jeudi 16 octobre 2025

Chancenay : "Jimmy", cet Américain honoré comme tué au combat en 1944... et décédé en 1979

Le monument du maquis Mauguet, à Chancenay. (Photo L. Fontaine).


Parmi les noms gravés dans le marbre du monument aux morts du maquis Mauguet à Chancenay, figure celui de "Jimmy", originaire des Etats-Unis. Selon les souvenirs de René Triffaut, chef du maquis, il s'agissait d'un des deux prisonniers américains évadés qui ont rejoint son unité. Il avait été blessé au genou lors du combat de Chancenay. Pourquoi ses camarades français l'ont-ils cru mort de ses blessures ? Cette version, Jean-Marie Chirol, créateur du club Mémoires 52 et historien du maquis Mauguet, ne l'avait jamais admise. Mais encore fallait-il fallait retrouver la trace de ce "Jimmy", savoir qui il était, ce qu'il est devenu. Une quête que l'historien disparu en 2002 n'a pu mener à bien.

C'est la découverte, dans les Archives nationales américaines (Nara), par Didier Desnouvaux, du rapport d'évasion d'un soldat américain nommé Henry Huitink qui nous a permis, en 2022, d'exploiter une piste très sérieuse. Originaire de l'Iowa, âgé de 27 ans, le caporal Huitink servait dans la 3rd Armored Division. Il avait été fait prisonnier en juillet 1944 dans la région de Saint-Lô, en Normandie, comme des milliers de soldats américains. Dirigé sur Châlons-en-Champagne, à l'arrière du front, ce soldat est ensuite acheminé par le train jusqu'à un Stalag en Allemagne. Mais il réussit à s'évader pendant le trajet, en compagnie d'un compatriote, James Findlay, le 13 août 1944. Comment parviennent-ils aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne ? Nous l'ignorons précisément. Mais les deux évadés transitent par une ferme située entre Montiers-sur-Saulx et Chevillon, là où des aviateurs anglais ont également été recueillis. Dans cette vallée de la Marne, les deux Américains ont pour contact Jean Moitrot, de Rachecourt-sur-Marne, et comme ce jeune Français appartient au maquis Mauguet, c'est naturellement qu'ils se joignent à lui pour essayer de retrouver leurs lignes. L'occasion leur est donnée le 30 août 1944, lorsque les Américains attaquent Saint-Dizier et Chancenay. Henry Huitink ne cite pas le lieu exact de la blessure, mais indique que son ami Findlay est touché au genou lors de leur tentative.  


Henry Huitink (1917-1999). Avec l'aimable autorisation de sa fille Barbara.

Un Américain prénommé James ("Jimmy" en est le dérivé), en relation avec le maquis Mauguet, blessé le 30 août 1944 au genou : il est donc établi que "Jimmy" correspond sans le moindre doute à James Findlay. Que savons-nous sur cet homme ? Ici encore, les Archives nationales américaines nous sont d'un grand secours pour connaître davantage la vie de celui dont on honore la mémoire depuis 1945 !

Pris huit jours après son arrivée en France

James C. Findlay est né à Cochran, dans le comté de Bleckley (Géorgie), le 26 octobre 1909. La première partie de sa vie active est militaire. Ayant hérité dans l'armée du numéro 6372642, il est affecté à Panama où il sert dans les années 30, d'abord comme soldat d'infanterie, puis comme sergent. Puis il revient à la vie civile. Alors qualifié de célibataire, exerçant la profession de charpentier, Findlay s'engage de nouveau dans l'armée, pour trois ans, le 15 octobre 1941, à Fort Jackson (Caroline du Sud). Il est affecté au 28th Infantry Regiment de la 8th Infantry Division. Promu Technical Sergeant (sergent de première classe) à compter du 21 septembre 1942, Findlay rejoint l'Angleterre puis débarque le 4 juillet 1944 sur la plage d'Utah Beach, en Normandie. Il sert alors dans la Company L du 3rd Battallion. L'unité est rapidement engagée dans les combats de Normandie, pendant la "bataille des haies". Le 12 juillet 1944, dans le secteur de Vesly (Manche), le bataillon est pris sous un violent feu de 88. "Dans la zone de la compagnie L, le lieutenant Becker a été touché et tué par un prisonnier, et les lieutenants Enswiller et Shull furent sérieusement blessés par le feu, écrit Harold E. MacGregor, auteur en 1946 d'une histoire du régiment. La compagnie fut désorganisée." Il faut l'intervention du lieutenant Kaufman, de la Company M, pour que la "A" reparte de l'avant. Mais les pertes ont été lourdes. Le 16 juillet 1944, le rapport quotidien annonce que Findlay est porté disparu depuis quatre jours. En réalité, il est prisonnier...

Le 6 octobre 1944, alors que le 28th Inf Regt opère au Luxembourg, sa compagnie* apprend que le T/S Findlay n'est plus disparu mais qu'il a été "légèrement blessé" un mois et demi plus tard et hospitalisé le 31 août 1944. Souffrant de la rotule et de la patella, le sous-officier passe par plusieurs établissements : le 104th General Hospital (à compter du 11 septembre 1944) et le 22nd (US) General Hospital (7 novembre 1944) en Angleterre, puis au Moore General Hospital (28 novembre 1944) aux Etats-Unis.

Titulaire de la Silver Star, de la Bronze Star, de la Purple Heart, James Christopher Findlay, qui était marié, décède le 23 juillet 1979 des suites d'un cancer. Il repose dans un cimetière de Caroline du Sud. Barbara, la fille de son camarade Henry Huitink se souvient être allée lui rendre visite, sur son lit d'hôpital, et avant de mourir, Findlay avait remis à son compagnon d'évasion le drapeau qu'il portait avec lui. Il n'a peut-être jamais su que chaque année, un village de France honorait sa mémoire... devant un monument aux morts.

Sources : Archives nationales américaines, rapport d'évasion de Henry Huitink, rapports du matin de l'armée américaine - Harold MacGREGOR, History of the 28th Infantry Regiment, 1946 - remerciements à Barbara Huitink, Didier Desnouvaux, Cyrille (du site Gnealomaniac).

* A la fin de la guerre en Europe, la Company L aura perdu 76 tués, dix disparus, 246 blessés.



mardi 14 octobre 2025

Qui sont les auteurs du massacre de Prauthoy ?



Le monument dédié aux victimes du massacre de Prauthoy. (Photo L. Fontaine).

A l'exception de cas isolés et qui n'ont pu être confirmés (Dancevoir, le 22 août 1944 : un retraité exécuté ; Marnaval, le 30 août 1944 : une adolescente tuée à sa fenêtre), les Waffen-SS n'ont pas été impliqués dans les crimes de guerre commis durant l'été 1944 contre la population civile de Haute-Marne. La majorité des massacres ont été perpétrés par les cosaques de la Freiwilligen-Stamm-Division et par des militaires de la Luftwaffe. Des soldats détachés auprès de l'armée de l'air sont d'ailleurs vraisemblablement responsables du massacre de Prauthoy, le 9 août 1944.

L'un des évènements les plus tragiques de l'Histoire de l'Occupation en Haute-Marne a d'abord été relaté en 1945 par le chanoine Louis-Emmanuel Marcel. Son récit a notamment été publié dans le tome 1 de La Résistance en Haute-Marne (1982). L'ecclésiastique précise que ce crime - seize victimes - a été commis après le passage, "vers 9 h du soir", d' "un train de parachutistes allemands, à l'effectif d'une compagnie - 150 hommes environ de SS (Stosstruppen, troupes de choc)". Précision importante : le chanoine note que le convoi victime d'un sabotage* à hauteur de la ferme de Suxy, sur la ligne entre Dijon et Chalindrey, correspond au "train (46) 224, indice matricule 132 429 jusqu'à Chalindrey et (15) 243 de Chalindrey à Neufchâteau, venu de Grenoble par Lyon, Mâcon, Dijon, et chargé d'un matériel d'autobus, notamment d'un car bleu, intact, du Dauphiné". Ce sont là les seuls éléments connus depuis 81 ans pour essayer d'identifier l'unité en cause dans cette tragédie, unité n'ayant jamais été identifiée.

Hélas, le dossier consacré au massacre de Prauthoy dans les archives du Service de recherche des crimes de guerre (SRCGE), délégation régionale de Reims, n'apporte pas plus de précisions. Outre le témoignage poignant de Mathilde Fourot, veuve du fermier de Suxy, y figure cependant le procès-verbal d'audition de Claudette Cornu, recueilli le 30 janvier 1945 par des gendarmes de Saône-et-Loire, qui est de nature à renseigner davantage l'itinéraire du convoi.

En effet, parmi les victimes, figurent trois hommes originaires de Saône-et-Loire (Montbellet et Uchizy), arrêtés quelques jours plus tôt et qui se trouvaient dans le train. Claudette Bontemps - veuve de l'un d'entre eux, René Cornu -, 24 ans, domiciliée au hameau de Merçey, commune de Montbellet, raconte : "Dans la soirée du 7 août 1944, mon mari en qualité de pompier s'est rendu avec d'autres camarades de la commune au hameau de Marfontaine, protéger les habitations voisines de la ferme de M. Monin, que les Allemands venaient d'incendier. [...] J'ai trouvé un cycliste, le jeune Grappin Lucien, [demeurant] à St-Oyen, qui venait me prévenir que les occupants venaient d'emmener mon mari, ainsi que deux autres habitants de la commune. [...] Ils ont fait monter ces hommes dans un train arrêté en face du hameau de Marfontaine, et le convoi est parti en direction de Chalon-sur-Saône. Le lendemain [8 août] je me suis rendue dans cette ville [...] Là, j'ai appris que le convoi ne s'était arrêté que quelques instants à Chalon et avait continué sur Dijon. Deux jours plus tard, je suis allée à Dijon. [...] Des employés de la SNCF m'ont déclaré que ledit train était déjà au-delà d'Is-sur-Tille."

Retour à Nancy

Des soldats - "parachutistes" - qui ont donc combattu dans le Dauphiné, ont pris le train à Lyon et, par la Bourgogne (Chalon, Mâcon, Dijon, etc.), se dirigeaient sur Neufchâteau... Ces informations apportées par Louis-E. Marcel et Claudette Cornu sont toutefois précieuses, car elles correspondent à l'itinéraire emprunté par la seule unité parachutiste à avoir opéré dans le Vercors : une formation détachée auprès du Kampfgeschwader 200 (KG 200). 

Le KG 200 est une unité de la Luftwaffe dont les hommes ont été aérotransportés le 14 juillet 1944 d'Essey-lès-Nancy à Lyon-Bron avant d'être déposés en planeurs le 21 juillet 1944 sur le plateau de Vassieux-en-Vercors... dans le Dauphiné. Dans le Vercors, ces hommes - des Allemands commandés par l'oberleutnant Friedrich Schäfer - ont participé à des massacres de civils, au prix d'une trentaine de tués durant les combats** - les historiens évoquent un effectif initial de 200 hommes au sein du "kampfgruppe Schäfer", chiffre à rapprocher des 150 passagers du train passé par Suxy.

Leur mission dans le Vercors a pris fin le 30 juillet 1944. L'auteur allemand Jon Volker Schlunk, qui s'est intéressé à leur histoire, précise (pages 436-437) que ces parachutistes ont ensuite regagné Lyon puis que "le haut commandement de la flotte aérienne 3 avait prévu de faire intervenir les paras après un bref détour par Nancy dans la région d'Avranches". L'auteur ajoute qu'à la date du 18 août 1944, cette troupe se trouvait près de Meaux, puis qu'elle s'est repliée en direction de l'Allemagne par Reims, la Belgique et le Luxembourg. Pas un mot, dans cet ouvrage fourmillant de détails, sur les conditions du retour entre Lyon et Nancy, encore moins sur d'éventuelles exactions commises lors de ce trajet. 

En revanche, les auteurs britanniques Geoffrey J. Thomas et Barry Ketley, auteurs d'une étude sur le KG 200, écrivent que c'est bien en train que les hommes de l'oberleutnant Schäfer sont remontés en direction de la Lorraine, et que les destructions opérées sur les lignes ferroviaires ont rendu ce trajet particulièrement long.

En effet, le train transportant les auteurs du massacre de Prauthoy a par exemple mis trois jours pour relier Mâcon à Langres. Claudette Cornu l'a indiqué dans son témoignage : le 7 août 1944, il est à Montbellet - après Mâcon, à 100 km au nord de Lyon -, le 8 à Chalon-sur-Saône puis Dijon, le 9 dans le sud de la Haute-Marne. On ignore précisément la suite de son trajet mais après un retour à Nancy via Neufchâteau, il est ensuite tout à fait possible d'être présent au 18 août 1944 en Seine-et-Marne.

Même nature des militaires, même retour du Dauphiné, même itinéraire emprunté : l'hypothèse de l'implication du groupe Schäfer dans le massacre de Prauthoy apparaît donc comme plausible, au vu des témoignages recueillis et des travaux historiques, même si aucune preuve tangible n'est venue jusque-là la confirmer. Le dossier du SRCGE ne fait en tout cas pas état de l'avancée de l'enquête. Précisons que Friedrich Schäfer, décédé en 1992, n'a jamais été condamné pour les crimes commis à Vassieux.

* Sur les auteurs du sabotage, lire l'ouvrage de Gilles HENNEQUIN, Résistance en Côte-d'Or, tome 3, 1995.

** Le chiffre des pertes a été donné par Jon Volker Schlunk.

SOURCES : Jon VOLKER SCHLUNK, Parachutistes allemands dans le Vercors : juillet 1944, Privat, 2016 - Geoffrey J. THOMAS et Barry KETLEY, Luftwaffe KG 200, Stackpole Books, 2015 - Archives départementales de la Marne, série 163 W, archives du SRCGE - informations communiquées par Maurice Bleicher. 

mercredi 1 octobre 2025

Alfred Migeot (1920-1945), un Langrois mort en déportation



Alfred, Jean Migeot naît le 28* septembre 1920 à Paris 18e, au 61, rue des Cloys. Il est le fils de Charles Migeot, employé de chemin de fer, et de Marie, Rose Porte, ménagère. Ses deux parents sont natifs de Larivière-sur-Apance (Haute-Marne). Au moment de la naissance de ce fils cadet (l'aîné, René, a vu le jour en 1918), la famille réside au 9, rue Caillié (appartement 8), quartier de la Chapelle. Puis elle retourne en Haute-Marne, à Langres, où naît un troisième enfant, Geneviève (1933-2024). Les Migeot résident au faubourg des Auges. 

Employé par la SNCF comme auxiliaire, affecté à la gare de Langres, Alfred Migeot est membre des Jeunesses communistes, comme son frère René. Selon leur maman, il aide son père, également cheminot à Langres, à réparer les voies coupées en juin 1940 au moment de l'invasion. Tous cheminots, Charles, René et Alfred Migeot sont au nombre des cinq communistes langrois qui figurent sur une liste de personnes à surveiller, établie en octobre 1940 par la préfecture de la Haute-Marne. Peintre de profession, Alfred Migeot réside encore à Langres à la date du 16 mai 1941. Ce jour-là, son frère aîné, qui travaille à Chalindrey, vient le rencontrer dans la cité avant une distribution de tracts. L'évènement fait l'objet d'une enquête de police.

Le 22 juin 1941, la Feldgendarmerie arrête Charles Migeot, retiré depuis quelques mois dans son village natal de Larivière-sur-Apance. Contrairement à ce qu'indique un document préfectoral, Alfred Migeot n'est pas pris dans ce coup de filet visant les militants et sympathisants du PCF. Tout comme son frère René, il parvient à fuir. De source familiale, Alfred Migeot gagne la Zone libre où il s'engage début 1942 au 405e régiment d'artillerie de défense contre avions (RADCA) à Istres. Rendu à la vie civile en novembre 1942, requis du STO, il rejoint la clandestinité, après s'être peut-être caché à Larivière.

Selon ses déclarations, Alfred Migeot, qui se dit palefrenier à Bayannes (Drôme), gagne un camp de réfractaires basé à Theys, dans l'Isère, en octobre 1943. Il quitte ce camp assez rapidement et, avec trois camarades - Julien Sagot, enseignant normand, André Dessaigne et Henri Pollez -, il se fixe dans une maison abandonnée près de Saint-Appelinard (Isère). 

En décembre 1943, un homme est exécuté près de Saint-Marcellin. Il était soupçonné d'avoir dénoncé le maire d'une commune. Cet homicide, ainsi que des vols de bicyclettes, sont imputés aux quatre clandestins qui sont arrêtés le 4 février 1944, dans leur repaire, par les gendarmes de Saint-Marcellin. Coïncidence : le chef de la brigade de gendarmerie qui procède à leur interrogatoire, le lieutenant Charles Morel, est lui aussi originaire de la Haute-Marne (Bologne) - il sera un grand combattant du Vercors.

Migeot, Sagot, Dessaigne et Pollez sont transférés à la maison d'arrêt de Grenoble, puis à la prison Saint-Paul de Lyon. Ils sont tous quatre déportés le 29 juin 1944 de Lyon à destination du camp de Dachau, où le Langrois a le numéro matricule 75 908. Passé le 21 juillet 1944 à Flossenburg, Alfred Migeot est déclaré décédé le 1er février 1945 au Kommando de Leitmoritz (Tchecoslovaquie). Selon sa fiche de déporté Arolsen, il était domicilié à Châteauneuf (Drôme) au moment de son arrestation. Il a été homologué au grade de sergent.

Son frère René, commissaire militaire interrégional FTPF dans le Sud-Ouest, a été fusillé le 26 janvier 1944 au camp de Souge, près de Bordeaux. Son père Charles, déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, y est décédé le 30 septembre 1942. Sa mère Marie-Rose, arrêtée par la police française le 8 août 1942, a pu retrouver son foyer. Elle est, avec sa fille, la seule survivante de cette famille.

Sources : Dossier 52 n°1 (juin-juillet 1997) - Archives dép. de la Haute-Marne, 342 W 307 - Arch. dép. de la Côte-d'Or, 32 U 19 et 1072 W 2-230 - Ach. dép. du Rhône, 1035 W 67 - Archives Arolsen - Etat civil de Paris.

* Et non le 27 septembre 1920 comme il est couramment admis.

jeudi 11 septembre 2025

12 septembre 1944 : deux FFI de la Marne tués à Darmannes


Robert Cormier (1922-1966). 


La mort de deux soldats des Forces françaises de l'intérieur (FFI) de la Marne, le 12 septembre 1944, près de Darmannes, est une page méconnue de l'histoire de la libération de la Haute-Marne. Ce drame s'inscrit dans le cadre du dispositif FFI demandé par l'état-major de la 3e armée américaine au major britannique Nicholas R. Bodington, pour tout à la fois assurer la sécurité des lignes de communication alliées en attendant l'arrivée du 15e corps américain, et couper à la garnison de Chaumont toute possibilité de sortie.

A partir du 8 septembre 1944, des FFI de la Haute-Marne, de l'Aube et de la Marne font mouvement vers l'arrondissement de Chaumont pour tenir une ligne Juzennecourt - Bologne. Formant une troupe d'environ 500 hommes*, ayant leur poste de commandement à Sexfontaines, ils appartiennent essentiellement au Bataillon FFI de Saint-Dizier (Compagnie du Val et maquis Mauguet), à la Compagnie Pierre (Commandos M), à la Compagnie du Der, à la Compagnie de Joinville...

Dès la nuit du 9 au 10 septembre 1944, des accrochages opposent les FFI - et soldats américains - à des patrouilles allemandes vraisemblablement sorties d'Andelot : à Bologne, Doulaincourt et Busson. Ces engagements coûtent aux FFI un tué (Jean-Claude Mougeot, à Doulaincourt) et trois blessés (à Bologne). Le 10 septembre 1944, le 15e corps qui vient d'arriver sur la Marne attaque en direction des Vosges. Le 11, c'est au tour de la 2e division blindée française de franchir la rivière et le canal de la Marne à la Saône, et de progresser vers l'Est. Le 12, la 2e DB attaque Andelot.

Darmannes se situe entre Chaumont - toujours aux mains des Allemands - et Andelot - qui sera réduit dans l'après-midi. L'engagement du 12 septembre 1944 a été raconté par deux officiers. L'un, Américain : le lieutenant Robert A. J. A. Cormier (1922-1966), saboteur (OSS) du circuit allié Pedlar. L'autre, Français : le sous-lieutenant André Pierrot.

Cormier, dit Bob, est d'origine française. Il est parachuté dans l'Aube dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944, reste plusieurs semaines au nord-est de Troyes, avant de se porter fin juillet 1944, avec le sergent radio Herbert M. Roe (Maurice), sur le hameau de Billory, à Robert-Magny. Désormais attaché à la Haute-Marne, Cormier prend contact avec le maquis de Cirey-sur-Blaise de l'adjudant Benjamin Chrétien, et participe à l'instruction de la Compagnie du Der, tout en réalisant des sabotages. Il accompagne les FFI dervois jusqu'à Juzennecourt, ainsi que le capitaine Percy John Harratt (Peter), lui aussi membre de Pedlar.   

André Pierrot, dit André, sert dans la Compagnie Pierre du capitaine Raymond Krugell. Cette compagnie est formée de FFI des Commandos M, organisation de la Résistance de l'Aube et de la Haute-Marne où Pierrot commandait le maquis Maurice. 

Les relations du combat

Voici le récit de l'engagement du 12 septembre 1944 fait par Robert Cormier, dans son rapport conservé par les Archives nationales : "Nous avons attaqué une ferme, où il y avait quelques Allemands, lors d'une reconnaissance personnelle faite avec le capitaine Harratt, dans les lignes ennemies. En arrivant à la ferme, trois Allemands se tenaient sur la route. Malheureusement, notre mitrailleuse s'est enrayée. Nous nous sommes retirés sur la route et avons commencé à attaquer la ferme, avec six hommes. Le capitaine Harratt avec deux hommes s'est retiré en me criant de faire de même. C'était impossible, car nous avions un blessé de l'autre côté de la route, et le feu ennemi nous empêchait de l'atteindre. Nous avons réussi à faire fonctionner notre mitrailleuse et, sous un tir de couverture, nous avons traîné le blessé jusqu'à la voiture, et nous nous sommes repliés. Pertes : deux tués et un blessé. Pertes ennemies : deux blessés, un cheval tué."

Le rapport du sous-lieutenant Pierrot est à peu près similaire, quoique plus succinct : "Le 12 septembre, trois Allemands se trouvaient dans la ferme régie par [les parents d'Henri H.] ; quatre FFI du groupe de Marault ont livré l'attaque, deux de nos camarades ont été tués. [...] Lors du combat livré dans sa ferme, [madame H, mère d'Henri.] a joué un rôle assez louche à éclaircir, les Allemands étant postés pour commander tous les défilements." Ce "rôle assez louche" motivera l'arrestation et l'interrogatoire des membres de cette famille.

Les victimes

Deux hommes ont donc perdu la vie, le jour de la libération d'Andelot : un Algérien et un Champenois. Le caporal Abdelkader Boudjema, prisonnier de guerre évadé du camp de Mailly, a rejoint le maquis des Chênes (Marne). Ce groupe s'associe à la Compagnie du Der et se porte effectivement à Marault, près de Bologne. Boudjema repose dans la nécropole de Suippes (Marne). Le sergent Adolphe Joannes, 48 ans, vient des Commandos M. Il avait résidé à Magneux (Haute-Marne) dans les années 20. Blessé devant Darmannes, il décède le même jour des suites de ses blessures à Bologne. Nous ignorons le nom du blessé évoqué par Robert Cormier. 

Le lendemain de la mort de ces deux hommes, des éléments de la 2e DB - accompagnés côté Nord par les FFI de Saint-Dizier, côté Sud-Ouest par ceux du maquis Duguesclin - font leur entrée dans Chaumont. Trois jours plus tard, la Haute-Marne est totalement libérée.

Sources : Archives nationales, 72 AJ 85, rapport du circuit Pedlar - Archives départementales de la Côte-d'Or, 30 U 4, dossier H... - Maitron des fusillés, notices rédigées par Jocelyne et Jean-Pierre Husson, et Lionel Fontaine - La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale, club Mémoires 52, 2022.

* Un millier de FFI, selon le rapport du circuit Pedlar. 





lundi 1 septembre 2025

Rene J. Guiraud, un Américain bien Français



R. J. A. Guiraud (1920-1970). Photo parue dans le North Virginia Sun. 

Certains le pensaient "Canadien français". Il est vrai, se souviendra le résistant Marcel Thivet, qu'André, cet officier allié parachuté en Haute-Marne en juin 1944, parlait "parfaitement le français". Mais en réalité, les recherches menées sur Rene J. A. Guiraud avaient permis d'établir qu'il était Américain d'origine française. Etait-il né à Chicago de parents français, voire même en France sans plus de précision ? L'état civil nous apporte la réponse : René, Jean, André Guiraud a bien vu le jour dans notre pays, à Lavaur, dans le Tarn, le 5 octobre 1920.

Il est né à 8 h du matin, au lieu-dit Saint-Genest, de l'union d'Augustin Guiraud, ingénieur, et de Charlotte Girard, sans profession. Une union particulièrement brève : Augustin, Louis Guiraud avait pris pour épouse Jeanne, Charlotte, Marcelle Girard le 21 janvier 1919 à Vélizy (aujourd'hui Yvelines), ils divorcent le 28 octobre 1921, soit un an tout juste après la naissance de René.

Fille d'un directeur de l'hôpital Laennec de Paris, la mère, qualifiée d'artiste dramatique, se remarie le 26 septembre 1927 à Paris XVIIIe avec Georges Pierkot, un musicien belge. Tous deux résident au 70, boulevard de Clichy. Ici encore, le mariage ne durera pas.

Né à Colombiers (Hérault) en 1886, le père, Augustin, est ingénieur des Arts et métiers, spécialité mécanique. Durant la Première Guerre mondiale, ce sous-officier de cavalerie est blessé à deux reprises : en 1916 dans les Vosges et en 1917 dans la Somme. Au moment de cette deuxième blessure, il servait dans l'observation aérienne. Promu sous-lieutenant de réserve, Augustin Guiraud est fait chevalier de la Légion d'honneur en 1933. Il réside alors à Hossegor (Landes), puis l'année suivante à Toulouse, enfin en 1949 - l'année de sa mort - au Portet-sur-Garonne.

Tandem franco-américain

René Guiraud semble vivre plutôt avec sa mère. C'est en 1927 que Charlotte s'établit aux Etats-Unis, avec son nouveau mari. Le jeune homme a donc passé les six premières années de sa vie en France. En 1940, après le divorce des époux Pierkot, mère et fils sont domiciliés à Cicero, dans l'Illinois (comté de Cook), dans la banlieue de Chicago. 

Naturalisé américain, René (devenu Rene), qui a fait ses études à la Northwestern University, sert dans l'armée américaine à compter du 2 mars 1943. Passé caporal, il est promu second lieutenant (sous-lieutenant) le 16 novembre 1943. Il rejoint la section F (française) de l'OSS, service qui le charge d'organiser, en Haute-Marne, le circuit (réseau) Glover. Glover signifie gantier, référence évidente à l'industrie du gant qui faisait la réputation de Chaumont - région dans laquelle il doit opérer. Autres coïncidences : son opérateur radio, le second lieutenant Louis Frédéric Gérard-Varet Hyde est le fils d'une Française, a vécu en Bourgogne, et son grand-père a été enseignant à Chaumont !

L'histoire du circuit Glover est bien connue, notamment grâce au rapport du sous-lieutenant Hyde, mais le rôle de Guiraud, dit "commandant André", mérite d'être mis en exergue. Après plusieurs faux départs, les deux Américains d'origine française sont parachutés dans la nuit du 1er au 2 juin 1944 près de Leffonds. Réceptionnés par Hubert Aubry, ils se fixent d'abord dans la localité et les bois environnants, prenant contact avec plusieurs personnalités de la Résistance haut-marnaise (Pierre Brantus, colonel Emmanuel de Grouchy, etc.). Le lendemain de l'escarmouche du bois de Fays qui coûte la vie à un maquisard, Guiraud part rejoindre Le Pailly le 16 juin 1944. Il y est logé par la famille Marchetti avec un jeune Troyen recruté dans l'Aube et qui lui sert d'agent de liaison, Michel P. Dans son ouvrage sur les massacres commis dans ce département, l'historien Roger Bruge a raconté - sans le nommer - la visite faite par Guiraud à l'état-major de l'Armée secrète auboise installé au domaine de Beaumont à Cunfin (Aube), la méfiance qu'il a suscité auprès d'officiers français qui le suspectaient d'être un agent double. Guiraud avait pris contact avec l'AS après avoir rencontré Claude Quilliard, chef du secteur Ouest de Chaumont des FFI - lui aussi sera pris quelques semaines plus tard et mourra en déportation.

Déporté à Dachau

Le 27 juin 1944, le second lieutenant Guiraud qui s'est imprudemment aventuré dans Langres est capturé par des feldgendarmes, en compagnie de Michel P. et de Gaston Simonet. Lors des interrogatoires, l'Américain assiste, atterré, aux aveux faits en sa présence par le jeune Troyen. Il aurait été ensuite emprisonné à Chaumont et à Châlons-en-Champagne, puis déporté à Natzweiler.

De source américaine, c'est à la date du 6 septembre 1944 que Guiraud aurait été inscrit sur le registre du camp de concentration de Dachau, avec le matricule 103 018. Sur ce document, il est précisé qu'il est né le 5 octobre 1917 à Chicago. Sans doute s'agissait-il de cacher sa naissance en France. Rene J. Guiraud reste connu comme étant le seul citoyen américain présent à Dachau lors de la libération du camp, fin avril 1945.

Une fois libre, il retrouve sa place dans l'armée américaine. Il est promu capitaine le 27 juillet 1945 puis, après le conflit, il se voit confirmer dans le grade de first lieutenant (lieutenant) en 1946. Il se marie une première fois en août 1946, puis une seconde - avec Alma Jean Buchanan - en 1957 à Manhattan.

Selon sa notice nécrologique parue dans le North Virginia Sun le 11 février 1970, Guiraud se bat en Corée, à la tête d'une compagnie et comme officier de renseignement du 8th Cavalry Regiment. Blessé par l'explosion d'une mine, il perd un bras et une jambe. Ayant quitté l'armée avec le grade de major (commandant), il rejoint la CIA puis, en 1960, l'AID, célèbre agence de développement américaine. Ses missions le portent en Iran, au Laos, au Rwanda. 

Il est directeur de la sécurité publique de l'AID au Vietnam lorsqu'il décède d'une embolie pulmonaire à Saigon, le 29 janvier 1970. Il n'était âgé que de 49 ans et demi. Domicilié en Virginie du Nord depuis 1952, il était père de deux garçons, Mark A. et Richard S. (aujourd'hui décédé), et deux filles, Diane R. et Janine. Le major Guiraud repose dans le cimetière d'Arlington. Il était notamment titulaire de la Legion of Merit, de la Bronze Star, de la Purple Heart.

Sources : état civil de Lavaur et de Paris - Archives nationales américaines (Nara) - North Virginia Sun du 11 février 1970 - dossier de membre de la Légion d'honneur d'Augustin-Louis Guiraud, base Léonore - Josette et André GROSSETETE, Voisines. Chronique d'un massacre annoncé, Dominique Guéniot éditions, 2005 - Roger BRUGE, 1944. Le Temps des massacres, Albin Michel, 1994 - Geneanet. 

samedi 23 août 2025

Le massacre de Châteauvillain, la déportation à Neuengamme : le témoignage inédit de Roger Cheppe (1923-2009)

Roger Cheppe (1923-2009). Source : Arolsen Archives. 


    Le Parisien Roger Cheppe était le seul survivant parmi les cinq otages de Châteauvillain déportés le 29 août 1944 à Neuengamme. Recueilli par une employée de la Délégation parisienne du Service de recherche des crimes de guerre ennemis (SRCGE), son témoignage - inédit - porte tout à la fois sur le déroulement du massacre, les circonstances de son arrestation comme sur les conditions de sa déportation. Précisons qu'il s'agit d'une déposition faite devant la justice, avec des précisions glaçantes, et non d'un récit destiné à passer à la postérité.

    "Convoqué pour le STO en octobre 1943, je ne me rendis pas à cette convocation et partis dans la Nièvre où je séjournai très peu de temps, et j'arrivai à Châteauvillain (Haute-Marne) en février 1944. Un de mes camarades réfractaires du STO m'avait indiqué cette adresse où un gros marchand de bois (Société des bois et forêts) embauchait du personnel, sans m'inquiéter de sa provenance et sans demander les papiers d'identité habituels.

    Je travaillai donc comme bûcheron de février 1944 jusqu'au 24 août 1944 [...]. La cantine de notre société se trouvait à Châteauvillain et nous descendions chaque soir pour y prendre le repas du soir, celui de midi étant pris en forêt. J'ai quitté le bois vers [17 h] avec un autre de mes camarades qui se faisait appeler Maurice Stassen (ce nom était d'ailleurs une identité fausse car il était évadé d'un camp de prisonniers de guerre). Le couvre-feu à Châteauvillain était fixé par les troupes allemandes de passage à [20 h]. Je pris mon repas vers [18 h 15] et en compagnie d'autres camarades, je me rendis 40, rue des Récollets chez Mme Pradat où j'avais ma chambre.

    En cours de route, j'entendis des coups de feu et des grenades éclater. Je me suis pressé ; en arrivant, mes hôtes me conseillèrent de descendre à la cave avec eux. [...] A notre arrivée dans la cave, les trois fillettes Pradat, âgées d'environ 10 à 12 ans, se mirent à pleurer. Des Allemands qui se trouvaient dans la ruelle entendirent ces pleurs et voulurent ouvrir la porte ; comme elle résistait, ils arrosèrent le seuil d'essence et y mirent le feu. Nous remontâmes précipitamment et sortîmes de la maison qui flambait. Nous nous rendîmes chez M. Fiez-[Vandal], voisin des époux Pradat, mais comme le feu gagnait, nous nous réfugiâmes chez la boulangère [...]. Nous étions arrivés depuis à peine cinq minutes chez la boulangère (où se trouvaient déjà le fils d'Henri Morin qui fut fusillé, Paul Drut et un Italien nommé Zanzoni [...]), presqu'aussitôt deux Allemands arrivèrent. [...]

    Nous partîmes donc, Paul Drut, Morin fils, Zanzoni et moi-même en direction du parc de Châteauvaillain qui servait de lieu de rassemblement aux Allemands. Durant le trajet, nous entendîmes de nombreux coups de feu et des grenades éclater. Le village brûlait par endroit. Il y avait à ce moment trois gros foyers d'incendie. Dans la rue, je vis également le cadavre d'un homme dont je ne connais pas l'identité qui avait été abattu d'un coup de feu, le sang lui sortait de la bouche.

    En arrivant au parc, je vis une douzaine de cadavres entassés les uns sur les autres, parmi lesquels je reconnus Gabriel Rose, exploitant forestier. En retournant à Châteauvillain en août 1945, j'ai su qu'un homme [Michel Devillers] qui se trouvait sur le tas de cadavres avait [simulé] la mort mais n'avait été atteint que d'une balle dans la cuisse et en était réchappé. Zanzoni parlementa à son arrivée avec les Allemands, partit avec lui, j'ai su qu'il avait été libéré.

    Les Allemands qui nous conduisaient (revêtus de capotes de camouflage [...]) nous firent mettre à genoux et nous restâmes dans cette position environ une heure ou une heure et demi. Pendant ce temps, les habitants de Châteauvillain (hommes et femmes) arrivaient par paquets, encadrés par des Allemands. Les jeunes et les vieux devaient également se mettre à genoux. Paul Drut qui connaissait la langue allemande me dit à un certain moment "si tu es croyant, tu peux faire ta prière, car ils viennent de donner l'ordre de nous fusiller". A ce moment un officier SS [sic] en tenue brune s'approcha de De[s]vaux, hôtelier, propriétaire d'un hôtel La Providence, et de [Tallet] René, les interrogea, reprocha à De[s]vaux de ne pas avoir donné de boisson à ses troupes, leur envoya des coups de pied dans le ventre, puis s'en fut un peu plus loin parler avec d'autres Allemands et nous fit montrer nos papiers d'identité. A Paul Drut qui présentait une carte d'identité de Paris, il montra le tas de fusillés. Après vérification de nos papiers d'identité, nous étions mis soit d'un côté et d'un autre et nous montâmes dans deux camions où nous restâmes peut-être une demi-heure. Ensuite des Allemands vinrent faire descendre les trois premiers [...] du camion dans lequel je me trouvais et qui étaient : Desvaux, [Tallet] et un autre dont j'ignore le nom. Une rafale de mitraillette les abattit aussitôt qu'ils furent à terre. [Tallet] qui n'était pas mort fut achevé. [...].

A la prison de Chaumont

    Notre [camion] partit en direction de Chaumont où nous avons stoppé avant la gendarmerie qui servait de Kommandantur aux Allemands. Nos gardiens allemands, au nombre de dix environ, descendirent aux ordres. On fit monter dans notre camion Morin fils, qui avait été déposé vraisemblablement par le premier camion en compagnie d'autres hommes arrêtés également à Châteauvillain. Nous fûmes emmenés à la prison de Chaumont où on nous prit nos papiers et nous passâmes le reste de la nuit dans deux cellules.

    Le lendemain matin, je fus changé de cellule et j'en partageai une autre avec Prévost Germain, Belan Gabriel, Drut Paul, [Pierre] Weber, fermier suisse qui fut relâché ensuite, et un peintre de Châteauvillain qui fut également libéré le 25 août.

    Le 25 août, dans l'après-midi, nous subîmes, Belan, Prévost, Drut et moi-même, des interrogatoires en présence d'Allemands appartenant vraisemblablement à la Feldgendarmerie, un sous-officier et un officier. Comme nous ne disions rien, on nous avisa que nous n'avions plus que quelques heures à vivre, puis on nous remit en cellule à l'exception de Paul Drut qui fut mis dans une cellule spéciale. 

    Nous pensions qu'il avait été libéré, mais le dimanche 27, les Allemands vinrent nous chercher pour nous conduire à la gare et à ce moment nous retrouvâmes Paul Drut. Les Allemands évacuaient la prison. Nous fûmes embarqués à la gare de Chaumont dans des wagons à bestiaux où je me suis trouvé avec 34 autres camarades, dans une moitié de wagon, l'autre moitié étant réservée à cinq Russes qui, au service de l'Allemagne, avaient dû commettre des délits. Parmi mes 34 camarades se trouvaient Chapitre Georges, Prévost Germain, Belan Gabriel, Drut Paul, le lieutenant [Jean Chassagne], le maire de [Clairvaux] [Jean Millerat], [Pillemont] Pierre, d'autres prénommés Henri (propriétaire d'une épicerie buvette à Wassy) [Couturier ou Grandcolas, mais ni l'un ni l'autre n'était épicier], Pierrot (bijoutier à Wassy) [Malarmé].

Au camp de Neuengamme

    Nous arrivâmes au camp de Neuengamme le 1er septembre après avoir traversé Belfort où nous descendîmes pour faire nos besoins. Un service civil français nous remit un peu de pain d'épices, une boîte de sardines, de [patte ?] de fruits. Nous subîmes les formalités habituelles d'entrée au camp (douche, tonte, remise des objets particuliers et de l'argent), puis nous fûmes mis dans une baraque où nous couchions trois par lit.

    Le 4 septembre 1944 je fus dirigé sur un kommando de travail, à [Wilhelmshaven] avec Chapitre, Prévost, [lieutenant] Chassagne, le maire de [Clairvaux], Henri [Couturier ou Grandcolas], Pierrot [Malarmé], Pierre [Pillemont). Belan Gabriel et Drut Paul furent laissés à Neuengamme et je ne sais pas ce qu'ils sont devenus [Note : aucun n'est revenu de Neuengamme). Je note, en passant, que Paul Drut, le 4 septembre, souffrait déjà de dysenterie. Il se trouvait du reste au moment de son arrestation dans la Haute-Marne en convalescence.

    En arrivant à [Wilhelmshaven], je fus affecté à l'Arsenal de la Marine de guerre avec Chapitre et Prévost et tous les autres. Je travaillais pendant un certain temps avec Chapitre à la forge, puis je fus affecté à la ferblanterie. Prévost était affecté, lui, aux tours. A la suite de bombardements, je fus affecté à un kommando chargé du déblaiement, je ne vis plus Chapitre ni Prévost et, malgré les recherches que je fis, je ne pus jamais savoir ce qu'ils étaient devenus. [Note : eux aussi sont décédés]."

    Parmi les 26 déportés de Haute-Marne (sur 35) formellement identifiés dans ce convoi parti le 29 août 1944, seuls quatre survécurent : Roger Cheppe, Raymond Gourlin, Pierre Pillemont et Marcel Vaisse.

    De retour en France, Roger Cheppe, né le 26 avril 1923 à Malakoff, matricule 43 965 à Neuengamme, s'installa comme électricien. Il est décédé en 2009.

    Sources : enquêtes sur les crimes de guerre, série 163 W, Archives départementales de la Marne ; La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale, club Mémoires 52, 2022 ; Arolsen Archives.





























 

mardi 24 juin 2025

Le colonel "Raymond" : Marcel Deneux (1907-1945)


Marcel Deneux, mort après la libération de Neuengamme. (Source : archives Arolsen). 


Le dictionnaire Le Maitron consacre une notice biographique à Marcel Deneux, résistant communiste mort en déportation, qui nous intéresse parce qu'il fut peut-être interrégional dans la Champagne-Bourgogne. Nous vous présentons ici son parcours de FTP sur la foi de son dossier d'homologation FFI conservé à Vincennes.

Marcel, Emilien Deneux est né le 23 juin 1907 à Breteuil-le-Vert (Oise). Ses parents, Paul, Eugène, Clovis Deneux, manouvrier, et Marthe, Emilienne Devoye, ménagère, sont domiciliés au hameau de Cannetecourt. 

Le 12 mai 1927, Marcel Deneux est appelé, pour son service militaire, au 18e régiment du génie, où il obtient le grade de caporal. Il se marie le 20 août 1930 avec Mauricette Fauchart à Nogent-sur-Oise. Le couple n'a pas d'enfants. Militant communiste à Creil (Oise), Marcel Deneux exerce la profession d'employé principal de bureau à la SNCF.

Marcel Deneux est de nouveau appelé au 18e génie, comme télégraphiste, le 6 septembre 1939. Selon son épouse, il est "fait prisonnier le 23 juin 1940, libéré comme employé du chemin de fer le 13 juillet 1940". Il revient à Nogent-sur-Oise, où il est domicilié au 3, place Victor-Hugo.

De l'Oise à une subdivision

Son épouse indique qu'il rejoint le FN le 16 juillet 1941, puis les FTPF le 15 mars 1942 : "Le 15 juillet 1941, mon mari [...] a quitté Nogent à cette date pour rejoindre son groupe qui était dans la région parisienne sans pouvoir vous préciser le lieu." Georges Jonneau précise que Marcel Deneux est d'abord responsable départemental des FTPF. Futur commissaire militaire interrégional de l'interrégion 27, Maurice Mignon, alias Théo, témoigne : "J'ai participé avec lui à plusieurs faits de résistance tels que : le 1er mai 1942 au sabotage des moteurs des Forges du Nord-Est [à Montataire] ; le 14 juillet 1942, forges et compresseurs des Etablissement Brissonneaux ; le 12 juin 1942, au déraillement de la ligne Paris-Amiens à Cauffry ; le 24 juillet 1942 au déraillement sur la ligne Paris-Saint-Quentin à Chevrières et le 10 mars 1943, au déraillement de la ligne Paris-Creil".

La suite de son parcours est entourée de nombreux mystères.

Selon le Comité militaire national des FTPF, Deneux aurait commandé les FTPF dans l'Oise, la Somme, la Seine-Inférieure, le Calvados, l'Eure et l'Eure-et-Loir (interrégion 27) - dès septembre 1941, selon Maurice Mignon -, puis il aurait été nommé en septembre 1942 adjoint au commissaire militaire national Albert Ouzoulias (André).

D'après son épouse, Marcel Deneux, connu sous l'alias Raymond, aurait également été "nommé inter pour les départements de l'Yonne, l'Aube, la Marne, la Haute-Marne [ce qui est une erreur, la Haute-Marne dépend de l'interrégion 21]". On sait en effet, grâce à un courrier du colonel Ouzoulias daté du 20 avril 1944, que le commandant Fernand Grillot (Germain) a reçu l'ordre de se consacrer à la fonction de COIR (commissaire aux opérations interrégional) dans l'IR 28, et que Raymond (Deneux) le remplacerait comme subdivisionnaire jusqu'au 1er mai 1944. En effet, le grade de colonel (ou de lieutenant-colonel) aurait été attribué au cheminot de l'Oise le 7 avril 1944, et sa citation à l'ordre du corps d'armée indique qu'il a été "placé à la tête de 24 départements", ce qui s'apparente à une fonction de subdivisionnaire (interrégions 21, 23 et 28). Notre hypothèse, c'est que Deneux était à la disposition du comité militaire national qui lui confiait différentes missions temporaires, au gré des besoins*.

Manifestement, sa mission de subdivisionnaire est prolongée au-delà du 1er mai 1944 puisque c'est dans le Cher, à Vierzon, que le colonel Raymond est arrêté par les Allemands le 26 mai 1944, "dénoncé par son agent de liaison [B...] André (alias Desbois)" selon Mauricette Deneux.

Déporté à Neuengamme

Le cheminot est emprisonné à Bourges où, indique son épouse, il est "torturé pendant un mois : coups de nerfs de boeuf, pieds brûlés, courant électrique par tout le corps". Interné au camp de Compiègne-Royallieu à compter du 1er juillet 1944, Marcel Deneux est déporté le 15 juillet 1944 en direction du camp de Neuengamme, où il a le matricule 36 835.

La fin de sa vie, Mauricette Deneux la raconte : "libéré par les Anglais le 29 avril 1945, hospitalisé à Sandbostel, gravement malade, et décédé le 10 mai 1945". Elle qui a reçu le 17 mai 1945 une lettre de son époux annonçant sa libération n'apprend sa disparition que par un acte de décès adressé par la Croix-Rouge anglaise le 1er février 1946. Il était âgé de 38 ans.

Marcel Deneux a été homologué en 1948 au grade de commandant à compter du 1er mai 1944. Il est médaillé de la Résistance (1960).

Il "est considéré par moi comme le premier et le meilleur résistant du département de l'Oise" (Maurice Mignon).

Sources : dossier d'homologation de grade FFI, GR 16 P 174 675, SHD Vincennes ; état civil de Breteuil-le-Vert (Oise) ; archives Arolsen ; Albert OUZOULIAS, Les Bataillons de la Jeunesse, éditions sociales, 1967.

* Selon le colonel Ouzoulias, Deneux, secondé par Pierre Georges (Fabien), dirigeait durant l'hiver 1943-1944 une école des cadres FTP dans une ferme de l'Oise.