mardi 13 décembre 2022

Les derniers jours du "colonel Fabien" dans le Nord-Est, décembre 1943


 

Un portrait de Pierre Georges (1919-1944), dans un avis de recherche lancé par les Renseignements généraux après son évasion du fort de Romainville en juin 1943 et conservé par les Archives départementales de la Haute-Marne.


Le 22 février 1944, en intervenant au 33, boulevard Lobau à Nancy, la 15e brigade régionale de police de sûreté abattait Pierre Buffard ("Gérard"), commissaire militaire de la région 2 (Meurthe-et-Moselle), interpellait Charles Guillaume ("Renaud"), commissaire aux effectifs régional, et son épouse Simone Baron ("Claudine"), tous trois transfuges des FTP de la Haute-Saône, et mettait la main sur une importante documentation.

Il s'agit des archives de l'interrégion n°21 des FTPF, provenant essentiellement de la Haute-Saône (région 7), de la Haute-Marne (région 4) et de la Meurthe-et-Moselle (région 2). Ordres, communiqués, rapports d'activité, organisation des compagnies, etc. : cette masse documentaire saisie par les policiers nancéiens est d'une grande utilité pour les historiens puisque, conservée par les Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, elle permet de mieux connaître le rôle joué, dans l'action armée dans le Nord-Est de la France, par le commissaire militaire interrégional (CMIR), Pierre Georges, plus connu sous le nom de colonel Fabien, à cette époque appelé commandant Albert, ou Camille, voire Patrie.

Au moment de l'intervention de la 15e brigade régionale, Pierre Georges avait quitté le Nord-Est depuis de nombreuses semaines. Il était parti courant décembre 1943. Grâce à différentes pièces d'archives conservées à Dijon et à Nancy, grâce à de rares témoignages écrits (en premier lieu ceux de son compagnon d'arme et biographe Pierre Durand), il est possible de suivre à la trace, autant que faire se peut, le valeureux résistant FTP durant ses dernières semaines de présence dans les sept départements de Franche-Comté, de Lorraine et de Champagne dont il avait la responsabilité.

Fin novembre, début décembre 1943, Pierre Georges est ainsi présent à une réunion qui se tenait au café La Lie des Moines à Froideconche (Haute-Saône). Pas moins de 18 résistants étaient présents à ce rendez-vous qui aurait dû, initialement, ne concerner que les principaux responsables des FTP de Haute-Saône et des agents de liaison. Cette affluence imprévue, dangereuse pour leur sécurité, devait stupéfier le commandant Albert, qui a appris en outre, ce soir-là, que le chef de la Compagnie Valmy, le lieutenant Georges Pouto ("Georges"), était un repris de justice. Celui qui avait fait cette confidence à Albert, Raymond Guyot, devait d'ailleurs être assassiné dans la nuit par le même Pouto, et son corps retrouvé le 5 décembre 1943 à Froideconche. A la même période (le 2 décembre 1943, selon l'intéressé), Pierre Georges affecte le commissaire technique régional de la région 7, Richard (ex-Gaby, ex-Gustave), Gabriel Szymkowiak, à la Haute-Marne, où il exercera finalement la fonction de commissaire militaire régional.

Le 4 décembre 1943, le CMIR passe par Nancy, ville qu'il connaît bien pour avoir été hébergé chez Camille Camus (au 15, rue Thierry-Alix) et chez Mme François (au 6, rue de Rigny). Là, alors qu'il voyage en train avec une agent de liaison, Albert est rejoint par un garde du corps qui a été armé par les soins de Pierre Buffard : André Camus ("Mario"), frère de Camille Camus. Tous trois prennent la direction de Château-Thierry, puis de Pantin. Manifestement, Pierre Georges avait un rendez-vous important à Paris. Le 11 décembre 1943, selon le récit de Jean Girardot, le maire de Magny-Vernois cité par Pierre Durand, le chef FTPF est de retour en Haute-Saône puisqu'il rend visite à ce père de famille qui héberge sa fille Monique et lui annonce qu'il quitte la région. Vers le 12 décembre, André Camus croise encore, à Chaumont, Albert et l'agent de liaison Mariette (Suzanne Paganelli).

Pierre Georges était-il alors sur le départ ? Rien n'est sûr. Commerçant à Lure (Haute-Saône), Martial Vidal affirme que "le jour-même où [Georges Pouto] fit semblant (sic) de se faire arrêter, le colonel Fabien, que j'avais vu, m'avait dit [que Pouto] devait être abattu, ce jour-là, par de vrais résistants, à la suite d'un conseil qui avait été prévu à Magny-Vernois"

C'est en effet le 17 décembre 1943 que le lieutenant Georges, devenu commissaire militaire régional des FTP de la Haute-Saône à la place du capitaine Jean (Albert Poirier), a été arrêté par des feldgendarmes à Magny-Vernois, alors qu'il se rendait à une réunion du comité militaire régional. Après sa capture, réalisée en même temps que celle de Sarrazin dit Serge ou L'Arabe, Pouto devait se mettre très rapidement au service de la police allemande et provoquer les arrestations de nombreux membres de sa Compagnie Valmy. 

Le commandant Albert était-il encore dans la région à ce moment critique ? La seule certitude, c'est qu'il a passé la nuit de Noël 1943 chez un frère à Rochefort-sur-Mer, sur la côte Atlantique. Il ne devait revenir en Haute-Saône qu'un an plus tard, à la tête de la 1ère Brigade de Paris, constituée de FTP parisiens et meusiens principalement. Le 27 décembre 1944, celui qui était devenu le colonel Fabien périssait à Habsheim, à l'âge de 25 ans, dans l'explosion d'une mine.

Sources principales : dossier d'enquête sur le démantèlement du groupe Gambetta de Nancy, en février 1944, 2101 W 15, AD 54 ; dossier d'enquête sur la trahison de Georges Pouto, 29 U 66/2, AD 21 ; DURAND, Pierre, Qui a tué Fabien ?, Temps actuels, 1985.