mardi 21 octobre 2025

Les trois soldats américains tombés à Brethenay, le 12 septembre 1944

Le cimetière du village de Brethenay. (Photo L. Fontaine).


Nous avons déjà évoqué ici, en 2011, l'incroyable histoire des trois correspondants de guerre américains faits prisonniers devant Chaumont, le 12 septembre 1944. Depuis quatorze ans, nous avons pu recueillir de nouvelles et précieuses informations, non seulement sur le déroulement de cet épisode, mais également sur ses autres acteurs malheureux. Trois d'entre eux ont en effet perdu la vie ce jour-là à Brethenay et sont restés depuis dans l'anonymat le plus total en Haute-Marne. Il était naturel de leur rendre hommage par ces quelques lignes.

    Commençons d'abord par le récit d'un des trois journalistes, Edward W. Beattie, d'United Press. Son témoignage en forme d'article est notamment paru dans l'Indianiapolis Times du 7 mai 1945. En voici de larges extraits.

 "Chaumont-sur-Marne [sic], 12 septembre 1944.

Ces premiers mots dans ce qui promet d'être un journal plutôt lugubre sont écrits à la lueur d'une petite bougie dans une vieille caserne française. Nous sommes derrière les barreaux, et à moins que la Providence ou "Georgie" Patton ne fassent quelque chose pour y remédier bientôt [...], nous serons derrière les barreaux pour une période importante.

John Mecklin du Chicago Sun et moi-même, ainsi que Jimmy Schwab, qui était le conducteur d'une jeep nommée June jusqu'à un malheureux évènement survenu vers 13 h aujourd'hui, venons d'être enfermés avec trois GI dont la jeep est tombée dans le même piège allemand qui nous a attrapés. Ils sont particulièrement dégoûtés parce que leur régiment [749th Tank Battalion : bataillon de chars], retranché quelque part au nord d'ici, s'est vu promettre pour la première fois des steaks pour le dîner du soir [...]. Wright Bryan, rédacteur en chef de l'Atlanta Journal et présentateur principal de la chaîne NBC, se trouve à environ à 1 mile de là, dans un hôpital où un médecin allemand lui a extrait une balle de la jambe cet après-midi. Wright a été la seule victime de notre jeep, ce qui est remarquable compte tenu du petit barrage de feu que les Allemands ont fait subir à nos soldats pendant les quinze minutes durant lesquelles nous sommes restés allongés en dessous, nous demandant quoi faire ensuite. Trois de mes compagnons de cellule ont été blessés ce soir alors que les six occupants de leur jeep tentaient de se sortir du danger en rampant dans un fossé. Wright semble parfaitement à l'aise, en dehors du fait qu'il est beaucoup trop grand pour le lit de six pieds dans lequel il a été placé, et qu'il doit se maintenir en tire-bouchon pour pouvoir rentrer. Il est au centre d'un cercle admiratif de patients civils français, qui acceptent apparemment le fait que trois correspondants américains aient été capturés, comme convaincus que les troupes combattantes ne peuvent être loin derrière.

Direction Châtillon-sur-Seine

Nous n'avions pas l'intention aujourd'hui de nous approcher du front [...]. En fait, nous étions en route pour Châtillon-sur-Seine pour assister à la reddition de 20 000 Allemands qui avaient été tenus en échec pendant plusieurs jours par une petite force mixte d'Américains et de Français sur le flanc gauche de la 3e Armée*, et qui en avaient finalement assez d'être attaqués par la 9e [Air Force]. [...] Chaumont était sur le chemin, et nous pensions que les Américains la tenaient déjà. Ce n'était pas le cas. 

Deux miles avant d'atteindre le barrage routier allemand, nous avions dépassé un pont où deux hommes portant les brassards des célèbres FFI français** montaient la garde avec des fusils. L'un d'eux fit un geste hésitant vers nous. Nous avons discuté cet après-midi pour savoir s'il s'agissait en réalité de collaborateurs agissant comme éclaireurs pour les Allemands. John Mecklin en était convaincu. Personnellement, je ne vois pas l'armée allemande utiliser les Français [...], et je pense que ces Français, nous voyant saluer gaiement à notre passage, ont songé que nous allions repérer les Allemands près de Chaumont et qu'une force plus importante nous suivrait. On peut dire ici que toute ressemblance entre trois correspondants et une patrouille offensive est purement fortuite.

Si la jeep n'avait pas transporté une remorque chargée de [nourriture, notamment], nous aurions peut-être pu faire demi-tour lorsque nous avons vu le barrage routier [...]. Il barrait une route française droite et bordée d'arbres [...]. Nous n'avons rien soupçonné jusqu'à ce que nous atteignons un tronçon où la route était jonchée de petites branches des arbres coupées par des tirs. Les feuilles étaient encore vertes [...]. Puis nous avons vu le barrage routier et les deux jeeps calcinées, ce qui signifiait que d'autres avaient été arrêtés avant nous. 

L'un d'entre nous a crié "demi-tour vite !", ou peut-être que nous avons tous crié ensemble. Jimmy a commencé frénétiquement à ramener la remorque sur la route, [en essayant de] la maintenir à l'écart des bas-côtés, où les Allemands aiment enfouir des mines. Je ne pense pas qu'aucun d'entre nous n'ait réalisé qu'il y avait des Allemands à moins de 100 mètres.

Feu sur la jeep 

Les Allemand semblent avoir été tout aussi surpris que nous. Il a dû s'écouler plus d'une minute entre le moment où ils nous ont vus et le premier coup de feu, et sans la remorque, qui continuait obstinément à pivoter dans la mauvaise direction, nous aurions depuis longtemps fait demi-tour et été hors de vue.

Il y a eu deux ou trois coups de feu, et le dernier a touché l'avant de la jeep. Il y eut ensuite une petite fusillade et alors que nous nous mettions à l'abri, je me souviens avoir pensé qu'il ne s'agissait pas de tireurs d'élite. La salve ressemblait à un barrage réglementaire à mes yeux ; en fait, elle consistait en une ou deux mitrailleuses légères, quelques mitraillettes ou pistolets et quelques fusils.

Je me suis retrouvé à l'abri sous la jeep, coincé sous l'arrière, le nez contre l'essieu arrière, me demandant quelle partie du corps de Beattie était exposée au feu. Wright [Bryan] était allongé sur le côté. Jimmy Schwab était grimpé sur la barre de remorquage entre la jeep et la remorque, essayant toujours de retirer la goupille d'attache, et prenant le temps, toutes les poignées de secondes, de donner aux Allemands une bonne dose de [mots de] Gnaden[h]ut[t]en [commune de l'Ohio dont il est originaire]. Mecklin avait plongé dans le fossé et nous n'arrêtions pas de lui crier dessus pour savoir s'il allait bien. Nous n'avons eu aucune réponse. En fait, il se faufilait avec succès dans le fossé, et aurait pu s'enfuir si la deuxième jeep n'était pas apparue et n'avait pas attiré le feu sur lui.

Je ne sais pas pourquoi nous nous sommes sentis en sécurité sous la jeep durant les premières minutes. Les balles claquaient sur la route et de temps en temps, l'une d'elles mordait sourdement la carcasse du véhicule. [...]. Je pensais que les Allemands étaient de mauvais tireurs et j'espérais ardemment qu'ils ne s'améliorent pas. Ils continuaient à tirer haut.

Deuxième jeep 

Derrière les roues, de chaque côté [...], je pouvais voir des champs ouverts. Il n'y avait pas d'abri, et j'ai soudain réalisé qu'il ne pouvait y avoir d'échappatoire. [...] On n'aime pas l'idée de se rendre, même quand on est désarmé et presque sans abri, et que c'est l'ennemi qui tire. Nous sommes restés sous la jeep et avons espéré [sans trop y croire] que quelque chose arriverait.

Je pense que Wright a reçu une balle dans la jambe au bout de trois ou quatre minutes. Il a juste dit doucement : "J'ai été touché". Je lui ai demandé si c'était grave, et il répondu : "Non, c'est juste ma jambe, et je n'ai pas senti la balle toucher l'os". Je lui ai demandé s'il voulait une cigarette et il a dit oui. J'en ai allumé deux et je lui en ai passé une. Elles avaient bon goût.

De temps en temps, les tirs sporadiques se sont intensifiés pour devenir une courte salve. Il y avait un homme qui travaillait dans le champ à droite, accroupi la plupart du temps, mais qui se levait de temps en temps pour nous regarder [...]. 

La blessure de Wright m'a soudainement fait comprendre que nous étions coincés pour de bon [...]. Nous avons convenu que le drapeau blanc était indiqué. J'ai donné mon mouchoir à Jimmy et je lui ai dit de l'agiter au-dessus de la jeep, ce qu'il pouvait faire depuis la barre de remorquage. Il a commencé à l'agiter et à jurer, et les tirs ont continué. Puis la deuxième jeep est arrivée dans le virage derrière nous. Je me suis penché sous notre voiture et j'ai essayé de les faire reculer. [...] Ils avaient réussi à faire demi-tour lorsqu'un tir malchanceux a touché le moteur. Cela a attiré des tirs pendant quelques minutes, à l'exception d'un ou deux coups de feu occasionnels tirés dans notre direction. Les Allemands tiraient sur les six hommes de la deuxième jeep alors qu'ils descendaient dans le fossé. Trois des six gisent encore là-bas. L'un d'eux a reçu une balle dans la bouche et au moins un autre est grièvement blessé.

"Jeune lieutenant de la Luftwaffe"

Après ce qui m'a semblé une heure, mais qui n'en était en réalité qu'un quart, une voix a crié "Herauskommen, herauskommen" - "sortez, sortez". Nous sommes sortis de dessous la jeep à grand peine, et Jimmy et moi avons pris les bras de Wright sur nos épaules et avons commencé à nous traîner vers le barrage routier. Il y avait une demi-douzaine d'Allemands debout, vêtus de casques d'acier, d'uniformes de la Luftwaffe et de capes de parachutistes camouflées. Ils étaient armés de fusils et d'armes automatiques, et il y avait trois ou quatre grenades à main coincées sous chaque ceinture. 

J'avais d'abord décidé de cacher ma connaissance de l'allemand pendant quelques jours, mais j'ai abandonné l'idée, pour que la jambe de Wright soit soignée. Lorsque le jeune lieutenant de la Luftwaffe qui commandait a commencé à nous crier dessus en anglais, j'ai répondu en allemand. [...] Mecklin nous a rejoint dans le camion, avec trois GI de la deuxième jeep. Il s'agit du sergent Ralph Harris, de Screven, en Georgie, du sergent Forest Eadler de Richmond, dans l'Indiana, et de Charles Padgett de Washington, dans l'Indiana. Ils avaient l'après-midi de libre et étaient sortis à la recherche d'un peu de divertissement paisible. Ils sont très dégoûtés. [...]."

Trois soldats du 749th Tank Battalion tués

    Le récit de l'embuscade s'arrête ici, mais le témoignage d'Edward J. Beattie s'étend bien au-delà de sa capture. Voyons maintenant, sur la foi de cet article, des archives américaines et d'informations recueillies par le club Mémoires 52, quelles nouvelles précisions peuvent être apportées sur cet événement.

Les lieux : Edward Beattie précise que la jeep June a circulé sur une route bordée d'arbres en direction de Chaumont, non loin de la ville. Il ne fait mention d'aucune habitation visible, à l'exception d'une ferme dans laquelle les captifs ont été rassemblés. Le journaliste indique que sur les lieux du barrage d'où sont partis les tirs ennemis se trouvaient déjà deux jeeps calcinées. Il s'agit en effet des vestiges du combat du 5 septembre 1944 qui a vu des soldats américains - dont trois ou quatre ont été tués, parmi lesquels deux militaires du 121st Cavalry Reconnaissance Squadron et un officier aviateur*** - tomber dans une précédente embuscade. Selon les souvenirs de Claude Ambrazé, ces hommes étaient partis de Bologne vers 11 h en direction de Brethenay, à la recherche d'un ou deux pilotes américains. L'embuscade a eu lieu à l'entrée du village de Brethenay, sur la RN 67, et la carcasse de la jeep incendiée par les Allemands est restée dans le fossé à hauteur de l'ancien magasin Atlas. C'est donc à cet endroit que s'est produit un nouvel accrochage le 12 septembre 1944.

Le chauffeur de la jeep : James Edward Schwab est soldat au sein du 2nd Service Team, 72nd Publicity Service Battalion, unité spéciale américaine chargée de la propagande et "de la guerre psychologique", dont l'état-major est alors stationné à Puxe (Meurthe-et-Moselle). Engagé dans l'armée le 3 mai 1943, Schwab - numéro de matricule : 35173606 - est né dans le comté de Tuscarayas, dans l'Ohio, le 21 mars 1924. Il est décédé en 1975 à Gnadenhutten - d'où la référence à cette commune dans le récit d'Edward Beattie. Les archives américaines précisent que Schwab a été libéré le 14 septembre 1944 - donc au lendemain de l'évacuation de Chaumont - et qu'il a retrouvé les lignes amies le 19.  

Les trois victimes américaines : le 749th Tank Battalion est arrivé en Haute-Marne le 8 septembre 1944. Il est établi jusqu'au 15 septembre 1944 - et son départ pour Blumerey puis la Lorraine - à 6 miles (environ 10 km) au sud-ouest de Joinville, donc vraisemblablement dans le secteur de Ferrière-et-La-Folie. Les six hommes tombés dans l'embuscade sont tous originaires de la compagnie d'état-major (Hq company). Les trois militaires qui ont perdu la vie sont :

. le sergent Keith Giles Davis (matricule 39676543), né à Lehi (Utah) le 17 janvier 1917, marié ;

. le soldat Earl Frederick Harden (matricule 35711994), né le 10 janvier 1923 dans le comté de Monroe (Indiana) ;

. le caporal John F. Rhoads (matricule 35540816), né à Shiloh (Ohio) le 5 novembre 1922.

Contrairement aux informations lues sur Internet, ces hommes ne sont ni morts à Chaumont dans l'Oise, ni même au Luxembourg, mais bien à Chaumont en Haute-Marne, soit lors de l'embuscade, soit peut-être lors d'une hospitalisation dans la ville (Davis et Harden sont portés décédés le 13 septembre 1944, Rhoads le 12 par les archives américaines). Aucun ne repose en Haute-Marne.

La liste des hommes du 749th Tk Btn tombés ou pris le 12 septembre 1944. (Nara).


Les adversaires : Edward Beattie parle d'un lieutenant de la Luftwaffe, et cite la présence d'Autrichiens parmi les soldats ennemis. Effectivement, des éléments du Luftnachrichten-Ausbildungs-Regiment 302 (régiment de détection aérienne) commandés notamment par les lieutenants Zillet et Holer étaient présents à Condes à cette époque et sont mis en cause dans le meurtre, le 11 septembre 1944, c'est-à-dire la veille de l'embuscade, et dans Brethenay, de Louis Jolibois et son fils Albert. Le barrage était donc vraisemblablement tenu par des hommes de cette unité.

Post scriptum : tôt le 13 septembre 1944, la garnison allemande quitte Brethenay où entrent dans la journée des éléments de la 2e DB française et les FFI de la Compagnie du Val ; ce même jour, vers 3 h, Beattie est extrait de sa cellule de Chaumont et emmené dans un convoi précurseur ennemi prenant la direction de Langres, puis celle de Bourbonne-les-Bains et les Vosges ; ses compagnons d'infortune partent également le 13 septembre 1944 avec la garnison chaumontaise, toujours en direction de Bourbonne mais par Montigny-le-Roi. Ils parviendront peu après à s'échapper près de Jonvelle dans les Vosges ; Wright Bryan est interné en Pologne et sera libéré en janvier 1945, Beattie ne recouvrera la liberté, par l'Armée rouge, que le 22 avril 1945...

Sources : Archives nationales américaines ; archives du club Mémoires 52.

* Il n'y eut en réalité que quelques centaines de prisonniers après la bataille dite du pont de Maisey, Beattie ne fait-il pas plutôt référence à la reddition de la colonne Elster sur la Loire ?  

** Les FFI du Nord de la Haute-Marne étaient alors en position à Bologne, à Marault et à Meures, non loin de Brethenay qui constituait le poste avancé de la garnison de Chaumont.

*** Inhumé provisoirement dans le cimetière de Condes (il serait décédé dans une maison du village ou dans le restaurant La Chaumière).

Si une plaque rendait hommage à ces trois soldats américains, son texte pourrait ressembler à celui-ci...


lundi 20 octobre 2025

Les "Cavalry Squadrons" dans la libération de la Haute-Marne, 30 août - 11 septembre 1944

Une auto-mitrailleuse M8 Greyhound du 42nd Cav Rec Sqn à Wassy, le 31 août 1944.
(Collection Jean-Marie Chirol).

C'est la 4e division blindée américaine (4th Armored Division) qui a libéré le nord de la Haute-Marne entre le 30 août et le 1er septembre 1944. Mais d'autres unités plus légères, les Cavalry Reconnaissance Squadrons (escadrons de cavalerie de reconnaissance), attachées à une division ou à un corps d'armée, ont opéré dans le département durant les jours qui ont suivi, d'abord pour éclairer l'avance des chars et de l'infanterie, ensuite pour couvrir le flanc Sud de la 3rd Armyqui se battait en Lorraine. Grâce aux morning reports (rapports matinaux) de l'armée américaine conservés par les Archives nationales (Nara), nous pouvons suivre les mouvements des différents Cav Rec Sqn, dotés d'automitrailleuses et de jeeps armées, qui ont été engagés durant ces opérations.


30 août 1944

25th Cavalry Reconnaissance Squadron (4th Armored Division). Le jour de la libération de Saint-Dizier, Villiers-en-Lieu, Chancenay, etc., par le CCA de la 4th Armored Division, la troop E de l'escadron de reconnaissance de cette même division, venu des environs de Chavanges (Aube), s'installe près de Droyes, à proximité de Montier-en-Der, à 21 h 30*. 

31 août 1944

25th Cavalry Reconnaissance Squadron. C'est le jour où le CCB de la division traverse le Nord Haute-Marne d'ouest en est, libérant Doulevant-le-Château, Wassy, Joinville... L'état-major de l'escadron part des environs de Droyes à 12 h 45 et parvient à l'ouest de Ferrière à 18 h 30 ; la troop A rencontre des éléments ennemis à Guindrecourt(-aux-Ormes) et fait huit prisonniers, avant de se porter sur Rachecourt(-sur-Marne, vraisemblablement) ; la troop C partie de Brienne-le-Château à 9 h arrive à Fronville et perd au combat Edward L. Rogers. Edward L. Rogers est né à Castleton (Vermont) le 26 février 1920. Marié, père d'un enfant, il s'engage dans l'armée en février 1942. Caporal, il fait son entrée dans Joinville en milieu d'après-midi du 31 août 1944. Puis il appartient à une reconnaissance de trois automitrailleuses M8 et quatre jeeps qui est accrochée sur la RN 67 entre "les Maisonnettes" de Mussey-sur-Marne et Donjeux. Rogers est mortellement blessé d'une balle à la gorge et expire lors de son transfert à Joinville. C'est le seul soldat américain de la 4th Armd Div tué ce jour-là en Haute-Marne.

42nd Cavalry Reconnaissance Squadron (3rd Army). La troop A de cette unité du 2nd Cavalry Group - avec le 2nd Cavalry Squadron -, qui s'était portée de Saint-Vrain (Marne) à Valcourt, se rend à Chevillon.

Le caporal Edward L. Rogers, tombé près de Mussey-sur-Marne.


1er septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. Détaché auprès du XV Corps de la 3rd Army, le 106th Cavalry Group comprend les 106th et 121st Cavalry Reconnaissance Squadrons. Le 121st est le premier à opérer en Haute-Marne. La troop B quitte Villemorien (Aube) pour Colombey-les-Deux-Eglises, la troop A du capitaine Faris J.Hess se porte sur Bar-sur-Aube. Selon Fernand Roethlisberger, habitant de la commune, la troop B est arrivée à Colombey dans la matinée. Elle se serait ensuite portée ce jour-là jusqu'aux Côtes-d'Alun, entre Blaisy et Jonchery, aux portes de Chaumont - ville toujours occupée - avant de faire demi-tour.  

25th Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop C réalise des reconnaissances entre Joinville et Chaumont. Au-delà de la rive droite de la Marne, sa 1st platoon (peloton) est engagée à 16 h 30 dans un accrochage à Rimaucourt, revendiquant dix tués et 25 prisonniers côté ennemi. C'est cette incursion qui encourage la Compagnie Châtel des FFI à entreprendre la première attaque de la garnison d'Andelot (c'est un échec).

Des soldats du 25th Cavalry Squadron à Joinville. 


2 septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop B quitte Colombey-les-Deux-Eglises pour se porter sur Dainville-Bertheléville (Meuse). Durant ce mouvement, elle passe par Vignory où plusieurs photos sont prises par les habitants. De leur côté, la troop B est à Doulaincourt (jusqu'au 8 septembre 1944), la troop C est à Biernes (près de Colombey), tandis que l'état-major et la troop E quittent Vendeuvre-sur-Barse (Aube) pour Blumerey et Doulevant-le-Château.

25th Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop C se porte sur Roches-sur-Rognon. 

Une automitrailleuse de la B/121st Cav Rec Sqn à Vignory, le 2 septembre 1944.


5 septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. Sa mission est de protéger le flanc droit de la 35th Infantry Division, qui s'est installée dans la région de Joinville en attendant l'arrivée du XV Corps. La majeure partie du squadron (troop E, company F, état-major) s'établit à Rouvroy-sur-Marne. 

La troop A fait mouvement sur Bettaincourt-sur-Rognon. Ses platoons établissent des postes à Montot-sur-Rognon, Reynel et Busson. 

La troop C, qui est toujours à Biernes, déplore la disparition au combat du caporal Morris H. Lance et du soldat Louis A. Laudiero. Il s'agit vraisemblablement des victimes d'une embuscade, le même jour, à Brethenay. Le 5 septembre 1944, en effet, selon les témoignages d'habitants de la région, quatre Américains à bord d'une jeep sont allés recueillir des renseignements sur un pilote américain et son passager, le lieutenant Rollin Francis Wade (1915-1992) et le sous-lieutenant James Hunter Munford (1913-1989), dont le Piper Cub L-4 est tombé à proximité de Condes le 1er septembre 1944 - ces deux officiers, affectés au 752nd Field Artillery Battalion, avaient été fait prisonniers, et peut-être enfermés dans l'établissement La Chaumière entre Brethenay et Chaumont. Les quatre Américains auraient été tués dans l'embuscade, dont un officier (que nous avons enfin pu identifier et à qui nous consacrerons un prochain article). 

25th Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop A qui a son PC à Leurville mène une reconnaissance dans le secteur de Saint-Blin.

6 septembre 1944

25th Cavalry Reconnaissance Squadron. La 2nd platoon de la troop C est prise sous le feu d'une mitrailleuse MG dans la région de Neufchâteau : trois soldats (Cox, Drumm, Eklund) sont légèrement blessés. De son côté, la 3rd platoon de la même troop a un engagement avec l'ennemi dans la région de Liffol-le-Grand (Vosges). 

7 septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. Le troop A se porte à Vignory, la troop E gagne les alentours de Liffol-le-Grand. 

8 septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop B fait mouvement sur Busson.

9 septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. Dans la nuit du 9 au 10 septembre 1944, une patrouille allemande se heurte à Busson à un poste avancé constitué d'une auto-mitrailleuse et de FFI de la Compagnie Châtel. Elle est repoussée. D'autres accrochages ont lieu à Doulaincourt (un FFI tué) et à Bologne (trois FFI blessés). Ces événements ne sont pas mentionnés par les morning reports de l'escadron.

10 septembre 1944

106th Cavalry Reconnaissance Squadron. En Côte-d'Or, la troop A entre dans Brion-sur-Ource (1st platoon) et "sécurise" Montigny-sur-Aube (2nd platoon), tandis que la 3rd platoon mène une reconnaissance en direction de Châteauvillain. Au cours d'un accrochage, au sud-ouest du bourg, cinq Allemands sont tués, douze sont capturés, et un camion détruit, selon le rapport quotidien. C'est la 2nd platoon qui, dans l'après-midi, entre dans Châteauvillain via Dinteville. Cet accrochage est confirmé par un habitant de Latrecey, Victor Gindrey (archives du club Mémoires 52). Celui-ci précise que l'escarmouche a eu lieu au carrefour de la route de Coupray, qu'une auto-mitrailleuse allemande a été incendiée et que trois Allemands ont été capturés. De son côté, le maire de Châteauvillain confirme l'entrée des Américains dans sa commune le 10 septembre 1944 (le lendemain, ce sera au tour d'éléments de la 2e division blindée française). Selon cet élu, un combat aurait auparavant opposé Allemands et Américains à Châteauvillain le 8 septembre 1944, combat qui aurait provoqué la mort de deux Allemands. 

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. Le squadron HQ (état-major), la company F, les troops C, E se rassemblent à Chermisey (Vosges).

11 septembre 1944

106th Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop B, qui était à Auxon (Aube), s'installe à Aizanville, près de Châteauvillain. Elle y reste jusqu'au 16 septembre 1944, recueillant treize prisonniers allemands durant son séjour.

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop A quitte Busson pour Removille (Vosges). 

A partir de cette date, le XV Corps (79th Infantry Division et 2e DB française) attaquent depuis la rivière Marne en direction des Vosges. Prez-sous-Lafauche tombe le 11 septembre 1944, Andelot le 12, Chaumont le 13, tandis que l'armée B (française) débarquée en Provence s'empare de Langres.

* Tous les horaires indiqués correspondent aux heures américaines.

Sources principales : US National Archives and Records Administration - publications du club Mémoires 52.


jeudi 16 octobre 2025

Chancenay : "Jimmy", cet Américain honoré comme tué au combat en 1944... et décédé en 1979

Le monument du maquis Mauguet, à Chancenay. (Photo L. Fontaine).


Parmi les noms gravés dans le marbre du monument aux morts du maquis Mauguet à Chancenay, figure celui de "Jimmy", originaire des Etats-Unis. Selon les souvenirs de René Triffaut, chef du maquis, il s'agissait d'un des deux prisonniers américains évadés qui avaient rejoint son unité en août 1944. Il avait été blessé au genou lors du combat de Chancenay, le 30 août 1944, puis hissé sur un char US pour être évacué. Pourquoi ses camarades français l'ont-ils cru mort de ses blessures ? Cette version, Jean-Marie Chirol, créateur du club Mémoires 52 et historien du maquis Mauguet, ne l'avait jamais admise. Mais encore fallait-il fallait retrouver la trace de ce "Jimmy", savoir qui il était, ce qu'il est devenu. Une quête que l'historien disparu en 2002 n'a pu mener à bien.

C'est la découverte, dans les Archives nationales américaines (Nara), par Didier Desnouvaux, du rapport d'évasion d'un soldat américain nommé Henry Huitink qui nous a permis, en 2022, d'exploiter une piste très sérieuse. Originaire de l'Iowa, âgé de 27 ans, le caporal Huitink servait dans la 3rd Armored Division. Ce fantassin avait été fait prisonnier en juillet 1944 dans la région de Saint-Lô, en Normandie, comme des milliers de soldats américains. Dirigé sur Châlons-en-Champagne, à l'arrière du front, ce soldat est ensuite acheminé par le train jusqu'à un Stalag en Allemagne. Mais il réussit à s'évader pendant le trajet, en compagnie d'un compatriote, James Findlay, le 13 août 1944. Comment parviennent-ils aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne ? Nous l'ignorons précisément. Mais les deux évadés transitent par une ferme située entre Montiers-sur-Saulx et Chevillon, là où des aviateurs anglais ont également été recueillis. Dans cette vallée de la Marne, les deux Américains ont pour contact Jean Moitrot, de Rachecourt-sur-Marne, et comme ce jeune Français appartient au maquis Mauguet, c'est naturellement qu'ils se joignent à lui pour essayer de retrouver leurs lignes. L'occasion leur est donnée le 30 août 1944, lorsque les Américains attaquent Saint-Dizier et Chancenay. Henry Huitink ne cite pas le lieu exact de la blessure, mais indique que son ami Findlay est touché au genou lors de leur tentative.  


Henry Huitink (1917-1999). Avec l'aimable autorisation de sa fille Barbara.

Un Américain prénommé James ("Jimmy" en est le dérivé), en relation avec le maquis Mauguet, blessé le 30 août 1944 au genou : il est donc établi que "Jimmy" correspond sans le moindre doute à James Findlay. Que savons-nous sur cet homme ? Ici encore, les Archives nationales américaines nous sont d'un grand secours pour connaître davantage la vie de celui dont on honore la mémoire depuis 1945 !

Pris huit jours après son arrivée en France

James C. Findlay est né à Cochran, dans le comté de Bleckley (Géorgie), le 26 octobre 1909. La première partie de sa vie active est militaire. Ayant hérité dans l'armée du numéro de matricule 6372642, il est affecté à Panama où il sert dans les années 30, d'abord comme soldat d'infanterie, puis comme sergent. Puis il revient à la vie civile. Alors célibataire, exerçant la profession de charpentier, Findlay s'engage de nouveau dans l'armée, pour trois ans, le 15 octobre 1941, à Fort Jackson (Caroline du Sud). Il est affecté au 28th Infantry Regiment de la 8th Infantry Division. Promu Technical Sergeant (sergent de première classe) à compter du 21 septembre 1942, Findlay rejoint l'Angleterre puis débarque le 4 juillet 1944 sur la plage d'Utah Beach, en Normandie. Il sert alors dans la Company L du 3rd Battallion. L'unité est rapidement engagée dans les combats de Normandie, pendant la "bataille des haies". Le 12 juillet 1944, dans le secteur de Vesly (Manche), le bataillon est pris sous un violent feu de 88. "Dans la zone de la compagnie L, le lieutenant Becker a été touché et tué par un prisonnier, et les lieutenants Enswiller et Shull furent sérieusement blessés par le feu, écrit Harold E. MacGregor, auteur en 1946 d'une histoire du régiment. La compagnie fut désorganisée." Il faut l'intervention du lieutenant Kaufman, de la Company M, pour que la "A" reparte de l'avant. Mais les pertes ont été lourdes. Le 16 juillet 1944, le rapport quotidien annonce que Findlay est porté disparu depuis quatre jours. En réalité, il est prisonnier...

Le 6 octobre 1944, alors que le 28th Inf Regt opère au Luxembourg, sa compagnie* apprend que le T/S Findlay n'est plus disparu mais qu'il a été "légèrement blessé" un mois et demi plus tard et hospitalisé le 31 août 1944. Souffrant de la rotule et de la patella, le sous-officier passe par plusieurs établissements : d'abord le 103rd Evacuation Hospital, à Normée, près de Fère-Champenoise**, le 104th General Hospital (à compter du 11 septembre 1944) et le 22nd (US) General Hospital (7 novembre 1944) en Angleterre, puis au Moore General Hospital (28 novembre 1944) aux Etats-Unis.

Titulaire de la Silver Star, de la Bronze Star, de la Purple Heart, James Christopher Findlay, qui était marié, décède le 23 juillet 1979 des suites d'un cancer. Il repose dans un cimetière de Caroline du Sud. Barbara, la fille de son camarade Henry Huitink se souvient être allée lui rendre visite, sur son lit d'hôpital, et avant de mourir, Findlay avait remis à son compagnon d'évasion le drapeau qu'il portait avec lui. Il n'a peut-être jamais su que chaque année, un village de France honorait sa mémoire... devant un monument aux morts.

Sources : Archives nationales américaines, rapport d'évasion de Henry Huitink, rapports du matin de l'armée américaine - Harold MacGREGOR, History of the 28th Infantry Regiment, 1946 - remerciements à Barbara Huitink, Didier Desnouvaux, Cyrille (du site Genealomaniac).

* A la fin de la guerre en Europe, la Company L aura perdu 76 tués, dix disparus, 246 blessés.

** Cet hôpital d'évacuation est ensuite installé en Haute-Marne, à Germay, du 12 au 18 septembre 1944.

D'autres évadés américains passés par la Marne et la Meuse 

    L'épopée du sergent Findlay et du caporal Huitink n'est pas unique. D'autres soldats américains faits prisonniers en Normandie se sont évadés lors de leur transfert en Allemagne et sont restés dans la région, que ce soit en Champagne ou en Lorraine. 

    James J. Sheeran, 21 ans, appartient à la Company I du 506th Parachute Infantry Regiment - il s'agit du régiment auquel appartient la fameuse Compagny E (Easy) immortalisée par la série TV Band of Brothers. Comme nombre de ses camarades, parmi lesquels son chef, le captain John T. McKnight, Sheeran est fait prisonnier après avoir sauté en Normandie - lui deux jours après son parachutage. Il saute du convoi prenant la direction de la Belgique début juillet 1944, avec un autre parachutiste de sa compagnie, Burnie V. Rainwater, 23 ans. Au cours de cette évasion, un de ses camarades est tué par un gardien, deux autres parviennent à rejoindre Paris. Au cours de leur périple, Sheeran et Rainwater passent par le nord de Mézières (Ardennes), puis restent notamment deux semaines dans un maquis de l'Argonne, près de Vienne-le-Château (Marne). Ils transitent également par Bar-le-Duc, et c'est à proximité de cette ville qu'ils sont pris en charge par leurs compatriotes, le 1er septembre 1944. James J. Sheeran a raconté ses souvenirs d'évadé en 2011 dans un ouvrage intitulé No Surrender.

James J. Sheeran (1923-2007).


    Caporal au Medical Detachment 38, le caporal James P. Wilson, 26 ans, est capturé le 1er août 1944 près de Saint-Lô. D'abord conduit à Paris, il est également interné à Châlons-en-Champagne jusqu'au 19 août 1944. Il situe son évasion dans la nuit du 21 août 1944, avec plusieurs soldats britanniques parmi lesquels Thomas Gent et John Sheperd. Dans son témoignage livré aux autorités américaines, Wilson se souvient d'être rendu le 22 août 1944 dans une ferme. Le 26, il marche jusqu'à Bar-le-Duc. Pris en charge par un camion de lait, il gagne un village où il reste jusqu'au 27 août 1944. En contact avec des FFI, il est mis en sûreté dans la nuit du 31 août 1944 par des compatriotes du 2nd Cavalry. James P. Wilson cite Marie-Renée Redouté et Janine Birden (de la Croix-Rouge), de Bar-le-Duc, comme deux Français lui ayant apporté leur aide.

    Un autre Américain a joint son destin avec des soldats britanniques : Raymond J. Mosiej, de la Company E du 116th Infantry Regiment. Fait prisonnier le 30 juillet 1944 dans les environs de Saint-Lô, il gagne Châlons puis est transféré en train jusqu'en Allemagne. Etait-il du même convoi que Wilson ? C'est vraisemblable. En effet, Mosiej donne tantôt la date du 21 août 1944, tantôt celle du 24 août 1944 comme étant celle de son évasion, par un trou pratiqué dans le wagon, avec six parachutistes britanniques. Les évadés restent durant dix jours dans un village et sont témoins d'actions des FFI, avant leur "libération" par les Américains le 2 septembre 1944. Labbé et Jean Chevalier, de Lavincourt (Meuse), Gabriel Guillemin, Paul Baud, Charles Collet et Pol Roussel, d'Haironville (Meuse), sont les noms de Lorrains qui l'ont aidé. 



mardi 14 octobre 2025

Qui sont les auteurs du massacre de Prauthoy ?



Le monument dédié aux victimes du massacre de Prauthoy. (Photo L. Fontaine).

A l'exception de cas isolés et qui n'ont pu être confirmés (Dancevoir, le 22 août 1944 : un retraité exécuté ; Marnaval, le 30 août 1944 : une adolescente tuée à sa fenêtre), les Waffen-SS n'ont pas été impliqués dans les crimes de guerre commis durant l'été 1944 contre la population civile de Haute-Marne. La majorité des massacres ont été perpétrés par les cosaques de la Freiwilligen-Stamm-Division et par des militaires de la Luftwaffe. Des soldats détachés auprès de l'armée de l'air sont d'ailleurs vraisemblablement responsables du massacre de Prauthoy, le 9 août 1944.

L'un des évènements les plus tragiques de l'Histoire de l'Occupation en Haute-Marne a d'abord été relaté en 1945 par le chanoine Louis-Emmanuel Marcel. Son récit a notamment été publié dans le tome 1 de La Résistance en Haute-Marne (1982). L'ecclésiastique précise que ce crime - seize victimes - a été commis après le passage, "vers 9 h du soir", d' "un train de parachutistes allemands, à l'effectif d'une compagnie - 150 hommes environ de SS (Stosstruppen, troupes de choc)". Précision importante : le chanoine note que le convoi victime d'un sabotage* à hauteur de la ferme de Suxy, sur la ligne entre Dijon et Chalindrey, correspond au "train (46) 224, indice matricule 132 429 jusqu'à Chalindrey et (15) 243 de Chalindrey à Neufchâteau, venu de Grenoble par Lyon, Mâcon, Dijon, et chargé d'un matériel d'autobus, notamment d'un car bleu, intact, du Dauphiné". Ce sont là les seuls éléments connus depuis 81 ans pour essayer d'identifier l'unité en cause dans cette tragédie, unité n'ayant jamais été identifiée.

Hélas, le dossier consacré au massacre de Prauthoy dans les archives du Service de recherche des crimes de guerre (SRCGE), délégation régionale de Reims, n'apporte pas plus de précisions. Outre le témoignage poignant de Mathilde Fourot, veuve du fermier de Suxy, y figure cependant le procès-verbal d'audition de Claudette Cornu, recueilli le 30 janvier 1945 par des gendarmes de Saône-et-Loire, qui est de nature à renseigner davantage l'itinéraire du convoi.

En effet, parmi les victimes, figurent trois hommes originaires de Saône-et-Loire (Montbellet et Uchizy), arrêtés quelques jours plus tôt et qui se trouvaient dans le train. Claudette Bontemps - veuve de l'un d'entre eux, René Cornu -, 24 ans, domiciliée au hameau de Merçey, commune de Montbellet, raconte : "Dans la soirée du 7 août 1944, mon mari en qualité de pompier s'est rendu avec d'autres camarades de la commune au hameau de Marfontaine, protéger les habitations voisines de la ferme de M. Monin, que les Allemands venaient d'incendier. [...] J'ai trouvé un cycliste, le jeune Grappin Lucien, [demeurant] à St-Oyen, qui venait me prévenir que les occupants venaient d'emmener mon mari, ainsi que deux autres habitants de la commune. [...] Ils ont fait monter ces hommes dans un train arrêté en face du hameau de Marfontaine, et le convoi est parti en direction de Chalon-sur-Saône. Le lendemain [8 août] je me suis rendue dans cette ville [...] Là, j'ai appris que le convoi ne s'était arrêté que quelques instants à Chalon et avait continué sur Dijon. Deux jours plus tard, je suis allée à Dijon. [...] Des employés de la SNCF m'ont déclaré que ledit train était déjà au-delà d'Is-sur-Tille."

Retour à Nancy

Des soldats - "parachutistes" - qui ont donc combattu dans le Dauphiné, ont pris le train à Lyon et, par la Bourgogne (Chalon, Mâcon, Dijon, etc.), se dirigeaient sur Neufchâteau... Ces informations apportées par Louis-E. Marcel et Claudette Cornu sont toutefois précieuses, car elles correspondent à l'itinéraire emprunté par la seule unité parachutiste à avoir opéré dans le Vercors : une formation détachée auprès du Kampfgeschwader 200 (KG 200). 

Le KG 200 est une unité de la Luftwaffe dont les hommes ont été aérotransportés le 14 juillet 1944 d'Essey-lès-Nancy à Lyon-Bron avant d'être déposés en planeurs le 21 juillet 1944 sur le plateau de Vassieux-en-Vercors... dans le Dauphiné. Dans le Vercors, ces hommes - des Allemands commandés par l'oberleutnant Friedrich Schäfer - ont participé à des massacres de civils, au prix d'une trentaine de tués durant les combats** - les historiens évoquent un effectif initial de 200 hommes au sein du "kampfgruppe Schäfer", chiffre à rapprocher des 150 passagers du train passé par Suxy.

Leur mission dans le Vercors a pris fin le 30 juillet 1944. L'auteur allemand Jon Volker Schlunk, qui s'est intéressé à leur histoire, précise (pages 436-437) que ces parachutistes ont ensuite regagné Lyon puis que "le haut commandement de la flotte aérienne 3 avait prévu de faire intervenir les paras après un bref détour par Nancy dans la région d'Avranches". L'auteur ajoute qu'à la date du 18 août 1944, cette troupe se trouvait près de Meaux, puis qu'elle s'est repliée en direction de l'Allemagne par Reims, la Belgique et le Luxembourg. Pas un mot, dans cet ouvrage fourmillant de détails, sur les conditions du retour entre Lyon et Nancy, encore moins sur d'éventuelles exactions commises lors de ce trajet. 

En revanche, les auteurs britanniques Geoffrey J. Thomas et Barry Ketley, auteurs d'une étude sur le KG 200, écrivent que c'est bien en train que les hommes de l'oberleutnant Schäfer sont remontés en direction de la Lorraine, et que les destructions opérées sur les lignes ferroviaires ont rendu ce trajet particulièrement long.

En effet, le train transportant les auteurs du massacre de Prauthoy a par exemple mis trois jours pour relier Mâcon à Langres. Claudette Cornu l'a indiqué dans son témoignage : le 7 août 1944, il est à Montbellet - après Mâcon, à 100 km au nord de Lyon -, le 8 à Chalon-sur-Saône puis Dijon, le 9 dans le sud de la Haute-Marne. On ignore précisément la suite de son trajet mais après un retour à Nancy via Neufchâteau, il est ensuite tout à fait possible d'être présent au 18 août 1944 en Seine-et-Marne.

Même nature des militaires, même retour du Dauphiné, même itinéraire emprunté : l'hypothèse de l'implication du groupe Schäfer dans le massacre de Prauthoy apparaît donc comme plausible, au vu des témoignages recueillis et des travaux historiques, même si aucune preuve tangible n'est venue jusque-là la confirmer. Le dossier du SRCGE ne fait en tout cas pas état de l'avancée de l'enquête. Précisons que Friedrich Schäfer, décédé en 1992, n'a jamais été condamné pour les crimes commis à Vassieux.

* Sur les auteurs du sabotage, lire l'ouvrage de Gilles HENNEQUIN, Résistance en Côte-d'Or, tome 3, 1995.

** Le chiffre des pertes a été donné par Jon Volker Schlunk.

SOURCES : Jon VOLKER SCHLUNK, Parachutistes allemands dans le Vercors : juillet 1944, Privat, 2016 - Geoffrey J. THOMAS et Barry KETLEY, Luftwaffe KG 200, Stackpole Books, 2015 - Archives départementales de la Marne, série 163 W, archives du SRCGE - informations communiquées par Maurice Bleicher. 

mercredi 1 octobre 2025

Alfred Migeot (1920-1945), un Langrois mort en déportation



Alfred, Jean Migeot naît le 28* septembre 1920 à Paris 18e, au 61, rue des Cloys. Il est le fils de Charles Migeot, employé de chemin de fer, et de Marie, Rose Porte, ménagère. Ses deux parents sont natifs de Larivière-sur-Apance (Haute-Marne). Au moment de la naissance de ce fils cadet (l'aîné, René, a vu le jour en 1918), la famille réside au 9, rue Caillié (appartement 8), quartier de la Chapelle. Puis elle retourne en Haute-Marne, à Langres, où naît un troisième enfant, Geneviève (1933-2024). Les Migeot résident au faubourg des Auges. 

Employé par la SNCF comme auxiliaire, affecté à la gare de Langres, Alfred Migeot est membre des Jeunesses communistes, comme son frère René. Selon leur maman, il aide son père, également cheminot à Langres, à réparer les voies coupées en juin 1940 au moment de l'invasion. Tous cheminots, Charles, René et Alfred Migeot sont au nombre des cinq communistes langrois qui figurent sur une liste de personnes à surveiller, établie en octobre 1940 par la préfecture de la Haute-Marne. Peintre de profession, Alfred Migeot réside encore à Langres à la date du 16 mai 1941. Ce jour-là, son frère aîné, qui travaille à Chalindrey, vient le rencontrer dans la cité avant une distribution de tracts. L'évènement fait l'objet d'une enquête de police.

Le 22 juin 1941, la Feldgendarmerie arrête Charles Migeot, retiré depuis quelques mois dans son village natal de Larivière-sur-Apance. Contrairement à ce qu'indique un document préfectoral, Alfred Migeot n'est pas pris dans ce coup de filet visant les militants et sympathisants du PCF. Tout comme son frère René, il parvient à fuir. De source familiale, Alfred Migeot gagne la Zone libre où il s'engage début 1942 au 405e régiment d'artillerie de défense contre avions (RADCA) à Istres. Rendu à la vie civile en novembre 1942, requis du STO, il rejoint la clandestinité, après s'être peut-être caché à Larivière.

Selon ses déclarations, Alfred Migeot, qui se dit palefrenier à Bayannes (Drôme), gagne un camp de réfractaires basé à Theys, dans l'Isère, en octobre 1943. Il quitte ce camp assez rapidement et, avec trois camarades - Julien Sagot, enseignant normand, André Dessaigne et Henri Pollez -, il se fixe dans une maison abandonnée près de Saint-Appelinard (Isère). 

En décembre 1943, un homme est exécuté près de Saint-Marcellin. Il était soupçonné d'avoir dénoncé le maire d'une commune. Cet homicide, ainsi que des vols de bicyclettes, sont imputés aux quatre clandestins qui sont arrêtés le 4 février 1944, dans leur repaire, par les gendarmes de Saint-Marcellin. Coïncidence : le chef de la brigade de gendarmerie qui procède à leur interrogatoire, le lieutenant Charles Morel, est lui aussi originaire de la Haute-Marne (Bologne) - il sera un grand combattant du Vercors.

Migeot, Sagot, Dessaigne et Pollez sont transférés à la maison d'arrêt de Grenoble, puis à la prison Saint-Paul de Lyon. Ils sont tous quatre déportés le 29 juin 1944 de Lyon à destination du camp de Dachau, où le Langrois a le numéro matricule 75 908. Passé le 21 juillet 1944 à Flossenburg, Alfred Migeot est déclaré décédé le 1er février 1945 au Kommando de Leitmoritz (Tchecoslovaquie). Selon sa fiche de déporté Arolsen, il était domicilié à Châteauneuf (Drôme) au moment de son arrestation. Il a été homologué au grade de sergent.

Son frère René, commissaire militaire interrégional FTPF dans le Sud-Ouest, a été fusillé le 26 janvier 1944 au camp de Souge, près de Bordeaux. Son père Charles, déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, y est décédé le 30 septembre 1942. Sa mère Marie-Rose, arrêtée par la police française le 8 août 1942, a pu retrouver son foyer. Elle est, avec sa fille, la seule survivante de cette famille.

Sources : Dossier 52 n°1 (juin-juillet 1997) - Archives dép. de la Haute-Marne, 342 W 307 - Arch. dép. de la Côte-d'Or, 32 U 19 et 1072 W 2-230 - Ach. dép. du Rhône, 1035 W 67 - Archives Arolsen - Etat civil de Paris.

* Et non le 27 septembre 1920 comme il est couramment admis.