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| Le monument du maquis Mauguet, à Chancenay. (Photo L. Fontaine). |
Parmi les noms gravés dans le marbre du monument aux morts du maquis Mauguet à Chancenay, figure celui de "Jimmy", originaire des Etats-Unis. Selon les souvenirs de René Triffaut, chef du maquis, il s'agissait d'un des deux prisonniers américains évadés qui avaient rejoint son unité en août 1944. Il avait été blessé au genou lors du combat de Chancenay, le 30 août 1944, puis hissé sur un char US pour être évacué. Pourquoi ses camarades français l'ont-ils cru mort de ses blessures ? Cette version, Jean-Marie Chirol, créateur du club Mémoires 52 et historien du maquis Mauguet, ne l'avait jamais admise. Mais encore fallait-il fallait retrouver la trace de ce "Jimmy", savoir qui il était, ce qu'il est devenu. Une quête que l'historien disparu en 2002 n'a pu mener à bien.
C'est la découverte, dans les Archives nationales américaines (Nara), par Didier Desnouvaux, du rapport d'évasion d'un soldat américain nommé Henry Huitink qui nous a permis, en 2022, d'exploiter une piste très sérieuse. Originaire de l'Iowa, âgé de 27 ans, le caporal Huitink servait dans la 3rd Armored Division. Ce fantassin avait été fait prisonnier en juillet 1944 dans la région de Saint-Lô, en Normandie, comme des milliers de soldats américains. Dirigé sur Châlons-en-Champagne, à l'arrière du front, ce soldat est ensuite acheminé par le train jusqu'à un Stalag en Allemagne. Mais il réussit à s'évader pendant le trajet, en compagnie d'un compatriote, James Findlay, le 13 août 1944. Comment parviennent-ils aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne ? Nous l'ignorons précisément. Mais les deux évadés transitent par une ferme située entre Montiers-sur-Saulx et Chevillon, là où des aviateurs anglais ont également été recueillis. Dans cette vallée de la Marne, les deux Américains ont pour contact Jean Moitrot, de Rachecourt-sur-Marne, et comme ce jeune Français appartient au maquis Mauguet, c'est naturellement qu'ils se joignent à lui pour essayer de retrouver leurs lignes. L'occasion leur est donnée le 30 août 1944, lorsque les Américains attaquent Saint-Dizier et Chancenay. Henry Huitink ne cite pas le lieu exact de la blessure, mais indique que son ami Findlay est touché au genou lors de leur tentative.
Henry Huitink (1917-1999). Avec l'aimable autorisation de sa fille Barbara.
Un Américain prénommé James ("Jimmy" en est le dérivé), en relation avec le maquis Mauguet, blessé le 30 août 1944 au genou : il est donc établi que "Jimmy" correspond sans le moindre doute à James Findlay. Que savons-nous sur cet homme ? Ici encore, les Archives nationales américaines nous sont d'un grand secours pour connaître davantage la vie de celui dont on honore la mémoire depuis 1945 !
Pris huit jours après son arrivée en France
James C. Findlay est né à Cochran, dans le comté de Bleckley (Géorgie), le 26 octobre 1909. La première partie de sa vie active est militaire. Ayant hérité dans l'armée du numéro de matricule 6372642, il est affecté à Panama où il sert dans les années 30, d'abord comme soldat d'infanterie, puis comme sergent. Puis il revient à la vie civile. Alors célibataire, exerçant la profession de charpentier, Findlay s'engage de nouveau dans l'armée, pour trois ans, le 15 octobre 1941, à Fort Jackson (Caroline du Sud). Il est affecté au 28th Infantry Regiment de la 8th Infantry Division. Promu Technical Sergeant (sergent de première classe) à compter du 21 septembre 1942, Findlay rejoint l'Angleterre puis débarque le 4 juillet 1944 sur la plage d'Utah Beach, en Normandie. Il sert alors dans la Company L du 3rd Battallion. L'unité est rapidement engagée dans les combats de Normandie, pendant la "bataille des haies". Le 12 juillet 1944, dans le secteur de Vesly (Manche), le bataillon est pris sous un violent feu de 88. "Dans la zone de la compagnie L, le lieutenant Becker a été touché et tué par un prisonnier, et les lieutenants Enswiller et Shull furent sérieusement blessés par le feu, écrit Harold E. MacGregor, auteur en 1946 d'une histoire du régiment. La compagnie fut désorganisée." Il faut l'intervention du lieutenant Kaufman, de la Company M, pour que la "A" reparte de l'avant. Mais les pertes ont été lourdes. Le 16 juillet 1944, le rapport quotidien annonce que Findlay est porté disparu depuis quatre jours. En réalité, il est prisonnier...
Le 6 octobre 1944, alors que le 28th Inf Regt opère au Luxembourg, sa compagnie* apprend que le T/S Findlay n'est plus disparu mais qu'il a été "légèrement blessé" un mois et demi plus tard et hospitalisé le 31 août 1944. Souffrant de la rotule et de la patella, le sous-officier passe par plusieurs établissements : d'abord le 103rd Evacuation Hospital, à Normée, près de Fère-Champenoise**, le 104th General Hospital (à compter du 11 septembre 1944) et le 22nd (US) General Hospital (7 novembre 1944) en Angleterre, puis au Moore General Hospital (28 novembre 1944) aux Etats-Unis.
Titulaire de la Silver Star, de la Bronze Star, de la Purple Heart, James Christopher Findlay, qui était marié, décède le 23 juillet 1979 des suites d'un cancer. Il repose dans un cimetière de Caroline du Sud. Barbara, la fille de son camarade Henry Huitink se souvient être allée lui rendre visite, sur son lit d'hôpital, et avant de mourir, Findlay avait remis à son compagnon d'évasion le drapeau qu'il portait avec lui. Il n'a peut-être jamais su que chaque année, un village de France honorait sa mémoire... devant un monument aux morts.
Sources : Archives nationales américaines, rapport d'évasion de Henry Huitink, rapports du matin de l'armée américaine - Harold MacGREGOR, History of the 28th Infantry Regiment, 1946 - remerciements à Barbara Huitink, Didier Desnouvaux, Cyrille (du site Genealomaniac).
* A la fin de la guerre en Europe, la Company L aura perdu 76 tués, dix disparus, 246 blessés.
** Cet hôpital d'évacuation est ensuite installé en Haute-Marne, à Germay, du 12 au 18 septembre 1944.
D'autres évadés américains passés par la Marne et la Meuse
L'épopée du sergent Findlay et du caporal Huitink n'est pas unique. D'autres soldats américains faits prisonniers en Normandie se sont évadés lors de leur transfert en Allemagne et sont restés dans la région, que ce soit en Champagne ou en Lorraine.
James J. Sheeran, 21 ans, appartient à la Company I du 506th Parachute Infantry Regiment - il s'agit du régiment auquel appartient la fameuse Compagny E (Easy) immortalisée par la série TV Band of Brothers. Comme nombre de ses camarades, parmi lesquels son chef, le captain John T. McKnight, Sheeran est fait prisonnier après avoir sauté en Normandie - lui deux jours après son parachutage. Il saute du convoi prenant la direction de la Belgique début juillet 1944, avec un autre parachutiste de sa compagnie, Burnie V. Rainwater, 23 ans. Au cours de cette évasion, un de ses camarades est tué par un gardien, deux autres parviennent à rejoindre Paris. Au cours de leur périple, Sheeran et Rainwater passent par le nord de Mézières (Ardennes), puis restent notamment deux semaines dans un maquis de l'Argonne, près de Vienne-le-Château (Marne). Ils transitent également par Bar-le-Duc, et c'est à proximité de cette ville qu'ils sont pris en charge par leurs compatriotes, le 1er septembre 1944. James J. Sheeran a raconté ses souvenirs d'évadé en 2011 dans un ouvrage intitulé No Surrender.
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| James J. Sheeran (1923-2007). |
Caporal au Medical Detachment 38, le caporal James P. Wilson, 26 ans, est capturé le 1er août 1944 près de Saint-Lô. D'abord conduit à Paris, il est également interné à Châlons-en-Champagne jusqu'au 19 août 1944. Il situe son évasion dans la nuit du 21 août 1944, avec plusieurs soldats britanniques parmi lesquels Thomas Gent et John Sheperd. Dans son témoignage livré aux autorités américaines, Wilson se souvient d'être rendu le 22 août 1944 dans une ferme. Le 26, il marche jusqu'à Bar-le-Duc. Pris en charge par un camion de lait, il gagne un village où il reste jusqu'au 27 août 1944. En contact avec des FFI, il est mis en sûreté dans la nuit du 31 août 1944 par des compatriotes du 2nd Cavalry. James P. Wilson cite Marie-Renée Redouté et Janine Birden (de la Croix-Rouge), de Bar-le-Duc, comme deux Français lui ayant apporté leur aide.
Un autre Américain a joint son destin avec des soldats britanniques : Raymond J. Mosiej, de la Company E du 116th Infantry Regiment. Fait prisonnier le 30 juillet 1944 dans les environs de Saint-Lô, il gagne Châlons puis est transféré en train jusqu'en Allemagne. Etait-il du même convoi que Wilson ? C'est vraisemblable. En effet, Mosiej donne tantôt la date du 21 août 1944, tantôt celle du 24 août 1944 comme étant celle de son évasion, par un trou pratiqué dans le wagon, avec six parachutistes britanniques. Les évadés restent durant dix jours dans un village et sont témoins d'actions des FFI, avant leur "libération" par les Américains le 2 septembre 1944. Labbé et Jean Chevalier, de Lavincourt (Meuse), Gabriel Guillemin, Paul Baud, Charles Collet et Pol Roussel, d'Haironville (Meuse), sont les noms de Lorrains qui l'ont aidé.



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