vendredi 24 avril 2020

L'opération SAS «Rupert», aux confins de la Champagne et de la Lorraine




Des hommes du lieutenant Cameron à Eurville. 




Les parachutistes britanniques du G Squadron du 2nd Special Air Service Regiment ont opéré dans la Marne, la Haute-Marne et la Meuse, en août et septembre 1944. Le rapport de l'opération «Rupert» nous permet d'en savoir davantage sur leurs activités.



«Planning : cette opération visait les communications ennemies dans un secteur jusqu'à l'est de la Marne. Les cibles initiales étaient la ligne de chemin de fer Nancy-Châlons-sur-Marne, les lignes qui partaient de cette ligne, de même que les voies de communication routières du secteur. Les aérodromes secondaires allemands étaient également signalés comme possibles objectifs futurs.

Mise en place : le major Symes, qui commandait le G Squadron, fut désigné pour cette mission, et son squadron se rendit au camp de transit de Fairford. Il avait été projeté de parachuter le détachement de reconnaissance dans une zone de parachutage du Special Forces Headquarters (SFHQ) avec comité de réception. Les terrains de parachutage qui étaient proposés – Harmonium, Sacrement, etc. - se trouvaient à une distance considérable de la forêt du Der, où le major Symes avait l'intention d'installer sa première base, avant d'établir d'autres détachements pour mener des opérations dans l'Argonne et jusqu'à l'est de Joinville. Il fut difficile d'arranger la réception avec le SFHQ. Le lieutenant-colonel B. M. Franks, du Marine Corps, vit un certain major Bodington que les forces spéciales envoyaient en mission dans ce secteur. Le major Bodington ne semblait pas enthousiaste à l'idée d'avoir les SAS en opération dans son secteur. Il accepta cependant d'envoyer des messages pour un détachement de reconnaissance SAS dès qu'il serait établi. Peu de temps après son arrivée, il transmit le message suivant : « Criminellement sadique d'envoyer SAS dans ce secteur ». Cette information totalement inexacte occasionna simplement un retard supplémentaire.»

Le major Nicholas Redner Bodington, de la section française du Special Operations Executive, est l'organisateur de la mission Pedlar, qui a été lancée le 9 juillet 1944 dans l'Aube. Lui-même sera parachuté dans la nuit du 10 au 11 juillet à Longsols (il arrivera en Haute-Marne fin août). Le terrain «Harmonium» était situé près de Mourmelon (Marne).



«Résumé de l'opération.

Le major Symes et un détachement constitué du lieutenant I.M. Grant, du sergent D. McKay, du caporal-chef L. Taylor, des soldats R. Boreham, L.W. Curtis et J. Reilly et du signaleur W. Leach quittèrent l'aérodrome de Fairford dans un avion Stirling, dans la nuit du 22 au 23 juillet, mais s'en retournèrent car aucune lumière n'était visible sur la zone de parachutage.

Dans la nuit du 23 au 24 juillet, le même détachement, plus le soldat Simpson, se mit de nouveau en route. L'avion s'écrasa au sol près du village de Graffigny, au nord-est de Chaumont. On sait que le soldat Boreham est prisonnier de guerre, mais les autres sont portés disparus, probablement morts. L'avion prit feu et fut détruit. Les corps furent enterrés par les habitants du village de Graffigny."
Cette nuit-là, outre cinq membres de l'équipage, sont morts : Leonard W. Curtis, le lieutenant Ian Grant, le signaleur William Leach, le sergent Douglas Hays McKay, James William Beatie Reilly, James Simpson, le capitaine Felix James Stewart Symes (27 ans) et le signaleur Lachlan Taylor. Blessé, fait prisonnier, Rex Boreham sera soigné à l'hôpital de Chaumont.

 
"Un autre détachement de reconnaissance fut désigné, et dans la nuit du 4 au 5 août, il quitta l'aérodrome de Fairford dans un Stirling : lieutenant D.V. Laws, caporal-chef Balordi, caporal P. Smith, soldats J. Glodhill, F. Henderson, G. Chambers, Robinson et signaleur Dowell. Ils firent un bon atterrissage, le 5 août 1944, dans un champ labouré près de Bailly-le-Franc. Le largage eut lieu à une altitude d'environ 700 pieds. Il n'y eut aucun incident, si ce n'est une corde de parachute qui se rompit, les sacs étant trop lourds pour permettre un langage aisé.

A cause du temps mis à cacher les «paniers», le détachement fut incapable de faire mouvement avant le lever du jour. En conséquence, dans la journée du 5 août, ils se dissimulèrent, près du terrain de parachutage, et se rendirent dans la nuit du 5 au 6 août au Bois des Moines.

Le 6 août, le lieutenant Laws partit en reconnaissance pour trouver un terrain de parachutage sur lequel recevoir les groupes de parachutistes des lieutenants Cameron et Marsh, groupes qui furent demandés par radio le jour suivant.

Le 9 août, le lieutenant Laws partit en reconnaissance dans la partie nord de la forêt du Der, et le jour suivant il fit des préparatifs pour recevoir les lieutenants Cameron et Marsh. En fait, le largage avait été annulé, mais Laws n'avait pas reçu le message.

Il y eut une autre annulation dans la nuit du 11 août et, déception supplémentaire, on découvrit que le dépôt, où se trouvait la réserve de nourriture du premier terrain de parachutage, avait été dévalisé, et une sentinelle allemande montait la garde.

Dans la nuit du 12 au 13 août, les groupes de parachutistes des lieutenants Cameron et Marsh furent largués sur le terrain de parachutage repéré par le lieutenant Laws. Le second stick fut largué à 2 000 pieds et atterrit par conséquent à un mile et demi. Il y eut d'autres complications : les deux paniers d'explosifs explosèrent en touchant le sol, trois sacs furent perdus, plusieurs furent endommagés lors du largage et à leur arrivée au sol. Les parachutes de deux conteneurs ne réussirent pas à s'ouvrir ; les paniers restant contenaient des vêtements.

Les 13 et 14 août, comme l'alerte avait été donnée par l'explosion sur le terrain de parachutage, au lieu de rester ensemble jusqu'à ce que les matériels perdus ou détruits puissent être remplacés, le lieutenant Laws envoya les groupes des lieutenants Cameron et Marsh à couvert dans le Bois des Moines, et lui se dirigea avec son détachement vers le nord de la forêt du Der.

La nuit suivante, du 14 au 15 août, le lieutenant Laws se dirigea vers un bois à l'est de Saint-Dizier. En chemin, dans le village de Perthes, il rencontra des hommes de la Luftwaffe. Son «Guten abend» provoqua une réponse amicale, et le détachement passa sans incident. Après avoir passé la journée du 15 août à observer l'aérodrome de Saint-Dizier, depuis un endroit situé au sud de Vouillers, le détachement du lieutenant Laws se rendit de nuit au bois de Maurupt, dans la forêt de Trois-Fontaines... »



Laissons provisoirement le détachement Laws qui vient de se fixer dans le massif de Trois-Fontaines pour nous intéresser au stick du lieutenant James Edmund Cameron, alias «Loopy», qui va opérer en Haute-Marne. C'est à la ferme Berzillières, entre Giffaumont et Droyes, que cet officier et le lieutenant Marsh ont été largués, dans la nuit du 12 au 13 août 1944. De source britannique, l'opération concerne 32 hommes ayant sauté depuis deux avions Stirling.
James Cameron commande le stick n°7 du 3 Squadron. L'un de ses hommes, Cyril Radford, alias «Charlie», a rédigé ses souvenirs, parus en 2011, après son décès, sous le titre «SAS trooper : Charlie Radford's operations in Enemy occupied France and Italy ». Il a cité les noms de ses huit camarades : outre Cameron, le sergent "Bill" Rigden, le caporal "Robbo" Robinson, "Bob" Loud, Eric de Gay, "Mick" Meager, "Tommo" Tomkins et Jean-Marc Canonici, un Corse de Bonifacio.


Un témoignage recueilli par le club Mémoires 52 en 1994 nous apprend que le groupe Cameron se porte ensuite sur le lieu-dit Bellefontaine à Voillecomte. Un autre récit est digne d'intérêt. Il est l'oeuvre de Maurice Gautron, un habitant de Sommevile. Sergent d'active, le jeune homme – il a 20 ans – présente l'intérêt de maîtriser parfaitement la langue de Shakespeare : il est né dans l'île de Jersey, et possède la double nationalité franco-britannique.

C'est un coiffeur d'Eurville, Maxime Douard, qui lui demande de prendre contact avec le groupe Cameron le 20 août 1944. Le rendez-vous est fixé au lieu-dit Vallée Jacquet, à proximité de Chevillon et de Fontaines-sur-Marne (donc de Sommeville). Gautron précise que le signal de reconnaissance est l'air de la Madelon. «Contact est pris à 16 h 30 environ», écrira-t-il en 1994.

Selon le sous-officier, qui sera employé comme agent de liaison par Peter Cameron du 20 août au 14 septembre 1944, les SAS vont se fixer en forêt de Morley, à proximité de la ferme de Beaulieu, située très exactement à la limite administrative entre la Haute-Marne et la Meuse, sur la gauche de la forêt menant de Chevillon à Morley. «Nous recevons des messages à heure fixes, 23 h et 5 h. Nous ne pouvons émettre.» Notons que, curieusement, le groupe a suivi le même périple que la maquis Mauguet, qui avait quitté, début août 1944, la région du Der pour Morley...

Après une prise de contact avec un certain Charles, de la ferme de la Grange (lieu non identifié avec précision), puis une reconnaissance de la rive droite de la Marne, le 21 août, de Curel à Chamouilley, le groupe débute ses actions le 23 août. «Robinson, Cameron, Bonifaci (sic) vont aller effectuer des sabotages dans la région de Neufchâteau». Le rapport de l'opération Rupert confirme que les détachements Cameron et Marsh «détruisirent, respectivement, des sections des vois de chemin de fer Bar-le-Duc/Neufchâteau et Joinville/Gondrecourt».

Resté avec un SAS, Gautron a l'occasion de se rendre, ce jour-là, à la ferme d'Aigremont, pour récupérer 30 kg de plastic. Ecart de Montiers-sur-Saulx, propriété d'un médecin wasseyen, le Dr de Sartiges, cette ferme est exploitée par M. Franquet, et Maurice Gautron y voit «beaucoup de monde qui règne un peu dans l'anarchie». Elle est fréquentée en effet par les hommes du maquis Mauguet et accueille des aviateurs alliés rescapés de la chute de leurs appareils. Après être passés à la ferme de La Grange où ils prennent livraison d'un FM et d'un pistolet-mitrailleur, Gautron et son camarade SAS sont surpris par un événement ayant pour cadre les abords de la route entre Bayard-sur-Marne et Fontaines-sur-Marne : «Vers 19 h 30, nous arrivons presque à notre destination lorsque nous entendons des tirs d'armes automatiques à environ 1 km où nous nous trouvons. A ce moment, nous descendons vers la ferme de Ruetz jusqu'à la côte 177 où il y a un ancien pont dans les broussailles (…) Nous nous mettons en position et nous voyons se diriger vers nous deux hommes en civil qui arrivent en courant, pourchassés par des Allemands, une dizaine à peu près. Quand les deux fugitifs sont à peu près à une centaine de mètres de nous, nous ouvrons le feu avec notre FM. Les Allemands surpris ne demandent plus leur reste et ils partent en direction de Bayard, nous venons de sauver le commandant des FTP Marcel et son adjoint. Nous les emmenons avec nous à la ferme de la Grange (chez Charles). Nous mangeons, nous prenons du ravitaillement, et nous reprenons le chemin de Baulieu.» Cet événement, tel qu'il est relaté, semble correspondre à un incident qui, selon Henri Meunier, chroniqueur du maquis Mauguet, est intervenu dans ce secteur à la date du 13 août 1944 (donc dix jours avant). Entre Bayard-sur-Marne et Bienville, des Allemands s'en sont en effet pris aux quatre occupants d'une camionnette du maquis Mauguet : Robert Guinot et Edmond Chapron, et deux nouvelles recrues, Daniel Carchon et Juste Hector. Dans sa fuite via Rachecourt, Saint-Dizier et la forêt de Morley, Carchon confiera avoir croisé des parachutistes britanniques...



Maurice Gautron note ensuite que le 24 août 1944, «des FFI ou présumés FFI ont fait une razzia sur le hameau de la Landre et les Allemands grouillent dans le coin, nous sommes obligés de déménager et d'aller nous installer à la cote 284, lieu-dit devant les murs».

Le lendemain, sur ordre du lieutenant Cameron, le Franco-britannique exécute, entre Brauvilliers et Fontaines-sur-Marne, un habitant de Pansey, accusé d'être dénonciateur du curé d'Effincourt et d'autres.

A partir du 30 août, date de l'entrée des Américains dans le Nord de la Haute-Marne, les SAS mènent plusieurs opérations. Ils font ainsi une vingtaine de prisonniers du côté de Savonnières-en-Perthois. Le lendemain, ils sont engagés, selon Maurice Gautron, dans un combat au lieu-dit la Croix de Châtelet, du nom vraisemblablement de la colline entre Fontaines-sur-Marne et Bayard qui accueillit jadis une cité gallo-romaine. L'engagement s'est déroulé sous les tirs de l'artillerie américaine, positionnée au-dessus de Maizières-lès-Joinville. A la même date, Gautron signale l'incorporation, dans le groupe, du sergent Maurice Jeanjean, de Sommeville (ancien du 92e RI de l'armée d'armistice), de Henri Hormancey, et de Roger Jamar, de la ferme de Clairefontaine (Savonnières-en-Perthois), où le Polonais et le Tchèque étaient soignés.

Pour le sergent Gautron, la mission auprès des SAS s'achève le 14 septembre 1944, après des opérations jusque Neufchâteau et Nancy (Cyril Radford se souvient être allé jusqu'à Verdun). Avec le sergent-chef Jeanjean, il s'engagera au 21e régiment d'infanterie coloniale.

Quant au lieutenant Marsh, non cité dans son récit, il ira servir dans le sud de la Haute-Marne, aux côtés du lieutenant Michel Pinci. Mais ceci est une autre histoire...



Sources : rapport de l'opération Rupert ; témoignage de Maurice Gautron.

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