lundi 22 mai 2023

La Compagnie du Val (2) : un dépôt d'armes en forêt


    Les maquisards s'étaient donné rendez-vous en forêt du Val. Ici, lors d'une messe après guerre 
en hommage aux morts du maquis.

Mi-août 1944. Première grande opération clandestine pour les FFI de la Compagnie du Val. Un parachutage avait eu lieu précédemment sur le terrain Gargouille du hameau de Billory, commune de Robert-Magny, près de Montier-en-Der. Celui de la nuit du 10 au 11 juillet 1944, réceptionné par deux agents du Special Operations Executive (circuit Pedlar) et, notamment, par Raoul Laurent, chef départemental de Libé-Nord, et son adjoint Eugène Roux ? Ou celui qui, de source britannique, se serait produit le 9 août 1944 ? Toujours est-il que les résistants bragards partent chercher les armes parachutées pour les entreposer.

Le lieu qui sera choisi pour servir de dépôt d'armes : le Château-Gane, en forêt du Val. Le Val est une vaste forêt privée s'étendant entre la Marne et la Blaise. Y a été érigée, en son coeur, la Belle-Maison, une maison forestière qui, selon l'historien haut-marnais Emile Jolibois, est un ancien rendez-vous de chasse des princes de la maison de Guise. De la Belle-Maison partent huit tranchées forestières menant à Roches-sur-Marne, Saint-Dizier, Marnaval, Valcourt, Humbécout, Wassy, Villiers-aux-Bois et Prez-sur-Marne. C'est sur la tranchée de Prez-sur-Marne, un peu après la Belle-Maison, est situé le lieu-dit Château-Gane, que Michel Zeller, le jeune fils (il a 22 ans) d'un officier installé à Saint-Dizier, a indiqué aux responsables de la Résistance bragarde, 

Le lieutenant Eugène Roux et Raoul Laurent s'accordent à préciser que c'est le 16 août 1944 que les transport d'armes est réalisé depuis Montier-en-Der. Le lieutenant Roux est accompagné de l'entrepreneur bragard Guy Grapinet, qui a mis deux camions de sa société à disposition des FFI. Le chauffeur Lucien Masselot, Louis Pernel, un nommé Buet (ou Buret), Emile Marcillet, Lucien Van Echelpoel et Jean Thiéblemont appartiennent à cette équipe. D'autres volontaires - Pierre Dubus, Alexandre Gairaut, André Serrurier, Yves Vidberg - vont veiller à la garde des armes et explosifs, dont les plus endommagés seront repérés par Zeller, Gairaut, Dubus et Thiéblemont. Ils sont ensuite entreposés dans la baraque appartenant à un boucher de Saint-Dizier (Leclerc), toujours sur la tranche menant à Prez-sur-Marne. C'est à cette "baraque Leclerc" que s'installera le maquis, après l'arrivée au camp de Raoul Laurent et d'un de ses collaborateurs, René Quellais.

Les hommes cités plus haut, et qui sont donc présents depuis la mi-août 1944 dans la forêt du Val, forment le noyau de la 1ère section (lieutenant Eugène Roux) du maquis, dont le parc comprend également un camion du Secours national d'Eurville et un autre mis à disposition par M. Benoit, directeur du dépôt d'essence de la Standard.
La 2e section est constituée effectivement le 24 août 1944, c'est-à-dire le lendemain de la mobilisation générale des FFI de la Haute-Marne. "Le chef de section reçoit l'ordre de faire monter sa section dans la forêt du Val à la Belle-Maison, indique le compte-rendu du lieutenant Lelong. A 21 h, l'effectif est au complet. Transport des armes au nouveau camp. Installation du camp. Préparation des charges d'explosif pour le sabotage de la ligne de chemin de fer de Baudonvilliers..."

Deux opérations sont exécutées dans la nuit du 27 au 28 août 1944. La première : la réception d'un parachutage. Le capitaine Thérin rapporte : "Le capitaine était averti qu'un parachutage d'armes lui serait fait dans la plaine (...), au nord [de la] route Pont-Varin - Voillecomte". Il s'agit du terrain BOA Toboggan, qui a déjà été destinataire d'une opération aérienne début juin 1944. "Avec plusieurs camions à charbon de bois appartenant à M. Grapinet, nous sommes allés à l'endroit du parachutage et avons normalement reçu des conteneurs d'armes", précise l'officier. Dans l'ouvrage Combattants de la liberté, Jean-Marie Chirol apporte d'autres précisions sur cette opération : "L'expédition commence. Point de départ : la baraque Leclerc, dans la forêt du Val, non loin de Villiers-aux-Bois. Itinéraire : tranche de Villiers, tranche ferrée et, par le château du Val, atteindre route de Wassy, puis Louvemont, Pont-Varin, la côte de Voillecomte et terrain Toboggan. Là, ils retrouveront l'équipe de Wassy : Dedet, Garcia, Pirson, Thiéblemont père et fils (...) La petite armada d'ébranle. La 11 CV, conduite par Pierre Dubus, ouvre la marche. Il a à côté de lui Michel Zeller, mitraillette braquée, et, derrière, col au poing, Victor Thérin, Raoul Laurent, également armé d'un colt, et René Quellais, dont le fusil anglais passe par la portière. Viennent ensuite deux camions appartenant à Guy Grapinet, qui conduit le premier. Un fusil-mitrailleur est installé sur la cabine de chaque camion.
    La 1ère section, commandée par Eugène Roux, tireur de FM Schultz, monte dans le premier camion, et la 2e section, commandée par Mougel [en réalité Paul Lelong], dans l'autre. Des ennuis de durite affectent l'un des camions près du château du Val. Le bruit occasionné par les gazogènes donne à cette équipée nocturne et clandestine une allure un peu trop bruyante. Heureusement, le terrain est atteint et chacun se met à l'ouvrage : le lieutenant Eugène Roux est chargé de la protection, Raoul Laurent de la partie technique (balisage, signaux en morse, etc.) et Victor Thérin est le responsable militaire. Tout se passe normalement malgré la pluie qui menace. Trois avions se présentent successivement, et malgré le tir des Allemands qui ont été mis en alerte, deux avions parviennent à l'arguer un important matériel (...) Vite, le balisage est donné, la lettre conventionnelle aussi, et de nombreux parachutes descendent au-dessus de la plaine. Les équipes se mettent au travail avec ardeur pour récupérer les "tubes", et les charger sur les camions. Lorsque le troisième appareil se présente, il est repéré par les Me 110 du Robinson, la DCA et les projecteurs. Aucun signal ne lui est envoyé par Raoul Laurent en raison du danger encouru pour l'appareil et la cargaison des maquisards provenant des deux premiers avions. Ce troisième appareil n'insiste pas et disparaît. Il reste bien des parachutes accrochés aux arbres, mais les gars de Wassy s'en chargeront".
    De son côté, le compte-rendu de la section Lelong note : "Participation de la section au parachutage d'armes de Voillecomte (nuit du 27 au 28 août). Message "Le brigand se cache dans la camisole". Un des hommes de la 1ère section (1er groupe) est blessé par un tube. Convoyage des armes de Voillecomte au camp du Val." Le FFI blessé (à la main) se nomme Martial Thiery, de Saint-Dizier. (A suivre).

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