jeudi 22 septembre 2022

Les groupes FTP de la forêt de Trois-Fontaines (octobre - décembre 1943) (1)

    



 Lorsque nous nous sommes intéressé à la fin des années 90 à l'histoire des maquis FTP de la forêt de Trois-Fontaines, et particulièrement au "groupe Camille Soudant", les sources alors disponibles étaient peu nombreuses : les témoignages d'Armand Risse et d'Odette Leclercq, recueillis par Miguel Del Rey ("La Résistance dans la région de Pargny-sur-Saulx"), des informations et documents communiqués par la famille de Camille Soudant. Ils sont à la base d'une relation publiée sur ce blog

    Deux décennies plus tard, les archives se sont ouvertes. C'est ainsi que nous avons pu consulter, aux Archives départementales de la Meurthe-et-Moselle, un important dossier d'enquête consacrée par la 15e brigade régionale de police de sûreté de Nancy aux crimes et délits commis dans la région de Nettancourt (Meuse), dossier coté 2101 W art. 18.

     La consultation de ces pièces ne modifie pas fondamentalement la présentation des faits que nous avions proposée alors. Pour autant, elle permet d'apporter des précisions, des corrections, voire des révélations sur l'histoire des premiers groupes FTP de cette région.

Deux groupes

    Première découverte : ce n'est pas un, mais deux groupes qui existaient alors dans les forêts des confins de la Meuse et de la Marne, ce que le garagiste Armand Risse laissait supposer dans un témoignage rédigé après-guerre. L'un entre Villers-le-Sec et Charmont, l'autre près de Givry-en-Argonne. Ce que nous avons également appris à Nancy, c'est la composition exacte de chacun des groupes, placés non pas sous la direction de Camille Soudant (il n'en commandait qu'un des deux), mais de Robert Baudry. 

    Deuxième information : leur présence dans la région est bien plus précoce que nous ne le pensions. Non pas à partir de fin novembre 1943, après un coup de filet dans la région d'Epernay, mais courant octobre 1943 en ce qui concerne le groupe Soudant, peut-être le 11 novembre pour le groupe Baudry.

    Autre précision importante, qui confirme le témoignage d'Armand Risse : il y a bien eu, le 4 décembre 1943, une opération allemande entre Villers-le-Sec et Charmont (Marne) qui a coûté la vie à trois maquisards, le Hollandais Guillaume, les Marocains Ali et Mohamed.  

    Ce qui apparaît ensuite à la lecture du dossier, c'est que l'enquête de la police française, diligentée après plusieurs cambriolages de bureaux de tabac, a connu un coup d'accélérateur après l'affaire de Nettancourt, "aggravée par une tentative de meurtre" sur la buraliste qui aurait eu lieu le 8 décembre 1943. A cette tentative de meurtre, le capitaine Prévost, de la gendarmerie de Bar-le-Duc, le commissaire de police Gustave Lienemann, de la brigade de Nancy, n'ont pas cru, soupçonnant plutôt une volonté de masquer un déficit de l'établissement. Mais le cours de l'enquête aura amené à l'interrogatoire, le 11 décembre 1943, de H. D., jeune bûcheron qui ne semble faire aucune difficulté à indiquer que les résistants qu'il a hébergés sont partis chez un garagiste de Sermaize : Risse, forcément. C'est là que la plupart tomberont entre les mains de la police, le lendemain.

Des faits en partie reconnus

    Que nous apprend également ce dossier ? Que les procès-verbaux d'interrogatoires montrent qu'à l'exception d'un seul (nous y reviendrons), tous les prévenus en ont dit le moins possible sur leurs activités, tout en reconnaissant les faits qui leur sont reprochés. Ils ont pris soin par exemple de ne citer que les hommes qui ont été arrêtés ou qui ont été tués. Ainsi, Camille Soudant déclara qu'il a rejoint seul une baraque en forêt, alors que dans son témoignage ultérieur, Armand Risse écrira y avoir conduit également un nommé Maurice Tournant, qui n'apparaîtra à aucun moment dans la procédure. De même, tout, dans ces PV, semble indiquer que les activités clandestines de ces hommes n'ont commencé qu'à leur arrivée dans la région. Pas un mot sur des actions passées, du moins au moment de leurs premières déclarations. Pas un mot, initialement, sur des sabotages : ces hommes n'ont reconnu que les cambriolages de bureaux de tabac, exécutés sur ordre supérieur. Des faits qui, dans leur esprit, ne sauraient justifier une peine de mort. Enfin, tous ont affirmé ignorer qu'ils appartenaient à des groupes proches du Parti communiste. S'ils sont venus en forêt, c'est pour échapper au STO.

    Toutefois, il est un des maquisards qui s'est montré particulièrement prolixe devant les enquêteurs : c'est Jean Gouttmann. Son PV représente dix pages, là où celui de Soudant n'en fait que la moitié. Dans ces déclarations, le jeune homme cite des noms de FTP aubois qu'il a connus (et qui seront immédiatement arrêtés), donne une chronologie précise des activités de son groupe. Surtout, il dira que "Robert s'est vanté en ma présence d'avoir participé aux sabotages d'une locomotive d'un train de houille ainsi qu'au sabotage d'une écluse" dans la Marne, et que lui-même a participé à une destruction de pylônes à Saint-Dizier. C'est peut-être ces révélations qui, les 13 et 14 décembre, amènent les enquêteurs à obtenir des aveux lors d'interrogatoires poussés. Baudry "ajoutera" ainsi qu'il n'a pas dit "toute la vérité" et qu'en effet, avec Soudant (leurs deux versions sont d'ailleurs identiques), il est l'un des deux acteurs principaux du sabotage de Saint-Dizier. De même, il reconnaîtra ensuite les faits commis dans la région d'Epernay.

    Qu'il ait joué la carte de la franchise avec les policiers français n'empêchera pas Jean Gouttmann d'être fusillé le 19 février 1944 à Châlons-sur-Marne avec Robert Baudry, Camille Soudant et Georges Laîné. Car après leurs interrogatoires par les hommes de la brigade de Nancy - beaucoup plus rudes, selon le témoignage ultérieur d'Armand Risse, que ne le laissent penser les PV - ces hommes, emprisonnés dans la cité lorraine, sont passés aux mains des Allemands, ont été transférés à Châlons où, condamnés à mort, ils ont été exécutés à La Folie. (A suivre). 

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