mardi 11 janvier 2022

A propos de l'exécution de prisonniers allemands à Andelot (12 septembre 1944)


La fouille de prisonniers allemands, à Andelot. (Collection R. Dronne). 


A la fin des années 90, un professeur d'allemand originaire d'Andelot, Daniel Guérain, prenait contact avec le club Mémoires 52. Cet ancien enseignant retiré en Savoie souhaitait savoir si nous possédions des informations sur un "massacre" de prisonniers allemands commis à Andelot, le 12 septembre 1944, par des soldats de la 2e division blindée, après la rapide libération du bourg. Des faits dont nous n'avions jamais entendu parler.

Dans la correspondance entretenue avec nous, Daniel Guérain s'interrogeait d'abord sur le nombre réel de victimes allemandes lors de ces combats. Le premier rapport français, celui du commandant Cantarel, publié le 25 septembre 1944, parle de "200 tués au moins. Prisonniers : huit officiers dont un colonel et un commandant, 650 hommes dont 96 sous-officiers". Ultérieurement, l'historique du GTV (groupement tactique Warabiot, alors sous les ordres du général Billotte) rehaussera ce bilan : plus de 300 morts et 700 prisonniers. Dans un témoignage bien connu, le lieutenant Yves de Daruvar, Compagnon de la Libération, ira jusqu'à écrire : 600 morts et 900 prisonniers ! Pour sa part, le capitaine Raymond Dronne a noté : "Beaucoup de cadavres d'Allemands un peu partout dans le bourg et dans les champs". Et un FFI haut-marnais, à la vue d'un pré : "Deux cents morts peut-être. L'artillerie de la 2e DB avait fait une boucherie". D'où il ressort de ces différents témoignages que les pertes allemandes ont été très importantes, au point d'impressionner les témoins dont certains fort aguerris. Pourtant, vu de Haute-Marne, le bilan serait moindre. Dans son journal de marche des FFI de Haute-Marne, le colonel Emmanuel de Grouchy, chef départemental FFI, a écrit : 48 tués, 938 prisonniers. Dans un courrier adressé au préfet, le maire d'Andelot a précisé, en octobre 1944 : 48 corps dans une fosse commune, onze dans six tombes dans l'ancien cimetière, "probablement au total sept Allemands" dans deux tombes rue de Signéville. Soit environ 66 victimes, dont 55 tombées le 12 septembre 1944. Nous sommes loin des bilans dithyrambiques donnés par les officiers français.

Mais pour Daniel Guérain, il y aurait eu bien plus que 55 victimes, ce jour-là. Il en veut pour preuve le témoignage d'un soldat allemand prisonnier qui écrira avoir procédé à l'inhumation de "300 corps environ dans une fosse commune". Pour M. Guérain, cette fosse serait distincte de celle évoquée par le maire, et elle serait en lien avec un "massacre" de prisonniers.

C'est un fait aujourd'hui avéré. Des soldats allemands ont bien été exécutés après leur reddition. Il existe des preuves photographiques, dans les collections des musées de Paris. Pris par un médecin de la 2e DB, ces clichés montrent un lieutenant de blindés tirant au pistolet sur des Allemands désarmés. Trois sont visibles sur une photo saisissante. Cet épisode, le lieutenant de Daruvar et un équipier du lieutenant français - ce dernier était dans une "rage rouge", a écrit le capitaine Dronne - l'ont confirmé. Dans son livre de souvenirs "Du Contentin à Colmar avec les chars de Leclerc", Maurice Boverat a témoigné lui aussi avoir vu un camarade - il précisait : un Alsacien - tirer sur des prisonniers. Un ancien FFI a vu encore quatre à six captifs "descendus à la mitraillette par des Leclerc" (témoignage recueilli par D. Guérain). Y avait-il, parmi eux, l'aspirant Ludwig Elfgang, dont un courrier officiel de 1954 de l'Association pour la recherche et l'entretien des sépultures allemandes précise qu'"il a été fusillé avec cinq de ses camarades" ?

Il y aurait eu pire, selon le carnet de route d'un sous-officier du Régiment de marche du Tchad et le témoignage, toutefois beaucoup plus nuancé, d'un chef de section : un char français aurait tiré sur une grange où avaient été rassemblés des dizaines de prisonniers. Pressé de questions par Daniel Guérain, ce chef de section (Compagnon de la Libération lui aussi) n'en dira pas plus mais confiera : "Andelot est le seul mauvais souvenir de notre campagne de France". Et de préciser sa pensée : "Ou l'on accepte un prisonnier, ou on ne l'accepte pas..."

Devant ces témoignages de vétérans de la division Leclerc recueillis par M. Guérain et reconnaissant des crimes de guerre, des voix s'élèveront : celle d'habitants d'Andelot et d'anciens FFI ayant pris part aux combats. A la publication en 1999 d'un article du Journal de la Haute-Marne rendant compte des recherches de M. Guérain (aujourd'hui décédé), ils réfuteront avec vigueur toutes ces accusations. "Une grange avec 500 morts, mais quelle grange ? écrira ainsi un habitant qui fut otage des Allemands. Andelot n'est pas si grand pour que cela ne se sache. Je connais juste une étable ; mais (deux habitants) n'ont trouvé dans les décombres que les restes de bovins..." 

Voilà, à ce jour, ce que nous sommes en mesure de pouvoir écrire au sujet de cette affaire, dans un propos n'ayant nullement l'intention de porter atteinte à l'honneur des combattants de la division Leclerc, mais celle de faire un point objectif sur une question qui reste toujours sensible, sept décennies après les faits.

Source principale : correspondance avec M. Daniel Guérain (1999-2004).