mercredi 3 juin 2020

L'opération Robey : un récit de Roger Haycock


Des SAS aux côtés de maquisards à Auberive. Ils appartiennent plutôt aux opérations Hardy et Wallace, puisque Robey n'était pas dotée de jeeps. (Collection Jean Maire).



Un citoyen britannique résidant en Haute-Marne, Roger Haycock, s'est intéressé aux opérations du Special Air Service dans le sud du département. Il évoque ici une mission méconnue dans ses grandes lignes : l'opération Robey, distincte de Hardy et Wallace, et placée sous les ordres du lieutenant Michele Pinci.




L'escadron de jeeps du capitaine Hibbert, composé de neuf jeeps et de 29 hommes, quitta la base 5, au sud de Vivey, le 6 septembre 1944, pour opérer dans la zone au nord de Bourbonne-les-Bains ; les lieutenants Pinci, Walker-Brown, Taylor et Kerr, ainsi que 19 autres gradés ont été laissés, dans la région du Plateau de Langres, sous le commandement du lieutenant Pinci. Leur mission était de mener des attaques et des embuscades le long des routes Châtillon - Chaumont, Chaumont - Langres et Langres - Dijon. Pinci a déplacé ses hommes à Auberive, principalement pour être proche de l'équipe Jedburgh Bunny qui avait un émetteur-récepteur radio et qui, à ce moment-là, restait dans le village. Les Allemands étaient partis et le drapeau tricolore français flottait sur le clocher de l'église ainsi que sur la mairie. Le capitaine “Max” (Note : chef du maquis d'Auberive) et le colonel “Michel” y avaient installé leurs postes de commandement dans l'abbaye. Des barrages routiers avaient été érigés tout autour du village et des maquisards faisaient office de sentinelles et patrouillaient dans le périmètre.



Le lieutenant Pinci a effectué une longue reconnaissance à Troyes et à Paris pour trouver un moyen de transport, mais il voulait également obtenir les services d'un détachement de voitures blindées. Il rencontra le capitaine Fleetwood-Hesketh, officier de liaison, qui a sauté en parachute avec le personnel de Hardy, mais qui opérait principalement en Côte-d'Or. Hesketh a amené Pinci à Paris pour qu'ils rencontrent, au QG du SHAEF, le général Joinville. Ce dernier lui avait expliqué qu'un détachement de la 2e division blindée du général Leclerc était en route pour la région. Les deux hommes sont donc retournés par Chatillon-sur-Seine, ville qui avait été libérée le 9 septembre.



Michele Pinci est né le 13 juin 1923, à Pangbourne, Berkshire, fils unique du comte Mario Pinci et de Gwendoline Kennedy... Pinci a été nommé sous-lieutenant de l'Artillerie royale le 26 juin 1943. Après son transfert au 2nd Special Air Service, il a été envoyé en Côte-d'Or, en août 1944. La terrain de parachutage, connu sous le nom de Hardy 9, était dans une clairière, près de la base 3, bien caché dans la forêt près de Gurgy-la-Ville, lors de la nuit du 23 au 24 août 1944. Bien qu'il soit né et ait fait ses études en Angleterre, il avait également vécu à Paris où sa famille avait une maison. Il parlait couramment le français. Cette compétence, il a pu l'utiliser à bon escient pendant son séjour en France, car il a pu assurer la liaison avec le maquis. Il pourrait bien avoir assisté à des réunions auxquelles assistaient le major Farran et le capitaine Hibbert du SAS, et les colonels «Claude» et «Michel» et le capitaine «Max». Ses compétences linguistiques ont peut-être été également la raison pour laquelle il a été laissé à ce poste parce qu'il devait travailler avec le maquis. Vivant en France et presque bilingue, ses perspectives pouvaient être inhabituelles et rafraîchissantes. Mais gardant son caractère, en particulier son sens de l'humour très réactif, il restait aussi anglais que tout anglais pouvait l'être. L'une de ses nécrologies parle d'un "fils" fidèle aux deux pays dans lesquels il vivait.



Pendant que Pinci était à Paris, le lieutenant Robert Walker-Brown a pris des responsabilités et a réussi à obtenir trois véhicules qui appartenaient au maquis. C'étaient trois camions délabrés. Ils ont tendu une embuscade avec ces véhicules au sud de Châteauvillain, sur la route entre Chaumont et Chatillon désormais désignée D 65, au croisement Latrecey-Coupray. Quatre grands véhicules de transport de troupes bondés de troupes, et précédés d'une moto avec un officier sur le siège passager, sont tombés dans leur piège. Ils ont estimé les pertes ennemies à 80, y compris le motocycliste et l'officier. Le SAS n'a connu aucune perte mais le capitaine Géminel, un officier français qui faisait partie de l'équipe Jedburgh Bunny, a reçu une balle dans la jambe. Cela s'est produit lorsque deux des véhicules utilisés pour les embuscades n'ont pas réussi à démarrer. Ils étaient maintenant sous le feu et tentaient de faire démarrer les véhicules en les poussant, lorsque Maurice Géminel a été blessé à la jambe et au genou. Estimant que Géminel était mort, le groupe à l'origine de l'embuscade s'est retiré et l'a laissé sur place. Le père Marotel, prêtre de Latrecey-Coupray, secouriste de la Croix-Rouge, a trouvé le capitaine Géminel, blessé, près d'un buisson. Il l'a emmené à Coupray où madame Fournier lui a donné une boisson revigorante composée de café et d'eau de vie. Madame Souichon a fourni une couverture et une bouillotte.



Le capitaine «Max» n'était pas content d'apprendre que Géminel avait été abandonné et a envoyé un groupe de maquisards pour le retrouver et le ramener mort ou vivant. Ils l'ont trouvé à Coupray où le père Marotel avait administré les premiers soins. Pendant la nuit, il a été ramené à Auberive. Peu après, le médecin-capitaine Henri Le Brigand, chirurgien parisien, qui était en charge du groupe mobile chirurgical 3, l'a opéré avec succès à Auberive. Ce service de santé parisien était composé du lieutenant Marc Dalloz et des infirmières Eliane Simonard et Jean Lafontaine. Le maquis a poursuivi ses opérations dans la région de Latrecey - Coupray pendant les deux prochains jours (9/10 septembre) non seulement pour restituer la couverture et la bouillotte prêtées à Géminel, mais aussi pour suivre les mouvements allemands. Les Allemands évacuaient Châtillon et lors d'une escarmouche avec la très grande force allemande, trois maquisards furent tués.» Sur la blessure du capitaine Géminel, lire la brochure que le club Mémoires 52 a consacré à cet officier et à la mission Bunny.



«Pendant ce temps, l'opération Robey avait servi également à effectuer des reconnaissances sans résultat. On ne nous dit pas où les hommes sont allés, mais il semble que le maquis avait repris les opérations dans la zone de Coupray, et les SAS étaient allés ailleurs. Le lieutenant Marsh, qui participait à l'opération Rupert, était arrivé et avait rejoint le parti le 10 septembre. Rupert était une opération du 2nd SAS effectuée dans la région de Saint-Dizier au nord de la région de Hardy. L'idée du SHAEF avait été d'engager trois opérations SAS en même temps en Bourgogne et en Champagne. Elles étaient en place le long de routes susceptibles d'être empruntées par les forces ennemies se retirant en Allemagne. Houndsworth était une opération du 1st SAS au sud et Hardy devait permettre la jonction entre ces deux régions. L'opération Rupert fut rattrapée et dépassée par la 3e armée américaine... Certains hommes de l'opération Rupert étaient entrés en contact avec les Américains le 31 août. Le lieutenant Marsh, qui se trouvait dans la région au sud-est de Saint-Dizier, effectuant des opérations de sabotage contre les lignes de chemin de fer, avait également croisé les Américains. La raison pour laquelle il est allé rejoindre l'opération Robey, qui a facilité son déplacement, n'est pas claire, mais sa présence était évidemment souhaitable dans la région de Langres, car la ville fortement fortifiée était sur le point d'être libérée.» (Sur l'opération Rupert, lire également l'article qui lui est consacré sur ce blog).



«Le matin du 11 septembre, Pinci est revenu à Auberive. Il conduisait une Lancia qu'il avait récupérée à son domicile familial à Paris. L'après-midi, alors qu'il patrouillait dans la voiture près de Recey-sur-Ource, il a été la cible d'un avion allié et mitraillé. La voiture, qui n'était pas matérialisée avec des sigles alliés et qui a été confondue avec une allemande, a été détruite, et Pinci a été tué. Il a été enterré à Auberive, mais plus tard ses restes ont été exhumés et enterrés au Clichy Northern Cemetery (cimetière nord de Clichy-la-Garenne), à Paris. Le lendemain de la mort de Pinci, l'opération Robey a été privée de ses trois véhicules civils par le maquis d'Auberive. Les SAS soutiennent que, bien que le colonel Claude, qui commandait les maquis en Haute-Marne (Note : il était le chef des FFI de la Région D) ait ordonné de les renvoyer, le capitaine Max (chef d'Auberive) a refusé d'obéir à cet ordre. Qu'avec le retrait des Allemands, le capitaine Max était devenu politisé et des tirs ont été signalés entre celui-ci et d'autres groupes de maquisards plus «orthodoxes».



Cela ne correspond pas aux compte-rendus français. Tout d'abord, Max relevait du colonel Michel et non du colonel Claude. Cela a peut-être entraîné une confusion car le quartier général de Claude n'était pas loin, à Aignay-le-Duc. Il avait participé à la bataille de Châtillon deux semaines plus tôt. En effet, le secteur de commandement de Claude incluait la Haute-Marne. Mais le jour en question, le maquis d'Auberive était parti pour rejoindre la 1èe division blindée, à Prauthoy et Longeau, où il y avait un conseil de guerre avec le général du Vigier, le général Sudre, le lieutenant-colonel Durosoy commandant le 2e cuirassiers, le lieutenant-colonel Lecoq, commandant le 2e Spahis, le colonel de Grouchy («Michel»), représentant les FFI, et le commandant d'Astier. De leur côté, les commandos français travaillaient sur un plan d'attaque de la ville de Langres. Il y avait plusieurs objectifs, mais une compagnie commandée par le capitaine Max devait marcher sur Saints-Geosmes, suggérant fermement, à ce moment-là, qu'il exécutait des ordres. Le 13 septembre, le rapport de l'opération Robey mentionne que le lieutenant Walker-Brown a organisé une attaque contre le village de Saints-Geosmes, qui était une garnison allemande. Le capitaine Max et son maquis avait marché sur le village au petit matin du 13 septembre. Il avait pris contact avec le 2e Spahis pour organiser l'attaque qui avait pris neuf heures. Il faut rappeler que Max commandait 580 hommes et que 23 commandos ne pouvaient pas contribuer à ce stade, bien qu'ils aient participé à l'assaut de Saints-Geosmes et se soient rattachés à la colonne française dans l'espoir de récupérer du transport de troupe pour se déplacer vers l'est à travers les lignes ennemies. Ils avaient fait quatre prisonniers allemands mais le seul moyen de transport qu'ils avaient trouvé était tiré par des chevaux.



Le 15 septembre, l'opération Robey prenait fin et les hommes reçurent l'ordre de regagner le Royaume-Uni. Dans le même temps, les opérations Wallace et Hardy ont également pris fin. Un très grand nombre de forces allemandes se déplaçaient vers l'est, il était donc impossible d'effectuer des patrouilles avec les SAS.»

mardi 2 juin 2020

Il y a 80 ans : crime de guerre à Graffigny-Chemin






Le 18 juin 1940, pendant les combats livrés sur la Meuse par la 1ère division d'infanterie coloniale, des éléments du 3e bataillon du 14e régiment de tirailleurs sénégalais parviennent à chasser les Allemands qui avaient occupé Graffigny-Chemin, axe de repli pour le 1er bataillon qui, violemment attaqué, doit évacuer Bourmont (mais l'ordre ne lui parviendra pas). Dans son livre «Les combattants du 18 juin», l'historien Roger Bruge évoque ce combat de Graffigny-Chemin, et la mort de onze tirailleurs.

Sauf que dans son compte-rendu, le lieutenant Ambroise Coat, commandant la 10e compagnie, ne signale que trois blessés dans ses rangs. Qui étaient donc les morts de Graffigny-Chemin, à qui un monument rend hommage ? C'est ce qui a motivé notre enquête, aux Archives départementales de la Haute-Marne, à Chamarandes-Choignes, et au Service historique de la Défense, à Vincennes. Là, nous avons pris connaissance de deux listes.

La première, c'est celle des tirailleurs inhumés dans le village (ils sont dix ou onze, dont à l'origine deux inconnus, portés décédés à la date du 21 juin 1940, qui est sans doute celle de leur inhumation). La seconde, celle des combattants de Bourmont (donc du 1er bataillon) toujours portés disparus en août 1940. Ces deux documents présentent l'intérêt de mentionner les numéros de matricule de la plupart des tirailleurs concernés. Ce qui permet de découvrir que les nommés Yemnoaga Sana, Moryemba Kabore, Tiekoura Ba, Comndaga Zoungrana et Fibila Guiguina, tous portés disparus à Bourmont, figurent bien parmi les victimes de Graffigny. C'est le cas également du sergent-chef Foromo Kamara. Il s'avère donc qu'au moins six des hommes inhumés à Graffigny-Chemin sont des soldats portés disparus après la chute de Bourmont, et qui ont été très vraisemblablement exécutés.

Ceci confirme une information du colonel Jean Montangerand, chef de corps du 14e RTS, qui, dans son rapport, écrira avoir appris que 28 de ses hommes «auraient été passés par les armes le 20 juin 1940 à Graffigny, ce qui ne doit pas surprendre de la part des Allemands...» Le chef de bataillon Marcel Voillemin (I/14e RTS) parlera, de son côté, d'une trentaine de tirailleurs exécutés.

D'autres soldats africains ont été abattus après leur capture, à Nijon (trois selon le maire, Jules Roy), à Breuvannes-en-Bassigny (trois), à Doncourt-sur-Meuse... Mais la vengeance allemande ne s'est pas exercée que sur des Africains. Des soldats européens ont été abattus près de Chaumont, et des spahis nord-africains ou européens à Germisay.
Au total, les corps d'au moins 20 tirailleurs, soit morts au combat, soit abattus, ont été retrouvés dans les villages du secteur de Bourmont. Dans ce bourg, selon le journal de marche du 1er bataillon, les pertes ont été de 40 tués (dont 25 tirailleurs), 78 blessés et 60 disparus, les 18 et 19 juin 1940. Plus de précisions sur ces combats dans l'ouvrage que le club Mémoires 52 a fait paraître en février 2020, «10 jours de juin – les combats de 1940, l'exode en Haute-Marne».

Annexe :

Les tirailleurs inhumés à Graffigny-Chemin, selon deux documents de la mairie (les noms, très approximatifs, correspondent bien souvent à leur région d'origine) : Folou, de la Guinée, matricule 28784 ; Voreyemba Labori, de la Côte-d'Ivoire, matricule 28 504 (Moryemba Kabore, selon la liste du I/14e RTS) ; Tiecoura, du Sénégal (caporal Tiekoura Ba, idem) ; Ouagadougou, de la Côte-d'Ivoire, matricule 13 054 (Yemnoaga Sana, idem) ; Baouli Boniky (ou Bonifi), matricule 32 017 ; Comnoaga Zoungraa, de la Côte-d'Ivoire, matricule 12 989 (Comndaga Zoungrana, idem) ; Ouagadougou, de la Côte-d'Ivoire, matricule 13 147 ; Konesseretou Macenta (ou Komisseretou), de la Guinée ; deux inconnus, identifiés ultérieurement comme se nommant Kadegitien (matricule 74 971 ou 44 497) et Furcariath, de la Guinée (matricule 54 171) ; ainsi, que selon une autre liste, Tenkodogo, matricule 79 515 ou 73 975.

Sources : journal de marche et d'opérations et rapports d'officiers du 14e RTS (SHD, dossier GR 34 N 1 093) ; liste des tombes existant sur le territoire haut-marnais en septembre 1940 (ADHM, 15 W 74) ; base «Mémoire des hommes», ministère de la Défense ; «Les combattants du 18 juin», tome 1, Roger Bruge, Fayard, 1982.
Copyright Club Mémoires 52.