mardi 13 décembre 2022

Les derniers jours du "colonel Fabien" dans le Nord-Est, décembre 1943


 

Un portrait de Pierre Georges (1919-1944), dans un avis de recherche lancé par les Renseignements généraux après son évasion du fort de Romainville en juin 1943 et conservé par les Archives départementales de la Haute-Marne.


Le 22 février 1944, en intervenant au 33, boulevard Lobau à Nancy, la 15e brigade régionale de police de sûreté abattait Pierre Buffard ("Gérard"), commissaire militaire de la région 2 (Meurthe-et-Moselle), interpellait Charles Guillaume ("Renaud"), commissaire aux effectifs régional, et son épouse Simone Baron ("Claudine"), tous trois transfuges des FTP de la Haute-Saône, et mettait la main sur une importante documentation.

Il s'agit des archives de l'interrégion n°21 des FTPF, provenant essentiellement de la Haute-Saône (région 7), de la Haute-Marne (région 4) et de la Meurthe-et-Moselle (région 2). Ordres, communiqués, rapports d'activité, organisation des compagnies, etc. : cette masse documentaire saisie par les policiers nancéiens est d'une grande utilité pour les historiens puisque, conservée par les Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, elle permet de mieux connaître le rôle joué, dans l'action armée dans le Nord-Est de la France, par le commissaire militaire interrégional (CMIR), Pierre Georges, plus connu sous le nom de colonel Fabien, à cette époque appelé commandant Albert, ou Camille, voire Patrie.

Au moment de l'intervention de la 15e brigade régionale, Pierre Georges avait quitté le Nord-Est depuis de nombreuses semaines. Il était parti courant décembre 1943. Grâce à différentes pièces d'archives conservées à Dijon et à Nancy, grâce à de rares témoignages écrits (en premier lieu ceux de son compagnon d'arme et biographe Pierre Durand), il est possible de suivre à la trace, autant que faire se peut, le valeureux résistant FTP durant ses dernières semaines de présence dans les sept départements de Franche-Comté, de Lorraine et de Champagne dont il avait la responsabilité.

Fin novembre, début décembre 1943, Pierre Georges est ainsi présent à une réunion qui se tenait au café La Lie des Moines à Froideconche (Haute-Saône). Pas moins de 18 résistants étaient présents à ce rendez-vous qui aurait dû, initialement, ne concerner que les principaux responsables des FTP de Haute-Saône et des agents de liaison. Cette affluence imprévue, dangereuse pour leur sécurité, devait stupéfier le commandant Albert, qui a appris en outre, ce soir-là, que le chef de la Compagnie Valmy, le lieutenant Georges Pouto ("Georges"), était un repris de justice. Celui qui avait fait cette confidence à Albert, Raymond Guyot, devait d'ailleurs être assassiné dans la nuit par le même Pouto, et son corps retrouvé le 5 décembre 1943 à Froideconche. A la même période (le 2 décembre 1943, selon l'intéressé), Pierre Georges affecte le commissaire technique régional de la région 7, Richard (ex-Gaby, ex-Gustave), Gabriel Szymkowiak, à la Haute-Marne, où il exercera finalement la fonction de commissaire militaire régional.

Le 4 décembre 1943, le CMIR passe par Nancy, ville qu'il connaît bien pour avoir été hébergé chez Camille Camus (au 15, rue Thierry-Alix) et chez Mme François (au 6, rue de Rigny). Là, alors qu'il voyage en train avec une agent de liaison, Albert est rejoint par un garde du corps qui a été armé par les soins de Pierre Buffard : André Camus ("Mario"), frère de Camille Camus. Tous trois prennent la direction de Château-Thierry, puis de Pantin. Manifestement, Pierre Georges avait un rendez-vous important à Paris. Le 11 décembre 1943, selon le récit de Jean Girardot, le maire de Magny-Vernois cité par Pierre Durand, le chef FTPF est de retour en Haute-Saône puisqu'il rend visite à ce père de famille qui héberge sa fille Monique et lui annonce qu'il quitte la région. Vers le 12 décembre, André Camus croise encore, à Chaumont, Albert et l'agent de liaison Mariette (Suzanne Paganelli).

Pierre Georges était-il alors sur le départ ? Rien n'est sûr. Commerçant à Lure (Haute-Saône), Martial Vidal affirme que "le jour-même où [Georges Pouto] fit semblant (sic) de se faire arrêter, le colonel Fabien, que j'avais vu, m'avait dit [que Pouto] devait être abattu, ce jour-là, par de vrais résistants, à la suite d'un conseil qui avait été prévu à Magny-Vernois"

C'est en effet le 17 décembre 1943 que le lieutenant Georges, devenu commissaire militaire régional des FTP de la Haute-Saône à la place du capitaine Jean (Albert Poirier), a été arrêté par des feldgendarmes à Magny-Vernois, alors qu'il se rendait à une réunion du comité militaire régional. Après sa capture, réalisée en même temps que celle de Sarrazin dit Serge ou L'Arabe, Pouto devait se mettre très rapidement au service de la police allemande et provoquer les arrestations de nombreux membres de sa Compagnie Valmy. 

Le commandant Albert était-il encore dans la région à ce moment critique ? La seule certitude, c'est qu'il a passé la nuit de Noël 1943 chez un frère à Rochefort-sur-Mer, sur la côte Atlantique. Il ne devait revenir en Haute-Saône qu'un an plus tard, à la tête de la 1ère Brigade de Paris, constituée de FTP parisiens et meusiens principalement. Le 27 décembre 1944, celui qui était devenu le colonel Fabien périssait à Habsheim, à l'âge de 25 ans, dans l'explosion d'une mine.

Sources principales : dossier d'enquête sur le démantèlement du groupe Gambetta de Nancy, en février 1944, 2101 W 15, AD 54 ; dossier d'enquête sur la trahison de Georges Pouto, 29 U 66/2, AD 21 ; DURAND, Pierre, Qui a tué Fabien ?, Temps actuels, 1985.  

 

mardi 29 novembre 2022

"La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale. Dictionnaire historique et biographique".




Portrait de Lionel Jouet, conservé par les Archives départementales de Seine-Maritime. 


 En Meurthe-et-Moselle, il était connu sous le nom de Gilbert. En Haute-Marne et en Haute-Saône, sous les alias Roussel, Baron, voire Jacques. Commissaire aux effectifs interrégional (CEIR) dans l'interrégion n°21, ce responsable FTP devait échapper à toutes les polices du Nord-Est de la France depuis août 1943, avant d'être capturé entre le 8 et le 12 janvier 1944 en gare de Besançon (alors qu'il devait avoir rendez-vous à Chaumont le 13 janvier 1944), écroué dans la prison de la Butte de cette ville, puis fusillé.

Au terme d'une enquête dans différents centres d'archives, nous sommes arrivé à la conviction que Roussel ou Baron correspondait à Richard, pseudonyme de Lionel Jouet (1912-1944), militant communiste normand, effectivement arrêté en gare bisontine le 8 janvier 1944, dernier fusillé de la Citadelle de Besançon le 18 août 1944.

Le parcours de Roussel figure parmi les 330 notices biographiques contenues dans le nouvel ouvrage du club Mémoires 52, "La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale. Dictionnaire historique et biographique".

Au fil des 535 pages richement illustrées, le lecteur prendra aussi connaissance des événements qui se sont déroulés dans chacune des 550 communes du département. Des articles sur la vie quotidienne, les maquis, les combats de juin 1940 et de la Libération complètent le propos de ce travail, le plus original et le plus ambitieux du club Mémoires 52 depuis sa création en 1991.





lundi 7 novembre 2022

René Migeot, traqué de Langres à Bordeaux, via Reims et Dijon (1941-1944)


Source de l'illustration : AD 21.

Né à Paris le 6 octobre 1918, René Migeot est le fils de deux Haut-Marnais, Charles Migeot et Marie-Rose Porte, tous deux originaires de Larivière-sur-Apance. Charles est employé des chemins de fer dans la capitale où il vit jusque dans les années 20, avant de s'installer avec sa famille à Langres, faubourg des Auges. 

Lui-même employé SNCF, après avoir été apprenti chaudronnier au dépôt de Chalindrey puis ajusteur, René Migeot adhère aux Jeunesses communistes à Langres. Il en est l'animateur du groupe avec son frère Jean-Alfred. Mobilisé (il a été incorporé le 1er septembre 1938 au 171e régiment d'infanterie de forteresse, passé au 10e RIF du secteur fortifié de Mulhouse un an plus tard), fait prisonnier, il est libéré comme cheminot. Démobilisé en septembre 1940, il décide de s'investir dans les activités du PCF clandestin et s'entoure de plusieurs camarades dont son frère cadet Jean-Alfred. La police française le soupçonne d'avoir distribué des tracts les 16 mai et 13 juin 1941 à la gare de Langres et au dépôt de Chalindrey.

Le 22 juin 1941, au moment de l'attaque de l'URSS, les Allemands se saisissent des militants et sympathisants communistes haut-marnais. Charles Migeot est arrêté, mais ses deux fils parviennent à fuir dans la matinée. René Migeot se réfugie à Saint-Dizier, chez l'épouse d'Yves Thomas, secrétaire de la section du Parti à Saint-Dizier et qui a été lui-même arrêté. C'est alors que le jeune cheminot entre en contact avec un responsable interrégional nommé Edouard, en l'occurrence Edouard Boulanger, ancien maire de Rueil. Ce dernier lui confie la mission d'animer l'imprimerie clandestine du PCF située à Tinqueux, près de Reims.

Le jeune militant s'y rend fin juin - début juillet 1941. Il est rapidement rejoint par une communiste auboise, Alice Cuvillers, pour l'épauler dans ses activités. "Nous avons constitué un faux ménage", précisera René Migeot. "Nous devions mener la vie tranquille et rangée d'un jeune ménage et ne fréquenter personne, ne pas attirer l'attention", confirmera la jeune militante.

Première alerte à Reims

Mais de strictement "professionnels", leurs liens devaient vite évoluer vers une relation plus intime. Et pendant plus d'un an, mais surtout à partir d'octobre 1941; Alice et René, depuis leur pavillon de Tinqueux, ne cesseront de mettre en forme et de tirer des tracts et journaux du PCF et du Front national. Jusqu'à ce que la police française ne soit mise, fin juillet 1942, sur la piste d'un nommé Lévêque, qui réceptionnait, chez lui, les courriers destinés à l'un et à l'autre. Le 3 août 1942, c'est le piège.

C'est d'abord Alice Cuvillers qui tombe entre les mains des hommes du commissaire Henri Jacquet. Inquiet de ne pas la voir revenir, René Migeot s'arme d'un revolver 6,35 mm et se rend à son tour, à 20 h 15, dans la rue de Clairmarais, domicile d'Aimé Lévêque. Tentative d'interpellation. Coups de feu contre deux policiers. Fuite.

Désormais, Vichy est aux trousses du communiste haut-marnais. Un avis de recherche est lancé. D'abord réfugié chez un nommé Mercier, le Langrois, inconsolable de l'arrestation de sa compagne, retrouve bien vite une nouvelle mission de l'interrégional Boulanger : le rejoindre à Dijon, en Côte-d'Or. 

Coups de feu dans les rues de Dijon

Début octobre 1942. C'est un homme seul et traqué qui est hébergé au 11, rue des Rosiers à Dijon, chez Lucie Huguenot et sa fille adoptive. Seul, car son père a été déporté (il mourra à Auschwitz), sa mère et sa compagne ont été arrêtées, et son frère était en fuite. 

A Dijon, René Migeot réalise le même travail qu'à Reims : la fabrication de tracts et journaux. Il ne dira jamais son nom à ses hôtes, mais leur révélera certaines informations : qu'il était originaire de la région de Langres, qu'il a travaillé à Chalindrey, qu'il a tiré sur un inspecteur de police à Reims...

Son séjour en Côte-d'Or est de courte durée. Le 19 décembre 1942, un cheminot dijonnais reconnaît rue Monchapet la bicyclette qui lui a été volée. Un jeune homme l'utilisait. Aussitôt, la police est prévenue. Un inspecteur se présente au domicile du cycliste, lui demande de l'accompagner jusqu'au commissariat. Mais en chemin, le jeune homme sort un revolver, fait feu à deux reprises sur le policier qui est légèrement blessé, et s'enfuit. Ce cycliste, c'était René Migeot.

Tandis que les policiers dijonnais arrêtent Lucie Huguenot qui, victime d'une crise cardiaque après d'éprouvants interrogatoires, mourra le 10 janvier 1943 à l'hôpital de la Chartreuse, et que les matériels d'imprimerie et tracts sont saisis, le Haut-Marnais part se cacher, d'abord chez un camarade dijonnais. Puis il décide de se réfugier chez une tante maternelle à Parnot, en Haute-Marne, tenté par l'idée de quitter l'organisation, inconsolable de l'arrestation d'Alice Cuvillers - ses lettres d'amour enflammées en témoignent.

Avec Georges Bourdy

En mai 1943, pour ne pas nuire à la sécurité de sa famille, René Migeot quitte la Haute-Marne pour Reims, entre de nouveau en contact avec le PCF qui lui reproche sa trop longue disparition du circuit, et finalement, par l'intermédiaire de Georges Bourdy, interrégional FTP qu'il connaissait, il accompagne celui-ci en Gironde.

Commissaire militaire interrégional, c'est-à-dire en charge des opérations militaires des FTP pour plusieurs départements du Sud-Ouest dont la Gironde, Migeot, alias "Georges", renoue avec l'action clandestine. Après trois années d'une longue traque, en Champagne, en Bourgogne, en Aquitaine, il tombe aux mains de la police française dans la deuxième quinzaine de septembre 1943, à Libourne.

René Migeot est fusillé le 26 janvier 1944 au camp de Souge, près de Bordeaux, aux côtés de Georges Bourdy. Son père Charles est mort à Auschwitz, son frère Jean-Alfred n'est pas revenu de Dachau. Seules sa compagne, qui a été déportée à Ravensbrück, sa mère, internée à Saint-Dizier, et sa soeur auront survécu au conflit.

Sources principales : dossier d'enquête de la police française, 1072 W art. 2, Archives départementales de la Côte-d'Or ; fiche matricule, R art. 1750, Archives départementales de la Haute-Marne ; Dossier 52 consacré à la famille Migeot. 

mardi 27 septembre 2022

Les groupes FTP de la forêt de Trois-Fontaines, octobre - décembre 1943 (2)


 Camille Soudant, entre les mains de la police française. (Source 2101 W 18, AD 54).


Quelles ont été les activités des deux groupes ? En voici un résumé, sur la foi des procès-verbaux d'interrogatoires de leurs membres qui, rappelons-le, n'ont d'abord reconnu que les cambriolages.

    Courant octobre 1943, Camille Soudant, 21 ans, commis boulanger à Avize (Marne) et réfractaire au STO, prend le train à Reims et descend en gare de Pargny-sur-Saulx. Il y retrouve un homme nommé Paul ou Vincent, dont nous savons aujourd'hui qu'il s'agit de Marcel Mejecaze, responsable du Front national pour la Marne selon le résistant Pierre Servagnat, plutôt commissaire interrégional FTP pour la Marne et l'Aube selon l'intéressé, monte dans une voiture conduite par Armand Risse, garagiste à Sermaize-les-Bains, pour être déposé, "seul" dira-t-il, dans une baraque en forêt entre Villers-le-Sec et Charmont. Toutefois, Risse précise qu'il a d'abord amené Soudant au lieu-dit Brassar (en fait Brassa, entre Trois-Fontaines-l'Abbaye et Lisle-en-Rigault), avant effectivement de le transporter à Villers-le-Sec. Dans les jours qui suivent, le jeune réfractaire est rejoint par deux Marocains, Saïd (Chaieb ben Dahan, évadé en septembre 1943 de Romilly-sur-Seine) et Ali, puis par un Hollandais, Guillaume, enfin par un troisième Nord-Africain, Mohamed. Pas un mot sur la présence, avec lui, à Brassa, de Maurice Tournant, d'Epernay (qui sera ultérieurement déporté).

    Voilà pour le premier groupe dont Soudant a hérité du commandement.

    Le second est directement sous les ordres de Robert Baudry, 22 ans, de Saint-Martin-sur-le-Pré (Marne). Tous en sont d'accord : il est composé de Jean Gouttmann, 20 ans, de Montigny-les-Monts (Aube), de Georges Laîné, 20 ans également, de Broyes (Marne), et de Baudry. Sauf que pour le premier, ordinairement très précis sur la chronologie, ils sont arrivés dès le 14 octobre 1943 en gare de Sermaize, accompagnés de Vincent et d'un nommé Pierre, chef militaire de 25 ans (vraisemblablement Roland Moret, 26 ans, capitaine FTP et adjoint de Mejecaze selon les historiens Jocelyne et Jean-Pierre Husson). Pour Baudry et Laîné, c'est plutôt le 11 novembre 1943 qu'ils ont rejoint la région de Sermaize.

    Risse, à nouveau, est sollicité pour les conduire à Givry-en-Argonne, d'où ils s'installent en forêt en direction de Charmontois-le-Roi, dans une cabane en planches au bord d'un étang (celui de Belval, sans doute). Selon Jean Gouttmann, ce groupe appelé à être renforcé - il devait comprendre huit hommes, reconnaîtra Baudry - dispose de deux mitraillettes d'origine anglaise et de huit chargeurs. 

    Quelles furent les actions de tous ces hommes ? Jusqu'au 14 novembre 1943, nous n'en savons rien d'après l'enquête. Toutefois, dès le 8 novembre 1943, la police de sûreté de Nancy évoquait "l'existence éventuelle d'un groupe de réfractaires dans les bois de Nettancourt-Charmont". Le 14 novembre, Soudant, Guillaume et Ali réalisent une première "réquisition" armée de tabac, à Saint-Mard-sur-le-Mont (Marne). Une dizaine de jours plus tard, Baudry et Gouttmann font de même à Charmontois-l'Abbé. Georges Laîné n'était pas avec eux, "Robert (l'a) envoyé en mission à Sézannes (sic)" dira Goutmann. A la même période (Gouttmann donne, sans certitude, la date du 26 novembre), le responsable Pierre (présumé Roland Moret) revient dans le secteur et remet à Baudry des explosifs.

    Le 1er décembre 1943, nouveau cambriolage dans un tabac, à Foucaucourt (Meuse). Baudry, Laîné et Goutmann reconnaîtront les faits. Mais cette fois, la brigade de Nancy, informée, vient dès le lendemain enquêter sur place. 

    Le 2 décembre au matin, afin de "nous éloigner du lieu de notre cambriolage" (Georges Laîné), le groupe Baudry va rejoindre les hommes de Camille Soudant à Villers-le-Sec. Puis, sur ordre de Vincent, venu en gare de Sermaize remettre des tracts, Baudry, Soudant, Laîné, Gouttmann et Ali partent pour Saint-Dizier, au lieu-dit La Haie Renaut, pour faire sauter des pylônes électriques de la ligne à haute tension Revigny-sur-Ornain - Saint-Dizier. Ce sont les deux chefs de groupes, arrivés sur les lieux vers 19 h, qui disposent les explosifs. De retour dans leur refuge, ils entendent l'explosion : le coup a réussi, trois pylônes ont été détruits. 

    Deux jours plus tard, alors que Baudry était absent, et que Soudant était parti construire une autre cabane avec plusieurs camarades, les Allemands à la recherche de "terroristes" organisent une battue près de Villers-le-Sec. Un accrochage a lieu, et trois FTP auraient été tués : Guillaume, Ali et Mohamed (1). Leurs camarades parviennent à échapper à la capture ou à la mort. Laîné et Chaieb ben Dahan se réfugient par exemple chez Armand Risse à Sermaize. Ce dernier en informe le 5 décembre le garde forestier Albert Leclercq, du lieu-dit La Colotte en forêt de Trois-Fontaines, qui les accepte le lendemain. Tandis que Saïd reste à La Colotte, Laîné, Baudry et Soudant viennent trouver asile, vraisemblablement le 7 décembre, chez H. D..., jeune bûcheron qui loge dans une cabane. Ils y restent jusqu'au 10 décembre.

    Entre-temps, est survenue, le 8 décembre 1943, l'affaire du "cambriolage" du tabac de Nettancourt, qui amènera les policiers de Nancy à se rendre sur les lieux.

    Le 9 ou 10 décembre, Gouttmann se réfugie à son tour chez Leclercq. Le 11, Baudry, Soudant et Laîné se rendent chez Armand Risse. Là, en présence du garde forestier, le garagiste organise une rencontre avec un exploitant forestier, Gobillot, pour qu'il embauche ces clandestins recherchés par les soldats allemands. Le départ est prévu le lendemain. Ce même 11 décembre, les hommes du commissaire Gustave Lienemann découvrent, chez H. D...., des tracts "communistes". Le jeune homme "nous fournissait de bonne grâce les renseignements précis qui ont permis l'arrestation de ces individus", consignera dans son rapport le policier. D... avait en effet entendu ces hommes parler d'un garagiste, à Sermaize. Ce sont ces déclarations qui ont mis la brigade de Nancy sur la piste de Risse...

    Baudry, Soudant et Laîné ne se doutent de rien. Ils passent la nuit du 11 au 12 à Sermaize. Le 12 au matin, ils se préparent à partir pour le chantier de Gobillot lorsque la police surgit. Les trois hommes sont pris, sans opposer de résistance, ainsi que le garagiste. Puis l'équipe du commissaire Lienemann se rend à La Colotte où elle arrête Leclercq, Gouttmann et Chaieb ben Dahan. 

    La suite, on la connaîtra par le témoignage d'Armand Risse recueilli par Miguel Del Rey : les interrogatoires à Nancy, le transfert aux autorités allemandes, l'emprisonnement à Châlons, et l'exécution de quatre de ces hommes à La Folie. Au moins cinq de leurs camarades d'infortune seront déportés : Albert Leclercq et Eugène Destenay, qui mourront, Risse, Chaieb ben Dahan et H. D..., qui reviendront. 

    Avant son arrivée dans la région de Sermaize, Soudant a-t-il réalisé des sabotages dans les alentours d'Epernay, comme il sera déclaré lors de ses obsèques ? Avait-il envisagé de s'attaquer à la station allemande de Possesse au moment de son arrestation ? Le dossier d'enquête de la police française n'en souffle mot.

    Un mot sur l'acteur principal de leur arrestation, le commissaire Gustave Lienemann. Après la Libération, en août 1945, celui qui était devenu greffier à Marseille viendra, spontanément, apporter des précisions sur l'affaire. Il assurera que lui-même en contact avec la Résistance, il avait demandé, à l'automne 1943, à ses enquêteurs de ne pas faire de zèle lors de leurs investigations à Nettancourt. Se disant par ailleurs convaincu de ne pas avoir affaire à des résistants mais à des "malfaiteurs", Lienemann ajoutera qu'après la découverte de tracts chez H. D... et les confidences de la "concubine" de celui-ci, il n'a pu faire autrement que de poursuivre son enquête jusqu'à l'arrestation des FTP. Toutefois, Armand Risse gardera un autre souvenir du policier. Loin d'être un fonctionnaire presque bienveillant, l'homme se serait montré brutal et menaçant lors des interpellations. Par ailleurs, un de ses inspecteurs aurait giflé un des jeunes réfractaires. Ajoutons que Lienemann avait été impliqué, quelques mois plus tôt, en forêt de Haye, près de Nancy, dans la mort du responsable FTP Marcel Simon. Les résistants communistes avaient bien des raisons de le détester...

(1) L'opération a été réalisée par le Kommando des Sipo und SD de Châlons-sur-Marne et cinq militaires de la Feldgendarmerie-Truppe 602 de Vitry-le-François. Le rapport allemand parle de trois "terroristes" capturés dont un abattu en cherchant à fuir. Il s'agit vraisemblablement de Mohamed ben M'Hamed, Marocain mort des suites de ses blessures le 10 décembre 1943 à l'hôpital de Saint-Memmie. Aucune confirmation du décès d'Ali et de Guillaume - qui, selon la police française, serait un Hollandais évadé du frontstalag 122 de Compiègne - n'a pu être trouvée.

    

    

jeudi 22 septembre 2022

Les groupes FTP de la forêt de Trois-Fontaines (octobre - décembre 1943) (1)

    



 Lorsque nous nous sommes intéressé à la fin des années 90 à l'histoire des maquis FTP de la forêt de Trois-Fontaines, et particulièrement au "groupe Camille Soudant", les sources alors disponibles étaient peu nombreuses : les témoignages d'Armand Risse et d'Odette Leclercq, recueillis par Miguel Del Rey ("La Résistance dans la région de Pargny-sur-Saulx"), des informations et documents communiqués par la famille de Camille Soudant. Ils sont à la base d'une relation publiée sur ce blog

    Deux décennies plus tard, les archives se sont ouvertes. C'est ainsi que nous avons pu consulter, aux Archives départementales de la Meurthe-et-Moselle, un important dossier d'enquête consacrée par la 15e brigade régionale de police de sûreté de Nancy aux crimes et délits commis dans la région de Nettancourt (Meuse), dossier coté 2101 W art. 18.

     La consultation de ces pièces ne modifie pas fondamentalement la présentation des faits que nous avions proposée alors. Pour autant, elle permet d'apporter des précisions, des corrections, voire des révélations sur l'histoire des premiers groupes FTP de cette région.

Deux groupes

    Première découverte : ce n'est pas un, mais deux groupes qui existaient alors dans les forêts des confins de la Meuse et de la Marne, ce que le garagiste Armand Risse laissait supposer dans un témoignage rédigé après-guerre. L'un entre Villers-le-Sec et Charmont, l'autre près de Givry-en-Argonne. Ce que nous avons également appris à Nancy, c'est la composition exacte de chacun des groupes, placés non pas sous la direction de Camille Soudant (il n'en commandait qu'un des deux), mais de Robert Baudry. 

    Deuxième information : leur présence dans la région est bien plus précoce que nous ne le pensions. Non pas à partir de fin novembre 1943, après un coup de filet dans la région d'Epernay, mais courant octobre 1943 en ce qui concerne le groupe Soudant, peut-être le 11 novembre pour le groupe Baudry.

    Autre précision importante, qui confirme le témoignage d'Armand Risse : il y a bien eu, le 4 décembre 1943, une opération allemande entre Villers-le-Sec et Charmont (Marne) qui a coûté la vie à trois maquisards, le Hollandais Guillaume, les Marocains Ali et Mohamed.  

    Ce qui apparaît ensuite à la lecture du dossier, c'est que l'enquête de la police française, diligentée après plusieurs cambriolages de bureaux de tabac, a connu un coup d'accélérateur après l'affaire de Nettancourt, "aggravée par une tentative de meurtre" sur la buraliste qui aurait eu lieu le 8 décembre 1943. A cette tentative de meurtre, le capitaine Prévost, de la gendarmerie de Bar-le-Duc, le commissaire de police Gustave Lienemann, de la brigade de Nancy, n'ont pas cru, soupçonnant plutôt une volonté de masquer un déficit de l'établissement. Mais le cours de l'enquête aura amené à l'interrogatoire, le 11 décembre 1943, de H. D., jeune bûcheron qui ne semble faire aucune difficulté à indiquer que les résistants qu'il a hébergés sont partis chez un garagiste de Sermaize : Risse, forcément. C'est là que la plupart tomberont entre les mains de la police, le lendemain.

Des faits en partie reconnus

    Que nous apprend également ce dossier ? Que les procès-verbaux d'interrogatoires montrent qu'à l'exception d'un seul (nous y reviendrons), tous les prévenus en ont dit le moins possible sur leurs activités, tout en reconnaissant les faits qui leur sont reprochés. Ils ont pris soin par exemple de ne citer que les hommes qui ont été arrêtés ou qui ont été tués. Ainsi, Camille Soudant déclara qu'il a rejoint seul une baraque en forêt, alors que dans son témoignage ultérieur, Armand Risse écrira y avoir conduit également un nommé Maurice Tournant, qui n'apparaîtra à aucun moment dans la procédure. De même, tout, dans ces PV, semble indiquer que les activités clandestines de ces hommes n'ont commencé qu'à leur arrivée dans la région. Pas un mot sur des actions passées, du moins au moment de leurs premières déclarations. Pas un mot, initialement, sur des sabotages : ces hommes n'ont reconnu que les cambriolages de bureaux de tabac, exécutés sur ordre supérieur. Des faits qui, dans leur esprit, ne sauraient justifier une peine de mort. Enfin, tous ont affirmé ignorer qu'ils appartenaient à des groupes proches du Parti communiste. S'ils sont venus en forêt, c'est pour échapper au STO.

    Toutefois, il est un des maquisards qui s'est montré particulièrement prolixe devant les enquêteurs : c'est Jean Gouttmann. Son PV représente dix pages, là où celui de Soudant n'en fait que la moitié. Dans ces déclarations, le jeune homme cite des noms de FTP aubois qu'il a connus (et qui seront immédiatement arrêtés), donne une chronologie précise des activités de son groupe. Surtout, il dira que "Robert s'est vanté en ma présence d'avoir participé aux sabotages d'une locomotive d'un train de houille ainsi qu'au sabotage d'une écluse" dans la Marne, et que lui-même a participé à une destruction de pylônes à Saint-Dizier. C'est peut-être ces révélations qui, les 13 et 14 décembre, amènent les enquêteurs à obtenir des aveux lors d'interrogatoires poussés. Baudry "ajoutera" ainsi qu'il n'a pas dit "toute la vérité" et qu'en effet, avec Soudant (leurs deux versions sont d'ailleurs identiques), il est l'un des deux acteurs principaux du sabotage de Saint-Dizier. De même, il reconnaîtra ensuite les faits commis dans la région d'Epernay.

    Qu'il ait joué la carte de la franchise avec les policiers français n'empêchera pas Jean Gouttmann d'être fusillé le 19 février 1944 à Châlons-sur-Marne avec Robert Baudry, Camille Soudant et Georges Laîné. Car après leurs interrogatoires par les hommes de la brigade de Nancy - beaucoup plus rudes, selon le témoignage ultérieur d'Armand Risse, que ne le laissent penser les PV - ces hommes, emprisonnés dans la cité lorraine, sont passés aux mains des Allemands, ont été transférés à Châlons où, condamnés à mort, ils ont été exécutés à La Folie. (A suivre). 

vendredi 2 septembre 2022

17 novembre 1942, à Consigny, un bombardier de la RAF est abattu

 Les 9 et 10 mai 1992, il y a 30 ans, la municipalité de Consigny (Haute-Marne), le club Mémoires 52 et le Souvenir français organisaient une manifestation du souvenir en hommage à sept aviateurs alliés. Une exposition et l'inauguration d'un monument ont marqué cet événement. A cette occasion, notre association éditait une plaquette du souvenir aujourd'hui épuisée et dont voici le texte.



Guy Grandjean, de Daillecourt, alors enfant, parmi les débris de l'avion. Jusqu'à son décès, il participait chaque 17 novembre à la cérémonie du souvenir.

Mardi 17 novembre 1942. Quinze appareils de la RAF prennent part au raid n°387 (mission de nuit). Ils appartiennent à divers squadrons des groupes 4 et 91, du Bomber Command. Deux Halifax MK II du N°158 Squadron (basé à Rufforth, Yorkshire), groupe 4, participent à la mission : le Halifax commandé par le sous-lieutenant A. Woolnough et le Halifax W 7863, code NP V, du commandant Paul Seymour. Woolnough doit faire un lancer de tracts sur Vichy et Clermont-Ferrand, Seymour sur Nancy et Strasbourg. Il s'agit d'un discours - traduit en français - de Winston Churchill, prononcé le 12 octobre 1942.

Les deux avions décollent de Rufforth vers Linton-on-Ouse, quartier général du groupe 4, de bonne heure, pour être chargés de paquets de tracts et redécoller de Linton, à 17 h 17 pour Woolnough, et 17 h 18 pour Seymour. Les quinze avions transportent, au total, plus de deux millions de ces tracts destinés à être lancés sur diverses régions de France. Les prévisions de la météo, pour la nuit à venir, indiquent une légère couverture nuageuse sur la France et une visibilité modérée.

Le Halifax W 7863 est relativement neuf. Il a été livré au squadron, le 24 septembre 1942. C'est sa septième sortie opérationnelle. Ses précédentes sorties comportent des bombardements sur Kiel, le 13 octobre, et sur Gênes, le 23 octobre.

Pour le raid sur Kiel, les archives du squadron mentionnent que l'appareil avait eu une panne de la commande de profondeur. Quant au raid sur Gênes, il s'est normalement déroulé.

La mission du 17 novembre est prévue avec l'équipage ci-après :

- pilote, commandant Paul de Grey Horatio Seymour,

- navigateur, lieutenant Leonard John Fairbairn (néo-zélandais), 30 ans.

- bombardier, capitaine Robert Tudor-Jones, 31 ans,

- radio, sous-lieutenant Gilbert Vincent Slide.

- mitrailleur dorsal, sergent Jack de la Warr Anstruther, 30 ans.

- mitrailleur arrière, sergent Cecil John Murray, 26 ans.

- mécanicien navigateur, sergent Richard Barton Greensmith, 35 ans. 

Cet équipage est composé d'hommes ayant une grande expérience : Seymour, commandant le Flight B du squadron, vole, comme officier de la RAF depuis plus de dix ans ; Tudor-Jones est le chef bombardier du squadron ; Fairbairn est l'un des chefs signalisateurs du squadron ; le sergent Greensmith vient d'être, depuis peu, proposé pour le grade d'officier ; Murray et Anstruther ont participé à de nombreux raids en territoire ennemi au cours des précédents mois.

D'après les archives du squadron, il ne semble pas que ces hommes aient volé ensemble avant la mission du 17 novembre 1942. Il est probable que cette dernière, considérée comme peu dangereuse  (...) par rapport aux raides de bombardement sur l'Allemagne, soit l'occasion pour entraîner ces hommes à voler ensemble au-dessus des territoires occupés. En plus de l'équipage normal de sept membres, le sergent George Johnson y est adjoint en qualité de co-pilote. Son nom n'apparaît pas dans les archives du squadron à ce moment-là. C'est sans doute une nouvelle recrue récemment arrivée, après son entraînement, accompagnant un équipage aguerri, pour lui permettre d'effectuer son premier vol en territoire occupé.

La disparition du W 7863

Des quinze appareils prenant part à l'opération de lancer de tracts dans la nuit du 17 au 18 novembre, tous, sauf le W 7863, accomplissent leur mission sans incident sérieux. Le rapport du Bomber Command, daté du 12 janvier 1943, confirme que le W 7863 a été abattu par un chasseur ennemi, à l'ouest de Nancy. (Selon des précisions apportées en 2003 par M. Frédéric Henoff, cette victoire est à mettre au crédit du hauptmann Heinrich Wohlers, de l'état-major de l'escadron de chasse n°4 ou NJG 4).

Le sort de l'appareil et de son équipage est confirmé par un télégramme du Comité de la Croix-Rouge internationale reçu par le Squadron 158 le 19 décembre 1942. Les autorités allemandes ont communiqué les renseignements suivants à la Croix-Rouge : "Slide, blessé et prisonnier ; Murray, Greensmith, Seymour et Anstruther tués". Il n'est pas fait mention de Fairbairn, Tudor-Jones et Johnson, mais les registres de la Commission des sépultures de guerre du Commonwealth indiquent que ces trois aviateurs sont inhumés dans une tombe commune. Ce fait suppose que les corps des trois victimes n'étaient pas identifiables. Ces renseignements sont tirés de documents adressés par Richard Doyle, Eric Barnard, H. N. Mottershead et Roy Bradley. La traduction a été faite par Claude Ambrazé.

Le Halifax W 7863 tombe sur le territoire de la commune de Consigny (canton d'Andelot), à 23 km de Chaumont. La chute des débris et des corps des victimes s'effectue au lieu-dit Combe la bosse, près du Kollot, ce mardi 17 novembre 1942, vers 21 h 30. Seul des huit membres de l'équipage, G. V. Slide parvient à sauter en parachute. Blessé et fait prisonnier, il est dirigé sur l'hôpital de Chaumont pour y être soigné avant de partir en Allemagne, interné au stalag Luft 3, à Sagan et Belaria. G. V. Slide est libéré par les troupes alliées et rejoint l'Angleterre en mai 1945. Le Halifax abattu à Consigny constitue la seule perte de la nuit pour la RAF. 

Le résumé des faits établi par le maire de Consigny, Robert J anny, en 1988 est le suivant, d'après les témoignages recueillis près de quelques habitants : "Vers 21 h/21 h 30, le 17 novembre 1942, les habitants du village entendent un bruit sourd venant de la direction du sud-ouest (Ageville). Sortant de leur demeure, ils aperçoivent une lueur rouge, entendent le crépitement d'une mitrailleuse, et voient une grande traînée de feu. C'est un avion en flammes qui s'écrase au lieu-dit Combe la bosse, près du Kollot. Le lendemain, des gens du village se rendent sur les lieux de la catastrophe et découvrent les corps éparpillés, mutilés et calcinés des aviateurs parmi les débris de l'avion et de lambeaux de parachute. Plusieurs agriculteurs de la commune, Paul Demongeot, Auguste Boucheseiche, Georges Petit, Auguste Petit, Louis Raclot, et l'instituteur Roger, à l'aide d'un tombereau, transportent les corps, placent ceux-ci dans des cercueils de bois blanc à l'intérieur de la chapelle (encore existante). La cérémonie d'enterrement se déroule dans la simplicité et le recueillement, puis l'inhumation a lieu dans le cimetière communal. Un poste de garde est établi par les Allemands autour des débris de l'avion jusqu'à ce que ces débris soient évacués sur la route de Clinchamp par les habitants de Consigny. Deux ans plus tard, un service religieux est célébré en l'église de Consigny par l'abbé Vieilhomme, curé de Bourdons, en présence d'un détachement de militaires, à la mémoire des sept aviateurs morts sur le territoire de la commune."

La gendarmerie française informe la préfecture de la Haute-Marne de l'événement dès le 17 novembre 1942 à 22 h 30. Elle le confirme par messages téléphonés le 18 novembre à 9 h 05, le 19 novembre à 14 h 30, le 20 novembre à 10 h 15, précisant ce jour-là : "Hier soir, trois autres cadavres ont été découverts sous les débris de l'avion anglais. Les quatre premiers corps ont été inhumés hier, par ordre des autorités allemandes, à Consigny. Les trois autres le seront ce jour à 15 h, également à Consigny. Des tracts dont été porteur cet avion ont été retrouvés épars dans la campagne. Ce sont les mêmes que ceux trouvés à Montier-en-Der". 

Le sergent C. J. Murray, un des sept aviateurs tués à Consigny. Photo adressée par Victor Murray, frère de la victime.



Le N°158 squadron

Le N°158 squadron avait été formé à Upper Heyford, le 4 septembre 1918, mais n'a pas été opérationnelle avant l'armistice. Elle fut dissoute au cours du mois de novembre 1918. Le 4 février 1942, cette unité fut reformée à partir du N°104 squadron, équipé de Wellington, à Driffield. De février à juin 1942, elle participe à des raids nocturnes. Elle est ensuite équipée d'avions Halifax pour le reste de la guerre. Elle est dissoute le 31 décembre 1945.

Le souvenir

Le seul survivant de l'équipage, Gilbert Vincent Slide, a été fait citoyen d'honneur de Consigny le 9 mai 1992. Il n'a pu être présent à la cérémonie du souvenir qui a connu un important succès d'audience et a reçu ce diplôme à son domicile.

Chaque 17 novembre, le Souvenir français et le club Mémoires 52 participent à un hommage solennel, devant la stèle inaugurée en 1992 puis dans le cimetière où reposent, depuis 80 ans, les sept aviateurs alliés.

Copyright club Mémoires 52 - mai 1992.


mercredi 22 juin 2022

La famille Krakauer, de Chaumont, assassinée il y a 80 ans, à Auschwitz


 


Trente-deux Haut-Marnais de confession juive ont été arrêtés en 1942. C'est l'année du départ du premier convoi de France en direction d'Auschwitz, le 27 mars 1942. Henri Frydel, 21 ans, Isaac Herz, 48 ans, et Benjamin Makowski, 41 ans, de Bourbonne-les-Bains, Samuel Simon, 52 ans, de Montigny-le-Roi, sont dans ce convoi. Aucun ne reviendra.

Le 20 juillet 1942, quelques jours après la rafle parisienne du Vel'd'Hiv dont a été notamment victime une enfant de 5 ans, Jacqueline Klejman, née à Saint-Dizier, cinq des membres de la famille Krakauer, domiciliée 16, rue d'Alsace à Chaumont, sont arrêtés : le père, Simon, 45 ans, la mère, Idessa née Stanski, 43 ans, les enfants Simone, 19 ans, Iczek, 22 ans et Mozek, 17 ans. Ils sont dirigés sur Auschwitz dès le 27 juillet, par le convoi n°11. La petite dernière de la famille, Paulette Krakauer, 14 ans, sera arrêtée le 10 octobre 1942 et à son tour déportée. Seule Annie échappera à l'arrestation et à la mort.

Photo et informations publiées dans "Mémorial des juifs de Haute-Marne, 1941-1944", club Mémoires 52, 1997.

mardi 7 juin 2022

Résistance communiste en Haute-Marne (3) : l'arrestation de Joseph Siegler


Photos de Joseph Siegler conservées dans son dossier conservé par les Archives départementales 

de la Côte-d'Or.


 Entre les arrestations des militants communistes en juin 1941 et l'arrivée d'André Germain ("Robert") au printemps 1943 comme responsable régional (départemental), l'activité du Front national n'a pas été inexistante en Haute-Marne.

Le 9 février 1943, Le Petit Champenois évoque, en quelques lignes, l'arrestation, à Culmont-Chalindrey, par la gendarmerie française, d'un certain Joseph Siefeler (sic). L'homme est accusé d'avoir, le soir du 4 février, volé, devant le Café français, rue Toupot à Chaumont, la bicyclette appartenant à Gaston Pelletier. Rapidement, les forces de l'ordre découvrent que le nommé Siegler (et non Siefeler) agissait pour le Parti communiste clandestin.

Le 10 février 1943, le fameux commissaire Henri Jacquet, du service régional de la police de sûreté de Reims, se rend à Chaumont où Siegler est emprisonné. Il l'interroge avec deux inspecteurs. Dans sa déposition, Siegler ne niera pas son appartenance au FN. Trouvé porteur notamment de tracts de propagande communiste, il précisera aux enquêteurs être responsable du mouvement "pour la Haute-Marne, la Haute-Saône et le Territoire-de-Belfort". Lorsqu'il a été arrêté, il séjournait depuis le 1er février 1943 à Chaumont, une ville qu'il connaît bien puisque durant son service militaire, effectué à partir de novembre 1938, il exerçait la fonction d'assistant du maître tailleur du 21e régiment d'infanterie, M. Le Mahieu. Il a ensuite été affecté à la garnison de Langres et fait prisonnier en juin 1940, avant d'être libéré comme Alsacien.

Pressé de questions par la police française, Joseph Siegler niera connaître des militants communistes haut-marnais comme les frères Migeot (Langres), Toussenel (Chaumont). Comme il niera connaître Roger Kittler, de Torcenay, dont le nom apparaît dans un courrier saisi sur lui. Kittler sera arrêté le 11 février 1943, et tous deux vont comparaître le 7 mars devant le tribunal de la section spéciale de la cour d'appel de Dijon : Kittler sera acquitté, Siegler condamné à un an et un jour de prison pour "atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat". 

Au lieu d'être libéré, l'homme, qui a été emprisonné à Chaumont, à Clairvaux, à Châlons-sur-Marne, a été déporté le 27 avril 1944 à Buchenwald, d'où il reviendra.

Une notice du dictionnaire Maitron a été consacrée à Joseph Siegler, né à Pfastatt en 1917, décédé à Lutterbach en 1972. Militant communiste, il occupera des responsabilités au sein du Parti en Alsace. 

Sources : affaire Siegler et Kittler, dossier 261-1072 art. 2, archives départementales de la Côte-d'Or - dictionnaire Maitron. 

mardi 19 avril 2022

Résistance communiste en Haute-Marne (2) : Lucien Pinet, alias "Lejeune"

 


Lucien Pinet (à gauche) aux côtés de résistants, à Moeslains. 

Fils de cheminot, Lucien Pinet est né près de Grenoble, à La Tronche, en 1921. Elève ingénieur des Ponts-et-chaussées, il habite chez ses parents à Tours, et quitte cette ville pour se soustraire au STO. Au début du mois de juillet 1943, il arrive à Epernay où il a de la famille. Très rapidement mis en contact avec l'OCM, il entre ainsi dans la clandestinité sous le pseudonyme de «Pierre Lesaulnier ». « Lesaulnier » rejoint alors Jean Galas qui, à partir du chalet Saint-Hubert, pavillon de chasse situé en lisière de la forêt, sur le territoire de la commune de Moslins, près d'Epernay, assure la réception de parachutages sur un terrain voisin et l'organisation de dépôts d'armements. « Lesaulnier » participe à ces opérations. Mais l'arrestation à Paris, par la Gestapo, le 9 juin 1943, du général Delestraint aura pour le mouvement des suites dramatiques. Ainsi, le 23 novembre 1943, « Pierre Lesaulnier » échappe de justesse à une opération menée par des agents de la Gestapo accompagnés d'une trentaine de soldats allemands contre le chalet Saint-Hubert. Au cours du combat, celui qui avait beaucoup appris à « Pierre Lesaulnier » en matière d'armement et était devenu un grand ami, Jean Galas (né à Reims en 1905), est tué. Un jeune membre de l'organisation arrivé la veille au chalet est également abattu (Michel Michez, né en 1928 à Ay).

C'est dans ces conditions que, début décembre 1943, Lucien Pinet quitte la région d'Epernay pour la Haute-Marne, et se rend à Condes, près de Chaumont, chez un oncle qui milite au FN (Eugène Pinet). Vers le 15 décembre, à Condes, «Lesaulnier » est présenté par son oncle à « Mercier » (Jules Didier), qui lui propose d'assumer la responsabilité du FN pour l'ensemble du département de la Haute-Marne. Le jeune homme accepte la responsabilité et change de pseudonyme pour prendre celui de « Lejeune ».

Avant la fin décembre 1943, « Lejeune » parcourt, à bicyclette, en compagnie de « Mercier », les diverses localités du département pour prendre, à son tour, tous les contacts nécessaires, dans le cadre de sa responsabilité nouvelle. Parmi les personnes ainsi contactées qui constituent chacune la base d'un premier triangle, et l'élément de la première structure organisée du FN en Haute-Marne, on relève notamment :

à Chaumont, M. Bois (fils), industriel, François Labarre, artisan, Marcel James, commerçant,

à Bologne, Pierre Portal, directeur des forges, M. Busier, forestier,

à Jonchery, Mme Barret, du restaurant de la gare,

à Doulevant-le-Chateau, un agriculteur,

à Nogent, M. Gras, coutelier, Mme Durin

à Rolampont, Bohin, percepteur

à Hortes, Alphonse Simonin, instituteur

à Larivière-sur-Apance, Marcel Vitry, instituteur

à Moeslains, Pierre Boé, M. Chausel,

à Brethenay, Petit, agriculteur,

à Foulain, Laurent, agriculteur,

à Marac, Forgeat, agriculteur,

à Langres, Baude, instituteur

à Sarrey, Henri Voirpy, instituteur

à Bourbonne, René Carpentier, architecte (déporté)

à Fayl-Billot, Prudent, vannier

à Joinville, Paquet, garagiste

à Saint-Dizier, César, directeur du Palais du vêtement, Holvec, industriel,

à Eclaron, Michel Marin, Richalley, etc.

Ses agents de liaison sont Suzanne Boé, de Nogent (qui deviendra son épouse), et Mme Portal, de Bologne.

Mais c'est chez Eugène Lissy, de Moëslains, membre du FN (comme son fils Eugène), retraité de Meuse-et-Marne, que «Lejeune » établit sa base haut-marnaise principale. Le domicile de Lissy se situe à proximité du café Le Sable vert, dont le propriétaire, Eugène Clabaut, est membre du FN. Pour « Lejeune », Lissy est un « homme déterminé et remarquablement sûr ». Il est alors le seul à qui il confie l'organisation codée du FN de l'ensemble du département, avec la clé du code pour le cas où, lui, « Lejeune », serait arrêté...

Le village de Moëslains est un centre considéré comme stratégique par «Lejeune », en raison de la proximité du terrain d'aviation de Robinson et par conséquent d'une importante présence de soldats ennemis. L'implantation de cette base FN en plein milieu de la fourmilière est à la fois une bonne chose sur le plan des renseignements et aussi un danger permanent en dépit des précautions prises.

« Lejeune » a de nombreux contacts et participe également à toutes sortes de réunions. Son chef direct est « Leduc » (Jacques Lefranc), interrégional du FN. Il semble plutôt s'agir de Julien Lefranc (1913-1995), dit « Jacques », responsable régional du PCF-FN dans la Somme puis en poste en Haute-Saône et Meurthe-et-Moselle. « Marcelle » (Madeleine Marzin) est quant à elle interrégionale pour le secteur « Femmes ». Pour « Legrand » (Fernand Boitel), son responsable est « Ferdinand » (Robert Gangné), interrégional du PC.

« Lejeune » et « Legrand » se réunissent à différents endroits : à Saint-Dizier, près de Langres chez un éclusier, à Moëslains au domicile de M. Chausel, quelques fois même en pleine nature... « Lejeune » a aussi de fréquents contacts avec « Cagnac » (Maurice François), de Marnaval, pour l'organisation du FN dans le secteur de Saint-Dizier-Marnaval, et spécialement pour la collecte des renseignements. Les rencontres avec « Leduc » ont lieu à Saint-Dizier, chez M. César, alors directeur du Palais du vêtement, ou à Chaumont au domicile d'un artisan, parfois enfin à Nancy.

Il y a aussi les rendez-vous avec les représentants des autres organisations : 2e bureau, Georges Debernardi, colonel de Grouchy... La première rencontre avec Debernardi a lieu à Chaumont, près du canal, au lieu-dit « La Maladière ». Après quelques instants d'entretien, survient une patrouille allemande. Chacun regarde l'autre avec l'arrière-pensée que l'on devine... Mais il ne s'agit là que d'une patrouille de routine qui passe à quelques mètres... Fort heureusement.

La direction du FN connaît bien des problèmes au cours de l'année 1944. C'est ainsi que dans les premiers jours du mois d'août 1944, « Lejeune » est appelé à prendre le commandement de la 6e région des FTP (Doubs, Territoire de Belfort, et nord du département du Jura). A l'occasion de ce changement d'affectation, «Lejeune » prend le nouveau pseudonyme de « Luc Vernat ». « Charles » (Georges Ressmer) le remplace en qualité de RR pour la Haute-Marne, et ce jusqu'après la Libération.

Dès la libération de Besançon où Luc Vernat et ses FTPF ont eu une brillante conduite, il est, en sa qualité de membre du Comité départemental de Libération du Doubs, parmi les personnalités qui reçoivent le général de Gaulle lors de sa visite de la ville récemment libérée. Avant de poursuivre le combat jusqu'à la chute finale des armées hitlériennes, le commandant Luc Vernat vient passer quelques semaines en Haute-Marne à la fin de l'automne 1944.

Source : Jean-Marie Chirol, « Le front national en Haute-Marne et le maquis Mauguet », inédit.

x

jeudi 17 mars 2022

13 janvier 1944 : trois FTP tombent entre les mains de la Sipo-SD


 

Martial Bel, un des trois FTPF arrêtés le 13 janvier 1944. Il sera déporté.

(Photo parue dans le Livre des 9 000 déportés de France à Mittelbau-Dora, Cherche-Midi, 2020)

Grâce aux procès-verbaux d'audition dans le cadre de l'enquête pour intelligence avec l'ennemi de Gabriel Szymkowiak, alias "Bacchus", commissaire aux opérations militaires des FTPF pour la Haute-Marne, il est possible de reconstituer les événements de la méconnue journée du 13 janvier 1944 qui devait pourtant être si lourde de conséquences pour la Résistance à Chaumont. 

9 janvier 1944

G. Szymkowiak : "Mon chef interrégional Roussel dit Baron venu lui-même à Chaumont me donna rendez-vous, pour le 13 au matin à 8 h devant le musée de Chaumont. Il avait également donné rendez-vous à Frossard, dit "Marc", le même jour au même endroit, pour fournir des rapports sur l'activité du mois de décembre..." Louis Frossard, qui s'était évadé du camp d'Ecrouves (Meurthe-et-Moselle) voici quelques mois, était commissaire aux effectifs des FTPF haut-marnais. 

12 janvier 1944

Pendant que Szymkowiak tape à la machine, chez le résistant Maurice Methe, son rapport destiné à "Roussel dit Baron", Charles Sturm, interprète (alsacien) de la Sipo-SD, commandée à Chaumont par le lieutenant Aloïs Koch, témoigne : "Koch recevait de Besançon un télégramme secret dans lequel il était question qu'une rencontre de plusieurs agents terroristes devait avoir lieu le lendemain matin vers les 8 ou 9 h, devant le musée de Chaumont. Je fus convoqué le lendemain matin pour 7 h aux bureaux de la Gestapo".

13 janvier 1944

Charles Sturm (Sipo-SD) : le policier Josef Schweiger "était déjà arrivé ainsi que plusieurs fonctionnaires du service. Immédiatement, nous nous sommes rendus chez le boulanger Le Devedec qui demeure juste en face le musée... J'étais en faction chez Le Devedec avec un membre de la Gestapo. Schweiger était dans la rue, habillé en civil ; tous les autres avec un nommé Leloup, de Paris, en civil, surveillaient les accès de la route se croisant devant le musée". Ce musée se situait alors dans les locaux de l'Ancienne bibliothèque (actuellement l'Espace Bouchardon), au carrefour de la rue Victoire-de-la-Marne et de la rue Dutailly, près de la préfecture. "Vers les 8 h, un individu fut arrêté par Schweiger..."

Gabriel Szymkowiak (FTPT) : "Emportant les rapports que j'avais ainsi tapés chez Methe, je me suis rendu au rendez-vous... Arrivé sur le lieu (...), je n'ai vu personne et j'ai remonté la rue principale de Chaumont sans rien remarquer d'anormal. Revenu sur mes pas au moment où je mettais pied à terre pour acheter un journal chez le buraliste, je fus assailli par un civil revolver au poing qui m'ordonna de le suivre, précisant "Police allemande". Alors qu'il m'emmenait j'ai essayé de me sauver en lui jetant mon vélo dans les jambes, mais alors trois ou quatre autres individus se précipitèrent sur moi et me matraquèrent..."

Ch. Sturm : "Leloup arrivant à la rescousse donna un coup de crosse sur la tête de l'individu en question, ce qui fit partir son arme. Quand je vis l'intéressé que je sus être Bacchus, il était couvert de sang..." 

Autre FTPF originaire du Doubs, Martial Bel accompagne Louis Frossard qui part également à la rencontre de son "chef interrégional" : ""Marc" m'avait dit de venir pour me présenter à "Baron". Je me souviens très bien que "Marc" m'avait précisé, le 12 au soir, que peut-être "Baron" ne viendrait pas (...), étant donné les difficultés des trains de nuit. Aussi, il était convenu que si nous les voyions pas le matin à 8 h, nous reviendrons le même jour au même lieu vers 18 h... Nous n'avons rencontré ni "Baron" ni "Bacchus", ce dernier ayant été arrêté quelques minutes plus tôt. Arrivés devant le musée, nous nous sommes faits arrêter par la Gestapo, qui nous a emmené immédiatement dans ses bureaux. J'ai été gardé à vue par Sturm jusqu'à 10 h puis, confronté avec "Bacchus", qui était méconnaissable tant il avait été maltraité. Les Allemands demandèrent à ce dernier s'il me connaissait, il répondit par la négative. A ce moment les Allemands m'ont fait ressortir immédiatement..."

Dans la journée, les résistants chaumontais apprennent l'arrestation d'un homme "vers la préfecture". Le soir, Louis Proville reconnaît la bicyclette de "Bacchus" dans les locaux de la Sipo-SD, boulevard Gambetta. Désormais, ils savent que Szymkowiak est entre les mains "de la Gestapo".

Dans la nuit du 13 au 14 janvier 1944, Louis Frossard, qui a été violemment frappé, se suicide par pendaison dans sa cellule de la maison d'arrêt du Val-Barizien. Le 14, le lieutenant Koch informe Szymkowiak qu'il vient d'apprendre qu'il est Lorrain (il est né en Moselle en 1919) et qu'il fusillera ses parents s'il ne coopère pas. Dès lors, "Bacchus" parle. Le soir même, la Sipo-SD opère les premières arrestations. Une trentaine, au total, jusqu'à la fin janvier. Onze résistants (FTPF, OCM, BOA) seront passés par les armes le 18 mars 1944 sur le champ de tir de La Vendue. D'autres seront déportés, dont Martial Bel.

Emprisonné jusqu'à la fin août 1944 à Chaumont, puis à Langres, puis à Châlons-sur-Marne, Szymkowiak, dont la trahison a été rapidement dénoncée par ses camarades ("Bacchus tu nous as vendus", écrira Roland Garnier sur le mur de sa cellule avant d'être fusillé), jouera le rôle de "mouton" au profit de la Gestapo, participera encore à de nombreuses arrestations. Arrêté début 1946 chez lui, en Moselle, il sera condamné à mort et fusillé à Dijon, tout comme l'interprète Charles Sturm. 

L'enquête de police conduite en 1946 n'a jamais permis d'établir avec certitude qui avait dénoncé le chef FTP "Bacchus", avant le fatidique rendez-vous du 13 janvier 1944.

Sources principales : dossier G. Szymakowiak de la cour de justice de Dijon, 29 U 54, Archives départementales de la Côte-d'Or ; Livre des 9 000 déportés de France à Mittelbau-Dora (notice consacrée à Martial Bel), Cherche-Midi, 2020. 


mardi 11 janvier 2022

A propos de l'exécution de prisonniers allemands à Andelot (12 septembre 1944)


La fouille de prisonniers allemands, à Andelot. (Collection R. Dronne). 


A la fin des années 90, un professeur d'allemand originaire d'Andelot, Daniel Guérain, prenait contact avec le club Mémoires 52. Cet ancien enseignant retiré en Savoie souhaitait savoir si nous possédions des informations sur un "massacre" de prisonniers allemands commis à Andelot, le 12 septembre 1944, par des soldats de la 2e division blindée, après la rapide libération du bourg. Des faits dont nous n'avions jamais entendu parler.

Dans la correspondance entretenue avec nous, Daniel Guérain s'interrogeait d'abord sur le nombre réel de victimes allemandes lors de ces combats. Le premier rapport français, celui du commandant Cantarel, publié le 25 septembre 1944, parle de "200 tués au moins. Prisonniers : huit officiers dont un colonel et un commandant, 650 hommes dont 96 sous-officiers". Ultérieurement, l'historique du GTV (groupement tactique Warabiot, alors sous les ordres du général Billotte) rehaussera ce bilan : plus de 300 morts et 700 prisonniers. Dans un témoignage bien connu, le lieutenant Yves de Daruvar, Compagnon de la Libération, ira jusqu'à écrire : 600 morts et 900 prisonniers ! Pour sa part, le capitaine Raymond Dronne a noté : "Beaucoup de cadavres d'Allemands un peu partout dans le bourg et dans les champs". Et un FFI haut-marnais, à la vue d'un pré : "Deux cents morts peut-être. L'artillerie de la 2e DB avait fait une boucherie". D'où il ressort de ces différents témoignages que les pertes allemandes ont été très importantes, au point d'impressionner les témoins dont certains fort aguerris. Pourtant, vu de Haute-Marne, le bilan serait moindre. Dans son journal de marche des FFI de Haute-Marne, le colonel Emmanuel de Grouchy, chef départemental FFI, a écrit : 48 tués, 938 prisonniers. Dans un courrier adressé au préfet, le maire d'Andelot a précisé, en octobre 1944 : 48 corps dans une fosse commune, onze dans six tombes dans l'ancien cimetière, "probablement au total sept Allemands" dans deux tombes rue de Signéville. Soit environ 66 victimes, dont 55 tombées le 12 septembre 1944. Nous sommes loin des bilans dithyrambiques donnés par les officiers français.

Mais pour Daniel Guérain, il y aurait eu bien plus que 55 victimes, ce jour-là. Il en veut pour preuve le témoignage d'un soldat allemand prisonnier qui écrira avoir procédé à l'inhumation de "300 corps environ dans une fosse commune". Pour M. Guérain, cette fosse serait distincte de celle évoquée par le maire, et elle serait en lien avec un "massacre" de prisonniers.

C'est un fait aujourd'hui avéré. Des soldats allemands ont bien été exécutés après leur reddition. Il existe des preuves photographiques, dans les collections des musées de Paris. Pris par un médecin de la 2e DB, ces clichés montrent un lieutenant de blindés tirant au pistolet sur des Allemands désarmés. Trois sont visibles sur une photo saisissante. Cet épisode, le lieutenant de Daruvar et un équipier du lieutenant français - ce dernier était dans une "rage rouge", a écrit le capitaine Dronne - l'ont confirmé. Dans son livre de souvenirs "Du Contentin à Colmar avec les chars de Leclerc", Maurice Boverat a témoigné lui aussi avoir vu un camarade - il précisait : un Alsacien - tirer sur des prisonniers. Un ancien FFI a vu encore quatre à six captifs "descendus à la mitraillette par des Leclerc" (témoignage recueilli par D. Guérain). Y avait-il, parmi eux, l'aspirant Ludwig Elfgang, dont un courrier officiel de 1954 de l'Association pour la recherche et l'entretien des sépultures allemandes précise qu'"il a été fusillé avec cinq de ses camarades" ?

Il y aurait eu pire, selon le carnet de route d'un sous-officier du Régiment de marche du Tchad et le témoignage, toutefois beaucoup plus nuancé, d'un chef de section : un char français aurait tiré sur une grange où avaient été rassemblés des dizaines de prisonniers. Pressé de questions par Daniel Guérain, ce chef de section (Compagnon de la Libération lui aussi) n'en dira pas plus mais confiera : "Andelot est le seul mauvais souvenir de notre campagne de France". Et de préciser sa pensée : "Ou l'on accepte un prisonnier, ou on ne l'accepte pas..."

Devant ces témoignages de vétérans de la division Leclerc recueillis par M. Guérain et reconnaissant des crimes de guerre, des voix s'élèveront : celle d'habitants d'Andelot et d'anciens FFI ayant pris part aux combats. A la publication en 1999 d'un article du Journal de la Haute-Marne rendant compte des recherches de M. Guérain (aujourd'hui décédé), ils réfuteront avec vigueur toutes ces accusations. "Une grange avec 500 morts, mais quelle grange ? écrira ainsi un habitant qui fut otage des Allemands. Andelot n'est pas si grand pour que cela ne se sache. Je connais juste une étable ; mais (deux habitants) n'ont trouvé dans les décombres que les restes de bovins..." 

Voilà, à ce jour, ce que nous sommes en mesure de pouvoir écrire au sujet de cette affaire, dans un propos n'ayant nullement l'intention de porter atteinte à l'honneur des combattants de la division Leclerc, mais celle de faire un point objectif sur une question qui reste toujours sensible, sept décennies après les faits.

Source principale : correspondance avec M. Daniel Guérain (1999-2004).