lundi 1 septembre 2025

Rene J. Guiraud, un Américain bien Français



R. J. A. Guiraud (1920-1970). Photo parue dans le North Virginia Sun. 

Certains le pensaient "Canadien français". Il est vrai, se souviendra le résistant Marcel Thivet, qu'André, cet officier allié parachuté en Haute-Marne en juin 1944, parlait "parfaitement le français". Mais en réalité, les recherches menées sur Rene J. A. Guiraud avaient permis d'établir qu'il était Américain d'origine française. Etait-il né à Chicago de parents français, voire même en France sans plus de précision ? L'état civil nous apporte la réponse : René, Jean, André Guiraud a bien vu le jour dans notre pays, à Lavaur, dans le Tarn, le 5 octobre 1920.

Il est né à 8 h du matin, au lieu-dit Saint-Genest, de l'union d'Augustin Guiraud, ingénieur, et de Charlotte Girard, sans profession. Une union particulièrement brève : Augustin, Louis Guiraud avait pris pour épouse Jeanne, Charlotte, Marcelle Girard le 21 janvier 1919 à Vélizy (aujourd'hui Yvelines), ils divorcent le 28 octobre 1921, soit un an tout juste après la naissance de René.

Fille d'un directeur de l'hôpital Laennec de Paris, la mère, qualifiée d'artiste dramatique, se remarie le 26 septembre 1927 à Paris XVIIIe avec Georges Pierkot, un musicien belge. Tous deux résident au 70, boulevard de Clichy. Ici encore, le mariage ne durera pas.

Né à Colombiers (Hérault) en 1886, le père, Augustin, est ingénieur des Arts et métiers, spécialité mécanique. Durant la Première Guerre mondiale, ce sous-officier de cavalerie est blessé à deux reprises : en 1916 dans les Vosges et en 1917 dans la Somme. Au moment de cette deuxième blessure, il servait dans l'observation aérienne. Promu sous-lieutenant de réserve, Augustin Guiraud est fait chevalier de la Légion d'honneur en 1933. Il réside alors à Hossegor (Landes), puis l'année suivante à Toulouse, enfin en 1949 - l'année de sa mort - au Portet-sur-Garonne.

Tandem franco-américain

René Guiraud semble vivre plutôt avec sa mère. C'est en 1927 que Charlotte s'établit aux Etats-Unis, avec son nouveau mari. Le jeune homme a donc passé les six premières années de sa vie en France. En 1940, après le divorce des époux Pierkot, mère et fils sont domiciliés à Cicero, dans l'Illinois (comté de Cook), dans la banlieue de Chicago. 

Naturalisé américain, René (devenu Rene), qui a fait ses études à la Northwestern University, sert dans l'armée américaine à compter du 2 mars 1943. Passé caporal, il est promu second lieutenant (sous-lieutenant) le 16 novembre 1943. Il rejoint la section F (française) de l'OSS, service qui le charge d'organiser, en Haute-Marne, le circuit (réseau) Glover. Glover signifie gantier, référence évidente à l'industrie du gant qui faisait la réputation de Chaumont - région dans laquelle il doit opérer. Autres coïncidences : son opérateur radio, le second lieutenant Louis Frédéric Gérard-Varet Hyde est le fils d'une Française, a vécu en Bourgogne, et son grand-père a été enseignant à Chaumont !

L'histoire du circuit Glover est bien connue, notamment grâce au rapport du sous-lieutenant Hyde, mais le rôle de Guiraud, dit "commandant André", mérite d'être mis en exergue. Après plusieurs faux départs, les deux Américains d'origine française sont parachutés dans la nuit du 1er au 2 juin 1944 près de Leffonds. Réceptionnés par Hubert Aubry, ils se fixent d'abord dans la localité et les bois environnants, prenant contact avec plusieurs personnalités de la Résistance haut-marnaise (Pierre Brantus, colonel Emmanuel de Grouchy, etc.). Le lendemain de l'escarmouche du bois de Fays qui coûte la vie à un maquisard, Guiraud part rejoindre Le Pailly le 16 juin 1944. Il y est logé par la famille Marchetti avec un jeune Troyen recruté dans l'Aube et qui lui sert d'agent de liaison, Michel P. Dans son ouvrage sur les massacres commis dans ce département, l'historien Roger Bruge a raconté - sans le nommer - la visite faite par Guiraud à l'état-major de l'Armée secrète auboise installé au domaine de Beaumont à Cunfin (Aube), la méfiance qu'il a suscité auprès d'officiers français qui le suspectaient d'être un agent double. Guiraud avait pris contact avec l'AS après avoir rencontré Claude Quilliard, chef du secteur Ouest de Chaumont des FFI - lui aussi sera pris quelques semaines plus tard et mourra en déportation.

Déporté à Dachau

Le 27 juin 1944, le second lieutenant Guiraud qui s'est imprudemment aventuré dans Langres est capturé par des feldgendarmes, en compagnie de Michel P. et de Gaston Simonet. Lors des interrogatoires, l'Américain assiste, atterré, aux aveux faits en sa présence par le jeune Troyen. Il aurait été ensuite emprisonné à Chaumont et à Châlons-en-Champagne, puis déporté à Natzweiler.

De source américaine, c'est à la date du 6 septembre 1944 que Guiraud aurait été inscrit sur le registre du camp de concentration de Dachau, avec le matricule 103 018. Sur ce document, il est précisé qu'il est né le 5 octobre 1917 à Chicago. Sans doute s'agissait-il de cacher sa naissance en France. Rene J. Guiraud reste connu comme étant le seul citoyen américain présent à Dachau lors de la libération du camp, fin avril 1945.

Une fois libre, il retrouve sa place dans l'armée américaine. Il est promu capitaine le 27 juillet 1945 puis, après le conflit, il se voit confirmer dans le grade de first lieutenant (lieutenant) en 1946. Il se marie une première fois en août 1946, puis une seconde - avec Alma Jean Buchanan - en 1957 à Manhattan.

Selon sa notice nécrologique parue dans le North Virginia Sun le 11 février 1970, Guiraud se bat en Corée, à la tête d'une compagnie et comme officier de renseignement du 8th Cavalry Regiment. Blessé par l'explosion d'une mine, il perd un bras et une jambe. Ayant quitté l'armée avec le grade de major (commandant), il rejoint la CIA puis, en 1960, l'AID, célèbre agence de développement américaine. Ses missions le portent en Iran, au Laos, au Rwanda. 

Il est directeur de la sécurité publique de l'AID au Vietnam lorsqu'il décède d'une embolie pulmonaire à Saigon, le 29 janvier 1970. Il n'était âgé que de 49 ans et demi. Domicilié en Virginie du Nord depuis 1952, il était père de deux garçons, Mark A. et Richard S. (aujourd'hui décédé), et deux filles, Diane R. et Janine. Le major Guiraud repose dans le cimetière d'Arlington. Il était notamment titulaire de la Legion of Merit, de la Bronze Star, de la Purple Heart.

Sources : état civil de Lavaur et de Paris - Archives nationales américaines (Nara) - North Virginia Sun du 11 février 1970 - dossier de membre de la Légion d'honneur d'Augustin-Louis Guiraud, base Léonore - Josette et André GROSSETETE, Voisines. Chronique d'un massacre annoncé, Dominique Guéniot éditions, 2005 - Roger BRUGE, 1944. Le Temps des massacres, Albin Michel, 1994 - Geneanet. 

samedi 23 août 2025

Le massacre de Châteauvillain, la déportation à Neuengamme : le témoignage inédit de Roger Cheppe (1923-2009)

Roger Cheppe (1923-2009). Source : Arolsen Archives. 


    Le Parisien Roger Cheppe était le seul survivant parmi les cinq otages de Châteauvillain déportés le 29 août 1944 à Neuengamme. Recueilli par une employée de la Délégation parisienne du Service de recherche des crimes de guerre ennemis (SRCGE), son témoignage - inédit - porte tout à la fois sur le déroulement du massacre, les circonstances de son arrestation comme sur les conditions de sa déportation. Précisons qu'il s'agit d'une déposition faite devant la justice, avec des précisions glaçantes, et non d'un récit destiné à passer à la postérité.

    "Convoqué pour le STO en octobre 1943, je ne me rendis pas à cette convocation et partis dans la Nièvre où je séjournai très peu de temps, et j'arrivai à Châteauvillain (Haute-Marne) en février 1944. Un de mes camarades réfractaires du STO m'avait indiqué cette adresse où un gros marchand de bois (Société des bois et forêts) embauchait du personnel, sans m'inquiéter de sa provenance et sans demander les papiers d'identité habituels.

    Je travaillai donc comme bûcheron de février 1944 jusqu'au 24 août 1944 [...]. La cantine de notre société se trouvait à Châteauvillain et nous descendions chaque soir pour y prendre le repas du soir, celui de midi étant pris en forêt. J'ai quitté le bois vers [17 h] avec un autre de mes camarades qui se faisait appeler Maurice Stassen (ce nom était d'ailleurs une identité fausse car il était évadé d'un camp de prisonniers de guerre). Le couvre-feu à Châteauvillain était fixé par les troupes allemandes de passage à [20 h]. Je pris mon repas vers [18 h 15] et en compagnie d'autres camarades, je me rendis 40, rue des Récollets chez Mme Pradat où j'avais ma chambre.

    En cours de route, j'entendis des coups de feu et des grenades éclater. Je me suis pressé ; en arrivant, mes hôtes me conseillèrent de descendre à la cave avec eux. [...] A notre arrivée dans la cave, les trois fillettes Pradat, âgées d'environ 10 à 12 ans, se mirent à pleurer. Des Allemands qui se trouvaient dans la ruelle entendirent ces pleurs et voulurent ouvrir la porte ; comme elle résistait, ils arrosèrent le seuil d'essence et y mirent le feu. Nous remontâmes précipitamment et sortîmes de la maison qui flambait. Nous nous rendîmes chez M. Fiez-[Vandal], voisin des époux Pradat, mais comme le feu gagnait, nous nous réfugiâmes chez la boulangère [...]. Nous étions arrivés depuis à peine cinq minutes chez la boulangère (où se trouvaient déjà le fils d'Henri Morin qui fut fusillé, Paul Drut et un Italien nommé Zanzoni [...]), presqu'aussitôt deux Allemands arrivèrent. [...]

    Nous partîmes donc, Paul Drut, Morin fils, Zanzoni et moi-même en direction du parc de Châteauvaillain qui servait de lieu de rassemblement aux Allemands. Durant le trajet, nous entendîmes de nombreux coups de feu et des grenades éclater. Le village brûlait par endroit. Il y avait à ce moment trois gros foyers d'incendie. Dans la rue, je vis également le cadavre d'un homme dont je ne connais pas l'identité qui avait été abattu d'un coup de feu, le sang lui sortait de la bouche.

    En arrivant au parc, je vis une douzaine de cadavres entassés les uns sur les autres, parmi lesquels je reconnus Gabriel Rose, exploitant forestier. En retournant à Châteauvillain en août 1945, j'ai su qu'un homme [Michel Devillers] qui se trouvait sur le tas de cadavres avait [simulé] la mort mais n'avait été atteint que d'une balle dans la cuisse et en était réchappé. Zanzoni parlementa à son arrivée avec les Allemands, partit avec lui, j'ai su qu'il avait été libéré.

    Les Allemands qui nous conduisaient (revêtus de capotes de camouflage [...]) nous firent mettre à genoux et nous restâmes dans cette position environ une heure ou une heure et demi. Pendant ce temps, les habitants de Châteauvillain (hommes et femmes) arrivaient par paquets, encadrés par des Allemands. Les jeunes et les vieux devaient également se mettre à genoux. Paul Drut qui connaissait la langue allemande me dit à un certain moment "si tu es croyant, tu peux faire ta prière, car ils viennent de donner l'ordre de nous fusiller". A ce moment un officier SS [sic] en tenue brune s'approcha de De[s]vaux, hôtelier, propriétaire d'un hôtel La Providence, et de [Tallet] René, les interrogea, reprocha à De[s]vaux de ne pas avoir donné de boisson à ses troupes, leur envoya des coups de pied dans le ventre, puis s'en fut un peu plus loin parler avec d'autres Allemands et nous fit montrer nos papiers d'identité. A Paul Drut qui présentait une carte d'identité de Paris, il montra le tas de fusillés. Après vérification de nos papiers d'identité, nous étions mis soit d'un côté et d'un autre et nous montâmes dans deux camions où nous restâmes peut-être une demi-heure. Ensuite des Allemands vinrent faire descendre les trois premiers [...] du camion dans lequel je me trouvais et qui étaient : Desvaux, [Tallet] et un autre dont j'ignore le nom. Une rafale de mitraillette les abattit aussitôt qu'ils furent à terre. [Tallet] qui n'était pas mort fut achevé. [...].

A la prison de Chaumont

    Notre [camion] partit en direction de Chaumont où nous avons stoppé avant la gendarmerie qui servait de Kommandantur aux Allemands. Nos gardiens allemands, au nombre de dix environ, descendirent aux ordres. On fit monter dans notre camion Morin fils, qui avait été déposé vraisemblablement par le premier camion en compagnie d'autres hommes arrêtés également à Châteauvillain. Nous fûmes emmenés à la prison de Chaumont où on nous prit nos papiers et nous passâmes le reste de la nuit dans deux cellules.

    Le lendemain matin, je fus changé de cellule et j'en partageai une autre avec Prévost Germain, Belan Gabriel, Drut Paul, [Pierre] Weber, fermier suisse qui fut relâché ensuite, et un peintre de Châteauvillain qui fut également libéré le 25 août.

    Le 25 août, dans l'après-midi, nous subîmes, Belan, Prévost, Drut et moi-même, des interrogatoires en présence d'Allemands appartenant vraisemblablement à la Feldgendarmerie, un sous-officier et un officier. Comme nous ne disions rien, on nous avisa que nous n'avions plus que quelques heures à vivre, puis on nous remit en cellule à l'exception de Paul Drut qui fut mis dans une cellule spéciale. 

    Nous pensions qu'il avait été libéré, mais le dimanche 27, les Allemands vinrent nous chercher pour nous conduire à la gare et à ce moment nous retrouvâmes Paul Drut. Les Allemands évacuaient la prison. Nous fûmes embarqués à la gare de Chaumont dans des wagons à bestiaux où je me suis trouvé avec 34 autres camarades, dans une moitié de wagon, l'autre moitié étant réservée à cinq Russes qui, au service de l'Allemagne, avaient dû commettre des délits. Parmi mes 34 camarades se trouvaient Chapitre Georges, Prévost Germain, Belan Gabriel, Drut Paul, le lieutenant [Jean Chassagne], le maire de [Clairvaux] [Jean Millerat], [Pillemont] Pierre, d'autres prénommés Henri (propriétaire d'une épicerie buvette à Wassy) [Couturier ou Grandcolas, mais ni l'un ni l'autre n'était épicier], Pierrot (bijoutier à Wassy) [Malarmé].

Au camp de Neuengamme

    Nous arrivâmes au camp de Neuengamme le 1er septembre après avoir traversé Belfort où nous descendîmes pour faire nos besoins. Un service civil français nous remit un peu de pain d'épices, une boîte de sardines, de [patte ?] de fruits. Nous subîmes les formalités habituelles d'entrée au camp (douche, tonte, remise des objets particuliers et de l'argent), puis nous fûmes mis dans une baraque où nous couchions trois par lit.

    Le 4 septembre 1944 je fus dirigé sur un kommando de travail, à [Wilhelmshaven] avec Chapitre, Prévost, [lieutenant] Chassagne, le maire de [Clairvaux], Henri [Couturier ou Grandcolas], Pierrot [Malarmé], Pierre [Pillemont). Belan Gabriel et Drut Paul furent laissés à Neuengamme et je ne sais pas ce qu'ils sont devenus [Note : aucun n'est revenu de Neuengamme). Je note, en passant, que Paul Drut, le 4 septembre, souffrait déjà de dysenterie. Il se trouvait du reste au moment de son arrestation dans la Haute-Marne en convalescence.

    En arrivant à [Wilhelmshaven], je fus affecté à l'Arsenal de la Marine de guerre avec Chapitre et Prévost et tous les autres. Je travaillais pendant un certain temps avec Chapitre à la forge, puis je fus affecté à la ferblanterie. Prévost était affecté, lui, aux tours. A la suite de bombardements, je fus affecté à un kommando chargé du déblaiement, je ne vis plus Chapitre ni Prévost et, malgré les recherches que je fis, je ne pus jamais savoir ce qu'ils étaient devenus. [Note : eux aussi sont décédés]."

    Parmi les 26 déportés de Haute-Marne (sur 35) formellement identifiés dans ce convoi parti le 29 août 1944, seuls quatre survécurent : Roger Cheppe, Raymond Gourlin, Pierre Pillemont et Marcel Vaisse.

    De retour en France, Roger Cheppe, né le 26 avril 1923 à Malakoff, matricule 43 965 à Neuengamme, s'installa comme électricien. Il est décédé en 2009.

    Sources : enquêtes sur les crimes de guerre, série 163 W, Archives départementales de la Marne ; La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale, club Mémoires 52, 2022 ; Arolsen Archives.





























 

mardi 24 juin 2025

Le colonel "Raymond" : Marcel Deneux (1907-1945)


Marcel Deneux, mort après la libération de Neuengamme. (Source : archives Arolsen). 


Le dictionnaire Le Maitron consacre une notice biographique à Marcel Deneux, résistant communiste mort en déportation, qui nous intéresse parce qu'il fut peut-être interrégional dans la Champagne-Bourgogne. Nous vous présentons ici son parcours de FTP sur la foi de son dossier d'homologation FFI conservé à Vincennes.

Marcel, Emilien Deneux est né le 23 juin 1907 à Breteuil-le-Vert (Oise). Ses parents, Paul, Eugène, Clovis Deneux, manouvrier, et Marthe, Emilienne Devoye, ménagère, sont domiciliés au hameau de Cannetecourt. 

Le 12 mai 1927, Marcel Deneux est appelé, pour son service militaire, au 18e régiment du génie, où il obtient le grade de caporal. Il se marie le 20 août 1930 avec Mauricette Fauchart à Nogent-sur-Oise. Le couple n'a pas d'enfants. Militant communiste à Creil (Oise), Marcel Deneux exerce la profession d'employé principal de bureau à la SNCF.

Marcel Deneux est de nouveau appelé au 18e génie, comme télégraphiste, le 6 septembre 1939. Selon son épouse, il est "fait prisonnier le 23 juin 1940, libéré comme employé du chemin de fer le 13 juillet 1940". Il revient à Nogent-sur-Oise, où il est domicilié au 3, place Victor-Hugo.

De l'Oise à une subdivision

Son épouse indique qu'il rejoint le FN le 16 juillet 1941, puis les FTPF le 15 mars 1942 : "Le 15 juillet 1941, mon mari [...] a quitté Nogent à cette date pour rejoindre son groupe qui était dans la région parisienne sans pouvoir vous préciser le lieu." Georges Jonneau précise que Marcel Deneux est d'abord responsable départemental des FTPF. Futur commissaire militaire interrégional de l'interrégion 27, Maurice Mignon, alias Théo, témoigne : "J'ai participé avec lui à plusieurs faits de résistance tels que : le 1er mai 1942 au sabotage des moteurs des Forges du Nord-Est [à Montataire] ; le 14 juillet 1942, forges et compresseurs des Etablissement Brissonneaux ; le 12 juin 1942, au déraillement de la ligne Paris-Amiens à Cauffry ; le 24 juillet 1942 au déraillement sur la ligne Paris-Saint-Quentin à Chevrières et le 10 mars 1943, au déraillement de la ligne Paris-Creil".

La suite de son parcours est entourée de nombreux mystères.

Selon le Comité militaire national des FTPF, Deneux aurait commandé les FTPF dans l'Oise, la Somme, la Seine-Inférieure, le Calvados, l'Eure et l'Eure-et-Loir (interrégion 27) - dès septembre 1941, selon Maurice Mignon -, puis il aurait été nommé en septembre 1942 adjoint au commissaire militaire national Albert Ouzoulias (André).

D'après son épouse, Marcel Deneux, connu sous l'alias Raymond, aurait également été "nommé inter pour les départements de l'Yonne, l'Aube, la Marne, la Haute-Marne [ce qui est une erreur, la Haute-Marne dépend de l'interrégion 21]". On sait en effet, grâce à un courrier du colonel Ouzoulias daté du 20 avril 1944, que le commandant Fernand Grillot (Germain) a reçu l'ordre de se consacrer à la fonction de COIR (commissaire aux opérations interrégional) dans l'IR 28, et que Raymond (Deneux) le remplacerait comme subdivisionnaire jusqu'au 1er mai 1944. En effet, le grade de colonel (ou de lieutenant-colonel) aurait été attribué au cheminot de l'Oise le 7 avril 1944, et sa citation à l'ordre du corps d'armée indique qu'il a été "placé à la tête de 24 départements", ce qui s'apparente à une fonction de subdivisionnaire (interrégions 21, 23 et 28). Notre hypothèse, c'est que Deneux était à la disposition du comité militaire national qui lui confiait différentes missions temporaires, au gré des besoins*.

Manifestement, sa mission de subdivisionnaire est prolongée au-delà du 1er mai 1944 puisque c'est dans le Cher, à Vierzon, que le colonel Raymond est arrêté par les Allemands le 26 mai 1944, "dénoncé par son agent de liaison [B...] André (alias Desbois)" selon Mauricette Deneux.

Déporté à Neuengamme

Le cheminot est emprisonné à Bourges où, indique son épouse, il est "torturé pendant un mois : coups de nerfs de boeuf, pieds brûlés, courant électrique par tout le corps". Interné au camp de Compiègne-Royallieu à compter du 1er juillet 1944, Marcel Deneux est déporté le 15 juillet 1944 en direction du camp de Neuengamme, où il a le matricule 36 835.

La fin de sa vie, Mauricette Deneux la raconte : "libéré par les Anglais le 29 avril 1945, hospitalisé à Sandbostel, gravement malade, et décédé le 10 mai 1945". Elle qui a reçu le 17 mai 1945 une lettre de son époux annonçant sa libération n'apprend sa disparition que par un acte de décès adressé par la Croix-Rouge anglaise le 1er février 1946. Il était âgé de 38 ans.

Marcel Deneux a été homologué en 1948 au grade de commandant à compter du 1er mai 1944. Il est médaillé de la Résistance (1960).

Il "est considéré par moi comme le premier et le meilleur résistant du département de l'Oise" (Maurice Mignon).

Sources : dossier d'homologation de grade FFI, GR 16 P 174 675, SHD Vincennes ; état civil de Breteuil-le-Vert (Oise) ; archives Arolsen ; Albert OUZOULIAS, Les Bataillons de la Jeunesse, éditions sociales, 1967.

* Selon le colonel Ouzoulias, Deneux, secondé par Pierre Georges (Fabien), dirigeait durant l'hiver 1943-1944 une école des cadres FTP dans une ferme de l'Oise. 


jeudi 12 juin 2025

Quelques héros américains de la libération de Saint-Dizier, 30 août 1944

 


        Mise en valeur par Jean-Marie Chirol, futur créateur du club Mémoires 52, dès 1984, la part prise par le 35th Tank Battalion dans la libération de Saint-Dizier (30 août 1944) est bien documentée. Il est vrai que c'est ce bataillon de chars de la 4th Armoured Division (division blindée américaine) qui a payé le prix le plus fort de la conquête de la région bragarde, perdant deux tués et un char lors du combat de Chancenay.

    Chef du peloton qui s'est distingué à Chancenay, le 1st leutnant James Leach, du 35th, a d'ailleurs été proposé pour la Bronze Star dès le 8 septembre 1944.

    La Bronze Star Medal (médaille de l'étoile de bronze) est l'une des plus importantes distinctions militaires américaines. Pour les opérations de Saint-Dizier, elle a davantage été proposée à des hommes du 53rd Armoured Infantry Battalion, l'unité d'infanterie portée du Combat Command A (CC A) de la 4th AD qui a pris Saint-Dizier. Le bataillon était sous les ordres du lieutenant colonel George Lawrence Jaques, 34 ans, le futur héros de Bastogne, qui commande alors la colonne chargée de s'emparer de la cité haut-marnaise. Le bataillon, d'où sont issus les récipiendaires cités ci-dessous, est entré par l'Ouest dans la ville, remontant, avec la compagnie Miller du 35th TB, l'avenue de la République pour rejoindre le centre-ville et participer au nettoyage de la cité.

Le nettoyage, avenue Alsace-Lorraine (quartier de Gigny), par les fantassins de la division.
(Collection club Mémoires 52).


    Pour leur comportement le 30 août 1944 à Saint-Dizier, ont été proposés, pour la Silver Star, le captain Henry A. Crosby, et, pour la Bronze Star : le sergeant Mario J. DeFelippo, du Massachussets, le technician firth grade Arthur B. Kosofsky, du Massachussets, les private Joseph P. Maciorkowski, du New Jersey, Albert E. Ferguson, de l'Etat de New York, Angelo M. Scaltrito, du New Jersey, et Joseph Amann, de l'Etat de New York.

    Par ailleurs, et c'est une révélation, un officier du bataillon, le captain John R. Finnegan, a été proposé pour la Purple Heart. C'est-à-dire qu'il a été blessé lors des opérations de Saint-Dizier. Né en 1918, originaire lui aussi de l'Etat de New York, il servait dans la company A du 53th AIB et devait tomber au combat le 23 février 1945.


Le portrait du capitaine John R. Finnegan (1918-1945).
Source : Find A Grave. 

    Autre officier proposé pour la Bronze Star, mais pour les opérations du 31 août 1944 aux alentours de Saint-Dizier : le 2nd leutnant Harold G. Kimpel, du 25th Cavalry Reconnaissance Squadron. C'est cette unité de la 4th AD qui a perdu un tué ce jour-là entre Joinville et Donjeux (le sergeant Edward L. Rogers). Kimpel devait lui aussi tomber, quelques jours plus tard, le 13 septembre 1944, à l'attaque de la colline Sainte-Geneviève, sur la Moselle.

Sources principales : National Archives ; La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale, club Mémoires 52, 2022.

mardi 3 juin 2025

Les cosaques de la Wehrmacht en Haute-Marne, février - septembre 1944

Les obsèques d'un cosaque dans une caserne de Chaumont. (Collection club Mémoires 52).


La mémoire collective les appelle "les Vlassov", du nom d'un général soviétique passé au service du IIIe Reich. Dans le cas des troupes russes présentes en Haute-Marne en 1944, le terme est incorrect. Les unités cosaques qui se sont installées dans le département en février 1944 ont, en réalité, été recrutées parmi les prisonniers de guerre de l'URSS.

    Dès le 15 février 1944, Jean Eglenne, commissaire de police à Chaumont, rend compte au préfet de la Haute-Marne que "la population commente peu favorablement l'arrivée des contingents cosaques dans les casernes de Chaumont. Leur état de saleté répugnant et leur laisser-aller ont fait très mauvaise impression".

    Dans un article publié dans le numéro 166 de 39-45 magazine (avril 2000), Alain Chazette apporte d'utiles précisions sur ces hommes. Ils appartiennent à la Freiwilligen-Stamm-Division (division de remplacement de volontaires) dont l'état-major divisionnaire est créé à Lyon en février 1944. Deux régiments de cette division sont présents en Haute-Marne : le Freiwilligen (Türk)-Stamm-Regiment 3, commandé par le major Wilhelm Sebald puis le major Werner Anton (notamment à Langres, Chaumont et Gray), et le Freiwilligen (Kosaken)-Stamm-regiment 5 (à Autun, Chaumont et Langres). Grâce aux numéros de boîtes postales de campagne (feldpostnummer) identifiés par la délégation régionale de Reims du Service de recherche des crimes de guerre ennemis (SRCGE), nous savons notamment que la Jung-Kosaken-Schule (école de jeunes cosaques) du Freiw-Stamm-Reg. 5 était cantonnée à la caserne Turenne de Langres (FP 56 188).

    L'officier commandant à Chaumont les cosaques du quartier Foch (devenu caserne Adolf-Hitler) se nommait Felix Kupper. Sa logeuse, Odette Daverio, domiciliée au 86 bis, avenue de la République (à proximité de la caserne), se souvient que ce rittmeister qu'elle a accueilli à partir de février 1944 "venait [...] de la région de Pontarlier et de Lons-le-Saunier", après avoir servi à Varsovie durant l'automne 1943. Les enquêtes conduites par la SRCGE indiquent que Kupper était âgé de 35 à 40 ans environ, mesurait tantôt 1,70 m, tantôt 1,88 m, et était domicilié à Innsbruck (Autriche). On peut supposer que Felix Kupper commandait l'un des trois groupes d'escadrons (reiter-abteilung) du Freiw-Stamm-Reg. 5 : le 1er. De source allemande, le II. Reiter-Abteilung a été formé par le II./Ost-Reiter-Abteilung 454, le III. Reiter-Abteilung par l'Ost-Reiter-Abteilung 403. Les oberst Rudiger von Wedel, Aleksander von Bosse et Rudolf Stabenow auraient successivement commandé ce régiment.

    D'après les souvenirs d'Odette Daverio, les officiers casernés à Chaumont se nommeraient Hoffermann (ou Offermann), Hartmann, Niemann et Alex Lekoff (sic). A Langres, selon le maire Charles Beligné, le commandant des troupes était le hauptmann Kleihans (ou Kleinhans). Un de ses officiers était un leutnant nommé Zulkloff 

    Les opérations

    Jusqu'en juin 1944, la division ne fait pas particulièrement parler d'elle en Haute-Marne. Puis, le 15 juin 1944, elle participe à l'attaque du maquis de Laferté-sur-Aube. D'après le SRCGE, ce sont des troupes venues de Chaumont, Châtillon-sur-Seine et Vesoul qui ont pris part à cette opération, se soldant par la mort de deux FFI. Le chef du maquis (adjudant Maurice Ghirardi) croit savoir que le hauptmann Wickermann et l'oberleutnant Offermann commandaient les Russes engagés dans cette opération.

    Puis, le 30 juin 1944, ce sont toujours des cosaques de Chaumont, sous les ordres du rittmeister Kupper et du leutnant Lange, qui détruisent le maquis de Voisines, près de Langres (16 FFI et un civil tués ou exécutés). Selon la justice, une force évaluée à 800 hommes auraient été mobilisée.

    Le 8 juillet 1944, un important contingent de cosaques quitte la Haute-Marne pour aller combattre les maquis de l'Ain et du Haut-Jura. Chauffeur réquisitionné, l'abbé Pierre Perchet, de l'école de Malroy, témoigne être parti à 13 h 30, ce jour-là, du quartier Foch de Chaumont, pour prendre la direction du Jura via Langres, Champlitte et Gray. Il situe la fin de cette expédition au 23 juillet 1944, tandis qu'un chauffeur jurassien réquisitionné sur place se souvient, pour sa part, avoir ramené les troupes allemandes à Langres le 21 juillet 1944. Dans un compte-rendu ultérieur, l'abbé Perchet note qu'une des trois colonnes ennemies était dénommée K (les deux autres : B et W). Le K fait-il référence à Kupper ? C'est une hypothèse. Le prêtre rapporte surtout les nombreux massacres de civils dont il a été le témoin, notamment à Dompierre-sur-Mont et Dortan.  

    Durant la deuxième quinzaine du mois d'août 1944, tandis que les forces alliées se rapprochent du département, les cosaques sont déployés dans de nombreuses localités de la moitié sud de la Haute-Marne, et notamment dans le sud-ouest. D'après les témoignages d'habitants, ils sont ainsi une centaine à Faverolles (à partir du 15 août 1944), environ 300 à Auberive, environ 80 à Châteauvillain, etc. D'autres détachements sont présents aux promenades à Arc-en-Barrois, sur le terrain d'aviation de La Vigneulle à Rolampont, où sont rassemblés des dizaines de chevaux et poulains, à Doulevant-le-Château... "D'après les renseignements que j'ai pu recueillir, ces militaires venaient d'Autun (Saône-et-Loire), d'ailleurs ils se vantaient d'être les auteurs du pillage de cette ville", témoigne Angéline Ubry, employée de La Poste à Faverolles.

    Durant cette période, les crimes sont nombreux. Les 22 et 23 août 1944, trois résistants (Suzanne Lamy, Geneviève Aubertin, Robert Ingret) sont exécutés à Auberive. Le 24, le détachement de cosaques de Châteauvillain, associé à des troupes portant l'uniforme de la Lufwaffe, massacre 17 habitants du bourg, tandis que le même jour, une force estimée à 300 Russes et Allemands entre dans Giey-sur-Aujon - où la veille un cosaque a été tué lors d'un accrochage avec des parachutistes SAS - avec trois pièces d'artillerie et des chevaux et se livre au pillage. Pour le massacre de Châteauvillain, le SRCGE met en cause le Freiw-Stamm-Reg 5, I. reiter-abteilung. D'après les témoignages des habitants, un capitaine nommé Ackermann (Wickermann ?) serait le chef des deux détachements ayant commis ce crime, les cosaques étant commandés par deux lieutenants dont un reconnaissable à ses tatouages sur les bras. Le 27, le détachement de Faverolles se porte à Marac où un habitant, Justin Cheminade, est abattu... Selon le témoignage du maire de Saint-Loup-sur-Aujon, la colonne de 300 Allemands qui opère dans le secteur de Saint-Loup, Courcelles-sur-Aujon, Eriseul, à la recherche de "parachutistes américains", fin août 1944, ne viendrait pas de Chaumont... mais de Vesoul (hypothèse non vérifiée)...

Un repli jalonné par des crimes

    Alors que Saint-Dizier est tombée le 30 août 1944, que Chaumont est menacée le 31 août, les éléments de la Freiwilligen-Stamm-Division reçoivent l'ordre de repli vers l'Est. Les détachements disséminés en Haute-Marne rejoignent Chaumont ou Langres avant de s'en aller. Ce serait ainsi l'unité de Rolampont qui, après avoir pris le 28 août la direction de Langres par le chemin de halage du canal, exécute un habitant de Torcenay, Paul Noirot, le 31 août 1944.

    Selon Odette Daverio, c'est le 1er septembre 1944 que le rittmeister Kupper quitte le quartier Foch à la tête d'une compagnie. Les témoignages de personnes habitant sur l'axe route nationale 417 permettent de connaître son itinéraire, marqué ce jour-là par plusieurs crimes. Notons d'abord que cette colonne est accompagnée de cultivateurs requis dans plusieurs localités : Faverolles, Villiers-sur-Suize, Chamarandes, Laville-au-Bois, Biesles...

    Les cosaques passent par Mandres-la-Côte. Au carrefour de Nogent, ils croisent le chemin de deux résistants en mission et un civil qui sont pris sous son feu, vers 14 h. Deux hommes sont tués (Maurice Boé et Lucien Mongin), le troisième grièvement blessé (Jean Raclot). En passant ensuite par la ferme Coupas, territoire d'Odival, les Russes réquisitionnent un nouveau civil, Henri Thierry. Poursuivant son repli sur la RN 417, cette colonne parvient à Is-en-Bassigny. Là, dans l'après-midi (un témoin dit : vers 17 h), elle arrête trois civils qui se trouvaient auprès d'un avion de chasse américain abattu dans la matinée à Is-en-Bassigny, non loin de Montigny-le-Roi. Ces trois hommes - le ciselier Marius Blot, Pierre Moussu et Pierre Iemolini - "ont été emmenés par trois cosaques en direction de Montigny", note un témoin. 

    Au même moment, au garage Henry de Montigny-le-Roi où des camions sont en réparation, un habitant, Paul Tisserand, aidé d'un employé, Serge Charles, vole un fusil au détachement russe. Ils sont arrêtés et, avec les trois otages pris à Is-en-Bassigny, ils sont fusillés vers 18 h 30, à la sortie de Montigny, en direction de Bourbonne-les-Bains. Parmi les officiers allemands présents alors dans le bourg, les témoins se rappellent d'un lieutenant, brun, mesurant 1,80 m, portant le bras gauche en écharpe (et qui aurait été blessé à la fesse droite), d'un capitaine de forte corpulence, de même taille, mais blond, ainsi que d'un colonel.

    Les auteurs du massacre de Montigny appartiennent peut-être au détachement de 50 hommes qui passe la nuit dans le village voisin de Meuse. Le 2 septembre 1944, le gros de la colonne quitte à son tour Montigny-le-Roi pour Bourbonne, puis Jussey (Haute-Saône), où les requis civils sont libérés.

    Et ensuite ? Selon un Chaumontais, qui dit avoir recueilli les confidences d'un déserteur tchécoslovaque, ces cosaques se seraient révoltés à Jussey où ils auraient tué leurs officiers allemands. Il y a manifestement confusion avec un évènement bien connu : le passage à la Résistance, effectivement dans ce secteur, le 27 août 1944, d'un bataillon de la 30. Waffen-SS-Division composé de soldats ukrainiens et sous les ordres du major Hloba (le BUK). En réalité, le Freiw-Stamm-Reg. 5 semble se battre dans le Territoire de Belfort et en Alsace.

    A la libération, des mandats d'arrêt seront délivrés par la justice militaire française contre plusieurs officiers de la Freiwilligen-Stamm-Division accusés de crimes de guerre en Haute-Marne, en Côte-d'Or, dans le Jura et l'Ain. Nous ignorons qui, parmi eux, a pu être retrouvé, traduit devant la justice et condamné. 

Sources consultées : 163 W 3156, 3159, 3161, 3170, 3175 et 3178, AD 51 (Reims) ; 39-45 Magazine ; La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale, club Mémoires 52, 2022.


mardi 27 mai 2025

Un sillage sanglant en Champagne derrière la 15. Panzergrenadier-Division, août 1944


 Le lieutenant Otto Probst, tué le 30 août 1944 à Chancenay. (Collection club Mémoires 52).


    Comme dans la vallée de la Saulx (Meuse et Marne), c'est à une troupe assimilée à "l'Afrika Korps" qu'a été imputée la responsabilité de nombreux crimes de guerre, fin août 1944, dans l'Aube et en Haute-Marne. Ici, il ne s'agit pas de la 3. Panzergrenadier-Division mais de la 15. Pz-Gren-Div commandée - semble-t-il - par le generalleutnant Eberhardt Rodt, qui n'avait rien à envier à sa devancière sur le plan de la cruauté.

    L'histoire de cette grande unité en France commence le 23 août 1944, à Semur-en-Auxois, en Côte-d'Or. Selon l'historien Roger Bruge, un seul corps de la 15. Pz-Gren-Div - le Panzergrenadier-Regiment 104 - aurait été acheminé par le train en Bourgogne afin de s'opposer à la progression des armées alliées. En réalité, comme nous le verrons, d'autres éléments de la division sont engagés dans ces opérations. 

    Après la Côte-d'Or, on retrouve rapidement cette division dans l'Yonne. Le 26 août 1944, une colonne allemande évaluée à environ 600 hommes par le lieutenant FTP Meliki se heurte à la Compagnie Rouget de l'Isle, à Tonnerre, à une soixantaine de kilomètres de Semur. Au cours d'un combat entre l'unité ennemie associée à "l'Afrika Korps" - la 15. Pz-Gren-Div venait d'être retirée du front italien après avoir combattu en Afrique du Nord - et les FTP, un officier, le lieutenant Georges Tardy de Montravel, est fait prisonnier. Il suivra, contraint et forcé, cette colonne au cours de son repli.

    Le 27 août 1944, les Allemands quittent Tonnerre, qui est aussitôt réoccupée par les maquisards. Nous savons que le Pz-Gren-Reg 115, autre régiment de la division, est passé par cette région parce qu'un de ses hommes, le soldat Erwin Lattwein, appartenant à la compagnie de l'oberleutnant Joachim Arendt, est blessé le 28 août 1944 à Saint-Martin, près de Tonnerre.

    Puis la division pénètre sur le sol aubois. Elle est surtout localisée dans la vallée de la Barse, entre Troyes et Dolancourt, aux abords de la RN 19, entre le 27 et le 29 août 1944, alors que les Américains sont entrés dans Troyes. Dans cette région, les crimes de guerre sont particulièrement nombreux.

    Le massacre de Mesnil-Saint-Père, le 28 août 1944, est le plus important imputable à la 15. Pz-Gren-Div. Pour établir les faits, les gendarmes de Lusigny-sur-Barse ont notamment recueilli, le 16 octobre 1944, le témoignage d'un cultivateur âgé de 65 ans, Aristide Moguet. Ce dernier avait vu, vers 12 h, "arriver une troupe en formation de tirailleurs, en marche d'approche dans la partie Sud-Ouest du village. [...] Il était environ 5 h, lorsque j'aperçus de chez moi plusieurs hommes du pays, les mains croisées sur la tête, en marche avec l'ennemi. [...] Le rassemblement avait lieu dans la cour d'une propriété particulière, située en bordure de la route principale. Quelques instants plus tard, ces hommes étaient conduits en formation de section, encadrés par les Allemands, dans un verger situé à environ 150 m de chez moi. Ils furent ensuite alignés à 2 m d'intervalle".

    Le bûcheron Zacharie Gousselet fait partie des hommes rassemblés par les soldats. Il se souvient, entre autres, parmi ses camarades d'infortune, d'André Borgne qui "a réussi à s'échapper. [...] En arrivant chez Mme Viriet, ils nous alignèrent le long d'un mur. Un officier, en manches de chemises, nous dit tranquillement : "Vous pouvez vous asseoir". Ce que nous fîmes, par groupes de trois ou quatre. De 15 h à 18 h, nous sommes restés ainsi. Pendant ce temps, les Allemands avaient déterré le calot d'un des leurs, tué le vendredi précédent. [...] Ils avaient également découvert la voiture que les FFI leur avaient capturée. Un officier s'approcha de nous et nous demanda à plusieurs reprises, en français : "Lequel d'entre vous peut dire qui a tué cet homme ?". Nous lui dîmes que c'était les Américains. "Non, dit-il, s'il s'était agi d'eux, ils auraient emmené la voiture. Ce dialogue se répéta plusieurs fois. [...] L'officier commanda aux hommes d'avancer par quatre." 

    Aristide Moguet : "Ma vue était gênée par une haie et d'autres broussailles, mais me trouvant à peu de distance, j'entendis le commandement de l'officier allemand qui ordonna le feu, pour l'exécution. Soudain le crépitement de la mitraille se fit entendre. [...]"

    Zacharie Gousselet : "Etant derrière, j'ai pu voir les gardiens sortir leurs revolvers : un sergent saisit sa mitraillette, d'autres avaient des fusils. Ils s'alignèrent sur un rang et d'une rafale fusillèrent les hommes assemblés, puis à coups de fusil donnèrent le coup de grâce à certains. [...]"

    Aristide Moguet : "Un quart d'heure plus tard, j'entendis un coup de sifflet, bref. C'était le signal du rassemblement et de départ des barbares. Les Allemands quittaient le village, il était environ 18 h."

    Qui étaient ces "barbares" ? Selon Charles Jouanet, débitant, qui avait discuté avec un Luxembourgeois, ce dernier "m'a fait connaître qu'il appartenait à l'armée d'Italie, disant être en France depuis une quinzaine de jours, après avoir franchi le Brenner". Le commerçant suppose qu'il s'agit là de l'Afrika Korps. Le boulanger Gaston Drouilly, le gérant des Economiques troyens, Roger Bienaimé, le cultivateur Georges Mauguet évoquent également un détachement de "l'Afrika Korps". Cette troupe était habillée en kaki ou en vert. D'après Zacharie Gousselet, qui a échappé à l'exécution, elle venait de la direction de Montreuil-sur-Barse et est repartie vers Lusigny-sur-Barse. Il se souvient également de la présence de deux "autos mitrailleuses".

    "A Mesnil-Saint-Père, rapportent les gendarmes Louis Poupard et Pierre Masson, le 20 février 1946, aucun document provenant des Allemands n'a été découvert ; toutefois ces soldats appartenaient à la même unité que celle qui se trouvait à Lusigny, attendu que des pièces d'identité appartenant à des habitants de Mesnil-Saint-Père ont été retrouvées après le départ des Allemands". A Lusigny, effectivement, a ainsi été trouvé un courrier d'un obergefreiter associé au feldpostnummer 57 394 E (Stab II u 5-8 Kompagnies Pz-Gren-Reg 104). Un autre document - toujours retrouvé dans cette vallée - fait état du feldpostnummer 57 502 B (Stab II u Einheit Artillerie-Regiment 33). Le Pz-Gren-Reg 104 et l'AR 33 sont deux corps de la 15. Pz-Gren-Div. 

    Les victimes de ce massacre, selon le rapport de gendarmerie, sont : Daniel Arbelot, Jules Auguste (ou Augustin), Raoul Beuvelet, Aldo Casagrande, Robert Champagne, René Cot, André Dallemagne, Jean Dallemagne, Jules Dutertre, Marcel Ganichon, Charles Girard (18 ans), Gilbert Girard, Henri Krack (ou Kraak), Charles Laroche, Eugène Laroche, Joseph Marche, Etienne Moguet (17 ans), André Petit, Stanislas Pushaw (ou Puskarz), Emilien Senez, Edmond Senez, Roger Theveny, René Vierdet. Un 24e nom est ajouté en manuscrit à la liste : celui d'Eugène Marche.

Un policier SS allemand tué trois jours plus tôt

    Pourquoi ces représailles, au lendemain d'une reconnaissance de l'armée américaine ? Trois jours auparavant, le 25 août 1944, un accrochage a eu lieu entre des FFI et des soldats allemands. Interrogé par les autorités américaines, le maire de Mesnil-Saint-Père, Gaston Drouilly, témoigne que le 25 août 1944, "six Allemands ont été tués sur la route nationale. [...] Les FFI les attaquèrent comme ils pensaient vers la sucrerie de Montieramey, en haut de la côte, vers 16 h. [Il y avait] peut-être deux [voitures] en tout. L'une d'elles, une Mercedes, que les FFI avaient amenée ici. [...] On a laissé [les morts allemands] étendus dehors jusqu'au lendemain matin."

    Parmi les militaires allemands tués, figure un homme au statut bien particulier : il s'agit du SS-untersturmführer Max Ohmsen, du Kommando des Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst (Sipo-SD) de Rennes. Commandant en second du KdS Rennes, le sturmbannführer Fritz Barnekow, qui s'était installé le 16 août 1944 à Chaumont, avait envoyé Ohmsen, en mission de liaison entre le chef-lieu haut-marnais et Troyes, et c'est à cette occasion que le policier a trouvé la mort dans une embuscade.  

Retraite sanglante

    Toujours dans l'Aube, "l'Afrika Korps" - donc la 15. Pz-Gren-Div - est également impliquée dans les crimes suivants :

. 12 fusillés le 27 août 1944 à Montreuil-sur-Barse, par une colonne venant de Chauffour-lès-Bailly où six FFI ont été passés par les armes ;

. "dix civils dont trois gendarmes" tués ou exécutés à Lusigny-sur-Barse ;

. neuf morts à Bourguignons le 28 août 1944, etc.

    Des documents appartenant à des soldats permettent d'établir la présence, dans ces communes, des 1er et 2e bataillons - ce dernier commandé par le hauptmann Hunger - du Pz-Gren-Reg 104 ; de l'Artillerie-Regiment 33 (le régiment d'artillerie de la division, commandé par l'oberst Simeon selon Roger Bruge). Ce sont les régiments identifiés par l'enquête portant sur le massacre de Mesnil-Saint-Père.

    La division Rodt ne s'éternise pas dans l'Aube où elle laisse derrière elle des dizaines de victimes civiles. Elle se replie par la Haute-Marne en direction de la Lorraine.

    Selon Marcel Mougen, le 28 août 1944, "environ 2 000 Allemands étaient aux environs" de Lusigny-sur-Barse où ils sont arrivés le matin. Ils en repartent un soir, soit le 29 août 1944, soit moins vraisemblablement le 30.

    Le 28 août 1944, un convoi de soldats allemands "en uniforme vert", venant de Lentilles (Aube), se dirigeant sur Droyes (Haute-Marne) et tirant quelques pièces d'artillerie, traverse Puellemontier (Haute-Marne) vers 13 h. Là, un habitant, Eugène Cartier, est tué. Ces hommes appartenaient-ils à l'AR 33 ?

    Le 29, une autre colonne entre dans le département haut-marnais par Anglus. A la sortie de ce village, elle exécute le lieutenant Tardy de Montravel, celui-là même qui avait été capturé à Tonnerre où opérait notamment le Pz-Gren-Reg 115.

    Le 30, en tout début de matinée, une colonne de la division se scinde en deux, à Montier-en-Der. Une partie continue sur Wassy puis sur Joinville. Elle se dirige vraisemblablement vers la Lorraine. L'autre élément poursuit sa route en direction de Saint-Dizier. C'est ainsi qu'à Braucourt, un soldat de l'AR 33, Edwin Hoffmann, est tué. En représailles, Charles Jeanson et son fils Gilbert sont abattus. C'est sans doute à cette colonne qu'appartient le détachement de 150 hommes qui s'installe en bouchon entre Saint-Dizier et Bar-le-Duc, à Chancenay. Ce qui signifie qu'il a pu traverser la cité bragarde ou ses environs avant l'attaque américaine... Ce détachement est formé de militaires du Pz-Gren-Reg 104. On le sait d'une part parce qu'on a retrouvé dans le village des effets appartenant à des habitants de Lusigny-sur-Barse, d'autre part grâce aux papiers d'un des cinq soldats allemands tombés à Chancenay. Le lieutenant Otto Probst, 32 ans, et Siegfried Schäfer, 37 ans, font partie des victimes identifiées. Puis la division, ayant retraité par Commercy, est engagée dans la bataille dite de Nancy, notamment dans la région de Pont-à-Mousson. 

Sources consultées : 163 W (MM) 3172 (dossier Montreuil-sur-Barse), 3156 (dossier Afrika Korps), 3171 (dossier Mesnil-Saint-Père), AD Marne ; Maitron des fusillés ; Roger BRUGE, 1944. Le temps des massacres, Albin Michel, 1994 ; 1944 en Haute-Marne, club Mémoires 52, 1994.

    

    

jeudi 15 mai 2025

Les crimes de la 3. Panzergrenadier-Division dans la Marne, 29 août 1944


Des prisonniers allemands à Saint-Dizier. Certains de ses hommes appartenaient peut-être
à la 3. Panzer-Grenadier-Division. (Collection club Mémoires 52).


     Dans la région de Saint-Dizier, la journée du 29 août 1944 restera à jamais marquée par la tragédie de la vallée de la Saulx. Ce jour-là, des militaires appartenant essentiellement au 29. Panzergrenadier-Regiment (Pz-Gren-Reg 29) ont assassiné 86 civils dans les communes meusiennes de Robert-Espagne, Couvonges, Beurey-sur-Saulx, Mognéville, Trémont-sur-Saulx. Sur ces massacres, une étude fondamentale fait autorité depuis 1994 : celle de l'historien Jean-Pierre Harbulot*. 

    Nous nous intéresserons ici aux crimes qui ont été commis ce jour-là, et vraisemblablement par le même régiment, dans les communes voisines marnaises de Cheminon et de Sermaize-les-Bains, et, de façon générale, aux exactions perpétrées par la 3. Panzergrenadier-Division dans le triangle Vitry-le-François - Bar-le-Duc - Saint-Dizier.

    Rappelons tout d'abord que cette division, retirée du front italien, est arrivée à partir du 20 août 1944 aux confins de la Champagne et de la Lorraine. Ses éléments ont été acheminés d'Allemagne par voie ferroviaire. Il ont débarqué notamment dans les gares de Mussey, près de Bar-le-Duc, et de Saint-Dizier. Ils avaient pour mission de recueillir les convois d'une division soeur - la 15. Pz-Gren-Div - retraitant depuis l'Aube. Puis ils se battront en Lorraine.  

    Voici quels furent leurs méfaits, selon les témoignages des habitants recueillis par les gendarmes, en 1944 et 1945.

Maurupt-le-Montois, 29 août 1944, dans la matinée

    Henri Thiéblemont, 52 ans : « Vers 8 h, j’ai été interpellé par un soldat allemand qui m’a ordonné de me munir d’une pelle pour aller travailler. J’ai obéi et il m’a conduit à la mairie où se trouvait déjà une quarantaine d’hommes de la localité. Un officier allemand nous a prévenus que nous étions considérés comme otages, que quatre soldats de l’armée allemande avaient été tués par des civils dans un village voisin et que si l’un de leurs hommes était blessé ou tué, nous serions tous fusillés. Ensuite, nous avons été enfermés dans l’école et gardés par une sentinelle en arme. Nous étions 44 [...]. Aucun mauvais traitement […] Cette détention a duré jusqu’au 30 août 1944 à 5 h, moment où les Allemands ont quitté Maurupt-le-Montois. » Ce témoin se souvient de militaires dont les uniformes étaient de couleur verte, arrivés dans la nuit du 28 au 29 août 1944.

  Louis Gillet, charpentier, affirme que ces Allemands, qui ont également commis des vols, « appartenaient au 29e régiment d’infanterie. Parmi eux se trouvait un Alsacien du nom de Schmidt (Joseph). » Le 29e RI correspond évidemment au Pz-Gren-Reg 29. 

    Durant la présence de ce détachement à Maurupt, village proche de Cheminon, une habitante a été violée, une autre a été victime d'une tentative de viol, mais un radio nommé Valter, originaire de Cologne, serait intervenu pour empêcher ce crime. 

Sermaize-les-Bains, 29 août 1944, vers 12 h 40 - 13 h 40

    Henri Polliat, 2, rue des Tuileries : « Il était 12 h 45 quand un détachement de soldats allemands est arrivé dans la ville, venant de la direction de Bar-le-Duc, transporté dans plusieurs véhicules automobiles. Une des voitures dans laquelle se trouvait un gradé s’est arrêtée dans la rue Lombard en face de ma fenêtre. Immédiatement, un groupe de ces soldats [a] mis une pièce de canon en batterie sur le jardin anglais et une mitrailleuse lourde à l’entrée de la rue Lombard et aussitôt, ils ont commencé le feu. Je suis descendu me mettre à l‘abri dans la cave avec ma femme. »

    A partir de cet instant, les Sermaiziens assistent ou sont victimes des exactions de ces soldats venant de la direction de Revigny-sur-Ornain. 

    Raoul Tannier, 95, rue de Vitry : « Des Allemands mettaient des pièces en batterie rue de Vitry à proximité de chez nous. Quelques secondes plus tard, des coups ont été frappés à la porte d’entrée de notre cuisine. […] C’était bien des Allemands, mais ceux-ci, au nombre de trois ou quatre, sont entrés en criant "Raoust". Nous sommes sortis aussitôt, ma femme, mon fils de 17 ans, et moi, et nous nous sommes réfugiés chez une voisine, Mme Sauvage... » 

    De nouveau, des Allemands surgissent, et font sortir les deux familles de cette maison. Dans la rue, poursuit Raoul Tannier, « des coups de feu étaient tirés de tous les côtés et, après avoir fait quelques pas, le frère de Mme Sauvage a été touché d’une ou plusieurs balles et s’est affaissé. Au même instant, j’ai reçu une balle (que j’ai su après provenir d’une mitraillette, au jarret gauche). J’ai réussi en me traînant à terre à gagner le petit chemin conduisant aux jardins du Pré Maurupt. Un Allemand qui passait rue de Vitry et qui se trouvait à environ 40 mètres de moi, m’a aperçu et me mit en joue avec son fusil. Je lui ai crié – Ne tirez pas. C’est inutile, je suis mort. Il a déchargé néanmoins son arme sur moi, mais sans m’atteindre. Mon fils, qui était avancé dans ce chemin, est revenu en arrière et m’a traîné dans un jardin environnant où je me suis caché dans des rangées de rames à haricots. Je suis resté là pendant deux jours... » L'autre civil blessé se nomme André Froment, 39 ans, qui décèdera des suites de ses blessures. 

    Louise Gigout, 7, rue du 6-Septembre : « Deux […] soldats ont mis deux fusils mitrailleurs en batterie dans la rue de Cheminon et ont aussitôt ouvert le feu. [...] M. Lambert qui était avec nous dans la cave est sorti pour essayer d’éteindre l’incendie. En pénétrant dans le magasin, il s’est trouvé en présence d’un soldat allemand qui a tiré deux coups de feu sur lui. J’ai entendu le corps tomber. [...] Le malheureux a été carbonisé... » Né à Thionville (Moselle) en 1899, Georges Lambert était qualifié de rentier. 

    Isabelle Delissus, de Chaville (Seine-et-Oise) : « Au moment de l’affolement des personnes voisines, mon mari est allé leur ouvrir la porte ; presqu’aussitôt deux soldats se sont présentés au domicile et nous ont fait sortir dans la rue en poussant des hurlements incompréhensibles, nous sommes donc partis et plusieurs coups de feu ont retenti. Mon mari, à ce moment, s’est affaissé, ayant reçu plusieurs balles explosives dans le dos, et a succombé deux heures plus tard. » Habitant la région parisienne, Louis Delissus est né en 1893 à Waly (Meuse). 

    Alphonse Paul, 79 ans, 63, rue de Vitry : « Je me trouvais dans mon jardin et ma femme était dans la cuisine. […] A mon arrivée chez moi, j’ai trouvé ma femme étendue sur le carrelage ; elle avait été tuée par des balles automatiques tirées par des soldats allemands... » Louise Simon, épouse Paul, est née à Harmonville (Meuse) en 1860.

    Lucienne Prevost, 44, rue de Vitry : « Deux de ces soldats ont pénétré dans la cour de l’immeuble, où habitaient également M. et Mme Schaff et leurs six enfants en bas âge. A leur entrée dans la cour, ces soldats ont tiré plusieurs rafales de mitraillettes et fusils mitrailleurs. […] M. et Mme Schaff qui étaient dans la cour ont été atteints. J’ai entendu M. Schaff crier "camarade", mais la fusillade n’a pas cessé, et je l’ai entendu crier à nouveau "Ha ! Les sauvages", alors qu’ils s’affaissait près de sa femme déjà tuée. Deux de leurs enfants, la jeune Arlette, âgé de 4 ans, et Eddie, âgée de 6 mois, ont été blessées. » Employé SNCF, Paul Schaff est né en 1909 à Bussy-la-Côte (Meuse), son épouse Paulette a vu le jour en 1913 à Favresse (Marne). 

    Après avoir mis sa femme et ses enfants à l'abri, Roger Chollet veut aller chercher ses beaux-parents, M. et Mme Petit, dont l'un ne peut se déplacer. Il sort avec une brouette mais se heurte à un soldat allemand.  « Alors qu’il parlementait, un autre soldat l’a abattu à coups de revolver à bout portant », raconte Henri Polliat, qui détaille ensuite le martyre du couple : il voit Augustine Petit (née en 1879 à Isle-sur-Marne) « sortir pour aller près de son gendre qui venait d’être tué à bout portant. Ils ont refusé  et alors qu’elle insistait, un soldat l’a repoussée et enfermée dans la chambre où était le mari ». Le feu est alors mis à leur domicile, et le couple périt. « La femme avait appelé à son secours en criant "Ouvrez-moi, ouvrez-moi" ». Albert Petit avait vu le jour en 1877 à Revigny-sur-Ornain, l'ouvrier raffineur Roger Chollet en 1904 à Koeurs-la-Petite (Meuse). 

    Hélène Mansion, domiciliée place de l'Hôtel de ville : « Mon mari s’étant présenté pour ouvrir la porte [du magasin d’alimentation] a reçu une rafale de mitraillette à bout portant. [...] La brute lui avait jeté du liquide inflammable sur le corps. Quand je suis arrivée près de mon mari, ses pieds et ses cheveux étaient en flammes. Sur mon intervention immédiate, le feu a été maîtrisé. » Epicier, Pierre Mansion est né en 1904 à Paris. 

    Auguste Voliker, 53, rue de Vitry : « [Les Allemands] sont descendus avec des armes automatiques et ont ouvert le feu dans les rues pour interdire aux habitants de circuler et ont mis le feu aux habitations. Etant à ma fenêtre, j’ai vu passer le Dr Fritsch à motocyclette. Arrivé en face de la rue de la Gare, il s’est fait arrêter par deux soldats allemands. Après avoir parlementé un instant, ils lui ont pris sa motocyclette et l’ont obligé à entrer sous le porche de l’immeuble appartenant à M. Haumont. »

    Estelle Haumont aperçoit le cadavre d’un homme, sous le porche de son domicile, 11, rue de Vitry. M. Vauthrin l’identifie : c'est le docteur Henry Fritsch, né à Angoulême en 1892, veuf, père de cinq enfants, âme de la Résistance à Sermaize. « Près de lui, se trouvaient un poignard allemand et un couteau ».

    Soeur de l'infortuné médecin, Magdeleine Fritsch réside au 2, rue de la Gare, avec ses neveux et nièces. Les Allemands pénètrent dans leur domicile : « Comme ils arrosaient la table d’essence, mon autre neveu Henri leur a demandé en allemand de ne pas brûler. Ils ont alors tiré sur nous de quelques mètres, deux balles sont passées au-dessus et à travers la porte. » La famille, dont la salle à manger a été victime d'un incendie, reverra plus tard des Allemands « sur le vélomoteur de mon frère le Dr Fritsch qu’ils venaient de lui voler après l’avoir tué »...

    Marguerite Cavafian : « Cinq [Allemands] m’ont menacée de leurs revolvers et cinq autres ont mis la maison au pillage. […] Voyant que j’allais être fusillée par ces brutes, je leur ai dit "vous aurez à répondre de votre crime devant notre ambassadeur. Je suis Espagnole et cousine de Franco". […] Un gradé [...] a fait placer un lance-flammes devant moi. » Mais grâce à ses mots, elle aura la vie sauve. 

    Doyen René Bollot, curé de Sermaize : « Il y a eu l’assassinat de Mme Antoinette Loisier qui était venue soigner sa mère infirme ; ils ont tiré sur la jeune fille et ont arrosé d’essence la mère à l’aide d’une pompe et ont ensuite mis le feu à la maison. La première est morte peu après dans une maison voisine où elle avait été transportée. La maman est actuellement en traitement à l’hôpital et complètement défigurée. » Antoinette Loisier a vu le jour à Sermaize en 1904, elle est décédée à l'hôpital de Thiéblemont, sa mère Marie était âgée de 78 ans.

    Une heure après leur arrivée, les soldats allemands repartent en direction de Revigny-sur-Ornain, laissant une population meurtrie et traumatisée. Selon le maire, André Goblet, 46 maisons ont été brûlées, 200 personnes sont sans abri. Il y a aussi onze tués - et six blessés dont deux ont succombé à leurs blessures, ainsi que Raoul Morressée, 59 ans.

    Le curé Bollot évalue la force présente à Sermaize à une cinquantaine d'Allemands, armés d'au moins trois pièces de canon (une rue de Vitry, une place de l'Hôtel de ville, une troisième dans le bas de la route d'Andernay), et de plusieurs armes automatiques.  Paul Estienne se souvient que "ces soldats qui étaient tous très jeunes étaient habillés en kaki". Le photographe Léon Boulanger a conservé, chez lui, un casque allemand portant le nom de Gesbler. Un autre nom apparaît dans l'enquête menée par le Service de recherche sur les crimes de guerre ennemis (SRCGE) : celui de l'oberleutnant Kohlmeyer, sans que l'on sache s'il est réellement impliqué dans ce crime. Ce qui est certain, c'est qu'un oberleutnant Kohlmeyer appartenait à la 3e compagnie du 1er bataillon du Pz-Gren-Reg 29, donc à un bataillon distinct de celui qui a commis les massacres dans la vallée de la Saulx voisine. 


Cheminon, 29 août 1944, vers 15 h

    Jules Reuter : « Vers 15 h, j’ai vu arriver trois camions de la direction de Trois-Fontaines. Ils se sont arrêtés à l’entrée du pays à environ 150 mètres de mon habitation. Immédiatement les soldats sont descendus et ont mis deux ou trois pièces de mortier en batterie de chaque côté de la route et ont ouvert le feu sur le pays. Un des soldats est venu me demander une hache à l’aide de laquelle il a coupé un poteau de la ligne téléphonique. »

    Jules Reuter, dont la grange a elle-même été incendiée, ajoute : « Je les ais vus faire sortir les habitants des maisons voisines et y mettre le feu. A certains endroits, ils avaient répandu de l’essence avant d’allumer ».

    Arthémise Pierrejean, 71 ans : « Alors que des soldats allemands mettaient le feu au pays, mon fils Marcel, âgé de 41 ans, qui rentrait des champs, a dû discuter avec un groupe de ces soldats rencontrés dans la rue au moment où ils pénétraient dans la cour de l’immeuble. Ces soldats ont tiré sur lui. Il s’est affaissé puis ayant encore fait quelques mètres, il a été atteint une deuxième fois et s’est affaissé à mes pieds où il a perdu connaissance. Les soldats qui le suivaient ont mis le feu à la maison et aux engagements. […] Aidée d’un homme qui m’avait entendu appeler, j’ai sorti mon fils blessé hors du lieu de l’incendie. Il est mort le 31 août à l’hôpital de Saint-Dizier. » Marcel Pierrejean est né à Cheminon en 1903.

    Selon les témoins, les Allemands étaient de 30 à 40. « Les soldats qui composaient [le détachement] étaient vêtus d’une tenue kaki, quelques-uns porteurs d’une culotte courte et coiffés d’une casquette, note le maire, René Connesson. Ils appartenaient à une unité de l’Afrika korps ». Cette troupe venait de la direction de Trois-Fontaines-l'Abbaye. Il ne s'agit vraisemblablement donc pas de celle qui a semé la mort à Sermaize-les-Bains. Jules Reuter rapporte les propos d'un soldat allemand pour expliquer ces crimes : « Nous savons tout dans le bas du village, les avions détruisent chez nous, nous allons brûler le village et les fermes, et partout où nous passerons nous agirons de même » Virginie Donot, qui tient un café, se souvient que parmi les quatre Allemands venus chez lui, un parlait « correctement le français » et déclarait : « On a tiré sur nous dans le pays voisins ».

    Un rapport rédigé par le maire fait état de 25 obus tirés « sur le centre du village, aux alentours de l’église ». Bilan de ce bombardement et des incendies : 43 maisons complètement détruites, 118 personnes sans abri, relogées dans des maisons inoccupées. « Un jeune cultivateur, voulant détacher son unique cheval dans l’écurie en flammes, a reçu, à bout portant, une rafle de mitraillette. Il est mort deux jours après. » Il s'agit de Jean Pillard, né à Cheminon en 1925, décédé à l'hôpital de Saint-Dizier le 30 août. Paul Pelletier, né en 1889 à Cheminon, « a été tué par un obus, son commis, le jeune Pilliard (Jean), a été mortellement blessé et sa belle-fille très grièvement blessée », précise René Connesson, qui ajoute que le curé, l'abbé Roger Martelet, né en 1888, « a été blessé par un éclat d’obus tombé sur le presbytère ». L'autre habitante blessée, Claire Pelletier, était âgée de 29 ans. 


    Blacy, Matignicourt, 29 août 1944

    D'autres crimes ont été perpétrés, ce jour-là, par des éléments de la 3. Panzergrenadier-Division.

    Ainsi, à Blacy, près de Vitry-le-François, comme le rapportent les enquêteurs du SRCGE : « Dans la nuit du 28 au 29 août 1944, un engagement eut lieu, entre des forces allemandes et des FFI de la localité et des environs. Trois de ces FFI : Baudry, Edouard, né le 23.3.1924 à Vitry-le-François, Minier, Michel, né le ?, 20 à 25 ans, Penhould, Robert, né le 2.10.1909 à Persan (Seine-et-Oise), ont été faits prisonniers par les Allemands, puis exécutés peu après. Au cours de l’engagement, trois Allemands blessés avaient été faits prisonniers par les FFI et emmenés à l’hôpital de Thiéblemont : ce sont : Heinz, Siegle, demeurant à Secheppoch Krs. Obringen (All), numéro de matricule 26247/44, Hapski, Georges, demeurant à Hanovre, Bouvier, Edgard, demeurant à Berlin, numéro matricule 1074. Les deux derniers sont décédés à l’hôpital de Thiéblemont. Heinz a été fait prisonnier par les Américains le 11 9 1944.

    A l’endroit où se tenait le commandant de l’unité qui passait les FFI en jugement, il a été trouvé un papier portant l’inscription "Lieutenant From, 3 Division Grenadiers Panzers" ».

    A Matignicourt, selon le rapport de l'inspecteur Ragon (4 avril 1946), « un groupe d’auto-mitrailleuses ennemies au repos » a été attaqué par les FFI du maquis des Chênes. L'engagement a fait, côté FFI, deux tués et sept prisonniers. « Vers 16 h, les autos blindées quittèrent Matignicourt avec les prisonniers juchés sur les voitures et se dirigèrent vers Saint-Dizier. Elles s’arrêtèrent dans cette ville, avenue de la République, où quelques prisonniers furent reconnus par M. Vaysselle [Vesselle] Jacques... » Le détachement continue sa route jusqu'à Bar-le-Duc et arrive à Naives à 19 h 45. Là, six des sept prisonniers sont fusillés. Le septième - le lieutenant Claude Lamort de Gail - est vu le 30 août 1944 au matin dans une voiture, avec quatre Allemands. On ignore toujours son destin. Dans la chambre du village où a couché un général, une boîte portant le nom d'oberst (colonel) Kecker (sic) a été retrouvée. Horst Hecker était le nom du commandant de la 3. Pz-Gren-Div. 

    Dans d'autres communes marnaises où  le SRCGE a enquêté, ont été identifiés, à Vroil, la présence de la Stabkompanie (compagnie d'état-major) du 3e bataillon du Pz-Gren-Reg 29 ; à Cloyes et Norrois, le "peloton" commandé par un certain leutnant Beier du Panzer-Aufklarung-Abteiling 103, l'unité de reconnaissance de la division, à laquelle appartenaient certainement les auto-mitrailleuses de Matignicourt, Cette unité peut être identifiée grâce au numéro de feldpost (20 768 B) associé à un obergefreiter nommé Lorenz. 

    A l'issue de leur enquête, les autorités militaires françaises impliqueront les officiers suivants appartenant à ce régiment, et notamment dans les massacres de la vallée de la Saulx : le major (ou oberstleutnant) Dr Kurt Schaefer, le hauptmann Gerhard Wehrmann, né en 1914, commandant du III/Pz-Gren-Reg 29 - il s'agit vraisemblablement de l'officier sur lequel des résistants ont tiré vers 9 h 30, entre Baudonvilliers et Robert-Espagne, provoquant les crimes commis dans la journée -, le leutnant Edmund Fritsch, appartenant à la 10e compagnie du même bataillon, tandis que l'oberleutnant Wilhelm Dauer était impliqué dans des crimes à Martincourt et Mamey, en Meurthe-et-Moselle. 

    

* Sources consultées : 163 W 3158, 3171, 3177, AD 51 ; 102 W 72, 77, AD 54 ; 179 J 1, AD 55 ; « Les massacres du 29 août 1944 dans la vallée de la Saulx », in La vallée de la Saulx. Journées d'études meusiennes, Bar-le-Duc, Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc. 1999, p. 43-121. [texte d'une communication présentée aux XXIIe Journées d'études meusiennes organisées à Stainville les 1er et 2 octobre 1994 par l'Institut d'études lorraines de l'Université de Nancy 2].

Prochain volet : les crimes de la 15. Panzergrenadier-Division dans l'Aube et la Haute-Marne.