mardi 2 juin 2020

Il y a 80 ans : crime de guerre à Graffigny-Chemin






Le 18 juin 1940, pendant les combats livrés sur la Meuse par la 1ère division d'infanterie coloniale, des éléments du 3e bataillon du 14e régiment de tirailleurs sénégalais parviennent à chasser les Allemands qui avaient occupé Graffigny-Chemin, axe de repli pour le 1er bataillon qui, violemment attaqué, doit évacuer Bourmont (mais l'ordre ne lui parviendra pas). Dans son livre «Les combattants du 18 juin», l'historien Roger Bruge évoque ce combat de Graffigny-Chemin, et la mort de onze tirailleurs.

Sauf que dans son compte-rendu, le lieutenant Ambroise Coat, commandant la 10e compagnie, ne signale que trois blessés dans ses rangs. Qui étaient donc les morts de Graffigny-Chemin, à qui un monument rend hommage ? C'est ce qui a motivé notre enquête, aux Archives départementales de la Haute-Marne, à Chamarandes-Choignes, et au Service historique de la Défense, à Vincennes. Là, nous avons pris connaissance de deux listes.

La première, c'est celle des tirailleurs inhumés dans le village (ils sont dix ou onze, dont à l'origine deux inconnus, portés décédés à la date du 21 juin 1940, qui est sans doute celle de leur inhumation). La seconde, celle des combattants de Bourmont (donc du 1er bataillon) toujours portés disparus en août 1940. Ces deux documents présentent l'intérêt de mentionner les numéros de matricule de la plupart des tirailleurs concernés. Ce qui permet de découvrir que les nommés Yemnoaga Sana, Moryemba Kabore, Tiekoura Ba, Comndaga Zoungrana et Fibila Guiguina, tous portés disparus à Bourmont, figurent bien parmi les victimes de Graffigny. C'est le cas également du sergent-chef Foromo Kamara. Il s'avère donc qu'au moins six des hommes inhumés à Graffigny-Chemin sont des soldats portés disparus après la chute de Bourmont, et qui ont été très vraisemblablement exécutés.

Ceci confirme une information du colonel Jean Montangerand, chef de corps du 14e RTS, qui, dans son rapport, écrira avoir appris que 28 de ses hommes «auraient été passés par les armes le 20 juin 1940 à Graffigny, ce qui ne doit pas surprendre de la part des Allemands...» Le chef de bataillon Marcel Voillemin (I/14e RTS) parlera, de son côté, d'une trentaine de tirailleurs exécutés.

D'autres soldats africains ont été abattus après leur capture, à Nijon (trois selon le maire, Jules Roy), à Breuvannes-en-Bassigny (trois), à Doncourt-sur-Meuse... Mais la vengeance allemande ne s'est pas exercée que sur des Africains. Des soldats européens ont été abattus près de Chaumont, et des spahis nord-africains ou européens à Germisay.
Au total, les corps d'au moins 20 tirailleurs, soit morts au combat, soit abattus, ont été retrouvés dans les villages du secteur de Bourmont. Dans ce bourg, selon le journal de marche du 1er bataillon, les pertes ont été de 40 tués (dont 25 tirailleurs), 78 blessés et 60 disparus, les 18 et 19 juin 1940. Plus de précisions sur ces combats dans l'ouvrage que le club Mémoires 52 a fait paraître en février 2020, «10 jours de juin – les combats de 1940, l'exode en Haute-Marne».

Annexe :

Les tirailleurs inhumés à Graffigny-Chemin, selon deux documents de la mairie (les noms, très approximatifs, correspondent bien souvent à leur région d'origine) : Folou, de la Guinée, matricule 28784 ; Voreyemba Labori, de la Côte-d'Ivoire, matricule 28 504 (Moryemba Kabore, selon la liste du I/14e RTS) ; Tiecoura, du Sénégal (caporal Tiekoura Ba, idem) ; Ouagadougou, de la Côte-d'Ivoire, matricule 13 054 (Yemnoaga Sana, idem) ; Baouli Boniky (ou Bonifi), matricule 32 017 ; Comnoaga Zoungraa, de la Côte-d'Ivoire, matricule 12 989 (Comndaga Zoungrana, idem) ; Ouagadougou, de la Côte-d'Ivoire, matricule 13 147 ; Konesseretou Macenta (ou Komisseretou), de la Guinée ; deux inconnus, identifiés ultérieurement comme se nommant Kadegitien (matricule 74 971 ou 44 497) et Furcariath, de la Guinée (matricule 54 171) ; ainsi, que selon une autre liste, Tenkodogo, matricule 79 515 ou 73 975.

Sources : journal de marche et d'opérations et rapports d'officiers du 14e RTS (SHD, dossier GR 34 N 1 093) ; liste des tombes existant sur le territoire haut-marnais en septembre 1940 (ADHM, 15 W 74) ; base «Mémoire des hommes», ministère de la Défense ; «Les combattants du 18 juin», tome 1, Roger Bruge, Fayard, 1982.
Copyright Club Mémoires 52.

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