Le 12 septembre 1944, une jeep de l’armée américaine, baptisée « June », roule sur la N 67, en direction de Chaumont. A son bord : quatre hommes. Le conducteur, le soldat James Schwab, et trois correspondants de guerre. Venus du camp de presse de la 3e armée Patton, ils se rendaient, dira-t-on plus tard, sur la Loire, afin de couvrir pour leurs publications respectives la capitulation du groupement allemand du général Elster.
. John M. Mecklin, du Chicago Sun.
. Edward William Beattie, d’United Press, qui était en poste à Berlin avant la guerre, ce qui explique qu’il était bien connu du Dr Goebbels.
. Wright Bryan, d’Atlanta Journal, resté célèbre pour avoir réalisé, au profit de la NBC, le premier reportage du Jour J, consacré à l’action des parachutistes américains dans la nuit du 5 au 6 juin 1944.
Il est environ 13 h lorsque sur cette route bordée d’arbres, surgit un obstacle constitué de branches. Le conducteur, Schwab, stoppe le véhicule. Pendant deux minutes, ses occupants discutent de la conduite à tenir. Beattie écrira ultérieurement que le fait que la jeep tirait une remorque les a empêchés de faire demi-tour.
Soudain, un feu violent s’abat sur le groupe. Les journalistes cherchent à se mettre à l’abri. « Tout à coup, rapportera Beattie, Bryan tourne la tête et dit : « Je suis touché ». « Est-ce grave ? », demandais-je. « Non, c’est juste ma jambe, et je n’ai pas l’impression que l’os soit touché »… » De son côté, Mecklin essaie de ramper le long d’un fossé. Il aurait pu s’échapper si…
… Si une seconde jeep américaine n’était arrivée sur la route au même moment. A son bord : six autres soldats américains, dont le sergent Harris, du 749th tank battalion, alors cantonné en forêt de Mathons, près de Joinville. Beattie racontera : la deuxième jeep « essaie de faire marche arrière. Elle est en train de tourner, lorsqu’une balle allemande met son moteur hors de marche. Les six occupants de la jeep sautent et plongent dans le fossé, au moment où les Allemands surgissent du bois, tirant en courant. Trois des six hommes de la jeep sont blessés. Les trois autres nous rejoignent en tant que prisonniers des Allemands. Nous n’avons jamais su ce qui s’est passé pour les trois hommes blessés de l’autre jeep… » Selon le fils du sergent Harris, Mecklin aurait également rapporté cet événement dans un article (nous n’en avons pas retrouvé trace), précisant que deux hommes du 749th battalion avaient été tués.
Quoi qu’il en soit, le résultat de cette embuscade, c’est que sept Américains ont été capturés.
Plusieurs questions relatives à cet événement peuvent se poser. D’abord, où s’est déroulé précisément cet accrochage ? Beattie ne le précisera pas, se contentant d’indiquer qu’il était « enroute (sic, et en français dans le texte) to Chaumont ». Toutefois nous savons, par des témoignages recueillis sur place par Claude Ambrazé, du club Mémoires 52, qu’il s’est produit aux abords de Brethenay. Peut-être dans le creux de la route formé entre ce village et Condes, à hauteur du pont-canal, là où quelques jours plus tôt, une précédente embuscade avait causé la mort du FFI André Legros, la blessure d’un autre patriote, tandis qu’un officier français parachuté, le lieutenant Bernard Savouret Garat de Nedde, parvenait à s’échapper.
Autre question : comment se fait-il qu’une jeep – nous ignorons si celle qui la suivait était chargée de l’accompagner – se soit aventurée dans une région non encore libérée, car même si ce 12 septembre, la division Leclerc attaque Andelot, ce n’est que le lendemain que Chaumont sera évacuée par sa garnison ? Personne n’a-t-il songé à avertir cet équipage qu’à Brethenay, deux embuscades ont déjà eu lieu les jours précédents, que dans ce village deux habitants ont été exécutés par les Allemands ? C’est surprenant.
Toujours est-il que Wright Bryan est transféré dans un hôpital, tandis que ses compagnons sont conduits dans d’anciens baraquements à Chaumont (dans une caserne ?). Bryan sera ensuite interné en Pologne et libéré en janvier 1945 par les Russes. Mort en 1991, il était président pour le développement de Clemson University.
Beattie sera également prisonnier de guerre en Allemagne. Il écrira un ouvrage sur sa condition de prisonnier de guerre : « Diary of a Kriegie », paru en 1946, dont nous avons eu connaissance que d’extraits.
Pendant trois jours, les sergents Harris, Forrest Eeadler et Charles Padgett suivront le destin de la garnison de Brethenay, repliée dans la nuit du 12 au 13 septembre 1944 en direction de Montigny-le-Roi via Chaumont. C’est grâce à la bienveillance d‘un de leurs geôliers qu’ils s’évaderont durant la retraite et seront recueillis à Jonvelle (Haute-Saône). Il semble que le troisième journaliste, Mecklin, ait pu retrouver la liberté à cette occasion, trois jours après sa capture. Il sera correspondant du Time en Indochine, et accompagnait le fameux reporter Robert Capa lorsque celui-ci trouva la mort sur une mine en Extrême-Orient en 1954.
Sources : cette histoire a été évoquée dans "Dossier 52" n°37 (Spécial Libération) en 2004.
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