lundi 26 novembre 2018

Charles Beaudouin (1812-1871), militaire et conseiller général



La bataille de Rézonville, à laquelle participa le colonel Beaudouin. (D'après Edouard Detaille). Illustration parue dans "La guerre de 1870-1871 illustrée".


Charles-Gustave Beaudouin est né à Bourmont le 11 mai 1812. Il est le fils de Claude-Charles Beaudouin, marchand, et de Jeanne-Françoise-Marguerite Bailly. Avant lui, le couple, uni en 1797, a donné naissance à Charles (en 1798), Jean-Charles (1799), Nicolas-François (1802) et Charles-Joseph (1804).

Selon M. Berthel, auteur en 1923 d'une notice biographique parue dans le Pays lorrain, Charles Beaudouin fait ses études au collège de sa ville natale, puis chez les jésuites à Dôle (Jura), enfin à l'école Sainte-Barbe. Incorporé dans l'école polytechnique, il fait partie du contingent des 80 jeunes élèves qui rejoignent l'armée de terre en 1833.
Elève ensuite à l'école d'application de l'artillerie de Metz, le Bourmontais est nommé lieutenant en second le 1er octobre 1835, à l'âge de 23 ans, et rejoint le 5e régiment d'artillerie à Rennes. C'est dans cette ville que, lieutenant en second dans la 7e batterie, il épouse, le 16 janvier 1839, Marie-Louise-Joséphine-Eulalie Raulin, 19 ans, fille d'un lieutenant-colonel d'artillerie ardennais. Le maréchal de camp Félix Lasnon, le capitaine François Dumarchais, et le chef d'escadron Adrien Dufrayer, tous artilleurs, figurent parmi les témoins de l'union. Le bonheur sera de courte durée. Un enfant naîtra en 1840, mais Mme Beaudouin décède le 6 mai de la même année. L'officier haut-marnais ne refera jamais sa vie.

Nommé capitaine en second le 18 février 1841, Beaudouin, qui a servi à la manufacture d'armes de Mutzig, puis à Lille, est détaché à la direction d'artillerie de Strasbourg, puis rejoint le 14e régiment d'artillerie à Douai. Plus ancien capitaine-commandant de batterie de cette unité, en 1852, il reçoit des éloges de son colonel, qui le considère comme «le meilleur capitaine du régiment». Aide de camp du général de brigade Born à Bourges (1852), Beaudouin est fait chevalier de la Légion d'honneur le 1er juillet 1853 comme capitaine du 4e RA. L'année suivante, il est toujours capitaine, au 12e RA «monté», lorsqu'il est enfin promu chef d'escadron, à 42 ans.

La Campagne de Crimée lui donne l'occasion de montrer ses compétences sur un champ de bataille. Embarqué à Marseille sur le bateau La France, le 11 janvier 1855, il débarque le 7 février et va se distinguer le 16 août 1855 à la bataille de Traktir. Il commande alors l'artillerie de la 3e division du 2e corps, composée de la 6e batterie du 7e RA et de la 6e batterie du 13e RA. L'attaque russe a lieu sur le plaine de la Tchernaïa, là où quelques semaines auparavant, son compatriote, le capitaine de Simony (6e dragons), s'illustrait en sabrant les avant-postes russes. L'«Historique du service de l'artillerie au siège de Sébastopol» précise que ce jour-là, «la 6e batterie du 13e régiment a été vivement engagée pendant toute l'action sous le commandement supérieur du chef d'escadron Beaudouin... Elle a beaucoup souffert du feu de l'ennemi... Elle n'avait que deux officiers, tous deux ont été grièvement blessés... Le dévouement du commandant Beaudouin a pu suppléer à l'absence de ces deux officiers ; treize canonniers ont été tués, 22 blessés et 30 chevaux ont été tués ou blessés». Peu après, le Haut-Marnais, cité également par le général Cler, de la garde impériale, pour sa conduite à Traktir, sera fait officier de la Légion d'honneur par le général Pélissier.

Après avoir été adjoint au commandant du grand parc du siège de Sebastopol (colonel Mazure), Beaudouin se bat ensuite en 1859 en Italie (à Magenta, où il met notamment en ligne douze pièces contre les Autrichiens, et à Solferino) et où, selon Berthel, Mac Mahon dira de lui qu'il était «un homme de guerre des plus remarquables sur le champ de bataille». Il est nommé colonel et reçoit, le 3 février 1864, le commandement du 15e régiment d'artillerie.

Nommé commandeur de la Légion d'honneur le 31 août 1867 (après 38 ans de services et quatre campagnes), toujours sur recommandation de Mac Mahon, il est encore à la tête de son régiment lorsque la guerre de 1870 éclate. Rapidement, le 16 juillet 1870, Beaudouin est nommé au commandement de la réserve du 2e corps de l'armée du Rhin, commandé par son compatriote le général Frossard. Il se bat à Forbach puis, à la journée du 16 août 1870 (bataille de Rézonville, Gravelotte, Mars-la-Tour), où le lieutenant-colonel de Maintenant est tué et Frossard blessé. Ce jour-là, Beaudouin se distingue à la tête des batteries de 12. 

Enfermé avec Bazaine à Metz, il est compris dans la capitulation. C'est le jour où, selon Berthel, il aurait dû être nommé général, grade qu'il aurait refusé. Emprisonné à Hambourg, épreuve douloureuse pour lui, Beaudouin rentre en France pour être promu général de brigade, par décret du 20 avril 1871 du Gouvernement provisoire qui «le pria d'aider à réorganiser l'armée». Il a 59 ans. Après la répression de la Commune à laquelle il ne semble pas participer directement, Beaudouin est nommé au commandement de l'artillerie en Algérie. Son temps de commandement est court car il décède à Alger le 13 octobre 1871, «après seulement trois jours de fièvre » (Berthel).

Membre du Conseil général de la Haute-Marne de 1867 à 1871 (représentant le canton de Bourmont, il siégeait notamment aux côtés du général Pélissier, frère du soldat de Sébastopol), il repose à Bourmont, près de la ferme des Noyers.

Copyright club Mémoires 52

Sources : Le Pays lorrain (1923) ; état civil des communes de Bourmont et de Rennes ; annuaires officiels des officiers d'active. A noter que la grande chancellerie de la Légion d'honneur ne conserve pas de dossier à son nom. 

mercredi 21 novembre 2018

Coloniaux haut-marnais sous la IIIe République



Le capitaine Félix Bablon (1874-1909), de Chaumont, tué en Mauritanie.
(Photo "La Dépêche coloniale")

Entre la guerre de 1870 et le premier conflit mondial, c'est hors d'Europe, dans l'Empire colonial essentiellement, mais pas seulement (ainsi en Chine), que les militaires français ont servi la Troisième République. Parmi les officiers haut-marnais, beaucoup se sont retrouvés au cœur d'événements ayant frappé l'opinion française et internationale. En voici quelques exemples, qui montrent que nos compatriotes ont joué un rôle particulièrement actif dans ces opérations au cours desquelles plusieurs ont perdu la vie.

1864. "Excursion" du sous-lieutenant Alexandre André (né à Manois en 1840), du bataillon de tirailleurs sénégalais, de Médine à Koniakary (aujourd'hui au Mali). Ce Saint-Syrien décède le 23 septembre 1867 au Sénégal, après avoir été promu lieutenant (11 août 1865) et commandant du cercle de Matam. Son frère, le capitaine Joseph André (Manois 1835), officier d'infanterie de marine, est, toujours en 1864, le chef d'état-major de la colonne Laprade qui part de Gorée pour construire le fort de Thiès (Sénégal). Lui commandera la place de Bakel.

1875. Combat de Boundou (Sénégal) livré contre les troupes du prophète Amahdou Cheilou. Le capitaine Camille Lambert (Breuvannes-en-Bassigny 1843), du 1er régiment d'infanterie de marine, est blessé d'un coup de feu au pied gauche. Il avait servi auparavant en Cochinchine (1866-1867).

1885-1886. Campagne du lieutenant-colonel Frey dans le Haut-Sénégal et le Haut-Niger pour combattre le chef de guerre Samory Touré et «pacifier» Guoye, le Kamera et le Guidimaka, provinces soulevées «à la voix du prophète Mahmadou Lamine». Le capitaine d'artillerie Pierre Ridde (Donjeux 1851), qui sert au Sénégal et au Soudan de 1882 à 1887, est officier dans la colonne qui obtiendra la signature d'un premier traité de paix avec Samory au printemps 1886.

1891. Prise de Bissandougou, capitale de Samory (9 avril). Ce fait d'armes est à mettre à l'actif du capitaine Hugueny, de Châteauvillain, commandant une colonne volante ayant lutté avec succès contre le chef de guerre africain (qui a incendié la ville avec son palais).

1892. Expédition du Dahomey contre le roi Behenzin. Le lieutenant Paul Jacquin (Wassy 1861) commande la 3e section d'artillerie de montagne au sein du corps expéditionnaire du colonel Dodds. Il sera promu capitaine de 2e classe par décret du 4 novembre 1892. Son camarade Alfred Michel (Bourmont 1868), lieutenant commandant la 2e section d'artillerie, est mortellement blessé le 20 octobre à Apka. L'abbé Vathelet (1843-1893), de Maizières-sur-Amance, était l'aumônier du corps expéditionnaire. Il sera fait officier de la Légion d'honneur le 14 décembre. 

1893. Prise de Tombouctou (12 décembre). Le lieutenant de vaisseau Gaston Boiteux (1863-1897), dont les parents se sont mariés à Meures (son père était lieutenant de gendarmerie à Chaumont, sa mère est née dans ce village), fait son entrée dans la célèbre cité, en dépit des ordres reçus, avec seulement 25 hommes. Il y est assiégé. La marche d'une colonne (lieutenant-colonel Bonnier) permet de le délivrer en janvier 1894 (mort par suicide, Boiteux repose à Meures, où un monument est érigé en sa mémoire).

1894. Anéantissement de la colonne Bonnier à Doingoï (15 janvier). Ce jour-là, le lieutenant-colonel Eugène Bonnier trouve la mort au bivouac de Doukouria assailli par surprise par des touaregs. Parmi les officiers tués également, figurent deux Haut-Marnais : le commandant François Hugueny (Châteauvillain 1847), de Dammartin-sur-Meuse, chef du bataillon de tirailleurs soudanais, et le capitaine Jean-Baptiste Tassard (Andelot 1857), qui commande sa 5e compagnie. Tous deux donneront leur nom à des rues – voisines - de Chaumont.

1895. Combat de Mapa, en Guyane (15 mai). Débarqué à la tête de 24 marins, l'enseigne de vaisseau Raoul Martin d'Escrienne (Langres 1869 – Paris 1932), qui sera propriétaire du château de Chaudenay, est grièvement blessé au visage par un coup de feu, tandis que le capitaine Lunier, chef du détachement, est abattu. Le Langrois sera fait chevalier de la Légion d'honneur le 3 juillet.
1895-1896. Expédition de Madagascar, à laquelle participent notamment les lieutenants Paul Mathieu (Ormancey 1868), du bataillon de tirailleurs haoussas, Jules Guillaumet (Brachay 1860), du régiment colonial - tous deux tomberont, chefs de bataillon, pendant la Grande Guerre.

1898. Le capitaine Claude Germain (Saint-Urbain 1852), chef du 1er escadron de spahis sahariens, relève, avec le célèbre capitaine Laperrine, 660 km d'itinéraires nouveaux dans le Sahara, entre Fort Mac Mahon et In Salah.
1898. «Incident» diplomatique franco-britannique de Fachoda (Soudan), impliquant la mission Congo-Nil du capitaine Marchand (septembre-novembre). A l'époque, le lieutenant Emile Poinsel (Bize 1867) servait dans la 10e compagnie (Oubanghi) du régiment de tirailleurs sénégalais, tandis que son compatriote Félix Bablon (Chaumont 1874) était lieutenant dans la 5e compagnie. En septembre 1898, Poinsel appartenait à la garnison de Fachoda, au moment où les troupes anglaises y arrivent.
1898. Capture de Samory Touré par la colonne du capitaine Gouraud (29 septembre). C'est un sous-officier servant sous les ordres du sous-lieutenant Gaston Jacquin (frère de Paul), né à Wassy en 1871, qui s'empare au Soudan du chef de guerre africain et le remet à son supérieur. Sous-lieutenant d'artillerie de marine, Jacquin servait alors dans une compagnie auxiliaire d'ouvriers. Le fait d'armes sera immortalisé par le Petit Journal, et le Wasseyen sera fait chevalier de la Légion d'honneur un mois plus tard, à l'âge de 27 ans.

1899. Le lieutenant Poinsel s'était joint à Bangui à la colonne du capitaine Roulet qui marchait vers le Nil. Ils occupent successivement le fort Desaix, le fort Hossinger, puis plantent le drapeau français le 20 mars 1899, à 350 km au sud de Fachoda. 

1900. Combat de Deghamcha, dans le Sahara (5 janvier). Assurant, à distance, la protection de la mission Flamant, le capitaine Germain affronte, avec ses 60 spahis et les goumiers du capitaine Pein (futur colonel de la Légion étangère), 1 500 touaregs. «Grâce à Dieu, nous leur avons infligé une défaite complète, écrira le Haut-Marnais à sa mère. Le combat a commencé à 7 h 30 du matin et a duré jusqu'à 10 h 20.» Selon Germain, l'ennemi a laissé 150 tués, près de 200 blessés, un drapeau, les Français ne déplorant qu'un spahi tué et six blessés. Colonel de spahis, commandeur de la Légion d'honneur, Germain se retire dans son village natal, où il décède en 1933.

1900-1901-1902. Expédition de Chine. Le capitaine du génie Charles Lindecker, de Chaumont, commande une section d'observation. Il a l'occasion de survoler Pékin en ballon. Le capitaine d'infanterie coloniale Arthur Geoffroy (Biesles 1870) participe également à ces opérations.

1902. Le capitaine Bablon, commandant la 4e compagnie de la colonne Tétart, se distingue à Bir Alali, aujourd'hui au Tchad (20 janvier), puis repousse les Touaregs en ce même lieu rebaptisé Fort-Pradié (1er juin). «Le capitaine Bablon les mit facilement en déroute», dira une relation.

1904. Le capitaine Bablon, ami de Mangin, commande le cercle militaire du Kanem (près du lac Tchad). Il sert alors au régiment indigène du Congo depuis le 30 décembre 1903.

1905. Le lieutenant-colonel Gouraud fait prendre les armes à la garnison de Fort Millot et remet la Légion d'honneur au capitaine Bablon (16 janvier).


1906. Le capitaine Antoine Auvigne (Vesoul 1874), fils d'un enseignant originaire de Maatz, est fait chevalier de la Légion d'honneur après avoir pris M'Balasso et M'Baléma avec le lieutenant Bouet (2-3 août). Officier au 1er RTS, il rejoindra le bataillon de la Guinée avant d'être blessé à Boussédou le 18 février 1907 (il se battra en France comme chef de bataillon d'infanterie coloniale).

1908. Bablon commande le poste d'Akjoujt (Mauritanie), puis la 3e compagnie du bataillon de Mauritanie de la colonne de l'Adra (colonel Gouraud).


1908. Le capitaine Louis Mongin (Biesles 1874), commandant la 3e compagnie du bataillon du Chari (territoire militaire du Tchad), conduit une colonne qui impose au sultan Mohammed es Senoussi, à la tête d'un empire dont la capitale est N'Délé, un nouveau traité avec la France (15 – 30 janvier).


1909. Le capitaine Bablon est tué au combat du camp de Rasseremt par des Talibés (nuit du 27 au 28 avril). Il a reçu une balle dans la cuisse, une dans l'aine, une dans la tête. Comme Hugueny et Tassard, son nom a été donné à une rue de Chaumont. 


1911. Lourdes pertes pour le peloton méhariste de Kiffa à Moulenha, dans le Haut-Sénégal, attaqué par des pillards (12 mai). Son chef, le lieutenant Georges Demassez (Laneuville-au-Bois 1876, puis domicilié à Osne-le-Val), du 2e régiment de tirailleurs sénégalais, est tué avec neuf de ses hommes.

1912. Adjoint du colonel Laperrine, le capitaine Joseph Nieger (1874-1951), d'Eclaron, dirige la mission d'études du chemin de fer transafricain entre Oran et le lac Tchad, qui participa à une meilleure connaissance du Sahara (janvier -novembre).

lundi 12 novembre 2018

Saint-Dizier, berceau du bowling en France



Un des premiers bowlings de France, aux Folies-Bergères, à Paris. 
(Cliché paru dans La Vie au grand air).

La brasserie Georges, à proximité de la gare de Perrache, est l'un des haut-lieux de la restauration à Lyon. L'établissement, fondé en 1836, a compté, parmi ses habitués et ses clients de passage, Lamartine, Verlaine, Jules Verne, Zola, Rodin, Brel, Hemingway... Pourquoi en parler ici ? Parce que début 1909, la brasserie attendait la livraison de deux allées de 20 mètres d'un tout nouveau jeu apparu en France : un bowling. Et que ces installations ont été fabriquées à Saint-Dizier.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce n'est pas avec le Corps expéditionnaire américain, à la fin de la Première Guerre mondiale, que le bowling est apparu en France, mais avant le conflit, en 1907, par l'intermédiaire d'une société américaine toujours en activité, Brunswick – ainsi que le rappellera la justice française.
Fondée par un immigré suisse, la firme possédait des établissements à New York, Cincinnati, Muskogeon, San Francisco et Toronto, et un seul hors du continent américain : dans la cité bragarde, qui attirait donc déjà, dès les années 1900, des investisseurs étrangers, et notamment américains.

A l'origine, le site haut-marnais de la Compagnie Brunswick française, branche hexagonale de la société américaine, qui avait son siège au 19, rue de la Pépinière à Paris, fabriquait des queues de billard. Il était implanté rue (puis avenue) de Bar-le-Duc (actuelle avenue du Général-Sarrail), à une époque où existaient déjà les usines Hachette, Gravigny... Grâce aux recensements, nous connaissons quelques noms d'employés, comme le concierge, Auguste Durantet, né à Puteaux en 1858, domicilié au 78 bis de la rue en 1906.

Les produits issus de la scierie bragarde – où l'Angevin Augustin Rouault exerçait le métier de «billardier» - étaient renommés. Lors d'une exposition industrielle, à Nancy, en 1909, Brunswick était en effet présentée comme le plus important fabricant de billards en Europe. Le catalogue précisait alors que l'usine produisait, chaque année, 12 millions de procédés de queue de billard et 24 000 queues de billard. En outre, la société «construit le fameux jeu de bowling (quilles de précision) qui fait fureur en France depuis deux ans». Une publicité, en 1908, insistait d'ailleurs sur le caractère pionnier du bowling Brunswick, «le fameux jeu de quille de haute précision, le plus entraînant de tous les sports, seul concessionnaire des brevets et fabricants en Europe».

Primée à l'exposition de Bruxelles en 1910, la compagnie, qui possédait une autre usine à Clichy, a notamment produit un billard sur lequel un célèbre joueur, Louis Curé, professeur à l'Académie de l'Olympia, a battu «le record du monde au cadre de 45 à deux coups», en février 1911, «fantastique prouesse» saluée par la presse.

L'activité de la scierie bragarde «Les Billards Brunswick», toujours attestée en 1911, semble avoir cessé avant la Première Guerre mondiale, puisque rapidement, en novembre 1914, le site se transforme en hôpital pour blessés, l'hôpital complémentaire n°41, d'ailleurs connu sous le nom d'hôpital temporaire... Brunswick. Ses locaux seront ensuite occupés par l'usine La France, selon le chanoine Petit.

dimanche 4 novembre 2018

Un "jeune civil" bragard de 16 ans disparu en Champagne



(La fiche "mort pour la France" d'Adrien Thierry. Site : Mémoire des hommes).

Au moment de la mobilisation générale, le 1er août 1914, il fallait avoir 18 ans révolus pour pouvoir s'engager dans les armées, avec le consentement du père, de la mère ou du tuteur. Mais, comme l'a écrit le ministre de la Guerre de l'époque, Messimy, «dans les circonstances présentes, il importe d'utiliser toutes les ressources de la nation et en particulier d'accueillir les offres des jeunes gens en état de porter les armes qui désirent se mettre au service du pays». Ce qui a été rapidement autorisé, dès le 6 août 1914, par un décret signé du Président Poincaré, pour les hommes de 17 ans révolus.
Concernant le Bragard Adrien Thierry, à notre connaissance le plus jeune Haut-Marnais mort aux armées durant le conflit, le cas est différent : âgé de 16 ans au moment de la déclaration de guerre, il sera considéré, par les autorités militaires, comme un «jeune civil qui a suivi le 9e régiment d'infanterie». D'ailleurs, son nom ne figurera pas dans la liste des morts publiée par l'historique du régiment...

Adrien-François Thierry est né à Paris, rue Chaligny (12e arrondissement) le 14 juillet 1898. Il est le fils de François-Charles Thierry, mouleur âgé de 27 ans, et de Louise-Emilie Hélin, blanchisseuse née dans la capitale en 1872, qui résident rue de Charenton. La famille s'installe à Saint-Dizier avant la guerre, après 1906 puisqu'elle ne figure pas dans le recensement réalisé cette année-là. Le déménagement est sans doute motivé par des raisons professionnelles, puisque le père exerce la profession de mouleur dans la cité bragarde. Les Thierry habiteront au 9, rue du Canal, où Louise Hélin décède prématurément, le 2 octobre 1912.
Orphelin de mère, Adrien se retrouve donc, en 1914, à suivre le 9e RI d'Agen (Lot-et-Garonne). L'unité venait de se battre en Belgique, dans les Ardennes, dans la Marne, lorsqu'elle est engagée le 26 septembre 1914 à Hurlus. Puis le 9e RI prend part, le 20 décembre, à l'offensive française en Champagne, enlevant ce jour-là la position des Tranchées Brunes à Tahure. Repoussant les contre-attaques, le régiment fait un nouveau bond en avant le 30 décembre 1914. Son chef de corps, le lieutenant-colonel Dizot, est blessé et évacué. C'est ce jour-là que le jeune Thierry est porté disparu, à Perthes-lès-Hurlus. La partie du journal de marche et d'opérations du 9e RI pour la période située entre septembre 1914 et février 1915 est manquante. Nous n'en saurons donc pas plus sur les circonstances du combat, autres que celles résumées par l'historique du régiment.
Adrien Thierry sera reconnu mort pour la France à la date du 30 décembre 1914, jugement transcrit par la mairie de Saint-Dizier. Son nom est inscrit sur le monument aux morts de la cité.

Parmi les Haut-Marnais engagés avant l'âge de 18 ans et morts pour la France, citons également :
. le caporal Marcel Chamourin, né à Saint-Dizier le 25 janvier 1900. Il s'engage pour la durée de la guerre en mairie de Bar-le-Duc, le 9 mars 1917, à 17 ans et 2 mois, au titre du 109e RI de Chaumont. Passé au 155e RI, caporal le 27 avril 1918, Chamourin est porté disparu le 2 août 1918 sur la Vesles, dans la région de Maast-et-Violaine (Aisne), à 18 ans et demi. Son décès sera établi par un jugement du tribunal civil de Wassy, le 26 mai 1921.
. le soldat Paul Thiebaut, né à Chaumont (à l'école départementale d'accouchement) le 9 juin 1897, fils d'Eugénie Thiebaut, qualifiée de mendiante. Résidant dans l'Aube, soldat au 37e RI de Nancy, il meurt le 16 novembre 1914 lors des combats de Bixschoote (Belgique), à 17 ans et 5 mois.
. le sapeur Raoul Amiot, né le 15 mars 1897 à Vaux-sur-Blaise (fils d'Ernest, manouvrier, et d'Emma-Anna Pierrot), sert au 6e régiment du génie lorsqu'il décède le 3 février 1915 à Arras (Pas-de-Calais), des suites de blessures de guerre, à l'âge de 17 ans et 11 mois. Il dépendait du recrutement de Paris.
. le soldat Pierre Prieur est sans doute le plus jeune engagé volontaire haut-marnais mort au combat. Né le 26 juillet 1897 à Lignol (Aube), Pierre-André Prieur est le fils de Joseph-François Prieur, originaire de Bailly-aux-Forges, et d'Anne-Zélie Prieur. La famille est domiciliée à Froncles, quartier de la Forge, en 1906. Alors qu'il aurait dû être incorporé le 1er septembre 1917, Pierre Prieur, du recrutement de Neufchâteau, s'engage en mairie de Langres le 22 août 1914, au titre du 65e RI, à 17 ans et 1 mois. Arrivé au corps le 25 août, il est porté disparu à Fricourt (Somme), un mois plus tard, le 29 septembre 1914. Cela faisait deux jours que son régiment s'était installé dans le secteur de Bécourt, où le 3e bataillon a dû abandonner le 28 septembre le village de Contalmaison (Somme) «après un combat opiniâtre» (JMO du 65e RI). Pierre Prieur sera déclaré mort pour la France par un jugement transcrit en mairie de Froncles. Sa citation accompagnant la Croix de guerre avec étoile de bronze, publiée par le Journal officiel en 1922, dira sobrement : «Brave soldat. Tombé glorieusement pour la France, le 29 septembre 1914, à Fricourt, en accomplissant son devoir».

Sources principales : Mémoire des hommes ; état civil de Saint-Dizier et de Chaumont ; recrutement militaire (Archives départementales des Vosges) ; Journal officiel de la République française ; «Historique du 9e régiment d'infanterie» ; Mémorial Genweb.

samedi 27 octobre 2018

Emile Roger construisit le premier "taxi" parisien



Le fiacre automobile construit par Emile Roger et mis en circulation
en décembre 1896 
à Paris. (Illustration parue dans La Science française).

C'est finalement grâce à la publication La Science française qu'on en apprend le plus sur l'incroyable carrière d'Emile Roger (1850-1897), l'ingénieur-constructeur de Châteauvillain déjà évoqué sur ce site. Ses réalisations étaient particulièrement suivies par Yves Guédon, ingénieur civil, co-auteur du «Manuel pratique du conducteur d'automobiles», publié dès 1897.
Celui qu'Alphonse Allais qualifiait d'«infatigable apôtre des voitures automobiles» précisa ainsi, en 1895, que le Haut-Marnais était alors «le seul constructeur français qui soit allé en Amérique montrer nos voitures françaises, et établir une succursale à New York. Plus de 100 voitures de luxe et de livraison sont en construction à ces ateliers...»
Ayant transformé en 1896 sa société Roger & Cie en Compagnie anglo-française de voitures automobiles, Emile Roger devait également figurer dans l'Histoire parisienne comme le constructeur du premier taxi ayant roulé dans les rues de la cité !

L'événement est survenu le 1er décembre 1896. Alors, le transport des voyageurs dans la capitale était assuré par des fiacres tirés par des chevaux. Jusqu'à ce qu'apparaisse, grâce à Emile Roger, le «fiacre automobile». La Science française rapporta, en décembre 1896 : «Un premier fiacre, actionné par le pétrole, sorti des ateliers de la société Roger et cie, fait depuis quelques jours le service de place dans Paris, son cocher se nomme Biguet, un nom que les Revues de fin d'année vont faire connaître... Le fiacre Roger est du type dit landaulet formant coupé ou landau suivant qu'il est ouvert ou fermé...»
Le journal La Croix avait signalé l'imminence de cette première dès son édition du 1er novembre 1896 : «Ce soir ou demain au plus tard, le premier fiacre automobile sera mis en circulation dans les rues de Paris, et chacun pourra le prendre aussi bien qu'un vulgaire sapin... Le tarif est celui des fiacres ordinaires : un franc cinquante la course, deux francs l'heure avant minuit et demi et deux francs cinquante après». Quelques jours plus tard, une autre publication, Gil Blas, devait écrire de son côté que la sortie a été retardée «pour l'adoption d'un nouveau procédé de marche arrière que la Compagnie anglo-française (ancienne maison E. Roger) désire adopter à ce véhicule».

C'est un ancien cocher de «fiacre à chevaux», Biguet, qui avait eu l'idée de cette innovation. Il s'était associé avec un industriel parisien, Dalisson, pour financer son projet, réalisé par le constructeur castelvillanois et l'Association des ouvriers en voitures.
C'est un peu plus tard que le service de «fiacres automobiles» se généralisera, mais l'oeuvre d'Emile Roger peut bel et bien être considérée comme le premier «taxi» ayant circulé dans Paris.
Dans ces conditions, on peut croire Yves Guédon quand il écrivait, au décès prématuré de l'industriel, que «c'est l'une des figures les plus connues et les plus considérables du monde automobile qui disparaît».

lundi 15 octobre 2018

En 1912, un Haut-Marnais "précurseur de la police de l'air"


C'est une révélation : le titulaire du 279e brevet mondial de pilote est né à Manois (Haute-Marne). Décédé à Nanterre en 1972, Georges Collin avait appris à piloter à l'âge de 20 ans.

Jusqu'à présent, les recherches du club Mémoires 52 avaient permis d'identifier huit Haut-Marnais de naissance ayant obtenu avant la Première Guerre mondiale leur brevet de pilote décerné par l'Aéro-club de France. C'est-à-dire qu'ils firent partie des 1 600 premiers citoyens de la planète à être devenus aviateurs, puisque seul l'ACF délivrait alors des brevets à l'échelle internationale.
Or nous venons de faire l'heureuse découverte de l'existence d'un neuvième pilote. Elle est d'autant plus intéressante que Georges Collin est le deuxième Haut-Marnais à avoir été breveté, entre le capitaine Médéric Burgeat (brevet n°44), de Chevillon, et Louis Lenfant (n°386), de Saint-Dizier.

Selon la revue L'Aérophile, Georges Collin est né le 28 janvier 1890 à Marrois (sic). En fait, c'est bien Manois qu'il fallait lire, comme le confirme l'état civil de la commune, avec cette difficulté que l'enfant a été inscrit sous le nom de Couvreur sur l'acte. Il est en effet le fils de Marie-Eugénie Couvreur, 20 ans, sans profession, fille d'Eugène Couvreur (un tréfileur). Ce n'est qu'en 1894, toujours à Manois, que la jeune femme épouse Georges-Camille Collin, lequel reconnaît l'enfant. Au moment du recensement de 1906, cette famille n'habite plus à Manois, où réside toujours le grand-père maternel. Elle s'est en effet installée à Troyes où le jeune homme exerce la profession d'électricien.

Georges Collin s'engage volontairement, pour trois ans, le 17 mars 1909, en mairie de Troyes, au titre du 5e régiment du génie (le fameux régiment des sapeurs du chemin de fer). Caporal le 26 septembre 1909, il passe dans la réserve de l'armée, muni de son certificat de bonne conduite, le 17 mars 1912.
C'est donc pendant son temps de passage sous les drapeaux que Georges Collin apprend à piloter. Il passe son brevet sur un biplan H. Farman. Il existe alors, en 1910, une «école Farman» dont les élèves volent à Etampes, à Mourmelon, à l'aérodrome de la Beauce... Peut-être le jeune homme était-il du nombre. Le prestigieux brevet n°279 lui est décerné le 8 novembre 1910 par l'Aéro-club de France, le même jour qu'une certaine Marie Marvingt. A 20 ans, il est alors un des plus jeunes pilotes de la planète (ils sont une dizaine à ne pas être majeurs).

Curieusement, on retrouve ensuite peu de traces de l'activité aérienne de Georges Collin - souvent confondu avec Ferdinand Collin (le mécanicien de Louis Blériot qui dirigea l'école de Buc) -, en cette période où tous les journaux ne cessent de s'intéresser aux exploits des pilotes. Il en est un qui fait exception : c'est le quotidien Gil Blas. Dans son édition du 28 juin 1912, un journaliste écrit, non sans humour : «L'aviateur Collin a accompli, il y a deux jours, à Issy-les-Moulineaux, une étonnante performance : il a pris sur son appareil un agent de police tout harnaché, botté, ceinturonné (sic), et il lui a fait accomplir quelques évolutions magistrales. Voilà donc le premier agent de police qui ait essayé d'ordonner la circulation dans l'air. C'est un précurseur. Lorsqu'on organisera – un jour prochain – le service aérien, ce brave policier méritera de recevoir les premières ailes dans le dos.» 

Notons que le Haut-Marnais, qui venait d'être dégagé des obligations militaires, avait effectivement sa résidence, à cette époque, à Issy-les-Moulineaux. La commune, souvent qualifiée de «berceau de l'aviation», abritait déjà un terrain militaire où évoluèrent Blériot, Farman, Santos-Dumont... Il n'est donc pas surprenant que le Champenois y prenne l'air de temps à autre. Mais il déménage rapidement pour s'installer à Sainte-Savine, près de Troyes. C'est là qu'il s'est en effet marié le 9 avril 1912 avec Louise Aubry. Puis il s'en va résider à Troyes.

Deux ans plus tard, la guerre éclate. Georges Collin est mobilisé, et retrouve son 5e régiment du génie le 3 août 1914. Curieusement, il ne servira donc pas dans l'aéronautique militaire durant le conflit, à l'issue duquel il recevra la médaille interalliée et la Médaille commémorative.

Ce pionnier de l'aviation sera membre, dans les années 20, de la fameuse association des Vieilles tiges, puis, dans les années 30, il quitte Troyes pour Paris. Il décède à Nanterre le 9 mai 1972, à l'âge de 82 ans.

Sources principales : L'Aérophile ; état civil de la commune de Manois ; registre militaire 3 R 617 (Archives départementales de l'Aube).

Photo d'illustration : un biplan H. Farman, appareil sur lequel Georges Collin apprit à piloter.

dimanche 14 octobre 2018

Henry de Graffigny, la tête dans les étoiles, le coeur en Haute-Marne



«Quelles sont les causes des changements produits à la surface de la Lune ? Qu'est-ce que cette tache rouge, plus large que la terre, apparue sur Jupiter ? (…) Quels mondes, quelles humanités éclairent les soleils de rubis, d'émeraude et de saphir qui constituent les systèmes d'étoiles doubles ? Que de points à élucider encore ! Que les personnes, donc, qui veulent se rendre compte, sans fatigue, de la constitution générale de l'Univers et comprendre ce que notre terre et ses habitants sont dans l'espace, vous suivent dans votre audacieuse et féconde tentative, ô vous qui avez choisi pour mission de les transporter à travers les magnifiques panoramas des cieux...»

Ces mots sont ceux d'un des plus illustres Haut-Marnais, l'astronome Camille Flammarion. Ils figurent en préface des «Aventures extraordinaires d'un savant russe» (1888), un ouvrage ayant pour co-auteur un de ses compatriotes aujourd'hui bien oublié, en dépit d'une oeuvre pléthorique : Henry de Graffigny. On lui attribue en effet quelque 250 ouvrages (le premier écrit à l'âge de 17 ans), 3 000 articles...

Né Raoul Marquis, le 28 septembre 1863, l'homme qui se qualifiait tantôt d'ingénieur civil, tantôt de chargé de cours à la Faculté des sciences de Paris, voire de «professeur d'automobilisme à l'Association philotechnique» (sic), aura largement contribué, à cheval sur les XIXe et XXe siècles, à expliquer les progrès de la science auprès du grand public. 
S'il a surtout écrit sur l'aérostation et l'aviation (lui-même effectua 45 vols scientifiques en ballon et collabora à la revue L'Aérophile, d'où est issue cette illustration méconnue), sur l'électricité et l'automobile, il a également rédigé des manuels de bricolage et de tapisserie, créé des pièces de théâtre de Guignol, et il est même l'auteur d'un guide «pour se mettre en ménage». Egalement romancier, Henry de Graffigny prophétisa en 1909 l'émergence d'une «téléphonie sans fil» et imagina un «véhicule astral» dans «Voyage de cinq Américains dans les planètes».

Dans cette œuvre abondante, celui qui a choisi le nom de son village natal (Graffigny-Chemin) pour forger son pseudonyme n'oubliera jamais le département qui l'a vu naître, bien qu'il semble l'avoir quitté jeune. Ainsi, invité par le maire de Nogent, cousin de son «illustre maître et ami» Flammarion, Raoul Marquis tenta vainement, en 1882, de s'envoler en ballon, expérience malheureuse évoquée dans ses «Récits d'un aéronaute». Publié entre autres par Albin Michel (encore un Haut-Marnais) ou Hachette, il baptisera encore du nom d'Outremécourt – un village proche de Graffigny – un héros de son «Tour de France en aéroplane». Henry de Graffigny ne manquera pas enfin de louer les réalisations de ses compatriotes, comme Philippe Lebon, de Brachay, le marquis Jouffroy d'Abbans, de Roches-sur-Rognon, le pionnier de la construction automobile Emile Roger, de Châteauvillain...

Chargé, en dernier lieu, de la chronique scientifique du journal l'Ouest-Eclair, Henry de Graffigny est décédé en juillet 1934 à Septeuil (Yvelines). Deux ans plus tard, paraissait «Mort à crédit», œuvre de Louis-Ferdinand Céline qui, pour imaginer son personnage de Roger-Martin Courtial des Pereires, s'inspira du chroniqueur scientifique haut-marnais, qu'il avait bien connu...

samedi 15 septembre 2018

La Benz-Roger, ou l'histoire méconnue d'un pionnier haut-marnais de l'automobile




Jusqu'il y a peu, nous ignorions jusqu'à l'existence d'Emile Roger, pourtant l'un des pionniers de l'automobile sur la planète. Car si le monde entier connaît aujourd'hui la marque Mercedes-Benz, qui sait qu'existèrent, à la fin du XIXe siècle, des voitures Benz-Roger (ou Roger-Benz) ? Et que leur constructeur était Haut-Marnais ! 

Ce que confirme l'état civil de la commune de Châteauvillain : il est né dans le bourg le 17 décembre 1850, fils d'Edme-Marcel Roger, cultivateur originaire de Latrecey, et d'Alexandrine Aubriot.
Emile Roger ne travaillera pas la terre mais se dirigera vers une carrière dans l'industrie. Il est dessinateur à Paris lorsqu'il est appelé le 22 septembre 1870 au 14e bataillon de chasseurs à pied. Aussitôt, il prend part à la guerre contre l'Allemagne. Sergent-major le 1er janvier 1871, il est libéré de ses obligations militaires le 26 octobre de la même année.

Ce que fut sa vie professionnelle, ce sont deux notices nécrologiques publiées par la revue «Le chauffeur», l'une des premières publications dédiées à l'automobile, et par "La Science française" qui nous l'apprennent.
Lycéen à Chaumont, entré à l'Ecole des arts et métiers de Châlons-sur-Marne (1866), Emile Roger travaille d'abord, comme dessinateur, dans les ateliers des sociétés Cail, de Fives-Lille (compagnie spécialisée dans les ouvrages et matériels ferroviaires) et Letestu (fabricant de pompes). Directeur de la Société de location de locomobiles (1879), il s'établit à son compte en 1883, fabriquant des moteurs à gaz, au pétrole. C'est à ce Castelvillanois que l'on doit l'introduction, en France, du fameux moteur Benz, l'invention de l'Allemand Karl Benz.
«Dès 1885, écrit «Le Chauffeur», à une exposition organisée par M. Nicolle au palais de l'industrie, Emile Roger aurait envoyé une Voiture à trois roues avec un volant horizontal, lequel, d'après les idées de M. Benz, inventeur du système, devait assurer la stabilité du véhicule.» Pour "La Science française", le Haut-Marnais devient agent général, pour la France, de la maison Benz en 1888, et c'est plutôt à l'Exposition universelle de 1889 de Paris (celle de la Tour Eiffel) qu'il présente "une voiture à trois roues activée par un moteur Benz".


Etabli au 52, rue des Dames, à Paris, l'ingénieur-constructeur Roger est indéniablement un pionnier de la construction automobile, non seulement en France mais dans le monde. Ses publicités dans la presse vantent des «voitures sans chevaux mues par moteurs spéciaux au pétrole», pouvant rouler à 20 km/h «sur bonnes routes plates bien entretenues». Ses voitures, précisera-t-il, sont équipées de «quatre roues garnies de cercles en caoutchouc», et «la direction, spécialement brevetée, permet de conduire ces voitures plus facilement même que les voitures attelées».

Première course du monde
1894 est une date majeure de l'histoire mondiale de l'automobile. Cette année-là, Le Petit Journal décide de créer, sous le nom de Concours, une course automobile entre Paris et Rouen. L'initiative intéresse 102 concurrents. Fait extraordinaire : trois sont Haut-Marnais. Il y a Georges Tirant, de Baissey, dont le véhicule marche à la vapeur, Emile-Martial Lebrun, de Bettaincourt-sur-Rognon, dont la voiture quatre places est dotée d'un moteur automatique, et Emile Roger. Ce dernier, nous dit le journal, est «à la barre» de la Roger-Benz numéro 12 (avec moteur à pétrole). Parmi les autres concurrents, figurent de futurs grands noms de l'automobile : Panhard et Levassor, Les Fils de Peugeot frères, De Dion...
Finalement, à l'issue d'éliminatoires, seuls 21 des 102 équipages inscrits participeront au Concours. Dont un seul Haut-Marnais : Emile Roger. Ils partiront le 22 juillet 1894 du rond-point Inkermann. De Dion arrivera le premier à destination en 5 h 40, Roger terminera quatorzième sur quinze en 8 h 9 minutes. Mais il aura eu le bonheur d'être allé au terme de la première course automobile du monde... Et de recevoir un prix que nous qualifierons d'encouragement. Au grand dam de la revue "L'Industrie vélocipédique" : «De l'avis de tous les gens compétents et de toute la presse en général», le système Roger «méritait mieux qu'un cinquième prix... La gravure incluse est la représentation de la machine qui a pris part au concours. Elle est d'un modèle à la fois élégant et solide, elle est à quatre places et a la force de quatre chevaux. Sa direction est d'une facilité telle, qu'elle peut être conduite par un enfant, son système d'embrayage et du frein la mettent à même d'être arrêtée instantanément.» Précision notable de la revue : la voiture Roger n'a connu aucune avarie entre Paris et Rouen, à la différence d'autres concurrents. A noter que l'auteur de ces lignes, Henry de Graffigny, est lui-même... Haut-Marnais de naissance, mais sans doute ignorait-il qu'Emile Roger, «habile ingénieur de Paris», était un compatriote...

L'année suivante, deux «voitures gazoline quatre places» sont engagées par Emile Roger dans une autre célèbre course célèbre, Paris-Bordeaux (aller-retour). La numéro 12 se distinguera à nouveau. «L'écho des mines et de la métallurgie» rendra ainsi un bel hommage aux «Voitures Roger», «élégantes et légères... Les courses des plus honorables qu'ont produite les voitures Roger montrent combien ce constructeur cherche toujours à se perfectionner et nous lui adressons ici nos plus sincères félicitations pour le résultat qu'il a obtenu...»

Créateur, le 1er juin 1896, de la Compagnie anglo-française des voitures automobiles, dont il est administrateur-directeur, Emile Roger décède prématurément, en 1897, après avoir été victime d'une anémie cérébrale ayant entraîné une paralysie générale. Autre révélation : c'est à Châteauvillain, «dans la maison de son père sise rue sur l'Eau, où il se trouvait momentanément», qu'Emile Roger, qualifié d'ingénieur civil, marié à deux reprises (avec Marie-Hélène Breand puis Alice Baillot), rend son dernier souffle, le 25 novembre 1897, à l'âge de 47 ans. «C'est avec Levassor le second des ouvriers de la première heure automobile qui, si près du début, manque déjà à l'appel», écrit «Le Chauffeur» dans son édition du 10 décembre 1897. "La mort est venue le surprendre en pleine prospérité ; deux mois de maladie ont suffi pour le terrasser", lit-on dans "La Science française", où l'on précise que celui qui lui succède à la tête de la société, c'est un camarade de l'école de Châlons, M. Hitier. 

dimanche 9 septembre 2018

Le jour où un repli en Haute-Marne a été envisagé - 10 septembre 1914



10 septembre 1914. Cinquième jour de la bataille de la Marne dans le "triangle" Vitry-le-François/Saint-Dizier/Bar-le-Duc. Tous les regards sont tournés vers Maurupt. Depuis trois jours, ce village situé à moins de 20 km de Saint-Dizier est le théâtre de furieux combats pour sa possession. Par deux fois, le 8 septembre 1914, le 72e RI a repris la localité. Le lendemain, le village a été bombardé «avec un acharnement incroyable». Dans la nuit du 9 au 10, c'est l'ultime coup de boutoir de l'ennemi. Ils sont cinq régiments d'infanterie, selon une source française, à se lancer à l'assaut de la position. Les 9e et 18e BCP et le 72e RI vont se battre toute la matinée.

En début d'après-midi, Maurupt reste aux Français, mais nos troupes sont exsangues. Alors un ordre de repli est ordonné, entre 14 h et 15 h. Officiellement, pour «se reformer dans les bois en arrière». Le lieu de rassemblement choisi : la maison du bois d'Amboise, en forêt de Maurupt, à mi-chemin entre ce village et Saint-Eulien. Nous ne sommes qu'à une poignée de kilomètres du sol haut-marnais. Selon le général commandant la 5e brigade, le 72e RI, dont le colonel Montéron va bientôt prendre le commandement, ne compte plus au maximum que 400 hommes et six officiers. C'est dire les pertes «considérables» subies.

Au moment où l'ordre de repli était donné, le général Gérard, commandant le 2e corps d'armée, rédige depuis son PC de Landricourt une instruction personnelle et secrète qui témoigne des craintes de l'état-major, même si le repli est présenté comme une manœuvre projetée sur les flancs droit et gauche de l'ennemi, «et dans le but d'attirer plus au sud l'ennemi». Ce qui passerait par la défense, par la division Rabier, d'une ligne Vouillers – Villiers-en-Lieu. Puis, «si nécessaire», d'une ligne Sapignicourt – Ambrières – La Neuville-au-Pont, c'est-à-dire côté gauche de la route Vitry – Saint-Dizier. Dans sa mission de recherche de liaison, le 19e chasseurs à cheval se porterait sur Hoéricourt.

Cette IPS aura un début d'exécution. Car les ambulances de la 4e DI se portent, pour l'une à Ambrières, tandis que l'autre reçoit l'ordre, à 17 h, d'aller cantonner à Hoëricourt.
Mais il n'y aura pas de repli en Haute-Marne. Restées en forêt de Maurupt, les troupes passeront une soirée et une nuit tranquilles, même si, selon le JMO de la 4e DI, «tous les villages brûlent». En effet, l'ennemi n'a pas été moins affaibli que les soldats français par ces journées de furieux combats. Alors il s'est retiré.
Au matin du 11 septembre 1914, nos troupes repartent de l'avant. Avant midi, le 128e RI et le 9e BCP entrent dans Maurupt. Trois colonnes convergent vers Sermaize-les-Bains qui est également réoccupé. Le lendemain, c'est Revigny-sur-Ornain qui redevient français.
La bataille de la Marne est terminée. Selon le site Mémoire des hommes, 524 soldats français sont morts sur le territoire de Maurupt-le-Montois en septembre 1914. dont 253 du 72e RI.

Cette illustration, tirée de l'ouvrage "En plein feu", représente un autre épisode des combats livrés ce 10 septembre 1914 dans la région : la conquête du bois de Faux-Miroir, près de Contrisson. 

mardi 3 juillet 2018


Un jeune héros de la Résistance provençale
le lieutenant-colonel Henri Hutinet

(Bussières-lès-Belmont 25 décembre 1920 – col des Lèques, Alpes-Maritimes, 5 juillet 1944). 

Henri-Noël Hutinet est un enfant du pays vannier. D'ailleurs, son père, Isidore-François-Marie Hutinet, 27 ans à la naissance de l'enfant, exerçait ce métier. La mère, Jeanne-Marie-Augustine Faivre, Dijonnaise de 31 ans, était couturière.
Isidore Hutinet était sergent durant la Première Guerre mondiale. Avec le 152e RI, il a été blessé le 25 mars 1915 à l'Hartmannwillerskopf, puis le 18 juin 1915 à Metzeral. Passé au 221e RI, le sous-officier a encore été touché le 30 avril 1918 et sera cité à l'ordre du régiment.

La petite famille réside au 20, rue de l'Eglise à Bussières, puis s'installe rapidement à Jussey, en Haute-Saône. Après ses études (il est notamment élève du lycée Pothier à Orléans), Henri Hutinet se dirige vers la carrière militaire. Il est admis, après les épreuves écrites des 15 et 16 mai 1940, avec le 34e rang, à l'école spéciale militaire de Saint-Cyr repliée à Aix-en-Provence, où il est incorporé le 16 décembre 1940. Il s'agit de la promotion «Maréchal-Pétain» qui sortira en juillet 1942. Sur 167 sous-lieutenants, 45 mourront pour la France ou en service commandé, selon le futur général Georges Roidot. Le jeune Haut-Marnais, qui n'a pas 22 ans, rejoint comme sous-lieutenant le 5e régiment d'infanterie à Saint-Etienne (Loire), jusqu'à la dissolution de l'armée d'armistice le 27 novembre 1942. Son temps de service est donc très court.

Très rapidement, il s'investit dans la Résistance forezienne, au sein des FTPF. Hutinet est ainsi de ceux qui, avec le futur commandant Ollier, installent le camp Wodli, en Haute-Loire, en janvier 1943. Devenu «Rossel», il est l'artisan de l'évasion, le 25 avril 1943, de 26 détenus de la prison du Puy. Lui-même arrêté le 8 mai 1943, emprisonné à Saint-Etienne, il s'évade le 25 septembre 1943. 

Le Haut-Marnais quitte alors ce secteur pour Lyon, puis pour les Basses-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence). Avec le grade de capitaine (sous le nom de «Jean-Louis Vornay»), il commande la 5e compagnie FTPF de ce département, opérant entre Castellane et Digne-les-Bains. Le 6 juin 1944, ses hommes tuent ainsi, à Vergons, le chef de la Gestapo de Digne. C'est en juillet 1944 qu'il trouve la mort au col des Lèques (sur la Route Napoléon), près de Castellane. La plupart des sources situent son décès au 5 juillet, parfois au 6. Henri Hutinet sera homologué lieutenant-colonel FFI et fait chevalier de la Légion d'honneur à titre posthume.

Henri Hutinet (1920-1944) (Collection club Mémoires 52)

dimanche 24 juin 2018

Le lieutenant "Jean", ce héros (3)

6 juillet 1943. Sous le nom de "Lefort", Krugell passe en Suisse près d'Annemasse, "entre deux sentinelles italiennes, en escaladant un mur haut de 3 m muni de barbelés. Il est fait prisonnier par les soldats suisses et interné au camp des Charmilles à Genève". Sa volonté "de rejoindre l'armée française" suscite rapidement l'intérêt du Service de renseignement suisse de Genève, qui lui propose de travailler pour lui. Krugell accepte "à sa condition de transmettre aux SR français et alliés les renseignements qu'il fournirait par la suite et d'être autorisé de rejoindre l'armée française aussitôt que celui lui était possible...“ Rentré en France, l'officier alsacien recueille bientôt de précieux renseignements, notamment le plan au 3/1 000e du dépôt SNCF de Creil. 


A Paris, il prend contact avec l'abbé Louis Paul, "un grand chef, auquel il transmettra dorénavant tous les renseignements. L'abbé Louis l'envoya à Quimper pour convoyer deux sous-officiers américains au départ de Pantin et pour rallier Londres avec eux. Ce départ n'eut pas lieu et Krugell revînt à Paris.“

Une nouvelle mission périlleuse l'attend : convoyer des aviateurs alliés en Espagne. Devenu entre-temps "Pergeot" puis "Pierre Kervran", enfin "Jean Rem", il prend, en avril 1944, un express entre Paris et Toulouse, et, à Saint-Laurent-Saint-Paul, se retrouve la tête d' "une véritable caravane : environ 35 Français, Américains et Anglais. L'auberge de la gare reçoit tout ce monde qui à la tombée de la nuit fait mouvement en auto par groupe de cinq en direction de la zone interdite, bande de terrain large d'environ 30 km et parallèle à la frontière espagnole.“

Il raconte : "On passe la nuit dans une grange et à six heures du matin la montée commence. Presqu'aussitôt on atteint la neige des Pyrénées, deux guides expérimentés frayant le passage. On monte à 2 000 m d'altitude. La première nuit est passée dans une grange à 1 000 m. Le lendemain, la pénible marche continue à travers une tempête de neige. Au soir venu, pas de repos. On change de guides. On descend dans la vallée de Luchon. Pour éviter de tomber entre les mains de l'ennemi on fait un crochet en suivant un chemin qui longe un torrent bordé de crevasses. Il fait noir. Un Américain tombe dans une crevasse et se blesse grièvement. On le cherche et la pénible montée continue, les guides ne se rendent pas compte qu'aucun des participants n'a de l'entraînement. Ainsi l'on marche jusqu'au jour et c'est près du téléférique (sic) de Super-Bagnères, dans une cabane, propriété des Eaux et forêts, que la caravane peut se reposer. Les guides la quittent, se promettent de revenir vers 17 h. La frontière n'est plus qu'à 3 km à vol d'oiseau.
Vers 15 h 30 du bruit dans la cabane. Les guides seraient-ils déjà revenus ? Non, ce ne sont pas les guides. On entend des cris, des hurlements, des coups de feu qui claquent. Ce sont les Boches qui approchent et qui entourent la caravane. A l'exception d'un Français, d'un Anglais et de quatre Américains." Krugell est tombé aux mains de l'occupant, le 21 avril 1944. Emprisonné, interrogé, il est dirigé sur le camp d'internement de Compiègne-Royallieu, anti-chambre de la Déportation. 

Quelques semaines plus tard, il participera à une retentissante évasion d'un train de déportés, déjà contée ici.