Le lieutenant Jeanson (à droite) est prêtre à Chaumont.
Minutieusement étudiée
par l'historien champenois Roger Bruge (marié à une Bragarde et
journaliste à La Haute-Marne libérée) dans «Offensive sur le
Rhin», l'opération Kleiner Bar, déclenchée le 15 juin par la 7e
armée allemande, est considérée comme «la grande opération
amphibie de juin 1940».
C'est à partir de 8 h 57
que 300 pièces d'artillerie allemande tirent sur un front de plus de
30 km de la rive française du Rhin. Dans le secteur de la 6e
compagnie (capitaine Pierre Ventteclaye) du II/242e RI, dont le PC
est à Artolsheim, les ouvrages sur la berge et en arrière,
blockhaus, casemates, sont écrasés par ce déluge de feu. Après la
préparation d'artillerie, les troupes ennemies commencent à
franchir le fleuve. Des bateaux sont coulés, le lieutenant Fernand
Faivre capture sept soldats, dont trois blessés, dans un Sturmboot
échoué, mais les Allemands ont réussi à prendre pied sur le sol
français.
Les combats font rage
toute la journée. Le village d'Artolsheim brûle. Près des
blockhaus 96-97, qu'a rejoint l'aspirant Billebault arrivé la veille
du dépôt de Langres, le sergent René Pitou, de Langres, chef du
groupe-franc de la 6e compagnie, est tué. Les pertes ont été
beaucoup plus lourdes au 42e régiment d'infanterie de forteresse,
autre régiment de la 103e DIF, notamment à Marckolsheim.
Au soir de cette première
journée de combat, côté allemand, le bilan est mitigé. Certes, la
tête de pont a été réalisée. Des ouvrages ont été pris. Mais
le canal du Rhône au Rhin, l'objectif, n'a pas été atteint.
Au 242e RI, le colonel
Victor Bouchon obtient enfin le retour de son 3e bataillon qui,
s'étant porté à Ribeauvillé, commence à venir le renforcer. Les
sections Levasseur et Raux le rejoignent dans la nuit.
16 juin 1940
Le colonel Bouchon, dont
le PC est à Baldenheim, continue à recevoir des éléments du 3e
bataillon qui lui avait été initialement retiré. Il envoie au
lever du jour la section du sergent-chef Levasseur (11e compagnie)
nettoyer le bois de l'Altenswald et reprendre le blockhaus 122 tombé
la veille. Mais la section se heurte au feu ennemi et doit refluer en
direction du canal du Rhône au Rhin.
Vers 8 h, c'est un
bataillon allemand qui cherche à réduire quatre fortins défendant
Richtolsheim. Les deux ouvrages (B 80 et 81) du sergent-chef Maurice
Py tombent après que le sous-officier ait été
touché. A 10 h, les Allemands font également intervenir les Stukas,
qui bombardent les blockhaus 78 et 79 du lieutenant Maurice Girardot,
Artolsheim...
Vers 11 h, l'artillerie
ennemie s'apprête à ouvrir le feu sur les blockhaus 96 et 97,
devant lesquels un capitaine allemand est tombé. L'aspirant
Billebault les fait évacuer, mais tombe rapidement aux mains de
l'ennemi avec ses hommes.
La situation devient
difficile pour les hommes du colonel Bouchon. Les Allemands
s'engouffrent en effet dans un couloir large de 1 800 m entre le 242e
RI et le 42e régiment d'infanterie de forteresse.
Vers midi, Bouchon donne
l'ordre de replier son PC de Baldenheim, où il laisse le lieutenant
Bon, sur Rathsamhausen. Le capitaine Henri Grillot, de Langres, vient
organiser la défense de ce village, que rejoignent également deux
sections de la 11e compagnie (capitaine Pion) du III/242e RI, dont
celle de l'adjudant Marcel Carlin, de Saint-Dizier.
Parallèlement, le
colonel Bouchon ordonne au commandant Dallennes, commandant le I/242e
RI (qui n'a pas été attaqué), de faire replier les équipages des
blockhaus G et ceux des postes de digue, avec notamment le lieutenant
Constant Bonnefoy, de Saint-Dizier. De son côté, le lieutenant
Pierre Jeanson, de Chaumont, organise une nouvelle ligne de défense
entre l'écluse 69 et Baldenheim. Deux de ses sections sont
commandées par les lieutenants Robert Coignet, de Chauffourt, et
Marcel Dauvergne, de Joinville.
Dans l'après-midi, les
Allemands renouvellent leurs assauts contre les positions du régiment
de Langres. Le lieutenant Bray défend Schoenau, la compagnie
Thivrier, Saasenheim, le lieutenant Groleau, Richtolsheim (où est
tué Roland Massotte, de Chalindrey), le capitaine Ventteclaye,
Artolsheim... Les combats font rage.
Vers 19 h, le commandant
Braban, de Langres, rejoint son homologue Dallennes à Sundhouse,
laissant le capitaine Vincent et le lieutenant René Lurat, de
Saint-Dizier, défendre Schwobsheim.
A 19 h 10, le capitaine
Ventteclaye est touché par un ordre de repli. Il tente de gagner le
canal du Rhône au Rhin, mais là, il se heurte aux Allemands. Le
caporal-chef James Page, d'Esnouveaux, est notamment blessé.
L'ennemi sort d'un bois et capture Ventteclaye, le sous-lieutenant
Courteau et leurs hommes.
Nuit du 16 au 17 juin – 17 juin
Il n'y aura pas de
deuxième nuit passée dans les casemates. Dans l'après-midi du 16
juin, le général Laure a en effet prescrit au général Cousse,
commandant de la 104e DIF, de se replier dans la nuit du 16 au 17.
L'intention du commandement est que la division soit, à l'aube du 17
juin, derrière les bouchons qu'une autre division a installés à
l'entrée des vallées des Vosges.
Le 242e RI doit quitter ses positions à partir de 21 h 30 pour gagner la vallée
de Sainte-Marie-aux-Mines. Mais le décrochage sera délicat,
puisqu'on se bat dans les villages. Et des casemates tiennent
toujours. A la 28/3, le lieutenant Robert Marchal ne croit pas à
l'ordre qui lui a été donné. «Pour me donner un ordre pareil,
dira-t-il à son chef de bataillon, vous devez être entre les mains
de l'ennemi et avoir un pistolet sur le ventre». Il faudra que le
lieutenant Thorel, de Saint-Dizier, le lui confirme. Mais tout comme
le lieutenant Bertrand, un instituteur alsacien (casemate 32:2),
Marchal obtiendra de rester dans sa position.
Tous les hommes du
colonel Bouchon ne pourront exécuter l'ordre. A Richtolsheim en feu,
où se battent les sergents Jean Nolle, de Lachapelle-en-Blaisy, et
Tollite, de Saint-Dizier, l'adjudant Bougaud est tué, le lieutenant
Henry Groleau et son adjoint, le sous-lieutenant bragard Paul Jupin,
sont capturés avec leurs hommes.
A Baldenheim, le colonel
Bouchon fait brûler les archives du régiment, puis le 2e bataillon
se replie. Au pont de Rathsamhausen, l'adjudant Carlin a l'occasion
de croiser son beau-frère Lucien Mouillet, de Saint-Dizier. Puis le
capitaine Pion fait sauter l'ouvrage qui a permis le repli.
A 3 h, le 17 juin, le
colonel Bouchon installe son PC en mairie de Liepvre, d'où il va
recueillir ses hommes. «Il pleut presque sans arrêt, les hommes
sont éreintés mais leur bonne volonté est sans limites», note le
colonel Bouchon, dont le régiment perd, le 17 juin, le soldat André
Thominot, 31 ans, de Frécourt.
A noter que parmi les
équipages restés en position, le lieutenant Marchal sera capturé
près de Rathsamahausen, le lieutenant Bertrand se rendra le 17 au
matin, le sous-lieutenant Girardot pris dans son blockhaus le
lendemain...
Parmi les sous-officiers
de la 3e compagnie du I/242e RI, il y a le sergent Paul Heidet, curé
de Neuilly-sur-Suize. Lui qui s'est battu aux côtés du sergent
Marchand, instituteur à Anrosey, a laissé un témoignage inédit
communiqué par André Richardot. Il raconte les événements du soir
du 16 juin, alors qu'il défendait Saasenheim : "Voilà qu'arrive un
agent de liaison. Ils nous appelle, car nous avions barricadé la
cour... C'était un Alsacien... Il me dit rapidement : «On se
replie» et fila. Je sus après que la compagnie était partie depuis
les 7 h du soir environ, et que le sergent qui devait me prévenir,
en arrivant dans la dernière rue du village, vit trois Allemands
casqués dans les jardins bordant la rue ; il eut peur, tourna
bride et m'abandonna (le pauvre, il a été tué à Gérardmer). Ce
fut l'argent de liaison qui, apprenant cela, alors que la compagnie
était déjà à 2 km du village, retourna en vélo pour me prévenir.
Il revit aussi des Allemands, mais passa devant eux froidement, ils
le laissèrent passer...» Pour le sergent Heidet, s'il avait résisté
«jusqu'au bout dans la casemate (…), j'aurais été le seul à
résister, j'aurais été cerné et ils m'auraient réduit, comme
d'autres, à coups de canon à bout portant, ou au lance-flammes...»
Avec ses hommes, le prêtre parvient à passer le canal sur des blocs
de maçonnerie, le pont étant sauté, et arrive à Wittelsheim.
17 juin 1940
Le colonel Bouchon qui,
venu de Sélestat, est arrivé en mairie de Lièpvre reçoit l'ordre
de regrouper son régiment à Xonrupt. Ce qui n'est pas simple, car
les bataillons ont retraité par des itinéraires différents et vont
être de nouveau engagés au combat isolément.
Le 2e bataillon du
Langrois Yves Braban n'a plus que onze officiers et 368 hommes. Ayant
traversé Lièpvre, il se porte sur Sainte-Marie-aux-Mines. La 5e
compagnie du lieutenant Pierre Jeanson (Chaumont) va en défendre la
lisière sud-est.
Arrivé à son tour à
Lièpvre, le 1er bataillon de Dallennes, épargné par les combats
des 15 et 16 juin (car le quartier qu'il défendait sur le Rhin se
trouvait au nord de la zone d'attaque), est envoyé par le colonel
Bouchon pour tenir la route entre Val-de-Villé et Lièpvre.
Quant au 3e bataillon, il
est toujours «éclaté» : la 9e compagnie (Folz) est à Kaysersberg
(comme nous le verrons plus loin), la 10e (lieutenant Gaston
Chanteclair, de Langres) retraite vers le col de la Schlucht par la
vallée de la Fecht. Seule la 11e compagnie (Pion) a retrouvé
Bouchon qui l'envoie à Sainte-Marie.
18 juin 1940
Dès le matin, les
Allemands attaquent les positions du régiment à Lièpvre. Le
commandant Dallennes envoie le lieutenant Babel et son peloton
motocycliste contre-attaquer. L'officier fait trois prisonniers.
Blessé dans la journée, il donne le commandement de son peloton au
sergent-chef Foissey. Plus tard, Dallennes, dont le chauffeur Orsay
vient d'être blessé, ordonne à ses hommes de dégager une
barricade que les Allemands ont édifiée derrière le Val-de-Villé.
Le lieutenant Jean Guyot (de Culmont), le sergent Boulinier, les
caporaux Royer et Ruch s'en chargent et chassent les Allemands.
Attaquée vers 20 h, la
3e compagnie (Thivrier) tient bon. Le sergent Heidet, de
Neuilly-sur-Suize, témoigne : «Ce fut ce soir-là, à la tombée de
la nuit, que Laurent fut blessé d'une balle à la cuisse par une
sentinelle française. Il n'avait ni vu ni entendu celle-ci
lorsqu'elle lui a crié de s'arrêter. D'après ce qu'ont dit des
témoins, la blessure ne paraissait pas grave. Cela se passa à 100
m. J'entendis bien le coup de feu et la chute, mais je n'ai su
qu'après que c'était Laurent... Il fut évacué à l'hôpital,
probablement à Sainte-Marie-aux-Mines. Je n'ai plus eu aucune
nouvelle depuis...» A minuit, le 1er bataillon commence à évacuer
Lièpvre pour Sainte-Marie-aux-Mines. Il a perdu, au combat, Emile
Knerr, de Bannes.
Pendant ce temps, le
capitaine Folz est d'abord engagé à Kientzheim, où les sections du
sergent-chef Faucher et de l'adjudant Poinsot, de Montlandon, ont été
placées en sonnettes. Elles se replient (sauf les groupes Riandet et
Favey) et rejoignent Kaysersberg, d'où Folz les envoie à
Hachimette, dans la montée du col du Bonhomme. A Kaysersberg, le
capitaine Folz conserve les sections des lieutenants Jean Sirault
(instituteur à Saint-Dizier) et du lieutenant André Demonsant
(Laferté-sur-Aube). La 9e compagnie et le 317e RI – qui déplore
cinq tués - y sont attaqués. A 14 h, le lieutenant-colonel Nicolas,
chef de corps du 317e RI, autorise Folz à se replier. La «9»
arrive en fin d'après-midi le col du Bonhomme puis, dans la nuit du
18 au 19, Nicolas envoie le capitaine avec trois sections pour
combler une brèche de dispositif entre le col des Bagatelles et le
col du Bonhomme.
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