lundi 20 avril 2020

Le 242e RI au combat (2) : choc sur le Rhin, repli sur les Vosges



Le lieutenant Jeanson (à droite) est prêtre à Chaumont.


15 juin 1940

Minutieusement étudiée par l'historien champenois Roger Bruge (marié à une Bragarde et journaliste à La Haute-Marne libérée) dans «Offensive sur le Rhin», l'opération Kleiner Bar, déclenchée le 15 juin par la 7e armée allemande, est considérée comme «la grande opération amphibie de juin 1940».

C'est à partir de 8 h 57 que 300 pièces d'artillerie allemande tirent sur un front de plus de 30 km de la rive française du Rhin. Dans le secteur de la 6e compagnie (capitaine Pierre Ventteclaye) du II/242e RI, dont le PC est à Artolsheim, les ouvrages sur la berge et en arrière, blockhaus, casemates, sont écrasés par ce déluge de feu. Après la préparation d'artillerie, les troupes ennemies commencent à franchir le fleuve. Des bateaux sont coulés, le lieutenant Fernand Faivre capture sept soldats, dont trois blessés, dans un Sturmboot échoué, mais les Allemands ont réussi à prendre pied sur le sol français.

Les combats font rage toute la journée. Le village d'Artolsheim brûle. Près des blockhaus 96-97, qu'a rejoint l'aspirant Billebault arrivé la veille du dépôt de Langres, le sergent René Pitou, de Langres, chef du groupe-franc de la 6e compagnie, est tué. Les pertes ont été beaucoup plus lourdes au 42e régiment d'infanterie de forteresse, autre régiment de la 103e DIF, notamment à Marckolsheim.

Au soir de cette première journée de combat, côté allemand, le bilan est mitigé. Certes, la tête de pont a été réalisée. Des ouvrages ont été pris. Mais le canal du Rhône au Rhin, l'objectif, n'a pas été atteint.

Au 242e RI, le colonel Victor Bouchon obtient enfin le retour de son 3e bataillon qui, s'étant porté à Ribeauvillé, commence à venir le renforcer. Les sections Levasseur et Raux le rejoignent dans la nuit.



16 juin 1940

Le colonel Bouchon, dont le PC est à Baldenheim, continue à recevoir des éléments du 3e bataillon qui lui avait été initialement retiré. Il envoie au lever du jour la section du sergent-chef Levasseur (11e compagnie) nettoyer le bois de l'Altenswald et reprendre le blockhaus 122 tombé la veille. Mais la section se heurte au feu ennemi et doit refluer en direction du canal du Rhône au Rhin.

Vers 8 h, c'est un bataillon allemand qui cherche à réduire quatre fortins défendant Richtolsheim. Les deux ouvrages (B 80 et 81) du sergent-chef Maurice Py tombent après que le sous-officier ait été touché. A 10 h, les Allemands font également intervenir les Stukas, qui bombardent les blockhaus 78 et 79 du lieutenant Maurice Girardot, Artolsheim...

Vers 11 h, l'artillerie ennemie s'apprête à ouvrir le feu sur les blockhaus 96 et 97, devant lesquels un capitaine allemand est tombé. L'aspirant Billebault les fait évacuer, mais tombe rapidement aux mains de l'ennemi avec ses hommes.



La situation devient difficile pour les hommes du colonel Bouchon. Les Allemands s'engouffrent en effet dans un couloir large de 1 800 m entre le 242e RI et le 42e régiment d'infanterie de forteresse.

Vers midi, Bouchon donne l'ordre de replier son PC de Baldenheim, où il laisse le lieutenant Bon, sur Rathsamhausen. Le capitaine Henri Grillot, de Langres, vient organiser la défense de ce village, que rejoignent également deux sections de la 11e compagnie (capitaine Pion) du III/242e RI, dont celle de l'adjudant Marcel Carlin, de Saint-Dizier.

Parallèlement, le colonel Bouchon ordonne au commandant Dallennes, commandant le I/242e RI (qui n'a pas été attaqué), de faire replier les équipages des blockhaus G et ceux des postes de digue, avec notamment le lieutenant Constant Bonnefoy, de Saint-Dizier. De son côté, le lieutenant Pierre Jeanson, de Chaumont, organise une nouvelle ligne de défense entre l'écluse 69 et Baldenheim. Deux de ses sections sont commandées par les lieutenants Robert Coignet, de Chauffourt, et Marcel Dauvergne, de Joinville.

Dans l'après-midi, les Allemands renouvellent leurs assauts contre les positions du régiment de Langres. Le lieutenant Bray défend Schoenau, la compagnie Thivrier, Saasenheim, le lieutenant Groleau, Richtolsheim (où est tué Roland Massotte, de Chalindrey), le capitaine Ventteclaye, Artolsheim... Les combats font rage.

Vers 19 h, le commandant Braban, de Langres, rejoint son homologue Dallennes à Sundhouse, laissant le capitaine Vincent et le lieutenant René Lurat, de Saint-Dizier, défendre Schwobsheim.

A 19 h 10, le capitaine Ventteclaye est touché par un ordre de repli. Il tente de gagner le canal du Rhône au Rhin, mais là, il se heurte aux Allemands. Le caporal-chef James Page, d'Esnouveaux, est notamment blessé. L'ennemi sort d'un bois et capture Ventteclaye, le sous-lieutenant Courteau et leurs hommes.



Nuit du 16 au 17 juin – 17 juin

Il n'y aura pas de deuxième nuit passée dans les casemates. Dans l'après-midi du 16 juin, le général Laure a en effet prescrit au général Cousse, commandant de la 104e DIF, de se replier dans la nuit du 16 au 17. L'intention du commandement est que la division soit, à l'aube du 17 juin, derrière les bouchons qu'une autre division a installés à l'entrée des vallées des Vosges.

Le 242e RI doit quitter ses positions à partir de 21 h 30 pour gagner la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines. Mais le décrochage sera délicat, puisqu'on se bat dans les villages. Et des casemates tiennent toujours. A la 28/3, le lieutenant Robert Marchal ne croit pas à l'ordre qui lui a été donné. «Pour me donner un ordre pareil, dira-t-il à son chef de bataillon, vous devez être entre les mains de l'ennemi et avoir un pistolet sur le ventre». Il faudra que le lieutenant Thorel, de Saint-Dizier, le lui confirme. Mais tout comme le lieutenant Bertrand, un instituteur alsacien (casemate 32:2), Marchal obtiendra de rester dans sa position.



Tous les hommes du colonel Bouchon ne pourront exécuter l'ordre. A Richtolsheim en feu, où se battent les sergents Jean Nolle, de Lachapelle-en-Blaisy, et Tollite, de Saint-Dizier, l'adjudant Bougaud est tué, le lieutenant Henry Groleau et son adjoint, le sous-lieutenant bragard Paul Jupin, sont capturés avec leurs hommes.



A Baldenheim, le colonel Bouchon fait brûler les archives du régiment, puis le 2e bataillon se replie. Au pont de Rathsamhausen, l'adjudant Carlin a l'occasion de croiser son beau-frère Lucien Mouillet, de Saint-Dizier. Puis le capitaine Pion fait sauter l'ouvrage qui a permis le repli.



A 3 h, le 17 juin, le colonel Bouchon installe son PC en mairie de Liepvre, d'où il va recueillir ses hommes. «Il pleut presque sans arrêt, les hommes sont éreintés mais leur bonne volonté est sans limites», note le colonel Bouchon, dont le régiment perd, le 17 juin, le soldat André Thominot, 31 ans, de Frécourt.



A noter que parmi les équipages restés en position, le lieutenant Marchal sera capturé près de Rathsamahausen, le lieutenant Bertrand se rendra le 17 au matin, le sous-lieutenant Girardot pris dans son blockhaus le lendemain...



Parmi les sous-officiers de la 3e compagnie du I/242e RI, il y a le sergent Paul Heidet, curé de Neuilly-sur-Suize. Lui qui s'est battu aux côtés du sergent Marchand, instituteur à Anrosey, a laissé un témoignage inédit communiqué par André Richardot. Il raconte les événements du soir du 16 juin, alors qu'il défendait Saasenheim : "Voilà qu'arrive un agent de liaison. Ils nous appelle, car nous avions barricadé la cour... C'était un Alsacien... Il me dit rapidement : «On se replie» et fila. Je sus après que la compagnie était partie depuis les 7 h du soir environ, et que le sergent qui devait me prévenir, en arrivant dans la dernière rue du village, vit trois Allemands casqués dans les jardins bordant la rue ; il eut peur, tourna bride et m'abandonna (le pauvre, il a été tué à Gérardmer). Ce fut l'argent de liaison qui, apprenant cela, alors que la compagnie était déjà à 2 km du village, retourna en vélo pour me prévenir. Il revit aussi des Allemands, mais passa devant eux froidement, ils le laissèrent passer...» Pour le sergent Heidet, s'il avait résisté «jusqu'au bout dans la casemate (…), j'aurais été le seul à résister, j'aurais été cerné et ils m'auraient réduit, comme d'autres, à coups de canon à bout portant, ou au lance-flammes...» Avec ses hommes, le prêtre parvient à passer le canal sur des blocs de maçonnerie, le pont étant sauté, et arrive à Wittelsheim.



17 juin 1940

Le colonel Bouchon qui, venu de Sélestat, est arrivé en mairie de Lièpvre reçoit l'ordre de regrouper son régiment à Xonrupt. Ce qui n'est pas simple, car les bataillons ont retraité par des itinéraires différents et vont être de nouveau engagés au combat isolément.

Le 2e bataillon du Langrois Yves Braban n'a plus que onze officiers et 368 hommes. Ayant traversé Lièpvre, il se porte sur Sainte-Marie-aux-Mines. La 5e compagnie du lieutenant Pierre Jeanson (Chaumont) va en défendre la lisière sud-est.

Arrivé à son tour à Lièpvre, le 1er bataillon de Dallennes, épargné par les combats des 15 et 16 juin (car le quartier qu'il défendait sur le Rhin se trouvait au nord de la zone d'attaque), est envoyé par le colonel Bouchon pour tenir la route entre Val-de-Villé et Lièpvre.

Quant au 3e bataillon, il est toujours «éclaté» : la 9e compagnie (Folz) est à Kaysersberg (comme nous le verrons plus loin), la 10e (lieutenant Gaston Chanteclair, de Langres) retraite vers le col de la Schlucht par la vallée de la Fecht. Seule la 11e compagnie (Pion) a retrouvé Bouchon qui l'envoie à Sainte-Marie.



18 juin 1940

Dès le matin, les Allemands attaquent les positions du régiment à Lièpvre. Le commandant Dallennes envoie le lieutenant Babel et son peloton motocycliste contre-attaquer. L'officier fait trois prisonniers. Blessé dans la journée, il donne le commandement de son peloton au sergent-chef Foissey. Plus tard, Dallennes, dont le chauffeur Orsay vient d'être blessé, ordonne à ses hommes de dégager une barricade que les Allemands ont édifiée derrière le Val-de-Villé. Le lieutenant Jean Guyot (de Culmont), le sergent Boulinier, les caporaux Royer et Ruch s'en chargent et chassent les Allemands.

Attaquée vers 20 h, la 3e compagnie (Thivrier) tient bon. Le sergent Heidet, de Neuilly-sur-Suize, témoigne : «Ce fut ce soir-là, à la tombée de la nuit, que Laurent fut blessé d'une balle à la cuisse par une sentinelle française. Il n'avait ni vu ni entendu celle-ci lorsqu'elle lui a crié de s'arrêter. D'après ce qu'ont dit des témoins, la blessure ne paraissait pas grave. Cela se passa à 100 m. J'entendis bien le coup de feu et la chute, mais je n'ai su qu'après que c'était Laurent... Il fut évacué à l'hôpital, probablement à Sainte-Marie-aux-Mines. Je n'ai plus eu aucune nouvelle depuis...» A minuit, le 1er bataillon commence à évacuer Lièpvre pour Sainte-Marie-aux-Mines. Il a perdu, au combat, Emile Knerr, de Bannes.



Pendant ce temps, le capitaine Folz est d'abord engagé à Kientzheim, où les sections du sergent-chef Faucher et de l'adjudant Poinsot, de Montlandon, ont été placées en sonnettes. Elles se replient (sauf les groupes Riandet et Favey) et rejoignent Kaysersberg, d'où Folz les envoie à Hachimette, dans la montée du col du Bonhomme. A Kaysersberg, le capitaine Folz conserve les sections des lieutenants Jean Sirault (instituteur à Saint-Dizier) et du lieutenant André Demonsant (Laferté-sur-Aube). La 9e compagnie et le 317e RI – qui déplore cinq tués - y sont attaqués. A 14 h, le lieutenant-colonel Nicolas, chef de corps du 317e RI, autorise Folz à se replier. La «9» arrive en fin d'après-midi le col du Bonhomme puis, dans la nuit du 18 au 19, Nicolas envoie le capitaine avec trois sections pour combler une brèche de dispositif entre le col des Bagatelles et le col du Bonhomme.

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