mardi 20 juin 2023

La répression en Haute-Marne : arrestations, exécutions, déportations (1941)


Henri Barth (1895-1949). Collection Club Mémoires 52.

Longtemps, et aujourd'hui encore, le chiffre de 516 Haut-Marnais déportés entre 1940 et 1944 a fait foi. Il a été établi voici 60 ans par Marcel Henriot, correspondant du Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Mais depuis, les recherches entreprises par le club Mémoires 52, qui ont fait l'objet de quatre ouvrages dont deux consacrés à l'extermination des juifs, la parution de travaux monumentaux (le livre-mémorial de la Fondation pour la mémoire de la déportation, le livre des 9 000 déportés de France à Mittelbau-Dora, pour ne citer qu'eux) a permis de corriger et enrichir ces statistiques. Corriger, car Marcel Henriot a inclus dans son travail des déportés installés en Haute-Marne au retour de la paix, des prisonniers de guerre internés dans des camps disciplinaires, ou des travailleurs forcés. Enrichir, car les historiens d'aujourd'hui disposent de davantage d'archives que leurs prédécesseurs.

A ce jour, nous sommes en mesure d'affiner ce chiffre et de le porter à 650, pour le moins. Il s'agit des hommes et des femmes nés, ou domiciliés en Haute-Marne durant l'Occupation, ou arrêtés dans le département. Nous évoquerons ici plus précisément ceux qui ont été emmenés Outre-Rhin durant les premières années d'occupation.

1941

Nombre de Haut-Marnais déportés en 1941 recensés par la Fondation pour la mémoire de la Déportation (FMD) : 5. Ils sont tous nés dans le département mais n'y résidaient pas au moment de leur arrestation.

Nombre de Haut-Marnais déportés en 1941 non recensés par la FMD : 6 ou 7. 

Total des déportés en 1941 : 11 ou 12.

Nombre de personnes arrêtées en Haute-Marne en 1941 : 158 ou 160.

Nombre de fusillés en 1941 : 2 (Edouard Aubertin et Jean-Albert Huot).

Notices biographiques 

MATUCHET (Marcel-Roger) (Aubepierre-sur-Aube 31 octobre 1907 - Rouen, Seine-Maritime, 5 janvier 1996). Il est le fils d'Emile Matuchet, garde-champêtre, et de Louise-Marie Menant. Il est nommé surveillant stagiaire des établissements pénitentiaires par arrêté du 19 mars 1932. En poste à la maison d'arrêt d'Evreux, domicilié rue de Paris, il se marie le 27 avril 1935, à Evreux, avec Lucienne Scribot. Marcel Matuchet est déporté le 27 mai 1941 vers les prisons de Sarrebrûck et Preuengesheim, Il est libéré le 13 décembre 1942 à Metz. De nouveau en poste à Evreux (son épouse est surveillante dans le même établissement), il est blessé d'un coup de poing le 24 août 1943, lors de l'évasion de sept détenus dont cinq seront repris. Sources : état civil d'Aubepierre ; livre-mémorial de la FMD ; Journal officiel ; presse régionale.

THIEBAUT (Lucien-Henri) (Chevillon 24 décembre 1901 - ?). Il est le fils de Charles-Victor Thiébaut, domestique, et de Marie-Julie-Antoinette Barbier. Ouvrier agricole dans la Meuse, il est condamné le 31 janvier 1941 à cinq (ou sept) années de réclusion par le tribunal de la Feldkommandantur 590 de Bar-le-Duc pour "détention d'une grenade et menace de mort". Incarcéré à Châlons-sur-Marne, puis à Bar-le-Duc du 12 au 18 juillet 1941, il est déporté le 20 juillet 1941 avec trois compatriotes vers les prisons de Sarrebrück, Rheinbach et Siegburg. Sources : état civil de Chevillon ; livre-mémorial de la FMD ; dossier 1251 W 1361, AD de la Meuse. 

PRIEUR (Christiane-Renée-Suzanne-Julia) (Doulaincourt 26 octobre 1916 - Chevreuse 10 mars 2002). Elle est la fille de Paul-Anselme Prieur, industriel, et de Fernande-Odile Giraud, domiciliés rue Pougny. Elle se marie à Boulogne-Billancourt le 27 décembre 1938 avec Gustave Nivou. Relieur dans la capitale, Gustave Nivou est arrêté avec six personnes dont son épouse, jugé le 19 mai 1941 par le tribunal de la Wehrmacht de Paris, et déporté le 25 août 1941 avec son épouse. Christiane Prieur est déportée vers les prisons de Karlsruhe, Anrath, Güterslohe, Schwelm, Hövelhof. Son mari décède en déportation le 18 avril 1945. Elle est libérée et se remarie à Paris le 27 septembre 1947 avec Alfred Lacour. Sources : état civil de Doulaincourt ; livre-mémorial de la FMD ; Auguste Gerhards, Tribunal de guerre du IIIe Reich, ministère de la Défense, 2014.

BOURGOIN (Paul-Augustin) (Chamouilley 8 juin 1889 - ). Forgeron, il est le fils de Louis-Auguste Bourgoin et de France-Joséphine-Eléonore. Dirigé le 1er octobre 1910 sur le 5e régiment de chasseurs d'Afrique, il sert au Maroc entre novembre 1911 et mars 1912 et reçoit la médaille du Maroc en mai 1914. Domicilié à Louvemont, rappelé au 4e régiment de chasseurs à cheval le 10 août 1914, il passe au 1er régiment de zouaves le 3 avril 1915. Il est blessé le 15 septembre 1915 au coude gauche par balle. Employé à la société meusienne à Ancerville (Meuse) le 6 décembre 1915, il est ajusteur au Réseau de l'Est à Châlons en 1919. Gardien de la paix  à Paris le 5 novembre 1920, il réside ensuite à Melun, puis à Dammarie-lès-Lys. Il est déporté le 8 décembre 1941 vers les prisons de Karlsruhe, Rheinbach, Siegburg. Il est libéré le 25 mai 1945. Source : feuille matricule, AD des Vosges ; livre-mémorial de la FMD.

NICOLAS (Jules-Henri) (Pierrefaite 10 septembre 1877 - Neuilly-sur-Seine 6 novembre 1952). Il est le fils de François Nicolas, cultivateur, et de Marie Debellemanière. Domicilié à Laferté-sur-Amance, il est étudiant à Paris au moment de son appel sous les drapeaux. Il s'engage à compter du 1er octobre 1896 à Paris au titre de l'Ecole centrale des arts et manufactures (arme de l'artillerie). Nommé sous-lieutenant de réserve au 17e bataillon d'artillerie à pied le 15 août 1899, il passe à la colonie du Tonkin le 22 mars 1902, au titre du régiment d'artillerie coloniale du Tonkin. Affecté au 4e RAC le 1er janvier 1904, il se marie à Paris le 7 décembre 1909 avec Lucie-Marie-Rose Levet. Promu lieutenant au groupe territorial du 8e régiment d'artillerie à pied le 14 juin 1913, mobilisé en août 1914, il est se distingue en septembre 1915 à la tête de sa batterie. Capitaine le 19 novembre 1916, Jules Nicolas poursuit sa carrière dans l'artillerie. Il est promu chef d'escadron honoraire de réserve le 12 janvier 1936. Il est arrêté dans le cadre de l'Opération Porto et déporté le 10 décembre 1941 vers les prisons de Dusseldorf, Anrath, Hinzert. Il est libéré le 15 août 1942. Jules Nicolas était ingénieur à son décès. Source : feuille matricule, AD de la Haute-Marne.

FIXEMER (Joseph) (Sarrebrück 27 février 1906). Il est le frère d'Henri Fixemer, le beau-frère d'Henri Barth. Militant anti-nazi dans la Sarre, il fuit l'Allemagne en 1935 et s'installe à Marnaval comme ouvrier. Naturalisé français, mobilisé en 1939, il échappe à la capture. Joseph Fixemer est arrêté à son domicile le 23 janvier 1941 par la police allemande. Jugé comme anti-nazi à Berlin, condamné à mort, il est déporté à Dachau. Rentré à Marnaval, il regagne la Sarre en 1945. Source : Déportés et internés de Haute-Marne, club Mémoires 52, 2005.

BARTH (Henri-Jean) (Sarrebrück 5 novembre 1895 - en Suisse 18 juin 1949). Il est le fils de Mathias Barth et de Katerine Menieur. Il est marié à Elise Fixemer. Le couple a un enfant, Henri, né à Sarrebrück en 1923. Ancien combattant 14-18 (il a été prisonnier de guerre des Russes), Henri Barth était militant syndicaliste, membre de l'Association anti-national-socialiste de la Sarre, conseiller municipal de Sarrebrück. Il se réfugie en France en février 1935 avec sa famille. Il est d'abord domicilié à Bagnières-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), puis s'installe à Saint-Dizier le 16 juillet 1936. Il travaille à la Société métallurgique de Champagne à Marnaval, où il est domicilié au 9, quartier des Soeurs. Il exerce le métier de machiniste, tandis que son fils est électricien dans la même entreprise. Henri Barth est naturalisé français le 6 mai 1937. Il est arrêté à son domicile le 28 avril 1941 par deux feldgendarmes et deux membres de la police allemande. "Ayant fait quelque résistance, la Gestapo menaça d'employer la force, et il consentit librement à suivre les fonctionnaires allemands", écrit le sous-préfet de Saint-Dizier. Conduit à la Kreiskommandantur de Saint-Dizier, transféré à Paris, il est interné durant deux mois à la prison de la Santé. Puis il est incarcéré durant quatre semaines à Trêves, puis à Sarrebrück. Il est jugé le 20 mars 1942 par le tribunal du peuple de cette ville, qui le condamne à un an de prison. Il effectue sa peine à la prison de Sarrebrück, General-Schroth-Strasse. Puis il est déporté à Dachau le 17 juillet 1942, puis à Neuengamme. Henri Barth échappe à la mort en Suède. Rentré à Marnaval en mai ou juin 1945, il retourne en Sarre, où il est élu conseiller, député à l'Assemblée législative de la Sarre, puis maire de Sarrebrück. Il décède en Suisse à l'occasion d'une rencontre d'élus socialistes européens. Source : Déportés et internés de Haute-Marne, op. cit ; rapport du sous-préfet de Wassy au préfet de la Haute-Marne, 21 mai 1942, ADHM ; lettre d'Elise Barth au ministre des Affaires étrangères à Paris, 22 août 1942, ADHM.

CHEVALME (Fernand) (Saint-Dizier 27 janvier 1922 - Manheim 13 mai 1943). Célibataire, il est ouvrier à l'usine du Clos-Mortier à Saint-Dizier. Il est arrêté le 11 juillet 1941 avec onze collègues. Accusés d'avoir jeté des boulons en direction de soldats allemands, ils sont emprisonnés au Val-Barizien à Chaumont puis traduits le 12 août 1941 devant le tribunal militaire de la Feldkommandantur 563. Fernand Chevalme est condamné à dix ans de travaux forcés et transféré à Bruchsal. Il meurt de maladie à Manheim. Source : Déportés et internés de Haute-Marne, op. cit.

MALGLAIVE (Raymond) (Saint-Dizier 19 avril 1920 - Vitry-le-François 5 août 2000). Ouvrier au Clos-Mortier, il est arrêté le 11 juillet 1941 avec Fernand Chevalme et neuf collègues. Il est condamné le 12 août 1941 à cinq de travaux forcés. Emprisonné à compter du 25 août 1941 à Ludwisburg, il rentre à Saint-Dizier le 14 avril 1945.

PARISSE (Marcel) (Saint-Dizier 15 juin 1921 - ?). Domicilié à Saint-Dizier, il est arrêté le 11 juillet 1941 dans le cadre de l'affaire du Clos-Mortier. Il est condamné à trois ans et demi de travaux forcés le 12 août 1941. Il exécute notamment cette peine à Preungesheim et rentre à Saint-Dizier le 14 avril 1945.

SCHWARTZ (Henri) (Saint-Dizier 22 juillet 1921 - ?). Célibataire, émailleur, il est arrêté le 14 juillet 1941 à la suite de l'affaire du Clos-Mortier. Il est condamné à deux ans de travaux forcés le 12 août 1941 par le tribunal militaire de la Feldkommandantur 563. Il est transféré à la prison de Freiberg le 25 août 1941, puis à celle de Bruchsal le 25 septembre 1941. Il rentre à Saint-Dizier le 14 avril 1941.

THOUVENIN (Louis) (Bettaincourt-sur-Rognon 22 octobre 1910 - Wittlich 23 mai 1943). Il aurait été arrêté en 1941 à Bettaincourt où il s'était réfugié chez ses parents. Emprisonné la même année à Wittlich, il y décède le 23 mai 1943.


    Parmi les personnes arrêtées en 1941, citons :

- 65 communistes entre le 22 juin et le 7 juillet 1941,

- au moins un citoyen britannique, cinq Russes (dont un juif), trois Américains...

- Lucien Praom, de la gare de Laferté-sur-Amance (Montesson), incarcéré à Clairvaux,

- Jean Vantyghem, de Curel, évadé à Chaumont.

    Signalons également le départ pour les prisons allemandes (puis pour le camp de concentration de Mauthausen) de très nombreux prisonniers de guerre espagnols internés dans les frontstalags 122 (Chaumont) et 123 (Langres), dont au moins un arrêté en Haute-Marne en 1941 selon M. Henriot. 

lundi 19 juin 2023

La Compagnie du Val (3) : l'heure de la Libération



La 6e section de l'adjudant (puis sous-lieutenant) Carlin, au  premier plan.

 La deuxième opération menée dans la même nuit du 27 au 28 août 1944 est tout aussi hardie, mais ô combien importante : le sabotage de la ligne ferroviaire Revigny - Saint-Dizier. Médecin  bragard âgé de 53 ans, investi depuis de nombreux mois dans le renseignement, le docteur Pierre Vesselle a révélé qu'une "division blindée" doit rejoindre la région de Commercy (Meuse) à Saint-Dizier par cette ligne, pour "empêcher l'avance des troupes alliées". Voilà pourquoi "le capitaine Thérin décide de faire sauter la ligne de chemin de fer qui se trouve entre Robert-Espagne et Baudonvilliers [...] Les charges de plastic furent préparées par le capitaine Thérin et par plusieurs résistants".

C'est la 2e section (Lelong) qui est à nouveau sollicitée pour cette action. L'équipe de saboteurs se compose du quartier-maître Aimé Voisot, né à Rachecourt-sur-Blaise en 1907, de Jean Liebgott, né à Saint-Dizier en 1919, de Pierre Lassalle, un Bragard qui a vu le jour à Pont-Varin en 1910, et de Jean Lebrun, né à Saint-Dizier en 1917. Ils seront accompagnés par Fernand Carrier, André Etienne et André Serrurier.

Il convient de noter qu'il y eut une première tentative de sabotage au même endroit, le 23 août 1944 selon la presse haut-marnaise, "mais celle-ci n'avait pas donné les résultats escomptés. Il fallait donc recommencer..." Il devrait s'agir du sabotage réalisé dans la nuit du 24 au 25 août 1944, entre Chancenay et la gare de Sommelonne-Baudonvilliers : à 6 h 45, "des pétards" ont explosé au passage d'une locomotive, remorquant un seul wagon qui a déraillé. Mais la circulation devait être rétablie à 9 h 30, selon le rapport des gendarmes d'Ancerville (1). 

C'est ce même article, paru en 1945, qui apporte des détails sur la mission de cette équipe, partie, selon le capitaine Thérin, de la forêt du Val, à bicyclette. Direction le tunnel de la Belle-Epine, entre Baudonvilliers et Robert-Espagne, "après avoir parcouru un secteur cependant étroitement surveillé par l'ennemi et qui comporte la traversée de la Marne et de deux routes nationales". Voilà une machine haut-le-pied. Les cinq saboteurs se cachent puis reprennent leur travail. A peine partis, "un train chargé de troupes venait de sauter sur les mines et plusieurs de ses wagons éventrés obstruaient maintenant les voies de leurs débris. Satisfaits, nos gars s'éloignèrent alors, cependant qu'une grêle de balles tirées par les boches |...] s'abattait dans toutes les directions..." Par ce succès, complété le lendemain par l'intervention de l'aviation alliée (deux avions américains qui, entre 9 h et 9 h 10, ont incendié 32 wagons et causé des pertes parmi les passagers), les FFI du Val empêchaient probablement le passage d'éléments de la 3.Panzer-Grenadier-Division, retirée du front italien et qui, le 29 août 1944, commettra les massacres de la vallée de la Saulx.

Une compagnie Libé-Nord

29 août 1944. Vitry-le-François est libérée par la 4th Armoured Division (4e division blindée américaine). Son prochain objetcif : forcément Saint-Dizier. Ce qui explique que ce jour-là, la forêt du Val s'anime. "A 20 h 30, ordre de rassemblement sur la ferme du Bois-l'Abbesse", précise le rapport de la section Lelong.

Quelle est l'organisation de l'unité ? Un document non signé et non daté - Renseignements concernant la libération de Saint-Dizier - précise qu'elle se compose de cinq sections respectivement commandées par Eugène Roux, Paul Lelong, Marcel Jobert, Henri Mougel et Marcel Carlin, "ayant comme adjoint M. Sancier". Pour le registre d'incorporation du maquis, ce sont plutôt six sections et une de commandement qui forment la compagnie. Selon ce document, la 3e section correspond au groupe d'Eurville-Bienville, sous les ordres de René Brassier, le lieutenant Marcel Mougel commande la 4e section, le sergent Jean-Paul Sancier la 5e, et le sous-lieutenant Marcel Carlin la 6e.

Si le registre comprend 265 noms, le colonel de Grouchy attribue à cette unité, qui relève du mouvement Libé-Nord, un effectif de cinq officiers, 32 sous-officiers et 291 hommes, soit 328 FFI. Ce qui est très exagéré, ce chiffre englobant également les volontaires de Doulaincout et de Froncles.

Chef de la 1ère section, le lieutenant Eugène Roux est né le 7 août 1914 à Saint-Dizier. Sous-officier d'active, il a obtenu son congé d'armistice et est rentré dans sa ville natale le 1er mars 1943. Lui qui a servi à l'Ecole d'équitation de Fontainebleau, sous les ordres du lieutenant-colonel Gabriel Zeller, avait d'abord rejoint le maquis Mauguet, puis il a quitté rapidement ce groupe FN. Sa section se compose de 29 hommes.


Un jeune FFI parmi d'autres : François Bazire, de la 1ère section.

La 2e section rassemble 39 FFI, en partie originaires de Marnaval. Y servent notamment deux Bitterois de 21 ans, André Crassous et Robert Laur, venus des Chantiers de jeunesse, qui seront promus tous deux au grade de sergent.

Si René Brassier est Bragard, les 35 hommes de sa section habitent pratiquement tous Eurville.

La 4e section est commandée par le lieutenant Marcel Jobert, né à Saint-Dizier en 1910, et ses 45 volontaires résident à Ancerville et Marnaval.

La 5e a pour chef le sergent Jean-Paul Sancier, né à Eurville en 1908.

Né en 1910 à Saint-Dizier, l'adjudant de réserve Marcel Carlin est artisan taileur, rue du Midi (aujourd'hui du Colonel-Raynal). Chef de section dans la 11e compagnie du III/242e RI, capturé à Xonrupt le 21 juin 1940, ce sportif accompli a participé aux activités du FN à l'automne 1943, notamment au transport d'armes du commissariat de police de Saint-Dizier. Le 27 août 1944, il a été brièvement arrêté par les Allemands lors d'une reconnaissance de positions de pièces d'artillerie allemande entre Saint-Dizier et Perthes, dans le bois de la Garenne. Le FFI Aloïs Steffan qui l'accompagne parvient à le faire libérer. C'est le 29 août que sa section rejoint la forêt du Val (33 hommes).

Enfin, la section de commandement, où sert notamment le sergent-chef Jean Perrin, réunit 37 volontaires, l'effectif étant complété par 24 noms de FFI non situés dans une section.

Veillée d'arme 

C'est donc le 29 août que les volontaires gagnent majoritairement la forêt. Victor Gross, à qui rendez-vous a été donné pour 16 h au Café de la Marina, témoigne (dans l'Est républicain en 1949) : "Nous étions une vingtaine de gars, sac au dos, qui partions allègrement [...] Les Allemands avaient fait un barrage à La Marina et à l'entrée de Marnaval. Nous avons "planqué" nos tacs tyroliens dans des baraques à  lapins [...], nous n'étions plus que quatre... Passent deux jeunes filles de Marnaval sur la route. Elles nous prirent en charge et nous permirent de passer le barrage à la barbe des Allemands, qui se bornèrent à la présentation des papiers [...] Nous avons erré dans la nuit à la recherche du maquis, et nous finîmes par le trouver vers minuit. Mon fils était là..."

Le récit d'une journée

29 août 1944

Capitaine Thérin : "Nous fûmes avertis que les Américains allaient arriver à Saint-Dizier par l'ouest. Nous reçûmes des ordres d'entrer à Saint-Dizier et de nous emparer de la ville par le sud".

Raoul Laurent : "Le maquis du Val [...] fit mouvement sur Saint-Dizier par la tranche de la Belle-Maison, jusqu'à la clairière de la ferme du Bois-l'Abbesse [...] Nous partîmes en reconnaissance avec Roux et le jeune Thiéblemont, dit Mickey ; en nous dissimulant derrière les haies, nous parvînmes au passage à niveau de la voie ferrée de Doulevant, puis jusqu'à un redan boisé en léger surplomb de la voie ferrée [...] Le stade municipal nous apparaissait bourré de matériel, armes, camions, hommes...".

30 août 1944

R. Laurent : "Le jour suivant, nous partîmes en rampant vers la lisière du bois, à la sortie de la clairière du bois-l'Abbesse, et nous fûmes rejoints par une demi-section qui s'installa à gauche du chemin, tandis qu'Eugène Roux et sa section partaient en reconnaissance vers la ferme de Saint-Pantaléon."

Il est peut-être 9 h, selon le journal de marche des FFI de la Haute-Marne, lorsqu'un accrochage implique la 1ère section et un détachement ennemi vers la ferme de Saint-Pantaléon, propriété de M. Pesme. L'adjudant Lucien Godde se souvient que c'est après avoir marché pendant une demi-heure que les FFI se sont heurtés à l'ennemi. Il s'agissait, à l'angle de la route de Joinville et du chemin de la Marina, de deux canons cantons anti-chars et deux mitrailleuses allemandes (attestation du lieutenant Roux). Il y a quatre blessés dans les rangs des maquisards : Joseph Wasiliewsky, 29 ans, touché par un éclat d'obus au pied gauche, Roger Marchal, le sergent Jean Collin, ainsi qu'un FFI jusqu'alors non cité dans les récits, Georges Fabert, atteint à la cuisse gauche. Grâce au sergent Guillaume Schultz et à Zimmermann (Bernard ?), ces blessés sont évacués (ils seront soignés à la ferme du Bois-l'Abbesse par Madeleine Faivre et Fernande Lombard), tandis que leurs camarades poursuivent leur mission. 

Belge d'origine, Lucien Van Echelpoel fait partie "des quatre hommes qui, seuls, avaient pu suivre ma progression, rapporte le lieutenant Roux, les autres ayant été tués (sic) ou blessés, ou dans l'impossibilité de passer le feu des armes automatiques (malgré notre petit nombre, nous avons continué notre attaque sur les pièces qui décrochent). Entre-temps, les deux nids de mitrailleuses sont détruits par un FM de la section".

Les Allemands décrochent alors en direction de Marnaval par la RN 67, sous le tir des Américains qui prennent aussi sous leur feu les maquisards. "Un Piper-cub américain survolant le quartier et la forêt règle ces tirs, l'observateur ne peut savoir s'il a sous lui des Allemands ou des amis", confirme l'amicale des anciens du maquis. C'est le lieutenant Harley S. Merrick, du 94e bataillon d'artillerie blindée américain, qui, depuis le ciel, pensait avoir affaire à des Allemands.

Pour sa part, la 2e section (Lelong) "est dirigée à l'orée du bois sur la route de Valcourt, en face de la ferme du docteur Reny [...] Les Américains arrivent sur le terrain d'aviation de Robinson. La section essuie le feu de l'artillerie ennemie ainsi que le tir des mitrailleuses lourdes des Américains, sans pouvoir se faire reconnaître de ceux-ci [...] L'ennemi en retraite [...] quitte définitivement la route de Valcourt, il est environ 11 h 30. A 13 h 30, la section entre dans Saint-Dizier par la route de Valcourt, le pont Godard-Jeanson".

Ayant empêché le pont de sauter, bien qu'il ait été miné, la compagnie parvient en effet en centre-ville par les promenades du Jard. La mairie, la sous-préfecture, La Poste sont occupés. La section Lelong participe au nettoyage de la ville (au collège, notamment) avec la 4e DBUS, entrée dans la ville sous les ordres du lieutenant-colonel George L. Jaques, du combat command A. La colonne de Jaques a fait mouvement à partir de 7 h (heure américaine), prenant le terrain de Robinson où un Dornier 217 et deux Me 110 sont détruits (compagnie MacMahon du 37e bataillon de chars), neutralisant à 9 h 30 deux ou trois pièces d'artillerie à l'entrée de la ville et remontant l'avenue de la République (compagnie Miller du 35e bataillon de chars et 53e bataillon d'infanterie blindé). A 12 h 30, Saint-Dizier est considérée comme nettoyée.


La Compagnie du Val accueillie par des habitants. 


Dans l'après-midi, "une patrouille commandée par Pernel arrête, rue Buffon, un tireur revêtu de l'uniforme allemand", précise le récit de l'amicale du maquis. Dans le quartier de Gigny, un FFI de la section Lelong, Georges Mainvis, 20 ans, se propose, avenue Alsace-Lorraine, de guider un char américain afin de réduire au silence une pièce anti-char servie par sept soldats allemands. Ce qui est exécuté, grâce à une manoeuvre par la rue de la Bénivalle. C'est dans cette même avenue que l'époux de la patronne du bar de l'Est, Germain Pin, membre des FTP, a été tué vers 11 h d'une balle à la carotide, alors qu'il renseignait un char américain.

Durant cette journée, la Compagnie du Val n'a déploré qu'une victime : Lucien Groffe, FFI marnavalais de 31 ans né à Doulaincourt. Dans l'après-midi, ce membre de la 2e section a été trouvé porteur d'une arme et d'un brassard FFI, et exécuté près du cimetière de Marnaval. Notons aussi que, longtemps ignorées, les pertes de la population civile ont été particulièrement importantes, notamment du fait des tirs américains : 23 morts (aux Ajots, dans la rue des Carpières, à Marnaval), et au moins quatre ont été blessés.

Le lendemain, le nettoyage de la région se poursuit. Au cours d'une mission à Chamouilley, le lieutenant Roux, le chauffeur Guy Grapinet sont blessés dans un accident, sur la route de Güe. Ce même 31 août, des éléments de la Compagnie se portent dans la vallée de la Saulx. Le capitaine Thérin rédige un rapport sur les massacres du 29 août. "Deux prisonniers SS sont faits par les FFI", note le journal de marche du colonel de Grouchy. Ce que ce document ne précise pas, c'est que ces deux hommes sont fusillés, ce qui suscitera la réprobation d'au moins un maquisard.

Formant la 1ère compagnie du Bataillon FFI de Saint-Dizier, l'unité est ensuite dirigée par le major britannique Nicholas Bodington sur la région Nord de Chaumont, le 9 septembre 1944, pour tenir une ligne Juzennecourt - Bologne. Les opérations - déjà évoquées sur ce blog - lui occasionneront trois blessés.

Après le retour à Saint-Dizier, la compagnie est dissoute. Au moins 29 de ses hommes - dont le lieutenant Henri Mougel, les aspirants Robert Frédéric, Robert Mougel et Michel Zeller -, partis le 29 septembre 1944 pour Chaumont, s'engageront dans le 21e régiment d'infanterie coloniale, affectés essentiellement dans la 3e compagnie.  

Lionel Fontaine

(1) Dossier 1251 W 1279, Arch. dép. de la Meuse.