Jusqu'il
y a peu, nous ignorions jusqu'à l'existence d'Emile Roger, pourtant
l'un des pionniers de l'automobile sur la planète. Car si le monde
entier connaît aujourd'hui la marque Mercedes-Benz, qui sait
qu'existèrent, à la fin du XIXe siècle, des voitures Benz-Roger (ou
Roger-Benz) ? Et que leur constructeur était Haut-Marnais !
Ce que
confirme l'état civil de la commune de Châteauvillain : il est né
dans le bourg le 17 décembre 1850, fils d'Edme-Marcel Roger, cultivateur
originaire de Latrecey, et d'Alexandrine Aubriot.
Emile
Roger ne travaillera pas la terre mais se dirigera vers une carrière
dans l'industrie. Il est dessinateur à Paris lorsqu'il est appelé
le 22 septembre 1870 au 14e bataillon de chasseurs à pied. Aussitôt,
il prend part à la guerre contre l'Allemagne. Sergent-major le 1er
janvier 1871, il est libéré de ses obligations militaires le 26
octobre de la même année.
Ce
que fut sa vie professionnelle, ce sont deux notices nécrologiques publiées par la revue «Le
chauffeur», l'une des premières publications dédiées à
l'automobile, et par "La Science française" qui nous l'apprennent.
Lycéen à Chaumont, entré à l'Ecole des arts et métiers de Châlons-sur-Marne (1866), Emile Roger travaille
d'abord, comme dessinateur, dans les ateliers des sociétés Cail, de Fives-Lille (compagnie
spécialisée dans les ouvrages et matériels ferroviaires) et Letestu (fabricant de pompes). Directeur de la Société de location de locomobiles (1879), il s'établit à son compte en 1883, fabriquant des moteurs à gaz, au pétrole. C'est à ce
Castelvillanois que l'on doit l'introduction, en France, du fameux
moteur Benz, l'invention de l'Allemand Karl Benz.
«Dès
1885, écrit «Le Chauffeur», à une exposition organisée par M.
Nicolle au palais de l'industrie, Emile Roger aurait envoyé une
Voiture à trois roues avec un volant horizontal, lequel, d'après
les idées de M. Benz, inventeur du système, devait assurer la
stabilité du véhicule.» Pour "La Science française", le Haut-Marnais devient agent général, pour la France, de la maison Benz en 1888, et c'est plutôt à l'Exposition universelle de 1889 de Paris (celle de la Tour Eiffel) qu'il présente "une voiture à trois roues activée par un moteur Benz".
Etabli
au 52, rue des Dames, à Paris, l'ingénieur-constructeur Roger est
indéniablement un pionnier de la construction automobile, non
seulement en France mais dans le monde. Ses publicités dans la
presse vantent des «voitures sans chevaux mues par moteurs spéciaux
au pétrole», pouvant rouler à 20 km/h «sur bonnes routes plates
bien entretenues». Ses voitures, précisera-t-il, sont équipées de
«quatre roues garnies de cercles en caoutchouc», et «la direction,
spécialement brevetée, permet de conduire ces voitures plus
facilement même que les voitures attelées».
Première course du monde
1894
est une date majeure de l'histoire mondiale de l'automobile. Cette
année-là, Le Petit Journal décide de créer, sous le nom de
Concours, une course automobile entre Paris et Rouen. L'initiative
intéresse 102 concurrents. Fait extraordinaire : trois sont
Haut-Marnais. Il y a Georges Tirant, de Baissey, dont le véhicule
marche à la vapeur, Emile-Martial Lebrun, de
Bettaincourt-sur-Rognon, dont la voiture quatre places est dotée
d'un moteur automatique, et Emile Roger. Ce dernier, nous dit le journal, est
«à la barre» de la Roger-Benz numéro 12 (avec moteur à pétrole).
Parmi les autres concurrents, figurent de futurs grands noms de l'automobile :
Panhard et Levassor, Les Fils de Peugeot frères, De Dion...
Finalement,
à l'issue d'éliminatoires, seuls 21 des 102 équipages inscrits
participeront au Concours. Dont un seul Haut-Marnais : Emile Roger.
Ils partiront le 22 juillet 1894 du rond-point Inkermann. De Dion
arrivera le premier à destination en 5 h 40, Roger terminera
quatorzième sur quinze en 8 h 9 minutes. Mais il aura eu le bonheur
d'être allé au terme de la première course automobile du monde...
Et de recevoir un prix que nous qualifierons d'encouragement. Au
grand dam de la revue "L'Industrie vélocipédique" : «De l'avis de
tous les gens compétents et de toute la presse en général», le
système Roger «méritait mieux qu'un cinquième prix... La gravure
incluse est la représentation de la machine qui a pris part au
concours. Elle est d'un modèle à la fois élégant et solide, elle
est à quatre places et a la force de quatre chevaux. Sa direction
est d'une facilité telle, qu'elle peut être conduite par un enfant,
son système d'embrayage et du frein la mettent à même d'être
arrêtée instantanément.» Précision notable de la revue : la
voiture Roger n'a connu aucune avarie entre Paris et Rouen, à la différence d'autres
concurrents. A noter que l'auteur de ces lignes, Henry de Graffigny,
est lui-même... Haut-Marnais de naissance, mais sans doute
ignorait-il qu'Emile Roger, «habile ingénieur de Paris», était un
compatriote...
L'année
suivante, deux «voitures gazoline quatre places» sont engagées par
Emile Roger dans une autre célèbre course célèbre, Paris-Bordeaux
(aller-retour). La numéro 12 se distinguera à nouveau. «L'écho
des mines et de la métallurgie» rendra ainsi un bel hommage aux
«Voitures Roger», «élégantes et légères... Les courses des
plus honorables qu'ont produite les voitures Roger montrent combien
ce constructeur cherche toujours à se perfectionner et nous lui
adressons ici nos plus sincères félicitations pour le résultat
qu'il a obtenu...»
Créateur,
le 1er juin 1896, de la Compagnie anglo-française des voitures automobiles, dont il est administrateur-directeur, Emile Roger décède prématurément, en 1897, après avoir été
victime d'une anémie cérébrale ayant entraîné une paralysie
générale. Autre révélation : c'est à Châteauvillain, «dans la
maison de son père sise rue sur l'Eau, où il se trouvait
momentanément», qu'Emile Roger, qualifié d'ingénieur civil, marié à deux reprises (avec Marie-Hélène Breand puis Alice Baillot), rend
son dernier souffle, le 25 novembre 1897, à l'âge de 47 ans. «C'est
avec Levassor le second des ouvriers de la première heure automobile
qui, si près du début, manque déjà à l'appel», écrit «Le
Chauffeur» dans son édition du 10 décembre 1897. "La mort est venue le surprendre en pleine prospérité ; deux mois de maladie ont suffi pour le terrasser", lit-on dans "La Science française", où l'on précise que celui qui lui succède à la tête de la société, c'est un camarade de l'école de Châlons, M. Hitier.
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