lundi 19 juin 2023

La Compagnie du Val (3) : l'heure de la Libération



La 6e section de l'adjudant (puis sous-lieutenant) Carlin, au  premier plan.

 La deuxième opération menée dans la même nuit du 27 au 28 août 1944 est tout aussi hardie, mais ô combien importante : le sabotage de la ligne ferroviaire Revigny - Saint-Dizier. Médecin  bragard âgé de 53 ans, investi depuis de nombreux mois dans le renseignement, le docteur Pierre Vesselle a révélé qu'une "division blindée" doit rejoindre la région de Commercy (Meuse) à Saint-Dizier par cette ligne, pour "empêcher l'avance des troupes alliées". Voilà pourquoi "le capitaine Thérin décide de faire sauter la ligne de chemin de fer qui se trouve entre Robert-Espagne et Baudonvilliers [...] Les charges de plastic furent préparées par le capitaine Thérin et par plusieurs résistants".

C'est la 2e section (Lelong) qui est à nouveau sollicitée pour cette action. L'équipe de saboteurs se compose du quartier-maître Aimé Voisot, né à Rachecourt-sur-Blaise en 1907, de Jean Liebgott, né à Saint-Dizier en 1919, de Pierre Lassalle, un Bragard qui a vu le jour à Pont-Varin en 1910, et de Jean Lebrun, né à Saint-Dizier en 1917. Ils seront accompagnés par Fernand Carrier, André Etienne et André Serrurier.

Il convient de noter qu'il y eut une première tentative de sabotage au même endroit, le 23 août 1944 selon la presse haut-marnaise, "mais celle-ci n'avait pas donné les résultats escomptés. Il fallait donc recommencer..." Il devrait s'agir du sabotage réalisé dans la nuit du 24 au 25 août 1944, entre Chancenay et la gare de Sommelonne-Baudonvilliers : à 6 h 45, "des pétards" ont explosé au passage d'une locomotive, remorquant un seul wagon qui a déraillé. Mais la circulation devait être rétablie à 9 h 30, selon le rapport des gendarmes d'Ancerville (1). 

C'est ce même article, paru en 1945, qui apporte des détails sur la mission de cette équipe, partie, selon le capitaine Thérin, de la forêt du Val, à bicyclette. Direction le tunnel de la Belle-Epine, entre Baudonvilliers et Robert-Espagne, "après avoir parcouru un secteur cependant étroitement surveillé par l'ennemi et qui comporte la traversée de la Marne et de deux routes nationales". Voilà une machine haut-le-pied. Les cinq saboteurs se cachent puis reprennent leur travail. A peine partis, "un train chargé de troupes venait de sauter sur les mines et plusieurs de ses wagons éventrés obstruaient maintenant les voies de leurs débris. Satisfaits, nos gars s'éloignèrent alors, cependant qu'une grêle de balles tirées par les boches |...] s'abattait dans toutes les directions..." Par ce succès, complété le lendemain par l'intervention de l'aviation alliée (deux avions américains qui, entre 9 h et 9 h 10, ont incendié 32 wagons et causé des pertes parmi les passagers), les FFI du Val empêchaient probablement le passage d'éléments de la 3.Panzer-Grenadier-Division, retirée du front italien et qui, le 29 août 1944, commettra les massacres de la vallée de la Saulx.

Une compagnie Libé-Nord

29 août 1944. Vitry-le-François est libérée par la 4th Armoured Division (4e division blindée américaine). Son prochain objetcif : forcément Saint-Dizier. Ce qui explique que ce jour-là, la forêt du Val s'anime. "A 20 h 30, ordre de rassemblement sur la ferme du Bois-l'Abbesse", précise le rapport de la section Lelong.

Quelle est l'organisation de l'unité ? Un document non signé et non daté - Renseignements concernant la libération de Saint-Dizier - précise qu'elle se compose de cinq sections respectivement commandées par Eugène Roux, Paul Lelong, Marcel Jobert, Henri Mougel et Marcel Carlin, "ayant comme adjoint M. Sancier". Pour le registre d'incorporation du maquis, ce sont plutôt six sections et une de commandement qui forment la compagnie. Selon ce document, la 3e section correspond au groupe d'Eurville-Bienville, sous les ordres de René Brassier, le lieutenant Marcel Mougel commande la 4e section, le sergent Jean-Paul Sancier la 5e, et le sous-lieutenant Marcel Carlin la 6e.

Si le registre comprend 265 noms, le colonel de Grouchy attribue à cette unité, qui relève du mouvement Libé-Nord, un effectif de cinq officiers, 32 sous-officiers et 291 hommes, soit 328 FFI. Ce qui est très exagéré, ce chiffre englobant également les volontaires de Doulaincout et de Froncles.

Chef de la 1ère section, le lieutenant Eugène Roux est né le 7 août 1914 à Saint-Dizier. Sous-officier d'active, il a obtenu son congé d'armistice et est rentré dans sa ville natale le 1er mars 1943. Lui qui a servi à l'Ecole d'équitation de Fontainebleau, sous les ordres du lieutenant-colonel Gabriel Zeller, avait d'abord rejoint le maquis Mauguet, puis il a quitté rapidement ce groupe FN. Sa section se compose de 29 hommes.


Un jeune FFI parmi d'autres : François Bazire, de la 1ère section.

La 2e section rassemble 39 FFI, en partie originaires de Marnaval. Y servent notamment deux Bitterois de 21 ans, André Crassous et Robert Laur, venus des Chantiers de jeunesse, qui seront promus tous deux au grade de sergent.

Si René Brassier est Bragard, les 35 hommes de sa section habitent pratiquement tous Eurville.

La 4e section est commandée par le lieutenant Marcel Jobert, né à Saint-Dizier en 1910, et ses 45 volontaires résident à Ancerville et Marnaval.

La 5e a pour chef le sergent Jean-Paul Sancier, né à Eurville en 1908.

Né en 1910 à Saint-Dizier, l'adjudant de réserve Marcel Carlin est artisan taileur, rue du Midi (aujourd'hui du Colonel-Raynal). Chef de section dans la 11e compagnie du III/242e RI, capturé à Xonrupt le 21 juin 1940, ce sportif accompli a participé aux activités du FN à l'automne 1943, notamment au transport d'armes du commissariat de police de Saint-Dizier. Le 27 août 1944, il a été brièvement arrêté par les Allemands lors d'une reconnaissance de positions de pièces d'artillerie allemande entre Saint-Dizier et Perthes, dans le bois de la Garenne. Le FFI Aloïs Steffan qui l'accompagne parvient à le faire libérer. C'est le 29 août que sa section rejoint la forêt du Val (33 hommes).

Enfin, la section de commandement, où sert notamment le sergent-chef Jean Perrin, réunit 37 volontaires, l'effectif étant complété par 24 noms de FFI non situés dans une section.

Veillée d'arme 

C'est donc le 29 août que les volontaires gagnent majoritairement la forêt. Victor Gross, à qui rendez-vous a été donné pour 16 h au Café de la Marina, témoigne (dans l'Est républicain en 1949) : "Nous étions une vingtaine de gars, sac au dos, qui partions allègrement [...] Les Allemands avaient fait un barrage à La Marina et à l'entrée de Marnaval. Nous avons "planqué" nos tacs tyroliens dans des baraques à  lapins [...], nous n'étions plus que quatre... Passent deux jeunes filles de Marnaval sur la route. Elles nous prirent en charge et nous permirent de passer le barrage à la barbe des Allemands, qui se bornèrent à la présentation des papiers [...] Nous avons erré dans la nuit à la recherche du maquis, et nous finîmes par le trouver vers minuit. Mon fils était là..."

Le récit d'une journée

29 août 1944

Capitaine Thérin : "Nous fûmes avertis que les Américains allaient arriver à Saint-Dizier par l'ouest. Nous reçûmes des ordres d'entrer à Saint-Dizier et de nous emparer de la ville par le sud".

Raoul Laurent : "Le maquis du Val [...] fit mouvement sur Saint-Dizier par la tranche de la Belle-Maison, jusqu'à la clairière de la ferme du Bois-l'Abbesse [...] Nous partîmes en reconnaissance avec Roux et le jeune Thiéblemont, dit Mickey ; en nous dissimulant derrière les haies, nous parvînmes au passage à niveau de la voie ferrée de Doulevant, puis jusqu'à un redan boisé en léger surplomb de la voie ferrée [...] Le stade municipal nous apparaissait bourré de matériel, armes, camions, hommes...".

30 août 1944

R. Laurent : "Le jour suivant, nous partîmes en rampant vers la lisière du bois, à la sortie de la clairière du bois-l'Abbesse, et nous fûmes rejoints par une demi-section qui s'installa à gauche du chemin, tandis qu'Eugène Roux et sa section partaient en reconnaissance vers la ferme de Saint-Pantaléon."

Il est peut-être 9 h, selon le journal de marche des FFI de la Haute-Marne, lorsqu'un accrochage implique la 1ère section et un détachement ennemi vers la ferme de Saint-Pantaléon, propriété de M. Pesme. L'adjudant Lucien Godde se souvient que c'est après avoir marché pendant une demi-heure que les FFI se sont heurtés à l'ennemi. Il s'agissait, à l'angle de la route de Joinville et du chemin de la Marina, de deux canons cantons anti-chars et deux mitrailleuses allemandes (attestation du lieutenant Roux). Il y a quatre blessés dans les rangs des maquisards : Joseph Wasiliewsky, 29 ans, touché par un éclat d'obus au pied gauche, Roger Marchal, le sergent Jean Collin, ainsi qu'un FFI jusqu'alors non cité dans les récits, Georges Fabert, atteint à la cuisse gauche. Grâce au sergent Guillaume Schultz et à Zimmermann (Bernard ?), ces blessés sont évacués (ils seront soignés à la ferme du Bois-l'Abbesse par Madeleine Faivre et Fernande Lombard), tandis que leurs camarades poursuivent leur mission. 

Belge d'origine, Lucien Van Echelpoel fait partie "des quatre hommes qui, seuls, avaient pu suivre ma progression, rapporte le lieutenant Roux, les autres ayant été tués (sic) ou blessés, ou dans l'impossibilité de passer le feu des armes automatiques (malgré notre petit nombre, nous avons continué notre attaque sur les pièces qui décrochent). Entre-temps, les deux nids de mitrailleuses sont détruits par un FM de la section".

Les Allemands décrochent alors en direction de Marnaval par la RN 67, sous le tir des Américains qui prennent aussi sous leur feu les maquisards. "Un Piper-cub américain survolant le quartier et la forêt règle ces tirs, l'observateur ne peut savoir s'il a sous lui des Allemands ou des amis", confirme l'amicale des anciens du maquis. C'est le lieutenant Harley S. Merrick, du 94e bataillon d'artillerie blindée américain, qui, depuis le ciel, pensait avoir affaire à des Allemands.

Pour sa part, la 2e section (Lelong) "est dirigée à l'orée du bois sur la route de Valcourt, en face de la ferme du docteur Reny [...] Les Américains arrivent sur le terrain d'aviation de Robinson. La section essuie le feu de l'artillerie ennemie ainsi que le tir des mitrailleuses lourdes des Américains, sans pouvoir se faire reconnaître de ceux-ci [...] L'ennemi en retraite [...] quitte définitivement la route de Valcourt, il est environ 11 h 30. A 13 h 30, la section entre dans Saint-Dizier par la route de Valcourt, le pont Godard-Jeanson".

Ayant empêché le pont de sauter, bien qu'il ait été miné, la compagnie parvient en effet en centre-ville par les promenades du Jard. La mairie, la sous-préfecture, La Poste sont occupés. La section Lelong participe au nettoyage de la ville (au collège, notamment) avec la 4e DBUS, entrée dans la ville sous les ordres du lieutenant-colonel George L. Jaques, du combat command A. La colonne de Jaques a fait mouvement à partir de 7 h (heure américaine), prenant le terrain de Robinson où un Dornier 217 et deux Me 110 sont détruits (compagnie MacMahon du 37e bataillon de chars), neutralisant à 9 h 30 deux ou trois pièces d'artillerie à l'entrée de la ville et remontant l'avenue de la République (compagnie Miller du 35e bataillon de chars et 53e bataillon d'infanterie blindé). A 12 h 30, Saint-Dizier est considérée comme nettoyée.


La Compagnie du Val accueillie par des habitants. 


Dans l'après-midi, "une patrouille commandée par Pernel arrête, rue Buffon, un tireur revêtu de l'uniforme allemand", précise le récit de l'amicale du maquis. Dans le quartier de Gigny, un FFI de la section Lelong, Georges Mainvis, 20 ans, se propose, avenue Alsace-Lorraine, de guider un char américain afin de réduire au silence une pièce anti-char servie par sept soldats allemands. Ce qui est exécuté, grâce à une manoeuvre par la rue de la Bénivalle. C'est dans cette même avenue que l'époux de la patronne du bar de l'Est, Germain Pin, membre des FTP, a été tué vers 11 h d'une balle à la carotide, alors qu'il renseignait un char américain.

Durant cette journée, la Compagnie du Val n'a déploré qu'une victime : Lucien Groffe, FFI marnavalais de 31 ans né à Doulaincourt. Dans l'après-midi, ce membre de la 2e section a été trouvé porteur d'une arme et d'un brassard FFI, et exécuté près du cimetière de Marnaval. Notons aussi que, longtemps ignorées, les pertes de la population civile ont été particulièrement importantes, notamment du fait des tirs américains : 23 morts (aux Ajots, dans la rue des Carpières, à Marnaval), et au moins quatre ont été blessés.

Le lendemain, le nettoyage de la région se poursuit. Au cours d'une mission à Chamouilley, le lieutenant Roux, le chauffeur Guy Grapinet sont blessés dans un accident, sur la route de Güe. Ce même 31 août, des éléments de la Compagnie se portent dans la vallée de la Saulx. Le capitaine Thérin rédige un rapport sur les massacres du 29 août. "Deux prisonniers SS sont faits par les FFI", note le journal de marche du colonel de Grouchy. Ce que ce document ne précise pas, c'est que ces deux hommes sont fusillés, ce qui suscitera la réprobation d'au moins un maquisard.

Formant la 1ère compagnie du Bataillon FFI de Saint-Dizier, l'unité est ensuite dirigée par le major britannique Nicholas Bodington sur la région Nord de Chaumont, le 9 septembre 1944, pour tenir une ligne Juzennecourt - Bologne. Les opérations - déjà évoquées sur ce blog - lui occasionneront trois blessés.

Après le retour à Saint-Dizier, la compagnie est dissoute. Au moins 29 de ses hommes - dont le lieutenant Henri Mougel, les aspirants Robert Frédéric, Robert Mougel et Michel Zeller -, partis le 29 septembre 1944 pour Chaumont, s'engageront dans le 21e régiment d'infanterie coloniale, affectés essentiellement dans la 3e compagnie.  

Lionel Fontaine

(1) Dossier 1251 W 1279, Arch. dép. de la Meuse. 

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