mardi 27 septembre 2022

Les groupes FTP de la forêt de Trois-Fontaines, octobre - décembre 1943 (2)


 Camille Soudant, entre les mains de la police française. (Source 2101 W 18, AD 54).


Quelles ont été les activités des deux groupes ? En voici un résumé, sur la foi des procès-verbaux d'interrogatoires de leurs membres qui, rappelons-le, n'ont d'abord reconnu que les cambriolages.

    Courant octobre 1943, Camille Soudant, 21 ans, commis boulanger à Avize (Marne) et réfractaire au STO, prend le train à Reims et descend en gare de Pargny-sur-Saulx. Il y retrouve un homme nommé Paul ou Vincent, dont nous savons aujourd'hui qu'il s'agit de Marcel Mejecaze, responsable du Front national pour la Marne selon le résistant Pierre Servagnat, plutôt commissaire interrégional FTP pour la Marne et l'Aube selon l'intéressé, monte dans une voiture conduite par Armand Risse, garagiste à Sermaize-les-Bains, pour être déposé, "seul" dira-t-il, dans une baraque en forêt entre Villers-le-Sec et Charmont. Toutefois, Risse précise qu'il a d'abord amené Soudant au lieu-dit Brassar (en fait Brassa, entre Trois-Fontaines-l'Abbaye et Lisle-en-Rigault), avant effectivement de le transporter à Villers-le-Sec. Dans les jours qui suivent, le jeune réfractaire est rejoint par deux Marocains, Saïd (Chaieb ben Dahan, évadé en septembre 1943 de Romilly-sur-Seine) et Ali, puis par un Hollandais, Guillaume, enfin par un troisième Nord-Africain, Mohamed. Pas un mot sur la présence, avec lui, à Brassa, de Maurice Tournant, d'Epernay (qui sera ultérieurement déporté).

    Voilà pour le premier groupe dont Soudant a hérité du commandement.

    Le second est directement sous les ordres de Robert Baudry, 22 ans, de Saint-Martin-sur-le-Pré (Marne). Tous en sont d'accord : il est composé de Jean Gouttmann, 20 ans, de Montigny-les-Monts (Aube), de Georges Laîné, 20 ans également, de Broyes (Marne), et de Baudry. Sauf que pour le premier, ordinairement très précis sur la chronologie, ils sont arrivés dès le 14 octobre 1943 en gare de Sermaize, accompagnés de Vincent et d'un nommé Pierre, chef militaire de 25 ans (vraisemblablement Roland Moret, 26 ans, capitaine FTP et adjoint de Mejecaze selon les historiens Jocelyne et Jean-Pierre Husson). Pour Baudry et Laîné, c'est plutôt le 11 novembre 1943 qu'ils ont rejoint la région de Sermaize.

    Risse, à nouveau, est sollicité pour les conduire à Givry-en-Argonne, d'où ils s'installent en forêt en direction de Charmontois-le-Roi, dans une cabane en planches au bord d'un étang (celui de Belval, sans doute). Selon Jean Gouttmann, ce groupe appelé à être renforcé - il devait comprendre huit hommes, reconnaîtra Baudry - dispose de deux mitraillettes d'origine anglaise et de huit chargeurs. 

    Quelles furent les actions de tous ces hommes ? Jusqu'au 14 novembre 1943, nous n'en savons rien d'après l'enquête. Toutefois, dès le 8 novembre 1943, la police de sûreté de Nancy évoquait "l'existence éventuelle d'un groupe de réfractaires dans les bois de Nettancourt-Charmont". Le 14 novembre, Soudant, Guillaume et Ali réalisent une première "réquisition" armée de tabac, à Saint-Mard-sur-le-Mont (Marne). Une dizaine de jours plus tard, Baudry et Gouttmann font de même à Charmontois-l'Abbé. Georges Laîné n'était pas avec eux, "Robert (l'a) envoyé en mission à Sézannes (sic)" dira Goutmann. A la même période (Gouttmann donne, sans certitude, la date du 26 novembre), le responsable Pierre (présumé Roland Moret) revient dans le secteur et remet à Baudry des explosifs.

    Le 1er décembre 1943, nouveau cambriolage dans un tabac, à Foucaucourt (Meuse). Baudry, Laîné et Goutmann reconnaîtront les faits. Mais cette fois, la brigade de Nancy, informée, vient dès le lendemain enquêter sur place. 

    Le 2 décembre au matin, afin de "nous éloigner du lieu de notre cambriolage" (Georges Laîné), le groupe Baudry va rejoindre les hommes de Camille Soudant à Villers-le-Sec. Puis, sur ordre de Vincent, venu en gare de Sermaize remettre des tracts, Baudry, Soudant, Laîné, Gouttmann et Ali partent pour Saint-Dizier, au lieu-dit La Haie Renaut, pour faire sauter des pylônes électriques de la ligne à haute tension Revigny-sur-Ornain - Saint-Dizier. Ce sont les deux chefs de groupes, arrivés sur les lieux vers 19 h, qui disposent les explosifs. De retour dans leur refuge, ils entendent l'explosion : le coup a réussi, trois pylônes ont été détruits. 

    Deux jours plus tard, alors que Baudry était absent, et que Soudant était parti construire une autre cabane avec plusieurs camarades, les Allemands à la recherche de "terroristes" organisent une battue près de Villers-le-Sec. Un accrochage a lieu, et trois FTP auraient été tués : Guillaume, Ali et Mohamed (1). Leurs camarades parviennent à échapper à la capture ou à la mort. Laîné et Chaieb ben Dahan se réfugient par exemple chez Armand Risse à Sermaize. Ce dernier en informe le 5 décembre le garde forestier Albert Leclercq, du lieu-dit La Colotte en forêt de Trois-Fontaines, qui les accepte le lendemain. Tandis que Saïd reste à La Colotte, Laîné, Baudry et Soudant viennent trouver asile, vraisemblablement le 7 décembre, chez H. D..., jeune bûcheron qui loge dans une cabane. Ils y restent jusqu'au 10 décembre.

    Entre-temps, est survenue, le 8 décembre 1943, l'affaire du "cambriolage" du tabac de Nettancourt, qui amènera les policiers de Nancy à se rendre sur les lieux.

    Le 9 ou 10 décembre, Gouttmann se réfugie à son tour chez Leclercq. Le 11, Baudry, Soudant et Laîné se rendent chez Armand Risse. Là, en présence du garde forestier, le garagiste organise une rencontre avec un exploitant forestier, Gobillot, pour qu'il embauche ces clandestins recherchés par les soldats allemands. Le départ est prévu le lendemain. Ce même 11 décembre, les hommes du commissaire Gustave Lienemann découvrent, chez H. D...., des tracts "communistes". Le jeune homme "nous fournissait de bonne grâce les renseignements précis qui ont permis l'arrestation de ces individus", consignera dans son rapport le policier. D... avait en effet entendu ces hommes parler d'un garagiste, à Sermaize. Ce sont ces déclarations qui ont mis la brigade de Nancy sur la piste de Risse...

    Baudry, Soudant et Laîné ne se doutent de rien. Ils passent la nuit du 11 au 12 à Sermaize. Le 12 au matin, ils se préparent à partir pour le chantier de Gobillot lorsque la police surgit. Les trois hommes sont pris, sans opposer de résistance, ainsi que le garagiste. Puis l'équipe du commissaire Lienemann se rend à La Colotte où elle arrête Leclercq, Gouttmann et Chaieb ben Dahan. 

    La suite, on la connaîtra par le témoignage d'Armand Risse recueilli par Miguel Del Rey : les interrogatoires à Nancy, le transfert aux autorités allemandes, l'emprisonnement à Châlons, et l'exécution de quatre de ces hommes à La Folie. Au moins cinq de leurs camarades d'infortune seront déportés : Albert Leclercq et Eugène Destenay, qui mourront, Risse, Chaieb ben Dahan et H. D..., qui reviendront. 

    Avant son arrivée dans la région de Sermaize, Soudant a-t-il réalisé des sabotages dans les alentours d'Epernay, comme il sera déclaré lors de ses obsèques ? Avait-il envisagé de s'attaquer à la station allemande de Possesse au moment de son arrestation ? Le dossier d'enquête de la police française n'en souffle mot.

    Un mot sur l'acteur principal de leur arrestation, le commissaire Gustave Lienemann. Après la Libération, en août 1945, celui qui était devenu greffier à Marseille viendra, spontanément, apporter des précisions sur l'affaire. Il assurera que lui-même en contact avec la Résistance, il avait demandé, à l'automne 1943, à ses enquêteurs de ne pas faire de zèle lors de leurs investigations à Nettancourt. Se disant par ailleurs convaincu de ne pas avoir affaire à des résistants mais à des "malfaiteurs", Lienemann ajoutera qu'après la découverte de tracts chez H. D... et les confidences de la "concubine" de celui-ci, il n'a pu faire autrement que de poursuivre son enquête jusqu'à l'arrestation des FTP. Toutefois, Armand Risse gardera un autre souvenir du policier. Loin d'être un fonctionnaire presque bienveillant, l'homme se serait montré brutal et menaçant lors des interpellations. Par ailleurs, un de ses inspecteurs aurait giflé un des jeunes réfractaires. Ajoutons que Lienemann avait été impliqué, quelques mois plus tôt, en forêt de Haye, près de Nancy, dans la mort du responsable FTP Marcel Simon. Les résistants communistes avaient bien des raisons de le détester...

(1) L'opération a été réalisée par le Kommando des Sipo und SD de Châlons-sur-Marne et cinq militaires de la Feldgendarmerie-Truppe 602 de Vitry-le-François. Le rapport allemand parle de trois "terroristes" capturés dont un abattu en cherchant à fuir. Il s'agit vraisemblablement de Mohamed ben M'Hamed, Marocain mort des suites de ses blessures le 10 décembre 1943 à l'hôpital de Saint-Memmie. Aucune confirmation du décès d'Ali et de Guillaume - qui, selon la police française, serait un Hollandais évadé du frontstalag 122 de Compiègne - n'a pu être trouvée.

    

    

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