mardi 19 avril 2022

Résistance communiste en Haute-Marne (2) : Lucien Pinet, alias "Lejeune"

 


Lucien Pinet (à gauche) aux côtés de résistants, à Moeslains. 

Fils de cheminot, Lucien Pinet est né près de Grenoble, à La Tronche, en 1921. Elève ingénieur des Ponts-et-chaussées, il habite chez ses parents à Tours, et quitte cette ville pour se soustraire au STO. Au début du mois de juillet 1943, il arrive à Epernay où il a de la famille. Très rapidement mis en contact avec l'OCM, il entre ainsi dans la clandestinité sous le pseudonyme de «Pierre Lesaulnier ». « Lesaulnier » rejoint alors Jean Galas qui, à partir du chalet Saint-Hubert, pavillon de chasse situé en lisière de la forêt, sur le territoire de la commune de Moslins, près d'Epernay, assure la réception de parachutages sur un terrain voisin et l'organisation de dépôts d'armements. « Lesaulnier » participe à ces opérations. Mais l'arrestation à Paris, par la Gestapo, le 9 juin 1943, du général Delestraint aura pour le mouvement des suites dramatiques. Ainsi, le 23 novembre 1943, « Pierre Lesaulnier » échappe de justesse à une opération menée par des agents de la Gestapo accompagnés d'une trentaine de soldats allemands contre le chalet Saint-Hubert. Au cours du combat, celui qui avait beaucoup appris à « Pierre Lesaulnier » en matière d'armement et était devenu un grand ami, Jean Galas (né à Reims en 1905), est tué. Un jeune membre de l'organisation arrivé la veille au chalet est également abattu (Michel Michez, né en 1928 à Ay).

C'est dans ces conditions que, début décembre 1943, Lucien Pinet quitte la région d'Epernay pour la Haute-Marne, et se rend à Condes, près de Chaumont, chez un oncle qui milite au FN (Eugène Pinet). Vers le 15 décembre, à Condes, «Lesaulnier » est présenté par son oncle à « Mercier » (Jules Didier), qui lui propose d'assumer la responsabilité du FN pour l'ensemble du département de la Haute-Marne. Le jeune homme accepte la responsabilité et change de pseudonyme pour prendre celui de « Lejeune ».

Avant la fin décembre 1943, « Lejeune » parcourt, à bicyclette, en compagnie de « Mercier », les diverses localités du département pour prendre, à son tour, tous les contacts nécessaires, dans le cadre de sa responsabilité nouvelle. Parmi les personnes ainsi contactées qui constituent chacune la base d'un premier triangle, et l'élément de la première structure organisée du FN en Haute-Marne, on relève notamment :

à Chaumont, M. Bois (fils), industriel, François Labarre, artisan, Marcel James, commerçant,

à Bologne, Pierre Portal, directeur des forges, M. Busier, forestier,

à Jonchery, Mme Barret, du restaurant de la gare,

à Doulevant-le-Chateau, un agriculteur,

à Nogent, M. Gras, coutelier, Mme Durin

à Rolampont, Bohin, percepteur

à Hortes, Alphonse Simonin, instituteur

à Larivière-sur-Apance, Marcel Vitry, instituteur

à Moeslains, Pierre Boé, M. Chausel,

à Brethenay, Petit, agriculteur,

à Foulain, Laurent, agriculteur,

à Marac, Forgeat, agriculteur,

à Langres, Baude, instituteur

à Sarrey, Henri Voirpy, instituteur

à Bourbonne, René Carpentier, architecte (déporté)

à Fayl-Billot, Prudent, vannier

à Joinville, Paquet, garagiste

à Saint-Dizier, César, directeur du Palais du vêtement, Holvec, industriel,

à Eclaron, Michel Marin, Richalley, etc.

Ses agents de liaison sont Suzanne Boé, de Nogent (qui deviendra son épouse), et Mme Portal, de Bologne.

Mais c'est chez Eugène Lissy, de Moëslains, membre du FN (comme son fils Eugène), retraité de Meuse-et-Marne, que «Lejeune » établit sa base haut-marnaise principale. Le domicile de Lissy se situe à proximité du café Le Sable vert, dont le propriétaire, Eugène Clabaut, est membre du FN. Pour « Lejeune », Lissy est un « homme déterminé et remarquablement sûr ». Il est alors le seul à qui il confie l'organisation codée du FN de l'ensemble du département, avec la clé du code pour le cas où, lui, « Lejeune », serait arrêté...

Le village de Moëslains est un centre considéré comme stratégique par «Lejeune », en raison de la proximité du terrain d'aviation de Robinson et par conséquent d'une importante présence de soldats ennemis. L'implantation de cette base FN en plein milieu de la fourmilière est à la fois une bonne chose sur le plan des renseignements et aussi un danger permanent en dépit des précautions prises.

« Lejeune » a de nombreux contacts et participe également à toutes sortes de réunions. Son chef direct est « Leduc » (Jacques Lefranc), interrégional du FN. Il semble plutôt s'agir de Julien Lefranc (1913-1995), dit « Jacques », responsable régional du PCF-FN dans la Somme puis en poste en Haute-Saône et Meurthe-et-Moselle. « Marcelle » (Madeleine Marzin) est quant à elle interrégionale pour le secteur « Femmes ». Pour « Legrand » (Fernand Boitel), son responsable est « Ferdinand » (Robert Gangné), interrégional du PC.

« Lejeune » et « Legrand » se réunissent à différents endroits : à Saint-Dizier, près de Langres chez un éclusier, à Moëslains au domicile de M. Chausel, quelques fois même en pleine nature... « Lejeune » a aussi de fréquents contacts avec « Cagnac » (Maurice François), de Marnaval, pour l'organisation du FN dans le secteur de Saint-Dizier-Marnaval, et spécialement pour la collecte des renseignements. Les rencontres avec « Leduc » ont lieu à Saint-Dizier, chez M. César, alors directeur du Palais du vêtement, ou à Chaumont au domicile d'un artisan, parfois enfin à Nancy.

Il y a aussi les rendez-vous avec les représentants des autres organisations : 2e bureau, Georges Debernardi, colonel de Grouchy... La première rencontre avec Debernardi a lieu à Chaumont, près du canal, au lieu-dit « La Maladière ». Après quelques instants d'entretien, survient une patrouille allemande. Chacun regarde l'autre avec l'arrière-pensée que l'on devine... Mais il ne s'agit là que d'une patrouille de routine qui passe à quelques mètres... Fort heureusement.

La direction du FN connaît bien des problèmes au cours de l'année 1944. C'est ainsi que dans les premiers jours du mois d'août 1944, « Lejeune » est appelé à prendre le commandement de la 6e région des FTP (Doubs, Territoire de Belfort, et nord du département du Jura). A l'occasion de ce changement d'affectation, «Lejeune » prend le nouveau pseudonyme de « Luc Vernat ». « Charles » (Georges Ressmer) le remplace en qualité de RR pour la Haute-Marne, et ce jusqu'après la Libération.

Dès la libération de Besançon où Luc Vernat et ses FTPF ont eu une brillante conduite, il est, en sa qualité de membre du Comité départemental de Libération du Doubs, parmi les personnalités qui reçoivent le général de Gaulle lors de sa visite de la ville récemment libérée. Avant de poursuivre le combat jusqu'à la chute finale des armées hitlériennes, le commandant Luc Vernat vient passer quelques semaines en Haute-Marne à la fin de l'automne 1944.

Source : Jean-Marie Chirol, « Le front national en Haute-Marne et le maquis Mauguet », inédit.

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