Le lieutenant Adrien Massotte, de Torcenay, tombé le 21 juin 1940.
Suite et fin de notre évocation des combats du 242e régiment d'infanterie de Langres, en Alsace et dans les Vosges.
19 juin 1940
La 9e compagnie
(capitaine Folz) agit toujours détachée du gros de son régiment.
Deux de ses sections se portent au col du Bonhomme, qu'on annonce
abandonné. Au cours du mouvement, l'instituteur bragard Jean
Sirault, chef de la 4e section, est fauché par une rafale. Il est
mort. Puis le capitaine décide de gagner Plainfaing. Les autres
éléments du 3e bataillon (commandant Boyer) sont en réserve
au-dessus de Gérardmer, au Collet, à disposition du colonel
Fonlupt. Un compte-rendu du régiment, conservé par le Service
historique de la Défense à Vincennes, précise : «Le 3e bataillon
ne compte alors que deux compagnies de FV (fusiliers-voltigeurs) : la
10e (deux sections et demi, 75 hommes) et la 11e (quatre sections, 95
hommes). Dispositif : le PC à 500 m au sud du Collet, la 10e
compagnie avec un groupe de mitrailleuses entre le col de la Schlucht
et le Collet, la 11e compagnie «au Collet même» avec quatre
sections et une pièce de 25 «à cheval sur la route».
Pendant ce temps, le 1er
bataillon du commandant Dallennes, qui a évacué Val-de-Villé, se
regroupe dans Sainte-Marie-aux-Mines. Il est 5 h du matin. Mais
rapidement, les troupes allemandes engagent le combat. Il durera
toute la journée. Les hommes du 242e RI auront même l'occasion de
mener une contre-attaque baïonnette au canon (sous-lieutenant Alin),
obligeant l'ennemi à refluer et permettant de réoccuper la gare.
Le
sergent Heidet, de la 3e compagnie, témoigne de ce qu'il a vécu :
«Les Allemands tenaient déjà la gare. Ce fut un fouillis
impossible. On ne savait jamais où étaient les Allemands et où
étaient les Français... On nous envoie avec mon groupe vers une
pente. En haut, devant moi, un groupe de la 1ère compagnie tombe à
l'improviste sur un groupe d'Allemands embusqués dans un creux :
trois des nôtres sont blessés aux pieds et aux jambes... Je dus
reconnaître un coin de bois. Je partis seul avec le grand de
Saint-Dizier (Brussa), nous parcourûmes tout le coin sans rien voir.
Et peu après, il en déboucha des quantités d'Allemands : ils se
camouflaient dans les buissons et se gardaient bien de se montrer ou
de tirer sur des isolés ou agents de reconnaissance. Mais
l'encerclement terminé, après une infiltration, ils attaquaient
tous ensemble, au signal. Méthode d'ailleurs très habile. Au
contraire, chez nous, pas de méthode... Les Allemands, certes,
sacrifiaient du monde (ils eurent beaucoup plus de pertes que nous),
mais aussi ils avançaient. Dans la soirée, nous avions réussi à
interdire l'entrée de Sainte-Marie-aux-Mines. Nos 75, installés
derrière la ville, tiraient encore bien. Et même, à un moment, ils
tirèrent trop court, et trois obus tombèrent tout près de nous...
Vers 10 h, ordre de repli, vers le PC du bataillon, au centre de la
ville. Là, arrive la nouvelle que le col (de Sainte-Marie) est pris,
on est bloqué : le bataillon, ou du moins ce qu'il en reste, va se
rendre sur place. On commence à se désarmer. Puis tout à coup,
contre-ordre : le col a été dégagé par le 330e RI. On a
quelques chances de passer. On se met en route dans la nuit, colonne
par un, dans le plus grand silence.» Finalement, les restes du 1er
bataillon parviendront à Wiesembach. Mais les sections Alin et
Bonnefoy (de Saint-Dizier) ont dû se rendre. Et le bataillon déplore
sept morts, dont le sergent Fernand Tribolet, Pierre Bourdeaux (de
Perrancey), Henri Chevalier (de Bourbonne-les-Bains), James Rolland
(de Biernes).
20
juin 1940
Le colonel Bouchon a
établi son PC dans un abri de cantonnier, dans la cuvette de
Longemer. Il dispose, avec lui, d'une soixantaine d'hommes, dont le
lieutenant Lurat, de Saint-Dizier. La 9e compagnie du capitaine Folz
lui arrive, et va se positionner au nord du lac de Longemer – les
deux autres compagnies de fusiliers-voltigeurs, les 10e et 11e, sont,
rappelons-le, au Collet. En revanche, la 5e du lieutenant chaumontais
Jeanson, avec le lieutenants haut-marnais Coignet et Dauvergne, sont
dirigés - «par erreur», écrira l'historien Roger Bruge - sur
Saint-Dié...
Enfin, vers 13 h, arrive
le convoi du 1er bataillon (Dallennes). Le chef de bataillon rapporte
: «Embarqué en camions le 20 au matin à Wisembach (ouest de
Sainte-Marie), le bataillon arrive à Xonrupt vers 11 h. En fait de
repos, il reçoit l'ordre de boucler les routes du Grand-Valtin et du
col de la Schlucht, ce dernier venant de tomber aux mains de
l'ennemi. Il faut tenir sur place, ordonne le général Misserey,
commandant le 13e corps d'armée.
Deux heures plus tard, le
bataillon est attaqué sur tout son front. Le PC du commandant
Dallennes est situé dans un cabaret, à la sortie de Xonrupt, sur la
route du Saut des Cuves, sur la ligne de feu. Le capitaine Millet,
les lieutenants Massotte, Thorel et Guyot sont au PC. Toutes les
attaques sont repoussées.
Une énorme quantité de
munitions ayant été consommée, le lieutenant Massotte est à
nouveau désigné pour ravitailler la ligne de feu. Il se rend
lui-même sur les points exposés afin de surveiller la bonne
exécution de ce délicat travail... Trois hommes blessés ont été
évacués.
Toute la nuit, intense
fusillade et essai d'infiltration de l'ennemi qui est contenu
partout.»
Le sergent Heidet
appartenait à ce bataillon. Il témoigne également : « A
Wisembach, trois heures de repos... Puis on nous dirige sur
Gérardmer. Une grande partie du trajet sera faite en camion. A
l'embarquement, nous sommes repérés par un avion, et le convoi
manqua de quelques minutes d'être bombardé... A la fin de
l'après-midi, nous arrivons à Xonrupt, près de Gérardmer. Nous
croyons pouvoir nous reposer un peu, mais il faut reprendre encore
position. Je n'ai plus mon fusil-mitrailleur. C'était le «gros» de
Saint-Dizier qui était tireur et le porteur, il était disparu en
route. Je ne sais pas encore maintenant ce qu'il est devenu. Nous
sommes cinq avec seulement nos fusils...
Nous veillons toute la
nuit (sixième nuit).»
Durant
cette journée, le 242e RI a dû batailler à plusieurs reprises pour
palier les reflux de ses voisins. Dallennes n'en fait pas mention
dans son récit, mais c'était avec trois chars que par deux fois, il
a, sur ordre du général Misserey, dégagé la route du col de
Surceneux, le 42e RIF ayant décroché. De leur côté, les sections
Frédet et Gillet du 3e bataillon, toujours avec trois blindés
français, sont allées disperser des patrouilles allemandes qui ont
atteint la route des Crêtes, au nord de la Schlucht, et permettre à
une compagnie du 302e RI qui avait reflué de réoccuper ses
positions. Mais un violent bombardement du col de la Schlucht et du
Hohneck, suivi d'une attaque, allait entraîner la perte de la
Schlucht, et la capture du colonel Fonlupt.
A
Xonrupt, le commandant du 42e RIF a pris la décision de se replier
sur Gérardmer, suscitant consternation et colère chez les officiers
du 242e RI. Le sous-lieutenant chaumontais Allard-Latour prend à
parti un officier du 42e qui revient sur ses positions.
Bouchon
reçoit l'ordre d'installer son nouveau PC au Saut-des-Cuves, entre
Xonrupt et Gérardmer, où il arrive le 21 à 2 h du matin.
21 juin 1940
La pression allemande se
fait sur le Saut des Cuves, entre Xonrupt et Gérardmer. C'est là,
précise le journal de marche et d'opérations du 242e régiment
d'infanterie, que «le 1er bataillon succombe en fin de matinée».
Le sergent Heidet, de Neuilly-sur-Suize, se souvient notamment de la
mort du sergent Emile Vincent, du collège de Saint-Dizier.
Dans une lettre à la
famille Massotte, le commandant Dallennes, qui est à la tête de ce
bataillon, raconte en détails les derniers instants de cette unité
:
«Dès l'aube,
bombardement de nos positions par du 150, puis attaque de
l'infanterie, magnifiquement plaquée par nos mitrailleuses. Nouveau
bombardement. Le bataillon est débordé sur sa droite. L'ennemi
parvient derrière le PC. La défense de celui-ci est organisée,
tous les officiers prennent les fusils disponibles et se joignent aux
hommes. Les Allemands, qui progressent sur le PC par les fossés,
sont stoppés.
Le tir de l'artillerie,
bien ajusté, reprend. Les 150 tombent près du PC et les éclats
d'obus frappent les murs. Les lieutenants Thorel et Guyot cherchent
une cave pour attendre l'accalmie. Le commandant s'assied sur une
chaise près de la porte de l'auberge. Le capitaine Millet prend
place près du commandant et le lieutenant Massotte à côté de
Millet. Les obus se rapprochent du PC (leur but). Aucun renfort ne
parvient et les liaisons sont maintenant impossibles. La fin est
proche... Il est environ 11 h 30. Le lieutenant Massotte plaisante
pourtant encore :
- C'est la maison des
dernières cartouches !
- Ca m'en a tout l'air,
ajoute le capitaine Millet.
- Je crois que nous avons
fait du bon travail. N'est-ce pas mon commandant ?
- Oui, mon vieux
Massotte ! Rien à vous reprocher. Vous avez été de chics
types. Merci ! »
Massotte touche pour
cacher son émotion et, de conclure :
- Ce n'est pas tout ça,
il faut penser...
Un formidable bruit se
produit. Le commandant ne se souvient plus de rien pendant un temps
indéterminé, puis il est tiré par les pieds et revient à lui. Il
est midi et les Allemands sont dans le PC...
Au milieu des décombres,
assis sur sa chaise, le capitaine Millet, le corps soutenu par le
mur, est gravement blessé et dans le coma... A ses pieds, couché
sur le côté, le lieutenant Adrien Massotte est mort. J'ai pleuré
en embrassant sur le front Massotte et Millet (ce dernier est emmené
en ambulance par les Allemands...»
Au Collet, c'est
également la fin pour les deux compagnies du 3e bataillon.
L'adjudant Marcel Carlin, de Saint-Dizier, ordonne la dispersion des
hommes de sa section pour éviter la capture. Mais il n'y échappera
pas : il sera fait prisonnier le soir, vers 18 h, avec le sergent
Marius Thieblemont, de Wassy.
Longtemps considéré
comme mort à Marckolsheim, le sergent Marcel Guyot, de Biesles,
sous-officier dans la compagnie d'accompagnement du bataillon, tombe
aux mains de l'ennemi à Longemer. C'est également le cas, dans la
région, de Fernand Barret, de Richebourg, de Jean Hutinet (10e
compagnie), de Maizières-sur-Amance, de Charles Anzenberger (2e
bataillon), de Saint-Dizier, du sergent-chef Roger Bresson (11e
compagnie), de Chalindrey (pris à Gérardmer), de Marcel Chevalier
(6e compagnie), de Lénizeul (capturé à Granges-sur-Vologne), et
tant d'autres...
Mais le 242e RI n'est pas
encore mort. Après que son chef, le colonel Bouchon, se soit vu
remettre, au feu, par le général Misserey, la croix de guerre avec
palme décernée au régiment, il décroche, après 18 h, sur
Gérardmer. Bouchon, qui hérite des débris de son régiment et du
42e RIF, mais également de quelques cavaliers et de «Joyeux»
(soldats d'un bataillon d'infanterie légère d'Afrique, c'est-à-dire
généralement des anciens condamnés «autorisés» à porter
l'uniforme), reçoit le commandement de la défense de l'Ouest de la
«Perle des Vosges».
21-22 juin 1940
Les restes du 242e RI se
replient, au soir du 21 juin, dans la partie Est de Gérardmer.
Sergent Heidet (3e compagnie) : «On nous rassemble dans la ville.
Nous restions du 242e : 24 au 1er bataillon, quinze au 2e bataillon,
44 au 3e bataillon. Plus de mitrailleuses, ni fusils-mitrailleurs (…)
Mais nous n'avions plus de munitions, et nous étions à un contre 50
! Nous restâmes dans le poste où on nous avait mis : une sorte de
tranchée dans une carrière, mais nous n'avons pas tiré les
quelques cartouches qui nous restaient. Il restait quelques
mitrailleuses d'autres régiments, et il y eut toute la soirée
encore une bataille acharnée. Nous étions encore entre les deux
feux. On l'a encore échappé belle. Dans la nuit, cela se calma et
nous pûmes dormir quelques heures...»
La
nuit du 21 au 22 juin (la septième consécutive de combats depuis le
passage du Rhin), le colonel Bouchon la passe dans un établissement
de bains, près du lac.
Au
matin du 22 juin, l'ennemi achève son attaque. La défense de
Gérardmer a été rendue très problématique : outre l'état
d'épuisement des défenseurs appartenant à divers régiments, les
Allemands poussaient devant eux des prisonniers français, empêchant
leurs camarades de tirer... «Encore une dernière résistance des
dernières mitrailleuses, écrit le sergent Heidet. Puis plus rien.
Les Allemands rasent tout dans une dernière attaque, ils descendent
la côte en hurlant : «Sieg, sieg». Puis: «Français, rendez-vous.
Nous ne vous ferons pas de mal. Rendez vos armes». Ils passent près
de nous sans nous voir. Vers les 7 du matin, nous laissons là nos
fusils et descendons la côte, un mouchoir blanc à la main. Nous
tombons sur deux qui perquisitionnaient dans les maisons isolées.
Ils nous mettent en joue, nous font aligner, les mains en l'air...»
Le
général Misserey doit se résoudre à proposer un cessez-le-feu à
son adversaire. C'est terminé. Vaincus par l'épuisement, l'absence
de munitions, les rescapés du 242e RI doivent se rendre, sans avoir
démérité. L'adjoint du colonel Bouchon, le lieutenant René Lurat,
de Saint-Dizier, note dans ses souvenirs (cités par Roger Bruge) : «Je suis là, anéanti,
désarmé, dépouillé de tout, et du fond de moi monte la rancoeur
contre ceux qui nos ont lancés dans cette aventure.»
Dans
la ville meurtrie, une cinquantaine de soldats français sont tombés.
Pour l'Honneur, cinq jours après l'appel à cesser le combat lancé
par le maréchal Pétain. Depuis le 15 juin 1940, une trentaine de
soldats du 242e RI ont perdu la vie, parmi lesquels Pierre Bourdeaux
(Perrancey), Fernand Bourlier (Corgirnon), Emile Brule
(Arbigny-sous-Varennes), Henri Chevalier (Bourbonne), René Grandjean
(Biesles), Emile Knerr (Bannes), le lieutenant Adrien Massotte
(Torcenay), 46 ans, Roland Massotte (Chalindrey), le sergent René
Pitou (Langres), James Rolland (Biernes), le lieutenant Jean Sirault
(Saint-Dizier), André Thominot (Frécourt), le sergent Fernand
Tribolet (Langres).
Leurs
camarades iront rejoindre les Oflags et Stalags Outre-Rhin. Pour
beaucoup, ils y resteront cinq longues années. D'autres pourront
rentrer en France et poursuivront le combat dans la Résistance :
- Le
commandant Dallennes sera chef d'un maquis dans la Charente,
- Le
sergent-chef Max Dupuy, de Saulxures, sous-préfet de Saint-Dizier à
la libération,
- Le
lieutenant Paul Jupin et l'adjudant Marcel Carlin, de Saint-Dizier,
officiers dans le maquis du Val,
- le
sergent Pierre Legendre, de Vecqueville, chef de section au Bataillon
de Joinville,
-Gabriel Cardin, de Langres, engagé de nouveau au 21e RIC, tombera
dans le Doubs en novembre 1944.
D'autres,
comme Henri Fixemer, de Marnaval, Charles Anzenberger, de
Saint-Dizier, connaîtront les affres de la Déportation.
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