vendredi 24 avril 2020

L'opération SAS «Rupert», aux confins de la Champagne et de la Lorraine




Des hommes du lieutenant Cameron à Eurville. 




Les parachutistes britanniques du G Squadron du 2nd Special Air Service Regiment ont opéré dans la Marne, la Haute-Marne et la Meuse, en août et septembre 1944. Le rapport de l'opération «Rupert» nous permet d'en savoir davantage sur leurs activités.



«Planning : cette opération visait les communications ennemies dans un secteur jusqu'à l'est de la Marne. Les cibles initiales étaient la ligne de chemin de fer Nancy-Châlons-sur-Marne, les lignes qui partaient de cette ligne, de même que les voies de communication routières du secteur. Les aérodromes secondaires allemands étaient également signalés comme possibles objectifs futurs.

Mise en place : le major Symes, qui commandait le G Squadron, fut désigné pour cette mission, et son squadron se rendit au camp de transit de Fairford. Il avait été projeté de parachuter le détachement de reconnaissance dans une zone de parachutage du Special Forces Headquarters (SFHQ) avec comité de réception. Les terrains de parachutage qui étaient proposés – Harmonium, Sacrement, etc. - se trouvaient à une distance considérable de la forêt du Der, où le major Symes avait l'intention d'installer sa première base, avant d'établir d'autres détachements pour mener des opérations dans l'Argonne et jusqu'à l'est de Joinville. Il fut difficile d'arranger la réception avec le SFHQ. Le lieutenant-colonel B. M. Franks, du Marine Corps, vit un certain major Bodington que les forces spéciales envoyaient en mission dans ce secteur. Le major Bodington ne semblait pas enthousiaste à l'idée d'avoir les SAS en opération dans son secteur. Il accepta cependant d'envoyer des messages pour un détachement de reconnaissance SAS dès qu'il serait établi. Peu de temps après son arrivée, il transmit le message suivant : « Criminellement sadique d'envoyer SAS dans ce secteur ». Cette information totalement inexacte occasionna simplement un retard supplémentaire.»

Le major Nicholas Redner Bodington, de la section française du Special Operations Executive, est l'organisateur de la mission Pedlar, qui a été lancée le 9 juillet 1944 dans l'Aube. Lui-même sera parachuté dans la nuit du 10 au 11 juillet à Longsols (il arrivera en Haute-Marne fin août). Le terrain «Harmonium» était situé près de Mourmelon (Marne).



«Résumé de l'opération.

Le major Symes et un détachement constitué du lieutenant I.M. Grant, du sergent D. McKay, du caporal-chef L. Taylor, des soldats R. Boreham, L.W. Curtis et J. Reilly et du signaleur W. Leach quittèrent l'aérodrome de Fairford dans un avion Stirling, dans la nuit du 22 au 23 juillet, mais s'en retournèrent car aucune lumière n'était visible sur la zone de parachutage.

Dans la nuit du 23 au 24 juillet, le même détachement, plus le soldat Simpson, se mit de nouveau en route. L'avion s'écrasa au sol près du village de Graffigny, au nord-est de Chaumont. On sait que le soldat Boreham est prisonnier de guerre, mais les autres sont portés disparus, probablement morts. L'avion prit feu et fut détruit. Les corps furent enterrés par les habitants du village de Graffigny."
Cette nuit-là, outre cinq membres de l'équipage, sont morts : Leonard W. Curtis, le lieutenant Ian Grant, le signaleur William Leach, le sergent Douglas Hays McKay, James William Beatie Reilly, James Simpson, le capitaine Felix James Stewart Symes (27 ans) et le signaleur Lachlan Taylor. Blessé, fait prisonnier, Rex Boreham sera soigné à l'hôpital de Chaumont.

 
"Un autre détachement de reconnaissance fut désigné, et dans la nuit du 4 au 5 août, il quitta l'aérodrome de Fairford dans un Stirling : lieutenant D.V. Laws, caporal-chef Balordi, caporal P. Smith, soldats J. Glodhill, F. Henderson, G. Chambers, Robinson et signaleur Dowell. Ils firent un bon atterrissage, le 5 août 1944, dans un champ labouré près de Bailly-le-Franc. Le largage eut lieu à une altitude d'environ 700 pieds. Il n'y eut aucun incident, si ce n'est une corde de parachute qui se rompit, les sacs étant trop lourds pour permettre un langage aisé.

A cause du temps mis à cacher les «paniers», le détachement fut incapable de faire mouvement avant le lever du jour. En conséquence, dans la journée du 5 août, ils se dissimulèrent, près du terrain de parachutage, et se rendirent dans la nuit du 5 au 6 août au Bois des Moines.

Le 6 août, le lieutenant Laws partit en reconnaissance pour trouver un terrain de parachutage sur lequel recevoir les groupes de parachutistes des lieutenants Cameron et Marsh, groupes qui furent demandés par radio le jour suivant.

Le 9 août, le lieutenant Laws partit en reconnaissance dans la partie nord de la forêt du Der, et le jour suivant il fit des préparatifs pour recevoir les lieutenants Cameron et Marsh. En fait, le largage avait été annulé, mais Laws n'avait pas reçu le message.

Il y eut une autre annulation dans la nuit du 11 août et, déception supplémentaire, on découvrit que le dépôt, où se trouvait la réserve de nourriture du premier terrain de parachutage, avait été dévalisé, et une sentinelle allemande montait la garde.

Dans la nuit du 12 au 13 août, les groupes de parachutistes des lieutenants Cameron et Marsh furent largués sur le terrain de parachutage repéré par le lieutenant Laws. Le second stick fut largué à 2 000 pieds et atterrit par conséquent à un mile et demi. Il y eut d'autres complications : les deux paniers d'explosifs explosèrent en touchant le sol, trois sacs furent perdus, plusieurs furent endommagés lors du largage et à leur arrivée au sol. Les parachutes de deux conteneurs ne réussirent pas à s'ouvrir ; les paniers restant contenaient des vêtements.

Les 13 et 14 août, comme l'alerte avait été donnée par l'explosion sur le terrain de parachutage, au lieu de rester ensemble jusqu'à ce que les matériels perdus ou détruits puissent être remplacés, le lieutenant Laws envoya les groupes des lieutenants Cameron et Marsh à couvert dans le Bois des Moines, et lui se dirigea avec son détachement vers le nord de la forêt du Der.

La nuit suivante, du 14 au 15 août, le lieutenant Laws se dirigea vers un bois à l'est de Saint-Dizier. En chemin, dans le village de Perthes, il rencontra des hommes de la Luftwaffe. Son «Guten abend» provoqua une réponse amicale, et le détachement passa sans incident. Après avoir passé la journée du 15 août à observer l'aérodrome de Saint-Dizier, depuis un endroit situé au sud de Vouillers, le détachement du lieutenant Laws se rendit de nuit au bois de Maurupt, dans la forêt de Trois-Fontaines... »



Laissons provisoirement le détachement Laws qui vient de se fixer dans le massif de Trois-Fontaines pour nous intéresser au stick du lieutenant James Edmund Cameron, alias «Loopy», qui va opérer en Haute-Marne. C'est à la ferme Berzillières, entre Giffaumont et Droyes, que cet officier et le lieutenant Marsh ont été largués, dans la nuit du 12 au 13 août 1944. De source britannique, l'opération concerne 32 hommes ayant sauté depuis deux avions Stirling.
James Cameron commande le stick n°7 du 3 Squadron. L'un de ses hommes, Cyril Radford, alias «Charlie», a rédigé ses souvenirs, parus en 2011, après son décès, sous le titre «SAS trooper : Charlie Radford's operations in Enemy occupied France and Italy ». Il a cité les noms de ses huit camarades : outre Cameron, le sergent "Bill" Rigden, le caporal "Robbo" Robinson, "Bob" Loud, Eric de Gay, "Mick" Meager, "Tommo" Tomkins et Jean-Marc Canonici, un Corse de Bonifacio.


Un témoignage recueilli par le club Mémoires 52 en 1994 nous apprend que le groupe Cameron se porte ensuite sur le lieu-dit Bellefontaine à Voillecomte. Un autre récit est digne d'intérêt. Il est l'oeuvre de Maurice Gautron, un habitant de Sommevile. Sergent d'active, le jeune homme – il a 20 ans – présente l'intérêt de maîtriser parfaitement la langue de Shakespeare : il est né dans l'île de Jersey, et possède la double nationalité franco-britannique.

C'est un coiffeur d'Eurville, Maxime Douard, qui lui demande de prendre contact avec le groupe Cameron le 20 août 1944. Le rendez-vous est fixé au lieu-dit Vallée Jacquet, à proximité de Chevillon et de Fontaines-sur-Marne (donc de Sommeville). Gautron précise que le signal de reconnaissance est l'air de la Madelon. «Contact est pris à 16 h 30 environ», écrira-t-il en 1994.

Selon le sous-officier, qui sera employé comme agent de liaison par Peter Cameron du 20 août au 14 septembre 1944, les SAS vont se fixer en forêt de Morley, à proximité de la ferme de Beaulieu, située très exactement à la limite administrative entre la Haute-Marne et la Meuse, sur la gauche de la forêt menant de Chevillon à Morley. «Nous recevons des messages à heure fixes, 23 h et 5 h. Nous ne pouvons émettre.» Notons que, curieusement, le groupe a suivi le même périple que la maquis Mauguet, qui avait quitté, début août 1944, la région du Der pour Morley...

Après une prise de contact avec un certain Charles, de la ferme de la Grange (lieu non identifié avec précision), puis une reconnaissance de la rive droite de la Marne, le 21 août, de Curel à Chamouilley, le groupe débute ses actions le 23 août. «Robinson, Cameron, Bonifaci (sic) vont aller effectuer des sabotages dans la région de Neufchâteau». Le rapport de l'opération Rupert confirme que les détachements Cameron et Marsh «détruisirent, respectivement, des sections des vois de chemin de fer Bar-le-Duc/Neufchâteau et Joinville/Gondrecourt».

Resté avec un SAS, Gautron a l'occasion de se rendre, ce jour-là, à la ferme d'Aigremont, pour récupérer 30 kg de plastic. Ecart de Montiers-sur-Saulx, propriété d'un médecin wasseyen, le Dr de Sartiges, cette ferme est exploitée par M. Franquet, et Maurice Gautron y voit «beaucoup de monde qui règne un peu dans l'anarchie». Elle est fréquentée en effet par les hommes du maquis Mauguet et accueille des aviateurs alliés rescapés de la chute de leurs appareils. Après être passés à la ferme de La Grange où ils prennent livraison d'un FM et d'un pistolet-mitrailleur, Gautron et son camarade SAS sont surpris par un événement ayant pour cadre les abords de la route entre Bayard-sur-Marne et Fontaines-sur-Marne : «Vers 19 h 30, nous arrivons presque à notre destination lorsque nous entendons des tirs d'armes automatiques à environ 1 km où nous nous trouvons. A ce moment, nous descendons vers la ferme de Ruetz jusqu'à la côte 177 où il y a un ancien pont dans les broussailles (…) Nous nous mettons en position et nous voyons se diriger vers nous deux hommes en civil qui arrivent en courant, pourchassés par des Allemands, une dizaine à peu près. Quand les deux fugitifs sont à peu près à une centaine de mètres de nous, nous ouvrons le feu avec notre FM. Les Allemands surpris ne demandent plus leur reste et ils partent en direction de Bayard, nous venons de sauver le commandant des FTP Marcel et son adjoint. Nous les emmenons avec nous à la ferme de la Grange (chez Charles). Nous mangeons, nous prenons du ravitaillement, et nous reprenons le chemin de Baulieu.» Cet événement, tel qu'il est relaté, semble correspondre à un incident qui, selon Henri Meunier, chroniqueur du maquis Mauguet, est intervenu dans ce secteur à la date du 13 août 1944 (donc dix jours avant). Entre Bayard-sur-Marne et Bienville, des Allemands s'en sont en effet pris aux quatre occupants d'une camionnette du maquis Mauguet : Robert Guinot et Edmond Chapron, et deux nouvelles recrues, Daniel Carchon et Juste Hector. Dans sa fuite via Rachecourt, Saint-Dizier et la forêt de Morley, Carchon confiera avoir croisé des parachutistes britanniques...



Maurice Gautron note ensuite que le 24 août 1944, «des FFI ou présumés FFI ont fait une razzia sur le hameau de la Landre et les Allemands grouillent dans le coin, nous sommes obligés de déménager et d'aller nous installer à la cote 284, lieu-dit devant les murs».

Le lendemain, sur ordre du lieutenant Cameron, le Franco-britannique exécute, entre Brauvilliers et Fontaines-sur-Marne, un habitant de Pansey, accusé d'être dénonciateur du curé d'Effincourt et d'autres.

A partir du 30 août, date de l'entrée des Américains dans le Nord de la Haute-Marne, les SAS mènent plusieurs opérations. Ils font ainsi une vingtaine de prisonniers du côté de Savonnières-en-Perthois. Le lendemain, ils sont engagés, selon Maurice Gautron, dans un combat au lieu-dit la Croix de Châtelet, du nom vraisemblablement de la colline entre Fontaines-sur-Marne et Bayard qui accueillit jadis une cité gallo-romaine. L'engagement s'est déroulé sous les tirs de l'artillerie américaine, positionnée au-dessus de Maizières-lès-Joinville. A la même date, Gautron signale l'incorporation, dans le groupe, du sergent Maurice Jeanjean, de Sommeville (ancien du 92e RI de l'armée d'armistice), de Henri Hormancey, et de Roger Jamar, de la ferme de Clairefontaine (Savonnières-en-Perthois), où le Polonais et le Tchèque étaient soignés.

Pour le sergent Gautron, la mission auprès des SAS s'achève le 14 septembre 1944, après des opérations jusque Neufchâteau et Nancy (Cyril Radford se souvient être allé jusqu'à Verdun). Avec le sergent-chef Jeanjean, il s'engagera au 21e régiment d'infanterie coloniale.

Quant au lieutenant Marsh, non cité dans son récit, il ira servir dans le sud de la Haute-Marne, aux côtés du lieutenant Michel Pinci. Mais ceci est une autre histoire...



Sources : rapport de l'opération Rupert ; témoignage de Maurice Gautron.

lundi 20 avril 2020

Le 242e RI au combat (2) : choc sur le Rhin, repli sur les Vosges



Le lieutenant Jeanson (à droite) est prêtre à Chaumont.


15 juin 1940

Minutieusement étudiée par l'historien champenois Roger Bruge (marié à une Bragarde et journaliste à La Haute-Marne libérée) dans «Offensive sur le Rhin», l'opération Kleiner Bar, déclenchée le 15 juin par la 7e armée allemande, est considérée comme «la grande opération amphibie de juin 1940».

C'est à partir de 8 h 57 que 300 pièces d'artillerie allemande tirent sur un front de plus de 30 km de la rive française du Rhin. Dans le secteur de la 6e compagnie (capitaine Pierre Ventteclaye) du II/242e RI, dont le PC est à Artolsheim, les ouvrages sur la berge et en arrière, blockhaus, casemates, sont écrasés par ce déluge de feu. Après la préparation d'artillerie, les troupes ennemies commencent à franchir le fleuve. Des bateaux sont coulés, le lieutenant Fernand Faivre capture sept soldats, dont trois blessés, dans un Sturmboot échoué, mais les Allemands ont réussi à prendre pied sur le sol français.

Les combats font rage toute la journée. Le village d'Artolsheim brûle. Près des blockhaus 96-97, qu'a rejoint l'aspirant Billebault arrivé la veille du dépôt de Langres, le sergent René Pitou, de Langres, chef du groupe-franc de la 6e compagnie, est tué. Les pertes ont été beaucoup plus lourdes au 42e régiment d'infanterie de forteresse, autre régiment de la 103e DIF, notamment à Marckolsheim.

Au soir de cette première journée de combat, côté allemand, le bilan est mitigé. Certes, la tête de pont a été réalisée. Des ouvrages ont été pris. Mais le canal du Rhône au Rhin, l'objectif, n'a pas été atteint.

Au 242e RI, le colonel Victor Bouchon obtient enfin le retour de son 3e bataillon qui, s'étant porté à Ribeauvillé, commence à venir le renforcer. Les sections Levasseur et Raux le rejoignent dans la nuit.



16 juin 1940

Le colonel Bouchon, dont le PC est à Baldenheim, continue à recevoir des éléments du 3e bataillon qui lui avait été initialement retiré. Il envoie au lever du jour la section du sergent-chef Levasseur (11e compagnie) nettoyer le bois de l'Altenswald et reprendre le blockhaus 122 tombé la veille. Mais la section se heurte au feu ennemi et doit refluer en direction du canal du Rhône au Rhin.

Vers 8 h, c'est un bataillon allemand qui cherche à réduire quatre fortins défendant Richtolsheim. Les deux ouvrages (B 80 et 81) du sergent-chef Maurice Py tombent après que le sous-officier ait été touché. A 10 h, les Allemands font également intervenir les Stukas, qui bombardent les blockhaus 78 et 79 du lieutenant Maurice Girardot, Artolsheim...

Vers 11 h, l'artillerie ennemie s'apprête à ouvrir le feu sur les blockhaus 96 et 97, devant lesquels un capitaine allemand est tombé. L'aspirant Billebault les fait évacuer, mais tombe rapidement aux mains de l'ennemi avec ses hommes.



La situation devient difficile pour les hommes du colonel Bouchon. Les Allemands s'engouffrent en effet dans un couloir large de 1 800 m entre le 242e RI et le 42e régiment d'infanterie de forteresse.

Vers midi, Bouchon donne l'ordre de replier son PC de Baldenheim, où il laisse le lieutenant Bon, sur Rathsamhausen. Le capitaine Henri Grillot, de Langres, vient organiser la défense de ce village, que rejoignent également deux sections de la 11e compagnie (capitaine Pion) du III/242e RI, dont celle de l'adjudant Marcel Carlin, de Saint-Dizier.

Parallèlement, le colonel Bouchon ordonne au commandant Dallennes, commandant le I/242e RI (qui n'a pas été attaqué), de faire replier les équipages des blockhaus G et ceux des postes de digue, avec notamment le lieutenant Constant Bonnefoy, de Saint-Dizier. De son côté, le lieutenant Pierre Jeanson, de Chaumont, organise une nouvelle ligne de défense entre l'écluse 69 et Baldenheim. Deux de ses sections sont commandées par les lieutenants Robert Coignet, de Chauffourt, et Marcel Dauvergne, de Joinville.

Dans l'après-midi, les Allemands renouvellent leurs assauts contre les positions du régiment de Langres. Le lieutenant Bray défend Schoenau, la compagnie Thivrier, Saasenheim, le lieutenant Groleau, Richtolsheim (où est tué Roland Massotte, de Chalindrey), le capitaine Ventteclaye, Artolsheim... Les combats font rage.

Vers 19 h, le commandant Braban, de Langres, rejoint son homologue Dallennes à Sundhouse, laissant le capitaine Vincent et le lieutenant René Lurat, de Saint-Dizier, défendre Schwobsheim.

A 19 h 10, le capitaine Ventteclaye est touché par un ordre de repli. Il tente de gagner le canal du Rhône au Rhin, mais là, il se heurte aux Allemands. Le caporal-chef James Page, d'Esnouveaux, est notamment blessé. L'ennemi sort d'un bois et capture Ventteclaye, le sous-lieutenant Courteau et leurs hommes.



Nuit du 16 au 17 juin – 17 juin

Il n'y aura pas de deuxième nuit passée dans les casemates. Dans l'après-midi du 16 juin, le général Laure a en effet prescrit au général Cousse, commandant de la 104e DIF, de se replier dans la nuit du 16 au 17. L'intention du commandement est que la division soit, à l'aube du 17 juin, derrière les bouchons qu'une autre division a installés à l'entrée des vallées des Vosges.

Le 242e RI doit quitter ses positions à partir de 21 h 30 pour gagner la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines. Mais le décrochage sera délicat, puisqu'on se bat dans les villages. Et des casemates tiennent toujours. A la 28/3, le lieutenant Robert Marchal ne croit pas à l'ordre qui lui a été donné. «Pour me donner un ordre pareil, dira-t-il à son chef de bataillon, vous devez être entre les mains de l'ennemi et avoir un pistolet sur le ventre». Il faudra que le lieutenant Thorel, de Saint-Dizier, le lui confirme. Mais tout comme le lieutenant Bertrand, un instituteur alsacien (casemate 32:2), Marchal obtiendra de rester dans sa position.



Tous les hommes du colonel Bouchon ne pourront exécuter l'ordre. A Richtolsheim en feu, où se battent les sergents Jean Nolle, de Lachapelle-en-Blaisy, et Tollite, de Saint-Dizier, l'adjudant Bougaud est tué, le lieutenant Henry Groleau et son adjoint, le sous-lieutenant bragard Paul Jupin, sont capturés avec leurs hommes.



A Baldenheim, le colonel Bouchon fait brûler les archives du régiment, puis le 2e bataillon se replie. Au pont de Rathsamhausen, l'adjudant Carlin a l'occasion de croiser son beau-frère Lucien Mouillet, de Saint-Dizier. Puis le capitaine Pion fait sauter l'ouvrage qui a permis le repli.



A 3 h, le 17 juin, le colonel Bouchon installe son PC en mairie de Liepvre, d'où il va recueillir ses hommes. «Il pleut presque sans arrêt, les hommes sont éreintés mais leur bonne volonté est sans limites», note le colonel Bouchon, dont le régiment perd, le 17 juin, le soldat André Thominot, 31 ans, de Frécourt.



A noter que parmi les équipages restés en position, le lieutenant Marchal sera capturé près de Rathsamahausen, le lieutenant Bertrand se rendra le 17 au matin, le sous-lieutenant Girardot pris dans son blockhaus le lendemain...



Parmi les sous-officiers de la 3e compagnie du I/242e RI, il y a le sergent Paul Heidet, curé de Neuilly-sur-Suize. Lui qui s'est battu aux côtés du sergent Marchand, instituteur à Anrosey, a laissé un témoignage inédit communiqué par André Richardot. Il raconte les événements du soir du 16 juin, alors qu'il défendait Saasenheim : "Voilà qu'arrive un agent de liaison. Ils nous appelle, car nous avions barricadé la cour... C'était un Alsacien... Il me dit rapidement : «On se replie» et fila. Je sus après que la compagnie était partie depuis les 7 h du soir environ, et que le sergent qui devait me prévenir, en arrivant dans la dernière rue du village, vit trois Allemands casqués dans les jardins bordant la rue ; il eut peur, tourna bride et m'abandonna (le pauvre, il a été tué à Gérardmer). Ce fut l'argent de liaison qui, apprenant cela, alors que la compagnie était déjà à 2 km du village, retourna en vélo pour me prévenir. Il revit aussi des Allemands, mais passa devant eux froidement, ils le laissèrent passer...» Pour le sergent Heidet, s'il avait résisté «jusqu'au bout dans la casemate (…), j'aurais été le seul à résister, j'aurais été cerné et ils m'auraient réduit, comme d'autres, à coups de canon à bout portant, ou au lance-flammes...» Avec ses hommes, le prêtre parvient à passer le canal sur des blocs de maçonnerie, le pont étant sauté, et arrive à Wittelsheim.



17 juin 1940

Le colonel Bouchon qui, venu de Sélestat, est arrivé en mairie de Lièpvre reçoit l'ordre de regrouper son régiment à Xonrupt. Ce qui n'est pas simple, car les bataillons ont retraité par des itinéraires différents et vont être de nouveau engagés au combat isolément.

Le 2e bataillon du Langrois Yves Braban n'a plus que onze officiers et 368 hommes. Ayant traversé Lièpvre, il se porte sur Sainte-Marie-aux-Mines. La 5e compagnie du lieutenant Pierre Jeanson (Chaumont) va en défendre la lisière sud-est.

Arrivé à son tour à Lièpvre, le 1er bataillon de Dallennes, épargné par les combats des 15 et 16 juin (car le quartier qu'il défendait sur le Rhin se trouvait au nord de la zone d'attaque), est envoyé par le colonel Bouchon pour tenir la route entre Val-de-Villé et Lièpvre.

Quant au 3e bataillon, il est toujours «éclaté» : la 9e compagnie (Folz) est à Kaysersberg (comme nous le verrons plus loin), la 10e (lieutenant Gaston Chanteclair, de Langres) retraite vers le col de la Schlucht par la vallée de la Fecht. Seule la 11e compagnie (Pion) a retrouvé Bouchon qui l'envoie à Sainte-Marie.



18 juin 1940

Dès le matin, les Allemands attaquent les positions du régiment à Lièpvre. Le commandant Dallennes envoie le lieutenant Babel et son peloton motocycliste contre-attaquer. L'officier fait trois prisonniers. Blessé dans la journée, il donne le commandement de son peloton au sergent-chef Foissey. Plus tard, Dallennes, dont le chauffeur Orsay vient d'être blessé, ordonne à ses hommes de dégager une barricade que les Allemands ont édifiée derrière le Val-de-Villé. Le lieutenant Jean Guyot (de Culmont), le sergent Boulinier, les caporaux Royer et Ruch s'en chargent et chassent les Allemands.

Attaquée vers 20 h, la 3e compagnie (Thivrier) tient bon. Le sergent Heidet, de Neuilly-sur-Suize, témoigne : «Ce fut ce soir-là, à la tombée de la nuit, que Laurent fut blessé d'une balle à la cuisse par une sentinelle française. Il n'avait ni vu ni entendu celle-ci lorsqu'elle lui a crié de s'arrêter. D'après ce qu'ont dit des témoins, la blessure ne paraissait pas grave. Cela se passa à 100 m. J'entendis bien le coup de feu et la chute, mais je n'ai su qu'après que c'était Laurent... Il fut évacué à l'hôpital, probablement à Sainte-Marie-aux-Mines. Je n'ai plus eu aucune nouvelle depuis...» A minuit, le 1er bataillon commence à évacuer Lièpvre pour Sainte-Marie-aux-Mines. Il a perdu, au combat, Emile Knerr, de Bannes.



Pendant ce temps, le capitaine Folz est d'abord engagé à Kientzheim, où les sections du sergent-chef Faucher et de l'adjudant Poinsot, de Montlandon, ont été placées en sonnettes. Elles se replient (sauf les groupes Riandet et Favey) et rejoignent Kaysersberg, d'où Folz les envoie à Hachimette, dans la montée du col du Bonhomme. A Kaysersberg, le capitaine Folz conserve les sections des lieutenants Jean Sirault (instituteur à Saint-Dizier) et du lieutenant André Demonsant (Laferté-sur-Aube). La 9e compagnie et le 317e RI – qui déplore cinq tués - y sont attaqués. A 14 h, le lieutenant-colonel Nicolas, chef de corps du 317e RI, autorise Folz à se replier. La «9» arrive en fin d'après-midi le col du Bonhomme puis, dans la nuit du 18 au 19, Nicolas envoie le capitaine avec trois sections pour combler une brèche de dispositif entre le col des Bagatelles et le col du Bonhomme.

mardi 7 avril 2020

Le 242e régiment d'infanterie dans les combats d'Alsace et des Vosges (I)




Le 15 juin 1940, la huitième armée allemande du général Dollmann déclenche l'opération Kleiner Bar. Il s'agit du franchissement de vive force du Rhin, dans le secteur défendu par la 104e division d'infanterie de forteresse du général Cousse. Parmi les corps de cette division : le 242e régiment d'infanterie du colonel Victor Bouchon, mis sur pied à Langres à la mobilisation, le 1er septembre 1939. Le régiment, qui avait déjà été «activé» à l'automne 1938 lorsque la menace d'une guerre avec l'Allemagne se profilait, recrute essentiellement parmi des réservistes de la Haute-Marne et de la Haute-Saône. Il se forme plus précisément à Langres, Hûmes, Jorquenay et Champigny-lès-Langres.

Si une partie des officiers sont originaires de la région parisienne, au moins 30 viennent de la Haute-Marne. Il s'agit essentiellement d'enseignants, d'officiers de la gendarmerie mobile de Langres, de prêtres, d'hommes de loi...

Voici la liste de ces officiers et leurs affectations (source : journal de marche et d'opérations du 242e RI, dossier 34 N 170, Service historique de la Défense) :
Commandants Yves Braban (Langres), Maury (Chaumont), René Mourot (Chaumont)
Capitaines Bongibault (Langres), Henri Grillot (Langres), Marcel Hertert (Luzy-sur-Marne)
Lieutenants Pierre Abeau (Langres), Constant Bonnefoy (Saint-Dizier), Jean Bonnet (Chaumont, médecin qui donnera son nom à une maison de retraite), Pierre Bussenot (Joinville), Gaston Chanteclair (Langres), Jacques Chevassu (Vaux-sous-Aubigny), Robert Coignet (Chauffourt), Marcel Dauvergne (Joinville), André Demonsant (Laferté-sur-Aube), Hubert Gillet (Mertrud), Jean Guyot (Culmont), Marcel Issartel (Chaumont, dont le nom sera donné à un gymnase), Pierre Jeanson (prêtre de Chaumont), René Lurat (Saint-Dizier), Adrien Massotte (Torcenay, frère du célèbre aviateur), Pol Mur (Dancevoir), Roger Norget (Bourbonne-les-Bains), Jean Sirault (instituteur à Saint-Dizier), Simonnet (Langres), Fernand Thorel (Saint-Dizier, frère d'un officier tué en Provence en 1944), Paul Viard (Langres).
Sous-lieutenants Pierre Allard-Latour (notaire à Chaumont), Paul Jupin (Saint-Dizier)
Aspirant René Mouchotte (Rolampont).

Le chef de corps, Bouchon, a 55 ans. Vétéran des combats du Maroc, il a commandé le 152e RI de Colmar de 1935 à 1939.
Le commandant Yves Braban est né en Bretagne en 1891. Engagé volontaire en 1909, il a été nommé sous-lieutenant au début de la Première Guerre mondiale et affecté au 21e RI de Langres. Il a terminé la guerre avec le grade de lieutenant et une blessure. Etabli à Langres, il résidait place de la Crémaillère, et a été nommé chef de bataillon de réserve à la mobilisation.
Le capitaine Bongibault servira peu au sein du régiment. Quelques années plus tard, ce Langrois rejoindra les rangs de la Légion des volontaires français contre le bolchévisme et sera contraint de quitter la Haute-Marne au départ des Allemands...

Arrivé en Alsace le 22 octobre 1939, le régiment, intégré dans la 104e division d'infanterie de forteresse (Colmar), organise le sous-secteur de Baldenheim, puis rejoint provisoirement, le 7 mai 1940, celui de Hirtzfelden. Au moment de l'offensive allemande, son 1er bataillon (commandant Eugène-Maximilien Dallennes) et son 2e bataillon (Braban) sont de nouveau en ligne sur le Rhin, le 3e bataillon (commandant Antonin Boyer, du centre de mobilisation n°74 de Langres) est rattaché directement à la 104e DIF.

(A suivre)

Illustration : un réserviste haut-marnais du 242e RI (collection Jean-Marie Chirol).