'Université catholique d'Angers, c'était un éminent historien. Par ailleurs, selon le capitaine Noirot, le sous-lieutenant Dumont serait originaire de Liffol-le-Grand.

5 Décédé, chef de bataillon, industriel, en 1969, Jacques-Louis Noirot sera cité à l'ordre du corps d'armée : «Ayant pris à l'improviste le commandement de son bataillon, a réussi, grâce aux dispositions prises et malgré des moyens réduits, à arrêter pendant plusieurs heures un ennemi particulièrement mordant et très supérieur en nombre, lui occasionnant des pertes sévères. N'a rompu le contact que sur ordre et bien que déjà largement débordé, a effectué son repli avec le plus grand ordre».

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