La mort de deux soldats des Forces françaises de l'intérieur (FFI) de la Marne, le 12 septembre 1944, près de Darmannes, est une page méconnue de l'histoire de la libération de la Haute-Marne. Ce drame s'inscrit dans le cadre du dispositif FFI demandé par l'état-major de la 3e armée américaine au major britannique Nicholas R. Bodington, pour tout à la fois assurer la sécurité des lignes de communication alliées en attendant l'arrivée du 15e corps américain, et couper à la garnison de Chaumont toute possibilité de sortie.
A partir du 8 septembre 1944, des FFI de la Haute-Marne, de l'Aube et de la Marne font mouvement vers l'arrondissement de Chaumont pour tenir une ligne Juzennecourt - Bologne. Formant une troupe d'environ 500 hommes*, ayant leur poste de commandement à Sexfontaines, ils appartiennent essentiellement au Bataillon FFI de Saint-Dizier (Compagnie du Val et maquis Mauguet), à la Compagnie Pierre (Commandos M), à la Compagnie du Der, à la Compagnie de Joinville...
Dès la nuit du 9 au 10 septembre 1944, des accrochages opposent les FFI - et soldats américains - à des patrouilles allemandes vraisemblablement sorties d'Andelot : à Bologne, Doulaincourt et Busson. Ces engagements coûtent aux FFI un tué (Jean-Claude Mougeot, à Doulaincourt) et trois blessés (à Bologne). Le 10 septembre 1944, le 15e corps qui vient d'arriver sur la Marne attaque en direction des Vosges. Le 11, c'est au tour de la 2e division blindée française de franchir la rivière et le canal de la Marne à la Saône, et de progresser vers l'Est. Le 12, la 2e DB attaque Andelot.
Darmannes se situe entre Chaumont - toujours aux mains des Allemands - et Andelot - qui sera réduit dans l'après-midi. L'engagement du 12 septembre 1944 a été raconté par deux officiers. L'un, Américain : le lieutenant Robert A. J. A. Cormier (1922-1966), saboteur (OSS) du circuit allié Pedlar. L'autre, Français : le sous-lieutenant André Pierrot.
Cormier, dit Bob, est d'origine française. Il est parachuté dans l'Aube dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944, reste plusieurs semaines au nord-est de Troyes, avant de se porter fin juillet 1944, avec le sergent radio Herbert M. Roe (Maurice), sur le hameau de Billory, à Robert-Magny. Désormais attaché à la Haute-Marne, Cormier prend contact avec le maquis de Cirey-sur-Blaise de l'adjudant Benjamin Chrétien, et participe à l'instruction de la Compagnie du Der, tout en réalisant des sabotages. Il accompagne les FFI dervois jusqu'à Juzennecourt, ainsi que le capitaine Percy John Harratt (Peter), lui aussi membre de Pedlar.
André Pierrot, dit André, sert dans la Compagnie Pierre du capitaine Raymond Krugell. Cette compagnie est formée de FFI des Commandos M, organisation de la Résistance de l'Aube et de la Haute-Marne où Pierrot commandait le maquis Maurice.
Les relations du combat
Voici le récit de l'engagement du 12 septembre 1944 fait par Robert Cormier, dans son rapport conservé par les Archives nationales : "Nous avons attaqué une ferme, où il y avait quelques Allemands, lors d'une reconnaissance personnelle faite avec le capitaine Harratt, dans les lignes ennemies. En arrivant à la ferme, trois Allemands se tenaient sur la route. Malheureusement, notre mitrailleuse s'est enrayée. Nous nous sommes retirés sur la route et avons commencé à attaquer la ferme, avec six hommes. Le capitaine Harratt avec deux hommes s'est retiré en me criant de faire de même. C'était impossible, car nous avions un blessé de l'autre côté de la route, et le feu ennemi nous empêchait de l'atteindre. Nous avons réussi à faire fonctionner notre mitrailleuse et, sous un tir de couverture, nous avons traîné le blessé jusqu'à la voiture, et nous nous sommes repliés. Pertes : deux tués et un blessé. Pertes ennemies : deux blessés, un cheval tué."
Le rapport du sous-lieutenant Pierrot est à peu près similaire, quoique plus succinct : "Le 12 septembre, trois Allemands se trouvaient dans la ferme régie par [les parents d'Henri H.] ; quatre FFI du groupe de Marault ont livré l'attaque, deux de nos camarades ont été tués. [...] Lors du combat livré dans sa ferme, [madame H, mère d'Henri.] a joué un rôle assez louche à éclaircir, les Allemands étant postés pour commander tous les défilements." Ce "rôle assez louche" motivera l'arrestation et l'interrogatoire des membres de cette famille.
Les victimes
Deux hommes ont donc perdu la vie, le jour de la libération d'Andelot : un Algérien et un Champenois. Le caporal Abdelkader Boudjema, prisonnier de guerre évadé du camp de Mailly, a rejoint le maquis des Chênes (Marne). Ce groupe s'associe à la Compagnie du Der et se porte effectivement à Marault, près de Bologne. Boudjema repose dans la nécropole de Suippes (Marne). Le sergent Adolphe Joannes, 48 ans, vient des Commandos M. Il avait résidé à Magneux (Haute-Marne) dans les années 20. Blessé devant Darmannes, il décède le même jour des suites de ses blessures à Bologne. Nous ignorons le nom du blessé évoqué par Robert Cormier.
Le lendemain de la mort de ces deux hommes, des éléments de la 2e DB - accompagnés côté Nord par les FFI de Saint-Dizier, côté Sud-Ouest par ceux du maquis Duguesclin - font leur entrée dans Chaumont. Trois jours plus tard, la Haute-Marne est totalement libérée.
Sources : Archives nationales, 72 AJ 85, rapport du circuit Pedlar - Archives départementales de la Côte-d'Or, 30 U 4, dossier H... - Maitron des fusillés, notices rédigées par Jocelyne et Jean-Pierre Husson, et Lionel Fontaine - La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale, club Mémoires 52, 2022.
* Un millier de FFI, selon le rapport du circuit Pedlar.
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