mardi 1 décembre 2020

Le combat de Maranville, 15 juin 1940

12 juin 1940. Une partie du dépôt de cavalerie n°26, initialement commandé par le colonel Perrey, mais confié au chef d'escadrons Duvot1, s'embarque en train à Avize, dans la Marne. Il a reçu l'ordre de quitter le quartier Margueritte d'Epernay pour Dinan, partie sur les routes, partie sur les rails. De l'aveu du commandant du «train de repliement», le capitaine Germain Raguin2, «le train marche à une lenteur désespérée (sic)». Le 13 dans l'après-midi, il est à Romilly-sur-Seine, «où nous fûmes obligés de prendre environ 2 000 réfugiés» ; le lendemain matin, il fait halte à Troyes où les passagers sont débarqués ; dans l'après-midi, après avoir été mitraillé3 par un avion allemand et un appareil «italien» (sic), il arrive à Bar-sur-Aube. Direction Chaumont...

Raguin a avec lui huit officiers, 39 sous-officiers, 192 gradés et cavaliers, 65 chevaux. Il rapporte : «Le 15 juin au matin nous sommes à Maranville. Un motocycliste arrêté au passage à niveau donne des nouvelles alarmantes. Le chef de gare n'est plus en relations téléphoniques avec Bricon ni avec Clervaux4. Il envoie à 7 h son facteur avec une motocyclette en reconnaissance sur Bricon. Un train de munitions brûle encore sur la voie à environ 4 km de Maranville. Il paraît que la voie de Bricon est coupée en plusieurs endroits, qu'un certain nombre de trains devant nous ne peuvent plus avancer, les uns par manque d'eau, les autres par manque d'eau et de charbon...» Envoyé en mission sur Bricon, le lieutenant Grandjean, du 1er escadron, informe le capitaine Raguin que «le chef de gare de Bricon m'a dit s'attendre d'un moment à l'autre à recevoir l'ordre de partir et que dans ces conditions tout trafic serait arrêté. Les trains se suivent à 100 (sic) de distance depuis Châteauvillain et n'avancent plus pour les raisons indiquées plus haut – voie coupée, manque d'alimentation pour les machines.»

Alors le capitaine Raguin, «dans ces conditions, (prit) immédiatement la décision de faire débarquer chevaux et voitures afin de sauver les archives et pièces comptables et de partir par la route. Les ordres donnés furent exécutés immédiatement. Le débarquement fut commencé en pleine voie par des moyens de fortune». Le commandant du «train de repliement» rend notamment hommage à l'adjudant-chef Couchard et au maréchal des logis Rouyer «qui firent débarquer les voitures en un minimum de temps. Une partie des chevaux étaient descendus lorsque nous fûmes attaqués par l'avant-garde d'une division motorisée ennemie». Combien d'engins blindés ? Ni le capitaine Raguin, ni le capitaine Georges Mathon (un Vosgien, trésorier du dépôt) ne le précisent.

«Un fusil-mitrailleur placé en surveillance à l'arrière du train fut immédiatement réduit au silence, les trois hommes étant tués», note le capitaine Raguin. Il s'agit notamment de Paul-Justin Richit et d'Eugène-Léon Degremont. «Je pris immédiatement le commandement d'une des deux mitrailleuses placées également en surveillance, et le combat s'engage». Officier des effectifs, qui aura bientôt la manche de tunique traversée par une balle, «le capitaine Lamy, désigné pour prendre le commandement de 20 hommes en cas d'attaque de parachutistes, ne put réunir ces hommes dans le désarroi de la surprise, ces hommes étant employés au déchargement et au transport des archives, caisses très lourdes qu'il fallait porter le long de la voie pour aller aux voitures. Le sous-officier mitrailleur blessé légèrement et déjà mutilé d'un bras au front, lâchant sa mitrailleuse, fut remplacé par le cavalier du service auxiliaire Scholtes qui me disait «je n'ai pas peur moi, je vais remplacer le sous-officier», peu de temps après le cavalier était tué d'une balle au front. Les munitions étant épuisées, et cernés par l'ennemi, nous fûmes faits prisonniers».

C'est la fin du combat. Le détachement du DC n°26 déplore neuf tués, neuf blessés (dont un mortellement), 66 disparus. Informé seulement le 15 juillet 1940 du destin du train, le commandant Duvot parlera, dans un premier rapport, de 21 tués (dont le lieutenant Grandjean) et 37 blessés.

Certaines des victimes sont tombées sur le territoire de Rennepont, ainsi que l'écrit Jean-Marie Chirol : «Une patrouille de volontaires est constituée pour reconnaître le secteur et assurer une protection pendant la destruction des documents. La patrouille comprend : René Michel, armé d'un FM avec deux chargeurs, Henri Morel et André Deschamps, armés chacun d'un mousqueton et de quelques grenades. Ils se posent à un carrefour, voient arriver devant eux une colonne de réfugiés. A une centaine de mètres du poste, débouchent de la colonne deux engins blindés allemands. Les trois soldats engagent le tir mais la riposte est instantanée. Les patrouilleurs sont touchés par les projectiles ennemis au lieu-dit Jurville, à 11 h 30 : André Deschamps, du 9e dragons, né le 25 août 1906 à Alfortville, domicilié à Charenton, est tué ; Henri Morel, du 9e dragons, né le 4 août 1915 à Plaisir (Seine-et-Oise), jardinier à Combles-en-Barrois (Meuse), est tué ; René Michel, du 9e dragons, de Montmirail, est atteint par cinq balles. Il est transporté dans une maison de Rennepont, opéré par un médecin de la colonne de réfugiés, dirigé ensuite sur l'hôpital de Châteauvillain et enfin à la caserne Damrémont, à Chaumont, le 18 juin. En octobre, il est envoyé dans sa famille en convalescence.»


Les tués de ce combat :

- adjudant-chef Emile-Lucien Collignon (dépôt de cavalerie n°26), tué à Maranville ; selon le ministère des Armées, il appartenait au 3e GRDI et était âgé de 34 ans.

- maréchal des logis-chef Georges Metzger dit May (dépôt de cavalerie n°26) : «Grièvement blessé le 15 juin, pendant l'attaque de son convoi au cours de débarquement à Maranville, est mort des suites de ses blessures. A été cité». Metzger est décédé à Colombey-les-Deux-Eglises.

- cavalier de 1ère classe Paul-Justin Richit (dépôt de cavalerie n°26), classe 1923, recrutement de Metz : «Placé avec son FM pour protéger le débarquement d'un convoi à Maranville, le 15 juin 1940, n'a pas hésité à ouvrir le feu sur des éléments blindés ennemis. A été tué glorieusement à son poste au cours de l'action. A été cité».

- André-Louis-Charles Morel (dépôt de cavalerie n°26), cité en 1942.

-  Eugène-Léon Degrémont (dépôt de cavalerie n°26) : «Placé avec son FM pour protéger le débarquement d'un convoi à Maranville, le 15 juin 1940, n'a pas hésité à ouvrir le feu sur des éléments blindés. A été tué en faisant front à l'ennemi. A été cité.» Il avait 25 ans.

- Fernand Lefevre, 38 ans, du 4e escadron, tué à Maranville.

- André Deschamps (153e RI), 34 ans, tué à Rennepont (ou selon, le Journal officiel de 1942, à Maranville, avec le DC n°26).

- cavalier Pierre Scholtes (dépôt de cavalerie n°26) : «N'a pas hésité, le 15 juin 1940, à Marnaville (sic), à prendre la place d'un tireur à la mitrailleuse mis hors de combat. A été tué glorieusement à ce poste d'une balle au front. A été cité» ; il avait 27 ans.

- Marcel Alexandre (selon le rapport du capitaine Raguin), non confirmé par le ministère.


Autres victimes de ce combat (non citées par le rapport Raguin) :

- Edmond Moreaux (dépôt de cavalerie n°26), 27 ans, à Maranville (il était employé civil selon Jean-Marie Chirol) ;

- Raoul Leloup (26e RD - sic), 46 ans, à Maranville ;

- Henri Lefèbvre (5e génie), à Rennepont.

- Sadi (ou Safi) Kouider, 39 ans, à Rennepont. Selon une enquête de gendarmerie, Safi Kouider était manœuvre à la SNCF à Troyes. Il aurait été «fusillé, motif inconnu».


Les blessés :

. maréchal des logis Louis Baudouin, du recrutement de Cambrai,

. maréchal des logis Marcel Paillard, du recrutement de Châlons-sur-Marne,

. Jules Leturcq, du recrutement de Bar-le-Duc,

. Hugues Michel, du recrutement de Châlons-sur-Marne (il s'agit de René Michel),

. Joseph Webanck, du recrutement de Thionville, décédé le 16 juin à l'hôpital de Châteauvillain. Né en 1901 en Moselle, il est porté décédé des suites de blessures le 10 juin 1940 par le ministère des Armées.

. Didelon, du recrutement de Metz,

. Fernand Godin, du recrutement de Châlons-sur-Marne,

. Lequeu

. brigadier-chef Jean Demottier (dépôt de cavalerie n°26), grièvement blessé le 15 juin 1940 «à son poste de combat à Maranville. Amputé de la cuisse droite». Appelé Dumontier dans le rapport Raguin.

. maréchal des logis Charles Reinert (dépôt de cavalerie n°26), ancien de 14-18 : «Le 15 juin 1940, à Mainneville (sic), a contre-attaqué avec son groupe malgré les assauts répétés de l'ennemi et de violents bombardements. A été très grièvement blessé au cours de l'action».

Ce récit est extrait du livre "10 jours de juin", publié par le club Mémoires 52 en février 2020.

1Certainement René Duvot, né dans l'Ille-et-Vilaine en 1885, chef d'escadrons de cavalerie domicilié à Nancy. Ce dépôt est alimenté par des cadres du 9e régiment de dragons, qui a été dissous à la mobilisation pour donner naissance à des groupes de reconnaissance.

2Dossier 34 N 542, SHD.

3Chef de brigade d'ouvriers au dépôt SNCF de Troyes, Jean-Baptiste Poirot a vraisemblablement été victime de ce mitraillage. Il est décédé des suites de ses blessures le 18 juin 1940 à Chaumont (sources : MémorialGenweb). Plusieurs cheminots troyens sont morts à l'occasion d'attaques visant des trains «de repliement».

4Clairvaux.

lundi 28 septembre 2020

Un ouvrage sur les volontaires de Haute-Marne du 21e RIC (1944-1945)

Fruit d'un travail de recherche initié en 1985, "De la vallée de la Marne aux sources du Danube" est paru. En 287 pages, enrichies de 190 photos d'époque, l'auteur évoque, au jour le jour, l'épopée des anciens maquisards de Haute-Marne engagés pour la durée de la guerre dans le 4e régiment de tirailleurs sénégalais, devenu 21e régiment d'infanterie coloniale.

Le baptême du feu près de Pont-de-Roide, l'anéantissement de la 6e compagnie dans la forêt de la Harth, la sanglante libération de la cité Sainte-Barbe (Wittenheim), le passage du Rhin de vive force, la rude conquête de Rastatt sont autant d'étapes marquantes d'une rude campagne, durant laquelle 72 marsouins engagés en Haute-Marne ont perdu la vie.

L'ouvrage est disponible auprès de l'auteur, Lionel Fontaine, au 14 bis, rue de Châteauvillain, 52000 Chaumont. Prix 25 euros (+ frais de port : 7,76 euros). Tirage limité.

vendredi 11 septembre 2020

Maquis Duguesclin (5) : mouvement sur Chaumont


Le maire de Chaumont, François Henry, accueille les FFI et leurs officiers.




12 septembre 1944 – veillée d'armes

Journal de marche : «A 9 h, réunion de l'état-major du bataillon avec le capitaine Peters et le commandant Nick à Sexfontaines. Il est décidé que le bataillon resserrera son étreinte sur Chaumont au nord-ouest, en occupant Villiers-le-Sec, Buxières-lès-Villiers, Euffigneix (avec un élément de surveillance à Jonchery) et Sarcicourt (avec un élément de surveillance à Laharmand). La 3e armée avait transmis au commandant Nick des instructions dans ce sens».



Comme Taschereau, «Peters» et «Nick» appartiennent au SOE. Mais à un autre circuit. Le major Nicholas R. Bodington («Nick») commande la mission Pedlar, et il a été parachuté dans l'Aube en juillet 1944. «Peter» correspond au capitaine Percy J. Haratt. Tous deux ont pris contact le 2 septembre avec les FFI du nord de la Haute-Marne (qui était libéré), et selon le rapport de mission rédigé par Bodington, c'est à la – surprenante – initiative du colonel français Puccinelli, nouveau commandant de la 6e région militaire à Châlons-en-Champagne, qu'il s'est porté sur Sexfontaines, pour participer à l'encerclement de la garnison de Chaumont.

L'officier britannique a amené avec lui, les 9 et 10 septembre, la 1ère compagnie (maquis du Val) du bataillon FFI de Saint-Dizier, installée à Bologne et Marault ; une section de marche (lieutenant Collin) de la Compagnie du Der et le groupe de FFI marnais du lieutenant de la Hamayde, à Meures ; trois sections auboises de la Compagnie Pierre (capitaine Raymond Krugell, issu des Commandos M) ; participent également au dispositif la Compagnie de Joinville, le groupe de Laferté-sur-Aube...


Journal de marche : «Le PC du chef de bataillon1 s'installera à Euffigneix. A 10 h 30, les ordres de mouvement sont donnés, et une section de la compagnie Perrin (4e compagnie) qui était précédemment stationnée à Juzennecourt se porte à Euffigneix en reconnaissance.

Un détachement ennemi de douze hommes plus un officier approche alors du village. Un engagement se produit aussitôt, et nos hommes ouvrent le feu : l'ennemi réplique avec un FM ; trois Allemands sont blessés et emportés par leurs camarades qui se replient sous bois. Dans sa retraite précipitée, l'ennemi abandonne son FM en parfait état et des munitions.»

L'accrochage correspond sans doute à cet accrochage évoqué par le sergent-chef Jean Dubois : «J'ai commandé une patrouille à Euffigneix contre un poste allemand.» Dans la citation signée du général Puccinelli, il est indiqué que ce «parfait» sous-officier «a rapporté au cantonnement une mitrailleuse allemande que son servant avait abandonnée pour s'enfuir».



«A 14 h, une section de la compagnie Chaize (2e compagnie) sous les ordres du lieutenant Gaucherot et de l'aspirant Descamps se porte à Jonchery et s'installe sur le pont de la voie du chemin de fer. A peine a-t-elle pris pied que l'ennemi retranché derrière des abattis sur la route de Jonchery à Chaumont ouvre un feu violent d'armes automatiques et de mortiers. Nos hommes répliquent et l'engagement dure près de deux heures trente. A 16 h 30, le capitaine décide de faire replier la section (qui n'avait qu'une mission de reconnaissance) sur Euffigneix.»

Jean Pujol (2e compagnie) apporte des précisions sur cet engagement : «Notre compagnie est descendue des hauteurs d'Euffigneix (dites Côtes d'Alun) en direction de Jonchery par le chemin traversant la zone semi-boisée dite Le Pré Clos. L'occupation de Jonchery a été effectuée rapidement, les Allemands s'étant repliés derrière les talus de la voie ferrée au-delà du village, où ils avaient établi une ligne de résistance.

C'était vers le milieu de l'après-midi, par beau temps et très bonne visibilité. Des tirs nourris de fusils et d'armes automatiques se sont alors intensifiés de part et d'autre par dessus la voie ferrée... Nous n'avons pas eu de blessé, alors que nous vu assez distinctement des uniformes feldgrau quitter le champ de bataille en boitant ou à cloche pied... Nous lancions sur l'ennemi des explosifs en plastic qui sont peu dangereux... C'est alors que les officiers allemands ont fait venir leurs mortiers et commencé à arroser nos positions... Pour éviter de lourdes pertes, l'ordre de repli a été donné. Le sergent Guinoiseaux, près de moi, enrageait : «Si nous avions eu nos mortiers, on les dégommait...»...

Pendant le repli, j'ai failli être tué deux fois. La première, par inexpérience, dans les rues de Jonchery. J'avais trop tardé, et les Allemands avaient été plus rapides que moi. Arrivé à un croisement de rues, j'ai vu mon chemin barré par un tir de fusil-mitrailleur de côté. D'autres Allemands arrivaient par derrière. Je voyais le crépi du mur le long duquel je devais passer sauter sous l'impact des balles à hauteur d'homme. Une ou deux secondes au plus pour décider... Le seul geste qui donnait une chance d'échapper, si faible soit-elle, c'était de se jeter le plus vite possible à travers le tir de mitraille. Ce que j'ai fait sans hésiter... Le tireur en enfilade a dû rager de me voir passer. Complètement à découvert, j'ai encore pris le temps de ramener des chargeurs de fusil-mitrailleur que les nôtres avaient perdu sur la route... En remontant le chemin du Pré Clos, je pense que je suis maintenant assez loin de l'ennemi... Je me relève pour me détendre. J'avais oublié d'un chemin à flanc de coteau peut se voir de très loin. A peine une ou deux minutes, une balle me siffle aux oreilles... Pendant ce temps, un avion d'observation allemand tournait au-dessus de nous, et prenait note de notre mouvement. Troisième désagrément : à l'instant où je rejoignais ma compagnie, l'adjudant Frey, rouge de colère, m'apostrophe : « Où étais-tu ? On te croyait mort»... Une idée super-géniale me traverse l'esprit. Je sors de ma poche les chargeurs de fusil-mitrailleur. «Où j'étais ? Mais je ramassais tout simplement les chargeurs que vous avez perdus en route...». Le visage de l'adjudant se transforme en un beau sourire : «Ah, c'est bien petit, très bien...»



«Au moment où la compagnie regagne Euffigneix, une fusillade nourrie se produit en direction de la ferme de Bonnevaux2 où un groupe (aspirant Flagey) avait été envoyé en reconnaissance. Deux sections éclairées par les lieutenants Parcollet, Bocquillon et Chaize se portent à se son secours et forcent les éléments ennemis à se retirer ; le groupe Flagey se replie à
19 h avec les unités de renfort. Les pertes allemandes sont de deux morts et deux blessés, les nôtres sont nulles. A signaler la belle tenue de la section tout entière et en particulier du sergent (De Rieder ?) et de l'aspirant Descamps. Dans la soirée, la compagnie s'installe défensivement à Euffigneix. On attend un émissaire qui doit faire connaître la réponse à l'ultimatum lancé aux Boches.»



La mission de l'abbé Gradeler



L'émissaire en question, c'est l'abbé Louis Gradeler (1878-1952), curé et président de la délégation municipale de Luzy-sur-Marne. Son témoignage exceptionnel, retrouvé par sa nièce dijonnaise, Mlle Gradeler, a été reproduit dans un article de Léo Lamarre paru dans les Cahiers haut-marnais.



Le 12 septembre 1944, écrit le prêtre, «un conseil de guerre se tient à la mairie de La Villeneuve3. Il est présidé par le capitaine de Schompré4, de l'état-major de la division blindée. On décide d'envoyer un émissaire à Chaumont, demander au commandant la capitulation sans condition. Qui sera cet émissaire ? C'est alors que le commandant Julien5 dit : «Je ne vois qu'un homme capable d'accomplir cette mission ; il acceptera certainement. C'est l'abbé Gradeler, curé et maire de Luzy. Deux de mes gendarmes vous accompagneront. Ils iront l'avertir.

(…) Il était près de 21 h quand les gendarmes, l'adjudant-chef Beychenn6 et le gendarme Thomas, arrivèrent au presbytère de Luzy. Ils me dirent : «Monsieur le curé, prenez vite votre bicyclette, des officiers de l'état-major de la division veulent vous voir. Ils vous attendent dans le bois au-dessus de la route de Crenay.»



Le curé né en Haute-Saône parcourt malgré ses «vieilles jambes de 66 ans» le chemin entre Luzy et Crenay – il y a une rude côte ! – et rencontre Schompré qui lui dit :

«Nous voudrions occuper Chaumont et autant que possible sans combat. Demain matin, mercredi, à la première heure, vous irez à Chaumont prendre contact avec le colonel allemand qui commande la garnison, si vous ne pouvez le joindre vous verrez le commandant Schaber... Vous lui direz de venir lui-même ou d'envoyer un de ses officiers le mardi 13 à 14 h à Luzy, route nationale 19, accompagné d'un chauffeur, s'il vient en voiture. Nous y serons à 15 h...»



13 septembre 1944 – nouvel accrochage à Euffigneix

«A Euffigneix, à 4 h 30, l'ennemi lance une fusée éclairante...»

Jean Pujol témoigne : «A quatre heures comme prévu, un compagnon vient me relever... A peine étais-je revenu sur ma couche de paille dans ma grange qu'une fusillade nourrie remplit l'air. Les Allemands contre-attaquaient. Il était 4 h 15, tout au plus. Il fallait retourner aussitôt au combat... La garde d'avant 4 h n'avait rien remarqué. Mais les Allemands étaient déjà là, cachés et tapis dans les bois, méditant de nous surprendre... Heureusement, nos chefs avaient eu la bonne idée de placer un fusil-mitrailleur avec deux hommes et une garde renforcée du côté du sud-est, c'est-à-dire face aux lieux-dits Le Pré baron, le Jardinot et le bois de la Petite-Fosse... Vers 4 h, l'homme chef de poste entend un bruit, un craquement... Le chef de poste décide d'attendre encore un peu, tout en ouvrant grand les yeux et les oreilles. Il lui semble alors qu'une ombre passe... Une deuxième ombre semblable est détectée. Il lance alors les sommations. Aucune réponse. Il se décide enfin à ouvrir le feu, en balayant le bois... Aussitôt les Allemands ripostent... En cinq minutes, toute la compagnie faisait face. Malgré une fusillade nourrie, les Allemands n'arrivaient pas à progresser... Ordre était donné à la compagnie de se retirer sur les pentes à l'arrière du village, d'où on avait une vue superbe sur tous les mouvements des Allemands. Au sommet de la crête, nos mortiers tiraient à belle cadence sur tous les groupes adverses... En même temps, ordre était donné à notre 2e compagnie d'attaquer et prendre Villiers-le-Sec»



Selon le journal de marche, c'est à 5 h 30 que les Allemands, «au nombre d'une centaine au moins, s'installent autour du village et déclenchent contre lui un feu violent d'armes automatiques, de mortiers et d'armes individuelles. Nos postes répondent vigoureusement. Le lieutenant Chaize regroupe les éléments de sa compagnie et ouvre sur les Boches un tir très précis à l'aide d'un mortier pris à l'ennemi et que commande le sous-lieutenant Gris7. En même temps, les FFI, fusils et mitraillettes donnent aux Boches une telle impression de puissance qu'ils se replient précipitamment par le bois de la Petite-Fosse. Des prisonniers fait par la suite nous apprendront que le groupe ennemi a eu au moins cinq blessés graves.

Euffigneix reste ainsi fermement entre nos mains. A signaler le sang-froid du sous-lieutenant Gris qui dirige le feu du mortier».



13 septembre - la mort du caporal Caillaux

Antoine Simons (3e compagnie) : «Très tôt, le matin, rassemblement, ordre de marche, colonne par un, direction Villiers-le-Sec, sortie Jonchery. Certains de nos éléments sont déjà sur place. En abordant les premières maisons par les jardins, une fusillade éclata vers le passage à niveau».

En effet, «les sections de la 3e compagnie (lieutenant Agniel) qui occupaient» Villiers-le-Sec «sont attaquées à 6 h 30 par un groupe d'une centaine d'Allemands, les mêmes qui chassés d'Euffigneix s'étaient repliés par le bois de la Petite-Fosse».

Antoine Simons poursuit : «Je traverse la rue à hauteur de la dernière maison et j'aperçois déjà loin quatre ou cinq Allemands courant le long du talus de chemin de fer. Je n'ai pu résister au plaisir de vider un chargeur bien inutilement à cette distance : quelques instants après, ils disparaissent sous le pont de la voie ferrée. J'ai vu trois Allemands sur le carreau et l'un des nôtres face contre terre».

Le maquisard qui vient de tomber se nomme René Caillaux, 45 ans, il est caporal, domicilié à Braux-le-Chatel8. Un de ses camarades, Robert Guyot (3e compagnie), de Froncles, se rappelle bien des événements : après avoir eu la certitude d'avoir touché deux Allemands, Caillaux s'était levé pour faire feu sur un troisième, lorsqu'il a été mortellement atteint. Guyot ajoute que René Caillaux a rendu l'âme dans le presbytère de Villiers-le-Sec.

Jean Pujol (2e compagnie) précise de son côté : «Caillaux avait abattu un Allemand. Malheureusement, il a commis l'imprudence de ramper jusqu'au cadavre, pour aller voir. Il n'a pas pris garde qu'il était à découvert et ajusté par un autre Allemand».



A 7 h, précise le JMO du bataillon, l'ennemi se replie, laissant trois tués et deux blessés. Le lieutenant Macioni en aurait tué un et blessé un autre avec sa mitraillette.



13 septembre - La marche sur Chaumont

A cette date, l'effectif du maquis est composé notamment d'un capitaine, quinze lieutenants, cinq sous-lieutenants, 74 sous-officiers.

Il est 8 h 30 lorsque de fortes explosions retentissent. L'ennemi9 évacue Chaumont et vient de faire sauter les ponts de la Maladière sur la Marne et le canal.

Le maquis prépare l'entrée dans la ville.

A 9 h, la section Douillot reconnaît la ferme de la Petite-Fosse.

A 12 h, une autre section, accompagnée par le sous-lieutenant Bocquillon, arrive à Jonchery, où on lui apprend que Chaumont est évacuée. C'est la marche sur la ville.

Antoine Simons : «Colonne par un sur le ballast de la voie ferrée direction Chaumont. On est bien près du viaduc. Une rafale part à ma gauche en contre-bas, on s'applatit, le chef me fait signe, je balance une rafale dans les branches, on ne bouge plus, rien ne se passe, on repart, et on dévale le talus direction la Suize... On passe l'eau, il n'y en a guère... On atteint la route de l'autre côté, coupée par une énorme tranchée. Toujours en file, à 4 m l'un de l'autre, on tourne à droite, on passe sous les arches du viaduc, direction le pont de tôle. Un copain marche devant moi, l'oeil aux aguets, la voie ferrée au-dessus de nous nous inquiète...»

Les FFI de la 3e compagnie remontent alors l'avenue Foch. «Quelques civils étonnés de nous voir nous disent : les Allemands sont partis. On accélère, place Goguenheim, il y a du monde, des bravos, une vieille dame m'embrasse. Rue Toupot, il y a foule, on nous acclame. Nous arrivons place de l'Hôtel de ville, un peu en désordre : l'exhubérance des Chaumont a mis à mal notre dispositif...»



«Plus aucun officier allemand dans Chaumont»

Chaumont a donc été libérée sans un coup de fusil. Poursuivons la lecture du témoignage de l'abbé Gradeler, l'émissaire envoyé par la division Leclerc, qui apporte de précieuses informations sur les conditions de la libération : «M. le préfet10 se met immédiatement à ma disposition, en me disant cependant : «Je crois que nous ne trouverons pas le commandant allemand. Je viens d'être averti qu'il a dû quitter Chaumont ce matin entre 7 h et 8 h.» Et de fait, la Gloriette, quartier général du commandant, est vide. Nos recherches ne donnent aucun résultat. Il n'y a plus aucun officier allemand dans Chaumont.

L'heure du rendez-vous approchait. A pied, je monte la route de Neuilly-Crenay. J'étais en avance d'un quart d'heure. Tout d'un coup, au tournant, je vois surgir deux voitures. Un coup de frein. Stop. Le capitaine de Schompré est à pied.

. Comment cela s'est-il passé ?

. Très bien, mon capitaine. Seulement, je ne vous amène aucun officier allemand. Pour la seule raison que depuis 8 h du matin, il n'y a plus d'officier allemand dans Chaumont. Et depuis 11 h, il n'y a plus de soldat allemand. Il n'y a qu'une chose à dire : aller occuper Chaumont au nom de la 2e division blindée.

Le capitaine de Schompré me fit monter dans sa voiture, et en route pour Chaumont. Nous arrivions au barrage avant la caserne des gardes mobiles. C'est alors que les cris dans la foule annonçaient notre arrivée rue Georges-Clemenceau, place de l'Hôtel-de-Ville, rue Victoire-de-la-Marne. Il faut ralentir.»

Léo Lamarre complète ce récit : «Vers 15 h 20, les deux jeeps de la 2e DB11 sont à Chaumont. La première est occupée par le capitaine de Schompré, l'abbé Louis Gradeler et l'adjudant de gendarmerie Beychenn (sic), la deuxième par un officier français, le capitaine Dubois probablement, et le gendarme Maziaigue». Tous se retrouvent en préfecture. Puis Gradeler part en jeep avec Dubois, se rend à Villars-en-Azois où se trouve le PC du colonel Dio, qui demande à un escadron stationné à Châteauvillain de se porter sur la ville12



Le journal de marche du maquis ne s'étend pas outre mesure sur cette journée13 : «Une gerbe est déposée au monument aux morts à La Vendue, où les Boches avaient fusillé les patriotes.

Une compagnie est portée sur La Maladière, une autre à Chamarandes où elle assure la garde du pont encore intact. Une autre reste à Chaumont pour assurer l'ordre. Ordre est donné à la compagnie stationnée à Arc de faire mouvement sur Chaumont.»



Un véhicule blindé avec les FFI

Agé de 9 ans à l'époque des faits, Jean Mongeot résidait à Arc-en-Barrois. Il se souviendra, en 2004, que son père Charles et deux habitants du village, Julien Sédille et René Wouters, ont construit, à la fin de l'Occupation, dans un garage de la commune, un camion blindé au profit du maquis. «Ils ont utilisé deux fours à charbon en tôle, imbriqués l'un dans l'autre, garnis de deux ou trois meurtrières», se rappellera ce Chaumontais, qui précisera que ce véhicule a fait son entrée dans Chaumont. Dommage qu'aucune photo le représentant ne soit parvenu à notre connaissance...

(A suivre)

1Schreiber.

2Située au bord de la route entre Jonchery et Laharmand.

3Lavilleneuve-au-Roi.

4Breton de 39 ans, Guy de Quoniam de Schompré, qui a rejoint la France libre dès juillet 1940, est le grand-père du journaliste Guy Lagache.

5Son nom a été cité plus haut. C'est le commandant des gendarmes de Haute-Marne.

6Georges Teychenne. Ce Franc-Comtois de 40 ans est en poste à Chaumont.

7Roland Gris, né à Chaumont en 1908.

8Né en 1899 à Chatignonville (Essonne), il était marié en deuxièmes noces et exerçait la profession de garde-voies et communications.

9Selon Léo Lamarre, il n'y avait plus alors que moins de 1 000 Allemands à Chaumont.

10Courarie-Delage, qui sera destitué et remplacé par le Chaumontais Louis Régnier.

11Parmi les officiers de spahis, Léo Lamarre se souvient du capitaine Léon Boussard, élève du lycée de Chaumont où il a vécu jusqu'en 1940. En fait, le capitaine Boussard servait plutôt dans la 1ère DFL.

12Léo Lamarre cite un témoignage du lieutenant-colonel Bocquillon : «Les fantassins sautent des camions à hauteur de la Poste centrale. Ils se déploient en deux files, empruntent les trottoirs de chaque côté de la rue Victoire-de-la-Marne. Ils la remontent en direction de la préfecture, l'arme à la main, scrutent les mains, prêts à tirer. Deux véhicules blindés atteignent la préfecture et prennent position».

13M. Lamarre a fait le même constat. Il précise par ailleurs que les FFI sont entrés dans Chaumont vers 15 h, qu'ils ont libéré les détenus du Palais de justice.

La liste des volontaires

Ltn Georges Agniel (3e cie), Agnus, Cal Ernest Aladenise (Seine), Barthélémy Alemany (Chaumont), Alexandre, Raymond Alexis (Bugnières), Sgt Georges Allidières, Ambrosini, Andriot (Voisines), Arnondeau, Ardette, Armand, Aubin, Henri Aubriot (Aubepierre), Henri Aubriot (Cour-l'Evêque), Cch Jean Aubry (Leffonds), Robert Aubry.
Sgt Fernand Bablon, Baes, Claude Baillet (Perrogney), Bailly, Barateau, Louis Barbotte, Pierre Baron (Chaumont), André Barrachin (Veuxhaulles), Charles Bati (Chaumont), Louis Bauer (Chaumont), Baudouin, Hubert Beguinot (Cour-l'Evêque), Belle, Auguste Bellet (Arc), Raymond Beme, Berh, Bernard Bechard (Juzennecourt), Adj Robert Berthe, Jacques Berthomeau (Sexfontaines), Adj Roger Bertrand (Chaumont), Michel Besnou, Fernand Besch (Braux-le-Châtel), Beuliet, François Biazzi (Chamarandes), Bick, Bignon, Ltn Henri Bigorgne (1e cie, Chaumont), Billebault, Jean-Paul Bind (Auberive), Belair Blacque, Ltn Maurice Blanchot (Chaumont), Lcl René Bocquillon (Chaumont), Slt Robert Bocquillon (Chaumont), Boissille, Bon, Cch Charles Bonnefont (Paris), Ltn Jean-François Bonnet (Chaumont), Remy Bonnetier (Braux), Sgt Bouchot, Jean Bouet, Boulangeot, Boulangeot, Bourelier, Bourgeois, Ltn André Bourgeois (Chaumont), Adj Roland Bourgeois (Chaumont), Boustien, Jeanne Bouza, Louis Boyer (Lavilleneuve-au-Roi), Brant, Besson, Georges Breuillon (Arc), Adj Constant Brochard (1e cie, Coupray), Gabriel Brovon (Colombey), Emile Bruey (Chaumont), Bure, Cal Jean Busquet (Rochetaillée). 
Cal René Caillaux (3e cie, Braux, tué), Cassart, Jean Cancelier (Latrecey), Cancelier, Caroue, Carré, Carlier, Lucien Carteret (Neuilly/Suize), Jean Castelan (1e cie), Maurice Catherinet (Coupray), Paul Catherinet (Coupray), Cousin ou Causin, Sgt Paul Chaiffre (Langres), Cne Claude Chaize (Laville/Bois), Chantier, Fernand Chaperon, Chaptel, Cal Henri Chaput (Blaise), Adj Auguste Chavannes, André Chossegros (Dijon), Yvon Cheval (Dordogne), Cliquenberg, Adj Roland Clément, Clément, Clément, Jean Clerget (Orges), Clouet, Sgt Jean Cochenec, Asp Pierre Colin, Colas, Colin, Pierre Colin, Asp René Colin (Chaumont), Ltn Maurice Collin (4e cie, Chaumont), Collin, Louis Collin (Montsaon), Henri Collinot, Marceau Collinot (Rouelles), Pierre Collon (Colombey), Camille Combray (Voisines), Charles Coquelin, Condier, Consigny, Conte, Cormont, André Corne (Chaumont), Cch Henri Cotel, Sgt Jean Couchot (Aubepierre), Couroux, Couot, Courtois, Cch Coutray, Cretin, Robert Cultot.
Henri Darré (3e cie), Dassate (?), gendarme Maurice David (Longeau), Jean Debernardi (Chaumont), Sgt Pierre Degalise, Debour, Decaestecker, Dechanet, Decker, Raymond Deconde (Marnay-sur-Marne), Maurice Delacroix, Robert Delacroix (Braux/Chatel), Delacroix, Delacroix, Cal Albert Delettre (Arc), Dely, Demangeot, Demerlé, Sgt Denis, Sgt Albert Deniziot (Andelot), Pierre Dere (Coupray), Cal De Rudder, Asp Emilien Descamps (Chaumont), Asp Jean Deschamps (Chaumont), Armand Descout, Adj Sedon Desmet (Bugnières), Jean Desrumaux (Chaumont), Asp Michel Detourbet, Cal Dhormes, Sgt André Didier, Jean Diersé (Chaumont), Cal Gaston Dieu (3e cie, blessé), Dilard, Jean Doira (Veuxhaulles), Doire, Jacques Doncarli (Chaumont), Slt Pierre Doncarli (2e cie, Chaumont), Adc René Douillot (Choignes),   Adj Jean Dubois (Nogent), Adj André Dubosque (Chaumont), Ltn Raymond Dubreuil (Chaumont), Ducarre, Ducastel, Duclos, Slt Pierre Dufour (3e cie, Juzennecouret), René Duhaut, Dupont, Dupont, René Dupont (Langres), Durte, Adj André Dussain, Gaston Dutheil (Aubepierre), Raymond Dutheil (Aubepierre).
Oscar Erhardt (Euffigneix), Camille Erigeois (Créancey), Esprit, Cal Etienne Euvrard (Arc).
Fabre, Pierre Fabre (Lavilleneuve/Roi), Sgt Robert Fanoi (Vitry/Montagne), André Favre (Langres), Henri Favre (Cour-l'Evêque), Jacques Favre (Langres), Cal Charles Fernandez (Arc), Arthur Ferrari (Arc), Ferrière, Feuletot, Feyl, André Filhol (Latrecey), Auguste Filoche (Blaisy), Asp Paul Flagey, Pierre Fleuriot (Veuxhaulles), Roger Floriot (Latrecey), Jean Fontanas (Langres), René Fontanas (Langres), Sgt Aimé Fournier (Coupray), Sgc Henri Francart (Juzennecourt), Gilbert François (Euffigneix), Cch André Franquet, Gabriel Franquet (Chalindrey), Adc Lucien Fréquelin (1e cie, Arc), Adc puis Slt François Frey (1e cie, Montrot), Jean Frey (Arc), Adc puis Slt Robert Frey (1e cie), Fricoteau, Froment.
Gallino, Alexandre Gallizi (Créancey), Cal René Garnier (3e cie, Villiers/Sec), Gasdillan, Gaucher, Ltn Roger Gaucherot (Braux/Chatel), Gautrei, Sgt Gay, Robert Gentil (Latrecey), Guy Gérard, Pierre Gérard, Gérard, Gigot, Giscet, Gizant, Gobert, Charles Godfert, Godin, Gosset, Gousset, Gremiche, Grenier, Grenier, Grioulet, Slt Roland Gris (Chaumont), Guenard (Latrecey), Aimé Guillemin (Semoutiers), Cal Marceau Guillemin, Sgt Gustave Guinoiseaux (2e cie), Gumois, Gustol, Robert Guyot (Froncles), Guyot (Longeau).
Marceau Hardouin (Seine-et-Marne), Hebert, Hecht, Hecht, Ltn Pierre Heidet (1e cie, Neuilly/Suize), André Herdalot (Veuxhaulles), Bernard Herni, Slt Maurice Hertert (Chaumont), Adj Georges Holveck (Langres), Honoré, Charles Hourriez (3e cie, Chaumont), Ltn Robert Huel (Chaumont), Hucq, Henri Huleux (Pas-de-Calais), Humbert, Victor Huot (Chameroy), Ad Emile Husson, François Huvig (Arc/Barrois).
Lucien Isselin (Latrecey), Jacques Jaillot (Langres), Jean Jaillot (2e cie, Langres, blessé), Christian Jannin (Orges), Sgt Robert Jeanmougin (3e cie, Sarcicourt), Jecker, Joffroy, Joffroy, Jot, Jourdain, Julien.
Asp René Karr (Chaumont). 
Labbé, Armand Lacordaire (Rochetaillée), Camille Lacroix (Blessonville), Maurice Lacroix (Blessonville), Lamiral, Henry Lamontre (Montsaon), Laroche, Laspoujeas, Cal Robert Laurent (Neuilly/Suize), Laydier, Stéphan Lebedeur, Bernard Lebeuf (Juzennecourt), Leblond, Bernard Leboeuf (Orges), Cal René Leboeuf (Juzennecourt), Marius Legendre (Gillancourt), Raymond Legendre (Langres), Legrand, Cal Georges Legros (Chaumont), Sgc Gilbert Lemoult, Leprun, Lequin, Sgt Bélisaire Lesage, Sgc Victor Lesieux (Chaumont), Levy, Litzinger, Maurice Loriot (Arc/Barrois). 



 

jeudi 3 septembre 2020

Maquis Duguesclin (4) : de précieux renseignements recueillis



Des volontaires langrois du maquis Duguesclin. A droite, Marc Pleux. (Collection B. Voirin/CM 52).


6 septembre 1944
 Journal de marche du maquis : «Le colonel Michel arrive à Valdelancourt, accompagné du capitaine Schreiber, des lieutenants Parcollet, Bocquillon et Collin, il se rend à l'état-major de la 3e armée (général Patton), où il a une entrevue avec le colonel Darvel, chef du 2e bureau. Celui-ci lui demande d'assurer la protection du flanc-droit de la 3e armée et de continuer à le renseigner sur l'occupation, les travaux et les mouvements de l'ennemi».
En fait d'un certain Darvel, il s'agit plutôt du lieutenant-colonel Robert L. Powell, chef du Special Force Detachment de l'armée Patton. L'entrevue a eu lieu dans la Marne, sans doute à Reims.
Si les Américains demandent l'aide des FFI, c'est qu'ils craignent que leur flanc-droit, pour l'heure gardé par quelques éléments de cavalerie appuyés par des maquisards, ne soit menacé par les troupes allemandes en retraite depuis le Centre et le Sud de la France.

«A Valdelancourt, de nouveaux abattis sont faits de nuit par la section Michaut1.
A Arc-en-Barrois, une embuscade est montée contre une colonne allemande signalée qui change brusquement d'itinéraire.
Un parachutage a lieu à Courcelles, auquel participent les sections d'Arc-en-Barrois (lieutenant Blanchot). Deux avions parachutent des munitions et quelques armes individuelles».
Ce terrain, «Versailles», est situé sur le territoire de la ferme de La Rente-sur-Villiers. Relevant du BOA, il a été servi dans la nuit du 5 au 6 septembre 1944.


7 septembre 1944
«De retour de l'état-major de la 3e armée, le colonel2 rend visite à Châlons-sur-Marne au Commissaire de la République et à Saint-Dizier au préfet de la Haute-Marne3. Contact est pris avec les FFI du nord du département.
Des reconnaissances sont envoyées en direction des barrières de Villiers-le-Sec pour tester l'importance des défenses ennemies (lieutenant Chaize).
Dans la nuit, une section se porte à Bologne pour assurer un parachutage qui ne se produit pas».

8 septembre 1944
«Le bataillon fait mouvement sur Lavilleneuve-au-Roi et laisse une section en observation à Valdelancourt.»
Antoine Simons : «On embarque de nuit sur de vieux camions à gazogène servant au débardage forestier. L'on arrive à Lavilleneuve-au-Roi, tout de suite affectation des cantonnements, formation des groupes, des sections, quelques rudiments militaires, pas encore d'armes mais ça commence à ressembler à quelque chose...»
Journal de marche : «Visite du commandant («Pic») qui arrive avec douze FM. Le lieutenant Blanchot rapporte d'Arc-en-Barrois des armes et des munitions.
Le lieutenant Heidet est envoyé à Arc pour prendre le commandement de la compagnie et procéder sur place au recrutement de une ou deux sections.
La section de l'adjudant Holweg4 part en embuscade.
Dans la journée, le capitaine et le sous-lieutenant Bocquillon se rendent à Bar-sur-Aube porter des renseignements au capitaine «Jack», renseignements concernant particulièrement les défenses de la ville de Chaumont».

C'est sans doute lors du mouvement du maquis sur Lavilleneuve-au-Roi que des volontaires rejoignent l'unité. Dans son témoignage5, André Herdalot situe ainsi son incorporation à l'arrivée des FFI dans ce village, s'enrôlant avec d'autres jeunes du village de Veuxhaulles-sur-Aube (Côte-d'Or) où il est né en 1924. Pendant l'Occupation, Herdalot jouait au football à Latrecey, ce qui explique qu'il aura connaissance du maquis Duguesclin. Parmi les volontaires, André Barrachin, qui a été STO du 11 novembre 1942 au 29 février 1944, s'était caché à Créancey puis chez une sœur d'André Herdalot.
Employé de ferme à Latrecey, Robert Guyot, de Froncles, appartient sans doute à ce groupe : il se souvient qu'à l'heure de la messe, deux camions de FFI sont passés à Latrecey pour demander des volontaires, et qu'il a rejoint le camp de Lavilleneuve.

9 septembre 1944
«Instruction.
Quatre prisonniers sont faits par une patrouille».
Jean Pujol : «Il s'agissait de soldats de la Wehrmacht, qui ont avoué carrément avoir déserté et cherché à se rendre aux Américains en marchant vers le nord-ouest à travers champs et bois, pour ne pas se faire repérer et reprendre par l'armée allemande...»

Journal de marche : «Dans la soirée, une section se rend à Juzennecourt pour assurer un parachutage. Trois avions parachutent des armes (30 tubes)». Il s'agit soit du terrain SOE «Chicago» cité par le lieutenant américain Hyde (message du terrain : «La bouilloire va éclater»), soit plutôt de «Nicole» («Charles aime les blondes») où le même officier signale une opération aérienne.
A noter que Robert Bocquillon penche plutôt pour le site d'Annéville-la-Prairie comme terrain de parachutage – alors qu'un autre se souviendra avoir participé à deux opérations à Lavilleneuve-au-Roi...

«Dans la nuit, une section se porte sur la route de Châteauvillain à Chaumont.
Visite de Gérard du PC du colonel». «Gérard» correspond au sous-lieutenant Jacques-Gérard Henriet, élève aspirant né à Besançon en 1919, en poste à Chaumont où il a grandi, responsable du 2e bureau de l'état-major FFI, homologué sous-lieutenant le 13 octobre 1944 avant de rejoindre le II/21e RIC.
L'évènement n'est pas mentionné dans le journal, mais ce jour-là, le gendarme Lucien Macé, né en 1902 à Puteaux, en poste à Juzennecourt, qui a rejoint le maquis le 28 août avec le gendarme Gilbert Denizot (Andelot), aurait éclairé, selon son témoignage, trois voitures transportant «des officiers américains parachutés» de Lavilleneuve-au-Roi à Arc-en-Barrois.
Par ailleurs, ce jour-là, un officier FFI de Paris, le lieutenant Lefèvre, arrivé la veille à Joinville avec trois autres résistants, dans le cadre d'une mission de renseignements au profit de l’état-major national des FFI, parvient dans l'après-midi dans le secteur du maquis. Via Vignory, il gagne Lavilleneuve-au-Roi, «rencontre un sous-lieutenant de renseignements6» - vraisemblablement Bocquillon - «avec lequel il décide de se rendre à Chaumont... Arrivée à Chaumont à 17 h 45». Les renseignements recueillis permettent de noter qu'à La Maladière (lieu-dit à la sortie de la ville), deux ponts sont minés et gardés «par des Russes», qu'au carrefour des routes de Biesles et Andelot il y a des chars enterrés, à la Croix-Coquillon dix pièces anti-chars, puis une pièce de 88 avec 200 hommes à la sortie de Chaumont en direction de Semoutiers, et dans la ville une garison estimée de 2 700 à 3 000 hommes. Le journal du maquis ne souffle mot de cette mission.


10 septembre 1944
«Visite du lieutenant-colonel Bocquillon7.
Une section avec bazukas (sic) se porte en embuscade sur la route de Chaumont à Villiers-le-Sec.
Dans la journée, arrivée du commandant Julien, accompagné du capitaine Breda, du lieutenant Menetrier et de nombreux gendarmes.
Dans la nuit, nouveau parachutage».

Volontaires au sein de la section Dupré de la compagnie Angelot du maquis Henry (Bussières-lès-Belmont), Henri Mourot et André Guillemin, de Chalindrey, se sont vus confier, le 4 septembre 1944, par un officier jedburgh britannique, la mission de recueillir des renseignements sur les dispositifs ennemis dans le quadrilatère Langres-Rolampont-Neuilly-l'Evêque-Rochetaillée.
Cinq jours plus tard, les deux FFI arrivent dans le secteur du maquis Duguesclin. Après avoir passé la nuit du 9 au 10 à Semoutiers, ils arrivent à Valdelancourt. Henri Mourot raconte8 : «C'est alors que nous prîmes contact, d'une manière inattendue, avec les groupements de résistance dont nous ignorions la présence et qui occupaient les bois aux alentours... Nos camarades du maquis nous tenaient pour rien moins que des miliciens en quête d'aventure ou de renseignements !... Lorsque l'on répondit négativement à toutes les explications que nous voulions donner, que nous fûmes enfermés dans une pièce exigüe et gardée par une sentinelle armée, nous estimâmes sincère, dans l'esprit de ceux qui l'avait prononcée, l'accusation qui pesait sur nous... Vers 14 h, une automobile vint nous chercher et nous conduisit, sous la constante menace d'une mitraillette, à Lavilleneuve-au-Roi où nous fûmes traduits devant des officiers français du 2e bureau».
«Nous étions réellement suspectés et ce n'est qu'après un interrogatoire qui dura près de deux heures (…) que nos accusateurs jugèrent injustifiés les soupçons que nous avions suscités. Ils nous muniront alors d'un laisser passer et nous indiquèrent Juzennecourt comme point de stationnement des premiers éléments alliés. Nous repartîmes vers 17 h et touchâmes enfin vers 18 h 30 au but de notre mission où nous rencontrâmes le 121e escadron de reconnaissance américain...»

11 septembre 1944
«Arrivée des docteurs Bonnet, Huel et Lacassagne.
Instruction, tir, visite du colonel Deleuze». Ce dernier, en fait lieutenant-colonel, en provenance de l'armée française du général de Lattre, vient d'être nommé commandant de la subdivision militaire de la Haute-Marne. Né à Baccarat (Meurthe-et-Moselle) en 1907, le Dr Robert Huel, de Chaumont, sera député de la Haute-Marne de 1951 à 1958. Beau-frère et ami du lieutenant Chaize, le Dr Jean-François Bonnet donnera son nom à un établissement hospitalier à Riaucourt.
«Embuscade tendue sur le terrain d'aviation de Montsaon par la section du sous-lieutenant Michaut.
Une autre section est encore envoyée sur la route de Villiers-le-Sec à Chaumont pour tenter d'intercepter une automitrailleuse qui ravitaillait les troupes ennemies stationnées à la barrière de Villiers-le-Sec.
Le capitaine, avec son officier de renseignements, lance un premier ultimatum à la garnison allemande de Chaumont, lui demandant de capituler.
A Arc-en-Barrois, une section sous les ordres du lieutenant Bigorgne fait une feu sur une colonne allemande avec son FM».


Est-ce ce jour, ou l'un des précédents, qu'Antoine Simons, qui se voit prêter une carabine russe, part en embuscade ? «Un fort poste allemand est embusqué sur la route Chaumont-Châtillon dans le virage de la route neuve (emplacement actuel des silos)... Il nous faut des prisonniers pour avoir connaissance des forces allemandes qui restent à Chaumont... Nous devons tendre une embuscade à la relève à l'endroit où la route est en tranchée à 5 ou 600 m du viaduc... Il fait nuit, les camions nous déchargent à Valdelancourt. On contourne l'aérodrome... Je distingue la chapelle Sainte-Anasthasie... L'on se met à couvert dans la forêt du Corgebin. Au jour, on contourne sous bois la ferme du bois Saint-Georges. On retraverse la route d'Arc dans les virages de la Combe...» L'embuscade se met en place. «Je suis sur la partie gauche du dispositif. Thomas et son FM et l'autre copain sont à une trentaine de mètres à ma gauche... Tout au-dessus, là-haut, une sentinelle allemande fait les cent pas : nous devons être discrets...» Finalement, l'embuscade est démontée avant la nuit, le repli se faisant par Villiers-le-Sec, Buxières-lès-Villiers puis, en camions, Lavilleneuve. Dans la nuit, se souvient Antoine Simons, deux capitaines FFI manquent d'en venir aux mains au sujet de la répartition des armes du parachutage précédent !

1Sous-lieutenant Pierre Michaut, né à Chaumont en 1913, fils du directeur du Petit Haut-Marnais.
2De Grouchy.
3Louis Régnier, agent des PTT à Chaumont, qui vient de prendre part à la libération de Paris.
4Agé de 34 ans, Georges Holveck résidait à Langres.
5Recueilli par Bernard Sanrey.
6Selon le récit du chef de mission, le capitaine Chanot, retranscrit par M. El Baze.
7René, père de Robert Bocquillon, officier de réserve.
8Témoignage inédit communiqué par M. Bertrand Châtel au club Mémoires 52.