mardi 10 décembre 2019

Le rapport de mission du réseau Glover (1944)




Le lieutenant Louis G.-V. Hyde (collection André Grossetête).


Le rapport du réseau (circuit) Glover, du Special Operations Executive, a été communiqué à Jean-Marie Chirol en 2002. Le voici dans son intégralité. Nous l'avons assorti de précisions et de corrections. Ce document est un utile complément au rapport rédigé par le seul rescapé de l'équipe initiale, le lieutenant Hyde.



Réseau Glover. Organisation du lieutenant René Jean Guiraud («André»).

«Nuit 1er-2 juin 1944. Le lieutenant R. J. Guiraud («André»), un officier américain d'origine française, fut parachuté avec un opérateur radio, le lieutenant Louis Gérard Varet Hyde («Frédéric»), près de Chaumont, après deux faux départs. Le comité de réception consistait en Hubert Aubry et deux autres hommes, dont un était Suisse. Le reste de l'équipe ne jugea pas nécessaire de venir parce qu'ils ne s'attendaient plus à recevoir un parachutage. Ils ramassèrent huit containers et sept paquets. Seuls deux émetteurs W/T au lieu des quatre promis furent trouvés, et sur les deux un était hors de service. Toutes les batteries étaient détruites. Avec l'aide d'un capitaine de l'armée française retraité, M. Desnouveaux, de Leffonds-le-Haut, un maquis de quinze hommes fut organisé. Ils campèrent dans une cabane près de la route Bugnières-Leffonds et après dix jours, ils gagnèrent le bois de Fays.» René Jean Guiraud était originaire de Chicago (Illinois). Né aux Etats-Unis, Louis Gérard-Varet Hyde était le fils d'un Américain et d'une Française. Coïncidence : son grand-père a été enseignant à Chaumont, où est né un de ses oncles. Autre coïncidence : «Glover» signifie gantier en anglais. Or Chaumont était une des capitales internationales de la ganterie. Le rôle du capitaine Desnouveaux n'a pas été mis en lumière dans l'ouvrage d'André et Josette Grossetête consacré au maquis de Voisines. Quant au Suisse de l'équipe de réception, il s'agit de Japhet Lanz (tué un mois plus tard).

« 15 juin. Hubert Aubry et une partie du maquis eurent un engagement avec sept Allemands entrés dans la forêt et en tuèrent cinq pour la perte d'un maquisard. Le groupe Aubry fusionna avec le maquis d'Ormancey composé d'étudiants de Dijon.» Le maquisard tué au combat se nommait Claude Penègre. Un autre, Raymond Gourlin, a été capturé (il sera déporté à Neuengamme).

«28 juin. Le lieutenant R. J. Guiraud fut arrêté. Les Allemands avaient interdit l'utilisation de voitures et motos. Le même jour, Guiraud, Gaston Simonet et un autre homme connu sous le nom de «Maurice» achetèrent et essayèrent trois motocyclettes à Chalindrey. Ils furent arrêtés devant la feldgendarmerie, rue Diderot à Langres. Guiraud avait une importante somme d'argent sur lui, et «Maurice», en plus de porter un revolver, avait sur lui des cartes et plans de la citadelle et du réseau électrique de la Haute-Marne. Ils furent emmenés à la Gestapo et sévèrement battus. Guiraud nia tout. Simonet prétendit qu'il était sur une moto par hasard. Il simula plus tard une crise d'appendicite, fut opéré et s'évada, avant que sa blessure ne soit guérie, avec l'aide d'une corde de parachute, par la fenêtre du troisième étage de l'hôpital. Mais «Maurice» parla et révéla la nationalité et la mission de Guiraud. Immédiatement après avoir appris cette arrestation, le lieutenant Louis Hyde partit et s'installa avec deux compagnons à la ferme de la Dhuys, au sud-est d'Auberive, appartenant à Maurice Robin. Deux heures après son départ, la Gestapo guidée par «Maurice» chercha la maison qu'il venait de quitter. Les Allemands, cependant, ne trouvèrent pas l'émetteur W/T laissé derrière. Il le récupérera plus tard». Guiraud sera déporté à Dachau où, seul citoyen américain interné dans ce camp, il fut libéré par ses compatriotes. Simonet, originaire de Langres, rejoindra le corps-franc du maquis Henry (Bussières-lès-Belmont). Ce compte-rendu de mission charge «Maurice», ou «Maurice le Troyen», alias Michel P., de Troyes. Celui-ci sera également déporté. Après enquête, Josette et André Grossetête considèrent également «Maurice» comme le dénonciateur du maquis de Voisines.



«Les opérations aériennes suivantes ont été organisées par Hyde, avec l'aide d'Aubry, et plus tard ses successeurs.

Juin 1944 : une opération, huit containers, six paquets.

Juillet : deux opérations, 48 containers, un paquet.

Août : huit opérations, 349 containers, 41 paquets.

Septembre : 17 opérations, 699 containers, 156 paquets».



«30 juin. Après que «Maurice» eut parlé, 800 Russo-Allemands attaquèrent le maquis d'Aubry dans les bois entre Voisines et Vauxbons (au sud d'Ormancey). Les 19 maquisards résistèrent de 10 h à 15 h. Aubry fut tué, deux hommes s'échappèrent et les autres furent tués dans la cour de la mairie de Vauxbons». En réalité, les quinze morts du maquis de Voisines furent tués ou fusillés en forêt.



«Juillet. Après que le lieutenant Hyde eut reçu son premier parachutage d'armes, «Max» Carteron, sous les ordres du colonel Emmanuel de Grouchy, créa un maquis à la ferme de La Salle (est d'Auberive). La force du maquis monta jusqu'à 350 hommes, et il occupa Auberive. Les Allemands ne l'attaquèrent jamais. Le colonel installa son PC à Auberive.

9 août. Un train convoyant des troupes SS allemandes dérailla près de la ferme de Souci (nord de Prauthoy). Les Allemands descendirent du train et tuèrent 18 personnes dans la région, qui n'avaient rien à voir avec le déraillement. La ferme fut incendiée.» Il s'agit de la ferme de Suxy (et non Souci).
 

«Dans la partie Est de l'arrondissement de Langres, près de Bussières, Henri Hutinet créa un maquis comptant environ 400 hommes. Ils reçurent des armes sur le terrain Arthur. «Petit Charles» (nom réel non enregistré) était le responsable de la région de Montigny et il reçut de Hyde beaucoup de matériels avec lesquels il arma quelques centaines d'hommes. André Guignard avait un maquis près de Nogent. Il fut tué par les Allemands à la fin du mois d'août. Le capitaine Schreiber prit le commandement du secteur de Juzennecourt et également du terrain qui avait été choisi par «Monceau» qui avait été arrêté après le lieutenant R. J. Guiraud.» «Petit Charles» correspond à René Henry, créateur du maquis «Charles» (Varennes). «Monceau» est le pseudonyme de Claude Quilliard, de Villars-en-Azois, mort en déportation.


«Courant août, le maquis opérant autour de Semur-en-Auxois (Côte-d'Or) fut attaqué par les Allemands pour une partie et la milice française pour l'autre. Les maquisards se retirèrent habilement en laissant les Allemands combattre la milice. Cependant, le chef du maquis, «Camp», fut tué, et ils perdirent beaucoup de matériels. Le lieutenant Hyde organisa deux terrains de parachutage qui reçurent chacun deux parachutages, après quoi le maquis se reforma et occupa Semur le 9 septembre.

1er septembre. Deuxième mission : le lieutenant Dominique Armand Mendelsohn («Benjamin») a été parachuté à 11 km au sud-est d'Auberive. Il a été dirigé sur la Haute-Marne comme organisateur et il fut responsable de 17 réceptions successives de parachutages d'armes et de matériels. Il instruisit dans l'usage d'explosifs le maquis de Romprey d'environ 100 hommes. Ils opérèrent par la suite des barrages sur les routes jusqu'à Chaumont. Les voies ferrées étaient déjà presque hors service.

9 septembre. Par un parachutage sur le terrain Cherbourg, à 13 km au sud-est d'Auberive, arrivèrent le lieutenant Alphonse Sybille («Squeaker») et «Fantin» (nom réel non trouvé) avec instructions de rejoindre le lieutenant Woerther dans la région de Nancy-Metz (voir le réseau Woodcutter).» Sybille était Français. «Fantin» correspond en fait à Léon Feldman.

«11 septembre. Le lieutenant Curtenius Gillette («Giuseppe»), Américain, le lieutenant D. J. Kitch («Carel»), Américain, et le lieutenant Jacques-François Boissière («Bocace») ont été parachutés pour aider les maquis de Mendelsohn dans la guérilla. Le lieutenant Mendelsohn s'employa particulièrement à protéger les ponts de Langres sur la Marne. Les Allemands en retraitant les avaient minés. Des mesures ont été prises par la Résistance pour les sauver. Pour deux ponts importants, on ne put pas les sauver mais les autres, que les Allemands ont tenté d'endommager pendant leur retraite, ont été bien protégés par le maquis.» Boissière était un ancien élève de l'école des Cadets de la France libre.


«12 septembre. Le lieutenant Mendelsohn et le lieutenant Hyde rencontrèrent l'avant-garde du général de Lattre de Tassigny sous le commandement du colonel Le Cocq, à qui ils donnèrent des informations précises sur la localisation de l'artillerie allemande et sur la défense de Langres, ainsi que d'autres renseignements utiles.» Lecoq commandait le 2e régiment de spahis algériens de reconnaissance, qui établit son PC à Longeau.

«13 septembre. Les maquisards agirent comme tireurs d'élite (sic) pendant le combat entre les chars alliés et les fortifications de la citadelle de Langres. Pendant l'attaque à midi, le lieutenant Gillette a été blessé.

2 novembre. Le lieutenant Mendelsohn retourna en Angleterre et fut décoré de la Military Cross.

Le lieutenant Hyde retourna en Angleterre et fut décoré de la MBE» (Most excellent border of the Britisch Empire).


Liste des terrains de parachutage utilisés par le réseau Glover (en Haute-Marne).

«Alger», 4 km SO de Nogent, trois opérations, message BBC : «Le cassis coulera sous la cloche».

«Arthur», 16,5 km NO-O de Dampierre, trois opérations, message «La ficelle sera démêlée». (Frettes).

«Berlin», 7,5 km SE d'Auberive, première opération de Hyde, probablement en juillet, message «Roger embrasse bien Gilberte». (ferme de La Salle).

«Charlotte», 6 km Nord de Clefmont, deux opérations, message «Le grand chimpanzé est le frère de la biquette».

«Cherbourg», 13 km SE Auberive, deux opérations, message «Quatre cailles couvent au coin d'un pont». (ferme de la Dhuys, Courcelles-Val-d'Esnoms).

«Félix», 11 km SE d'Auberive, trois opérations (la deuxième correspond au parachutage du lieutenant Mendelsohn), messages «La moutarde et le pain d'épices seront distribués ce soir», «N'importe qui le ferait». (Villiers-lès-Aprey).

«Lionel», 9 km N de Bourbonne, une opération, message «La bicyclette est réparée ». (Aigremont).

«Nicole», 1,5 km N de Juzennecourt, une opération, message «Charles aime bien les blondes».

«Riverside», 3 km NO de Varennes, trois opérations, message «Souviens-toi bien du vase de Soissons ». (Lavernoy).