mardi 14 octobre 2025

Qui sont les auteurs du massacre de Prauthoy ?



Le monument dédié aux victimes du massacre de Prauthoy. (Photo L. Fontaine).

A l'exception de cas isolés et qui n'ont pu être confirmés (Dancevoir, le 22 août 1944 : un retraité exécuté ; Marnaval, le 30 août 1944 : une adolescente tuée à sa fenêtre), les Waffen-SS n'ont pas été impliqués dans les crimes de guerre commis durant l'été 1944 contre la population civile de Haute-Marne. La majorité des massacres ont été perpétrés par les cosaques de la Freiwilligen-Stamm-Division et par des militaires de la Luftwaffe. Des soldats détachés auprès de l'armée de l'air sont d'ailleurs vraisemblablement responsables du massacre de Prauthoy, le 9 août 1944.

L'un des évènements les plus tragiques de l'Histoire de l'Occupation en Haute-Marne a d'abord été relaté en 1945 par le chanoine Louis-Emmanuel Marcel. Son récit a notamment été publié dans le tome 1 de La Résistance en Haute-Marne (1982). L'ecclésiastique précise que ce crime - seize victimes - a été commis après le passage, "vers 9 h du soir", d' "un train de parachutistes allemands, à l'effectif d'une compagnie - 150 hommes environ de SS (Stosstruppen, troupes de choc)". Précision importante : le chanoine note que le convoi victime d'un sabotage* à hauteur de la ferme de Suxy, sur la ligne entre Dijon et Chalindrey, correspond au "train (46) 224, indice matricule 132 429 jusqu'à Chalindrey et (15) 243 de Chalindrey à Neufchâteau, venu de Grenoble par Lyon, Mâcon, Dijon, et chargé d'un matériel d'autobus, notamment d'un car bleu, intact, du Dauphiné". Ce sont là les seuls éléments connus depuis 81 ans pour essayer d'identifier l'unité en cause dans cette tragédie, unité n'ayant jamais été identifiée.

Hélas, le dossier consacré au massacre de Prauthoy dans les archives du Service de recherche des crimes de guerre (SRCGE), délégation régionale de Reims, n'apporte pas plus de précisions. Outre le témoignage poignant de Mathilde Fourot, veuve du fermier de Suxy, y figure cependant le procès-verbal d'audition de Claudette Cornu, recueilli le 30 janvier 1945 par des gendarmes de Saône-et-Loire, qui est de nature à renseigner davantage l'itinéraire du convoi.

En effet, parmi les victimes, figurent trois hommes originaires de Saône-et-Loire (Montbellet et Uchizy), arrêtés quelques jours plus tôt et qui se trouvaient dans le train. Claudette Bontemps - veuve de l'un d'entre eux, René Cornu -, 24 ans, domiciliée au hameau de Merçey, commune de Montbellet, raconte : "Dans la soirée du 7 août 1944, mon mari en qualité de pompier s'est rendu avec d'autres camarades de la commune au hameau de Marfontaine, protéger les habitations voisines de la ferme de M. Monin, que les Allemands venaient d'incendier. [...] J'ai trouvé un cycliste, le jeune Grappin Lucien, [demeurant] à St-Oyen, qui venait me prévenir que les occupants venaient d'emmener mon mari, ainsi que deux autres habitants de la commune. [...] Ils ont fait monter ces hommes dans un train arrêté en face du hameau de Marfontaine, et le convoi est parti en direction de Chalon-sur-Saône. Le lendemain [8 août] je me suis rendue dans cette ville [...] Là, j'ai appris que le convoi ne s'était arrêté que quelques instants à Chalon et avait continué sur Dijon. Deux jours plus tard, je suis allée à Dijon. [...] Des employés de la SNCF m'ont déclaré que ledit train était déjà au-delà d'Is-sur-Tille."

Retour à Nancy

Des soldats - "parachutistes" - qui ont donc combattu dans le Dauphiné, ont pris le train à Lyon et, par la Bourgogne (Chalon, Mâcon, Dijon, etc.), se dirigeaient sur Neufchâteau... Ces informations apportées par Louis-E. Marcel et Claudette Cornu sont toutefois précieuses, car elles correspondent à l'itinéraire emprunté par la seule unité parachutiste à avoir opéré dans le Vercors : une formation détachée auprès du Kampfgeschwader 200 (KG 200). 

Le KG 200 est une unité de la Luftwaffe dont les hommes ont été aérotransportés le 14 juillet 1944 d'Essey-lès-Nancy à Lyon-Bron avant d'être déposés en planeurs le 21 juillet 1944 sur le plateau de Vassieux-en-Vercors... dans le Dauphiné. Dans le Vercors, ces hommes - des Allemands commandés par l'oberleutnant Friedrich Schäfer - ont participé à des massacres de civils, au prix d'une trentaine de tués durant les combats** - les historiens évoquent un effectif initial de 200 hommes au sein du "kampfgruppe Schäfer", chiffre à rapprocher des 150 passagers du train passé par Suxy.

Leur mission dans le Vercors a pris fin le 30 juillet 1944. L'auteur allemand Jon Volker Schlunk, qui s'est intéressé à leur histoire, précise (pages 436-437) que ces parachutistes ont ensuite regagné Lyon puis que "le haut commandement de la flotte aérienne 3 avait prévu de faire intervenir les paras après un bref détour par Nancy dans la région d'Avranches". L'auteur ajoute qu'à la date du 18 août 1944, cette troupe se trouvait près de Meaux, puis qu'elle s'est repliée en direction de l'Allemagne par Reims, la Belgique et le Luxembourg. Pas un mot, dans cet ouvrage fourmillant de détails, sur les conditions du retour entre Lyon et Nancy, encore moins sur d'éventuelles exactions commises lors de ce trajet. 

En revanche, les auteurs britanniques Geoffrey J. Thomas et Barry Ketley, auteurs d'une étude sur le KG 200, écrivent que c'est bien en train que les hommes de l'oberleutnant Schäfer sont remontés en direction de la Lorraine, et que les destructions opérées sur les lignes ferroviaires ont rendu ce trajet particulièrement long.

En effet, le train transportant les auteurs du massacre de Prauthoy a par exemple mis trois jours pour relier Mâcon à Langres. Claudette Cornu l'a indiqué dans son témoignage : le 7 août 1944, il est à Montbellet - après Mâcon, à 100 km au nord de Lyon -, le 8 à Chalon-sur-Saône puis Dijon, le 9 dans le sud de la Haute-Marne. On ignore précisément la suite de son trajet mais après un retour à Nancy via Neufchâteau, il est ensuite tout à fait possible d'être présent au 18 août 1944 en Seine-et-Marne.

Même nature des militaires, même retour du Dauphiné, même itinéraire emprunté : l'hypothèse de l'implication du groupe Schäfer dans le massacre de Prauthoy apparaît donc comme plausible, au vu des témoignages recueillis et des travaux historiques, même si aucune preuve tangible n'est venue jusque-là la confirmer. Le dossier du SRCGE ne fait en tout cas pas état de l'avancée de l'enquête. Précisons que Friedrich Schäfer, décédé en 1992, n'a jamais été condamné pour les crimes commis à Vassieux.

* Sur les auteurs du sabotage, lire l'ouvrage de Gilles HENNEQUIN, Résistance en Côte-d'Or, tome 3, 1995.

** Le chiffre des pertes a été donné par Jon Volker Schlunk.

SOURCES : Jon VOLKER SCHLUNK, Parachutistes allemands dans le Vercors : juillet 1944, Privat, 2016 - Geoffrey J. THOMAS et Barry KETLEY, Luftwaffe KG 200, Stackpole Books, 2015 - Archives départementales de la Marne, série 163 W, archives du SRCGE - informations communiquées par Maurice Bleicher. 

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