mardi 1 décembre 2020

Le combat de Maranville, 15 juin 1940

12 juin 1940. Une partie du dépôt de cavalerie n°26, initialement commandé par le colonel Perrey, mais confié au chef d'escadrons Duvot1, s'embarque en train à Avize, dans la Marne. Il a reçu l'ordre de quitter le quartier Margueritte d'Epernay pour Dinan, partie sur les routes, partie sur les rails. De l'aveu du commandant du «train de repliement», le capitaine Germain Raguin2, «le train marche à une lenteur désespérée (sic)». Le 13 dans l'après-midi, il est à Romilly-sur-Seine, «où nous fûmes obligés de prendre environ 2 000 réfugiés» ; le lendemain matin, il fait halte à Troyes où les passagers sont débarqués ; dans l'après-midi, après avoir été mitraillé3 par un avion allemand et un appareil «italien» (sic), il arrive à Bar-sur-Aube. Direction Chaumont...

Raguin a avec lui huit officiers, 39 sous-officiers, 192 gradés et cavaliers, 65 chevaux. Il rapporte : «Le 15 juin au matin nous sommes à Maranville. Un motocycliste arrêté au passage à niveau donne des nouvelles alarmantes. Le chef de gare n'est plus en relations téléphoniques avec Bricon ni avec Clervaux4. Il envoie à 7 h son facteur avec une motocyclette en reconnaissance sur Bricon. Un train de munitions brûle encore sur la voie à environ 4 km de Maranville. Il paraît que la voie de Bricon est coupée en plusieurs endroits, qu'un certain nombre de trains devant nous ne peuvent plus avancer, les uns par manque d'eau, les autres par manque d'eau et de charbon...» Envoyé en mission sur Bricon, le lieutenant Grandjean, du 1er escadron, informe le capitaine Raguin que «le chef de gare de Bricon m'a dit s'attendre d'un moment à l'autre à recevoir l'ordre de partir et que dans ces conditions tout trafic serait arrêté. Les trains se suivent à 100 (sic) de distance depuis Châteauvillain et n'avancent plus pour les raisons indiquées plus haut – voie coupée, manque d'alimentation pour les machines.»

Alors le capitaine Raguin, «dans ces conditions, (prit) immédiatement la décision de faire débarquer chevaux et voitures afin de sauver les archives et pièces comptables et de partir par la route. Les ordres donnés furent exécutés immédiatement. Le débarquement fut commencé en pleine voie par des moyens de fortune». Le commandant du «train de repliement» rend notamment hommage à l'adjudant-chef Couchard et au maréchal des logis Rouyer «qui firent débarquer les voitures en un minimum de temps. Une partie des chevaux étaient descendus lorsque nous fûmes attaqués par l'avant-garde d'une division motorisée ennemie». Combien d'engins blindés ? Ni le capitaine Raguin, ni le capitaine Georges Mathon (un Vosgien, trésorier du dépôt) ne le précisent.

«Un fusil-mitrailleur placé en surveillance à l'arrière du train fut immédiatement réduit au silence, les trois hommes étant tués», note le capitaine Raguin. Il s'agit notamment de Paul-Justin Richit et d'Eugène-Léon Degremont. «Je pris immédiatement le commandement d'une des deux mitrailleuses placées également en surveillance, et le combat s'engage». Officier des effectifs, qui aura bientôt la manche de tunique traversée par une balle, «le capitaine Lamy, désigné pour prendre le commandement de 20 hommes en cas d'attaque de parachutistes, ne put réunir ces hommes dans le désarroi de la surprise, ces hommes étant employés au déchargement et au transport des archives, caisses très lourdes qu'il fallait porter le long de la voie pour aller aux voitures. Le sous-officier mitrailleur blessé légèrement et déjà mutilé d'un bras au front, lâchant sa mitrailleuse, fut remplacé par le cavalier du service auxiliaire Scholtes qui me disait «je n'ai pas peur moi, je vais remplacer le sous-officier», peu de temps après le cavalier était tué d'une balle au front. Les munitions étant épuisées, et cernés par l'ennemi, nous fûmes faits prisonniers».

C'est la fin du combat. Le détachement du DC n°26 déplore neuf tués, neuf blessés (dont un mortellement), 66 disparus. Informé seulement le 15 juillet 1940 du destin du train, le commandant Duvot parlera, dans un premier rapport, de 21 tués (dont le lieutenant Grandjean) et 37 blessés.

Certaines des victimes sont tombées sur le territoire de Rennepont, ainsi que l'écrit Jean-Marie Chirol : «Une patrouille de volontaires est constituée pour reconnaître le secteur et assurer une protection pendant la destruction des documents. La patrouille comprend : René Michel, armé d'un FM avec deux chargeurs, Henri Morel et André Deschamps, armés chacun d'un mousqueton et de quelques grenades. Ils se posent à un carrefour, voient arriver devant eux une colonne de réfugiés. A une centaine de mètres du poste, débouchent de la colonne deux engins blindés allemands. Les trois soldats engagent le tir mais la riposte est instantanée. Les patrouilleurs sont touchés par les projectiles ennemis au lieu-dit Jurville, à 11 h 30 : André Deschamps, du 9e dragons, né le 25 août 1906 à Alfortville, domicilié à Charenton, est tué ; Henri Morel, du 9e dragons, né le 4 août 1915 à Plaisir (Seine-et-Oise), jardinier à Combles-en-Barrois (Meuse), est tué ; René Michel, du 9e dragons, de Montmirail, est atteint par cinq balles. Il est transporté dans une maison de Rennepont, opéré par un médecin de la colonne de réfugiés, dirigé ensuite sur l'hôpital de Châteauvillain et enfin à la caserne Damrémont, à Chaumont, le 18 juin. En octobre, il est envoyé dans sa famille en convalescence.»


Les tués de ce combat :

- adjudant-chef Emile-Lucien Collignon (dépôt de cavalerie n°26), tué à Maranville ; selon le ministère des Armées, il appartenait au 3e GRDI et était âgé de 34 ans.

- maréchal des logis-chef Georges Metzger dit May (dépôt de cavalerie n°26) : «Grièvement blessé le 15 juin, pendant l'attaque de son convoi au cours de débarquement à Maranville, est mort des suites de ses blessures. A été cité». Metzger est décédé à Colombey-les-Deux-Eglises.

- cavalier de 1ère classe Paul-Justin Richit (dépôt de cavalerie n°26), classe 1923, recrutement de Metz : «Placé avec son FM pour protéger le débarquement d'un convoi à Maranville, le 15 juin 1940, n'a pas hésité à ouvrir le feu sur des éléments blindés ennemis. A été tué glorieusement à son poste au cours de l'action. A été cité».

- André-Louis-Charles Morel (dépôt de cavalerie n°26), cité en 1942.

-  Eugène-Léon Degrémont (dépôt de cavalerie n°26) : «Placé avec son FM pour protéger le débarquement d'un convoi à Maranville, le 15 juin 1940, n'a pas hésité à ouvrir le feu sur des éléments blindés. A été tué en faisant front à l'ennemi. A été cité.» Il avait 25 ans.

- Fernand Lefevre, 38 ans, du 4e escadron, tué à Maranville.

- André Deschamps (153e RI), 34 ans, tué à Rennepont (ou selon, le Journal officiel de 1942, à Maranville, avec le DC n°26).

- cavalier Pierre Scholtes (dépôt de cavalerie n°26) : «N'a pas hésité, le 15 juin 1940, à Marnaville (sic), à prendre la place d'un tireur à la mitrailleuse mis hors de combat. A été tué glorieusement à ce poste d'une balle au front. A été cité» ; il avait 27 ans.

- Marcel Alexandre (selon le rapport du capitaine Raguin), non confirmé par le ministère.


Autres victimes de ce combat (non citées par le rapport Raguin) :

- Edmond Moreaux (dépôt de cavalerie n°26), 27 ans, à Maranville (il était employé civil selon Jean-Marie Chirol) ;

- Raoul Leloup (26e RD - sic), 46 ans, à Maranville ;

- Henri Lefèbvre (5e génie), à Rennepont.

- Sadi (ou Safi) Kouider, 39 ans, à Rennepont. Selon une enquête de gendarmerie, Safi Kouider était manœuvre à la SNCF à Troyes. Il aurait été «fusillé, motif inconnu».


Les blessés :

. maréchal des logis Louis Baudouin, du recrutement de Cambrai,

. maréchal des logis Marcel Paillard, du recrutement de Châlons-sur-Marne,

. Jules Leturcq, du recrutement de Bar-le-Duc,

. Hugues Michel, du recrutement de Châlons-sur-Marne (il s'agit de René Michel),

. Joseph Webanck, du recrutement de Thionville, décédé le 16 juin à l'hôpital de Châteauvillain. Né en 1901 en Moselle, il est porté décédé des suites de blessures le 10 juin 1940 par le ministère des Armées.

. Didelon, du recrutement de Metz,

. Fernand Godin, du recrutement de Châlons-sur-Marne,

. Lequeu

. brigadier-chef Jean Demottier (dépôt de cavalerie n°26), grièvement blessé le 15 juin 1940 «à son poste de combat à Maranville. Amputé de la cuisse droite». Appelé Dumontier dans le rapport Raguin.

. maréchal des logis Charles Reinert (dépôt de cavalerie n°26), ancien de 14-18 : «Le 15 juin 1940, à Mainneville (sic), a contre-attaqué avec son groupe malgré les assauts répétés de l'ennemi et de violents bombardements. A été très grièvement blessé au cours de l'action».

Ce récit est extrait du livre "10 jours de juin", publié par le club Mémoires 52 en février 2020.

1Certainement René Duvot, né dans l'Ille-et-Vilaine en 1885, chef d'escadrons de cavalerie domicilié à Nancy. Ce dépôt est alimenté par des cadres du 9e régiment de dragons, qui a été dissous à la mobilisation pour donner naissance à des groupes de reconnaissance.

2Dossier 34 N 542, SHD.

3Chef de brigade d'ouvriers au dépôt SNCF de Troyes, Jean-Baptiste Poirot a vraisemblablement été victime de ce mitraillage. Il est décédé des suites de ses blessures le 18 juin 1940 à Chaumont (sources : MémorialGenweb). Plusieurs cheminots troyens sont morts à l'occasion d'attaques visant des trains «de repliement».

4Clairvaux.