jeudi 27 mai 2021

Jeudi noir (2) : une famille de commerçants chaumontais décimée

Les époux Hermann arrivent à Chaumont au début de l'année 1918. Ils ouvrent un magasin de chaussures et sont domiciliés 6 bis, rue Henri-Brûlé. Le couple Hermann a quatre enfants : Roger, né le 27 mai 1917 à Lyon, Pierre, né le 14 juillet 1918 à Chaumont, Jeanine, née le 19 août 1924 à Chaumont, Simone, née le 29 avril 1927 à Chaumont.

Ancien combattant de 14-18 (il servait au 109e régiment d'infanterie de Chaumont), Gaston Hermann est né le 30 juin 1885 à Epinal ; son épouse, Germaine, née Lieber, est Lyonnaise, 28 novembre 1896.

Au moment du recensement effectué en septembre-octobre 1940 par la mairie de Chaumont, la «liste des juifs » comporte les mentions suivantes :

. « prisonnier absent », pour Roger,

. « maintenu classe 38/1 », pour Pierre, alors en zone libre.

Les époux Hermann sont arrêtés à leur magasin, le 30 juillet 1942, pour « infraction à la réglementation relative au port de l'étoile jaune » et incarcérés au Val-Barizien.

Mme Hermann est libérée pour raison de santé, le 20 août 1942.

Son mari quitte la prison de Chaumont le 21 septembre 1942, escorté par des gendarmes français, et est transféré au camp d'internement de Drancy, antichambre de la déportation. Gaston Hermann est déporté à Auschwitz par le convoi n°58, le 31 juillet 1943, et porté décédé le 5 août 1943.

Le 27 janvier 1944, Germaine Hermann et ses deux filles : Jeanine, 19 ans, et Simone, 17 ans, sont arrêtées et partent en convoi (n°68) de Drancy pour Auschwitz, le 10 février. Elles sont toutes trois gazées, le 13 février 1944...


Illustrations : Simone Hermann (x), en classe de 3e du lycée de Chaumont, photo faite le 26 novembre 1941. (Photo transmise par le proviseur du lycée Bouchardon, en 1998).

Jeanine, aux côtés de sa collègue et amie aux Groupements interprofessionnels laitiers, Marguerite Perrot (qui porte l'étoile jaune par défi, quoique non juive). (Collection M. Perrot/club Mémoires 52).

mardi 25 mai 2021

Jeudi noir (1) : les huit membres d'une famille chaumontaise exterminés à Auschwitz

En décembre 1998, sous la plume de Jean-Marie Chirol, le club Mémoires 52 faisait paraître une brochure de 38 pages, «27 janvier 1944... «Jeudi noir» pour les juifs en Haute-Marne». Il s'agissait d'un supplément au «Mémorial des juifs de Haute-Marne. 1941-1944», publié l'année précédente. Cette brochure étant épuisée, nous avons souhaité en diffuser le contenu sur ce blog. Le premier chapitre est consacré à la famille du pharmacien chaumontais André Baer.


«Le 27 janvier 1944, 96* juifs (hommes, femmes et enfants) sont arrêtés en Haute-Marne au cours d'une rafle : 29 dans l'arrondissement de Chaumont, 39 dans l'arrondissement de Langres, 28 dans l'arrondissement de Saint-Dizier. Sur ces 96 juifs, quinze sont âgés de moins de 18 ans.

Les arrestations se déroulent en début de matinée et sont méthodiquement effectuées par les feldgendarmes. Un court délai est laissé aux intéressés pour rassembler dans une valise quelques habits...


André Baer, pharmacien à Chaumont, né à Metz le 14 mai 1903, sa femme Marcelle Baer, née Epstein à Metz le 18 septembre 1904, ses filles Eliane Baer, née à Chaumont le 29 juin 1931, Jacqueline Baer, née à Chaumont le 25 décembre 1934, Nicole Baer, née à Chaumont le 22 novembre 1937, Marie Baer, née à Chaumont le 12 décembre 1941, ses parents Moïse Baer, né à Ingwiller (Bas-Rhin) le 16 août 1866, Alice Baer née Schwab à Saverne le 20 novembre 1877... Tous les huit sont arrêtés : les grands-parents, 24, avenue des Etats-Unis, André Baer et sa famille, 9, rue Pasteur, en début de matinée, par les feldgendarmes, et conduits à la caserne, route de Langres. C'est en ce lieu que sont réunis les juifs raflés à Chaumont et dans d'autres localités des arrondissements de Chaumont et Langres, jeudi 27 janvier 1944...

Le regroupement des 96 juifs arrêtés en Haute-Marne ce jour-là s'effectue à Saint-Dizier, dans une grande salle de l'Hôtel Rigolle, situé à proximité de la gare. Les personnes ainsi arrêtées à Joinville, Chevillon, Wassy, Bienville et Saint-Dizier sont là depuis le début ou la fin de matinée. Elles attendent, angoissées, se posant des questions quant à leur destination et le sort qui est réservé à chacune...

En fin d'après-midi arrivent des compagnons d'infortune domiciliés à Bourbonne, Laferté-sur-Amance, Montigny-le-Roi, Chaumont, etc. Dans la soirée, c'est le départ de Saint-Dizier pour Châlons-sur-Marne et sa prison. Ils y parviennent vers 23 h 30, par une nuit glaciale.

Le 29 janvier, ils sont dirigés sur le camp d'internement de Drancy, via Paris. Le 10 février, un convoi est constitué à destination d'Auschwitz... C'est le convoi n°68. Il comprend 1 500 internés juifs : 680 hommes et 820 femmes. Ces chiffres comprennent 279 enfants et adolescents de moins de 18 ans...

Dans ce convoi sont embarqués 84 des 96 juifs haut-marnais arrêtés le 27 janvier. Marie Baer est la plus jeune, elle est âgée de 2 ans un mois.

A leur arrivée à Auschwitz, le 13 février 1944, 1 229 sont immédiatement dirigés vers les chambres à gaz... et, parmi eux, 83 juifs haut-marnais, dont les huit membres de la famille Baer. Quelle monstruosité !

Sur les 96 personnes « raflées » le 27 janvier 1944, 90 sont déportées : 84 par le convoi du 10 février (une seule reviendra d'Auschwitz), une par le convoi n°70 du 27 mars, cinq par le convoi n°71 du 13 avril**. Trois habitants ont été libérés pour raison de santé, un est décédé au camp de Drancy, deux internés à Drancy ne seront pas déportés».


Sur ces deux photos communiquées en 1998 par le proviseur du lycée Bouchardon, apparaissent Eliane Baer, classe de 6e du lycée de Chaumont (le 26 novembre 1941), et Jacqueline Baer, classe de 7e et 8e du lycée de Chaumont (le 6 novembre 1943).

* Des recherches complémentaires permettent de donner le bilan suivant : 93 personnes arrêtées (dont une décédée à Drancy, une libérée, deux non déportées), 88 déportées (dont une rescapée), une dont le destin est inconnu (Aron Weil, de Langres). 

** En réalité, ces cinq personnes n'habitaient plus à Joinville et ont été arrêtées dans les Alpes-de-Haute-Provence.


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mardi 11 mai 2021

1940 : les tirailleurs sénégalais accrochés dans la vallée de la Saulx

16 juin 1940. La 9e compagnie (capitaine Marie Jarty), 3e bataillon (commandant Pierre Chalmel) du 14e régiment de tirailleurs sénégalais se replie de la région de Bar-le-Duc en direction de la Meuse. Venue d'Ecurey, elle arrive à Montiers-sur-Saulx à 8 h. C'est alors, précise le journal de marche de la compagnie, que les deux sections de tête sont « arrêtées sur la route de Paroy à l'extérieur du village (…) Nous sommes pris à partie par un feu violent d'armes automatiques et quelques coups de 37 ». A 9 h, les tirailleurs entendent un « bruit de moteurs sur l'autre rive [de la Saulx] et nous voyons passer sur le plateau Ouest de la Saulx une vingtaine de camions avec voitures légères et motos. L'ennemi s'infiltre dans le bois en avant de nous ». A 9 h 45, après que les tirailleurs ont chassé les Allemands de Montiers et organisé sa défense, voilà que des blindés ennemis « viennent de franchir la Saulx et s'avancent vers nous. Le canon de 25 entre immédiatement en action ; deux engins ennemis sont immobilisés en peu de temps et deux autres se replient. Nous apercevons une nouvelle colonne motorisée ennemie, comprenant entre 40 et 50 camions. Le tir de l'ennemi qui ne cesse de croître en intensité est toujours mal ajusté. Quatre à cinq canons de 37 sont repérés chez l'ennemi et les tirailleurs sont assez fortement impressionnés par son obus.

L'ennemi tente à plusieurs reprises de sortir du bois, chaque essai est stoppé par le feu violent de nos armes automatiques.

Je me rends compte que le passage par cette route me sera impossible. Même, si, comme la chose me paraît possible, étant donné la forte dotation en armes automatiques, j'arrive à franchir ce barrage, je serais continuellement harcelé par un ennemi motorisé et ayant un effectif bien supérieur au mien (je l'estime à environ un bataillon). En colonne sur route, avec un échelon très vulnérable, nous risquons d'être entièrement anéantis.

Deux solutions me semblent possibles : organiser un PA dans le village, mais sans espoir de rejoindre le régiment ; essayer de passer par les bois Est de Montiers et de rejoindre Bure où devaient passer les éléments de la division.

J'adopte la seconde solution. Une moto légère trouvée à Montiers me permet d'envoyer une reconnaissance par cette route. Elle et libre : la vigoureuse attaque de la 4e section a empêché l'ennemi de l'occuper.

10 h 45. Ordre à ma 4e section de se replier sur cette route. Deux sections de FV ne quitteront le village qu'après décrochage de la compagnie d'accompagnement ; ce décrochage se fait en deux échelons. »

Vers 11 h, sur la route de Bure et à l'entrée de Montier arrive un détachement du 22e groupe de reconnaissance de corps d'armée, présent également à Pansey et à Saudron. Les cavaliers sont venus protéger le décrochage des tirailleurs, qui peuvent ainsi continuer leur route par Bure, au prix d'un tué, deux disparus, neuf blessés. Les archives départementales de la Meuse conservent la trace de trois hommes du 14e RTS morts à Montiers-sur-Saux : les tirailleurs correspondant aux matricules 16 284 et 16 350, originaires de Côte-d'Ivoire, et Jean-Marie Dossa (matricule 41 429), né en 1918 dans le Dahomey. Le lieutenant Paysan, le sergent-chef Banos se sont distingués lors de cet engagement. Par la suite, le bataillon se battra à Germay, puis près de Bourmont à Graffigny-Chemin.


Sources : dossier du 14e RTS, GR 34 N 1093, Service historique de la Défense ; état général des sépultures des morts de 1940 dans la Meuse, 1 969 W 97, AD de la Meuse.