mardi 11 novembre 2025

Les grandes étapes de la libération de la Haute-Marne par la 2e DB, 9-15 septembre 1944



La division Leclerc de passage à Froncles. 


Grande unité française commandée par le général Philippe de Hautecloque, dit Leclerc, la 2e division blindée française appartient à la 3e armée américaine. Elle se compose de trois groupements tactiques (D, L et V) composés chacun d’un régiment de chars, d’un bataillon d’infanterie porté, d’un groupe d’artillerie. Le 1er régiment de marche de spahis marocains (RMSM) occupe la mission de régiment de reconnaissance de la division, le Régiment blindé de fusiliers marins (RBFM) est l'unité de tanks destroyers. 

Le général Leclerc fait halte au carrefour de la RN 67 et de la RD 40, à Vignory.


9 septembre 1944

Après la libération de Paris, la 2e DB se porte le 9 septembre 1944 sur le département de l’Aube (dans la région de Clairvaux, notamment) et de la Haute-Marne (Villars-en Azois, Silvarouvres) en vue des futures opérations. 

10 septembre 1944

Le lendemain, elle reçoit pour mission d’attaquer avec le XV Corps américain en direction de la Moselle, qui est l’objectif pour le 11 septembre 1944 au soir. Face à elle, les Allemands tiennent une ligne passant par Châtillon-sur-Seine – Châteauvillain – Chaumont – Andelot – Prez-sous-Lafauche.

Le peloton du lieutenant Henri Serizier (4e escadron, capitaine Horace Savelli, du 1er RMSM) pousse jusqu'à Bologne où il rend compte de la destruction du pont sur la Marne, tandis que la section du sous-lieutenant Cholley du 13e bataillon du génie, rejointe par la section de surveillance (lieutenant Maurer) du Ier RMT qui est à Villars-en-Azois, se porte sur Châteauvillain. 

11 septembre 1944

Le 11 septembre 1944, pendant qu'une compagnie du Ier RMT, un peloton du 12e Cuirs et un obusier partent de Villars-en-Azois opérer contre la garnison de Châtillon-sur-Seine, la 2e DB se met en mouvement vers l'Est. 

Le détachement du lieutenant colonel Nicolas Roumiantzoff (escadron hors rang, 1er, 4e et 6e escadrons du 1er RMSM) est en flanc-garde sud, ayant pour axe de marche l'itinéraire Lignol – Colombey-les-Deux-EglisesVignory – Andelot – Contrexéville (Vosges). 

Sur la RN 67, à hauteur de Vignory. 


Le GT L (colonel Paul de Langlade) est en tête. Il est découplé en deux sous-groupements. Le chef d’escadrons Pierre Minjonnet, chef de corps du 12e régiment de chasseurs d’Afrique (RCA), commande le premier sous-groupement, qui progresse au nord. Il est composé des 1er et 4e escadrons de son régiment, de la 6e compagnie du 2e bataillon du Régiment de marche du Tchad (IIe RMT), d’une batterie du 40e régiment d’artillerie nord-africaine (RANA) et de deux pelotons du Régiment blindé de fusiliers marins (RBFM) et du 1er RMSM. Au sud, le sous-groupement du commandant Jacques Massu, chef du IIe RMT (moins la 6e compagnie), dispose du 2/12e RCA. Quant au 3/12e RCA, il reste en réserve.

Partant de Bayel (Aube) à partir de 7 h, le sous-groupement Minjonnet passe par Colombey, Marbéville et Vignory. 

Des hommes de la 2e DB font halte à Marbéville...

... et à Vignory.


Ayant fait mouvement une heure plus tôt, le sous groupement Massu emprunte l’itinéraire Rennepont – Montheries – Lachapelle-en Blaisy – Bologne, évitant ainsi Chaumont et Juzennecourt. Un temps d’arrêt est marqué à Vignory à cause de la destruction des ponts sur la Marne et le canal, notamment à Villiers-sur-Marne. Comme le pont de Vouécourt, réparé par les habitants, ne peut laisser passer que des chars moyens, le franchissement de la Marne se fait par le pont de l’usine de Froncles que l’ennemi semble avoir oublié et qui est intact. Les cours d’eau sont franchis à 11 h 45. 

Le pont de Vouécourt, réparé à l'aide de peupliers.


Minjonnet continue sa progression sur la rive droite de la Marne par Doulaincourt, Busson, Leurville et se présente devant Prez-sous-Lafauche annoncé comme tenu, tandis que Massu avance par Andelot, Rimaucourt et Saint-Blin

La prise de Prez-sous-Lafauche

Le sous-groupement Minjonnet, arrivant de la direction de Lafauche, est chargé de nettoyer la résistance de Prez-sous-Lafauche, village sur l'axe Chaumont - Neufchâteau qui est signalé occupé à 13 h 30. Sont engagés le peloton d’éclaireurs (lieutenant Hubert Chevalier) et le peloton de mortiers du 12e RCA, le 4e escadron (lieutenant Jean Baillou) de ce régiment et la 6e compagnie du IIe RMT. Le journal de marche du 4/12e RCA précise : « L’unité s’arrête à l’orée du bois qui domine le village à environ 1 500 m. Des tirs sont exécutés sur une barricade et dans quelques maisons signalées comme étant occupées […], par le sous-lieutenant Servant (peloton d’éclaireurs), le peloton Dufour à l’ouest, le peloton Vautrin et les mortiers doivent traverser le village jusqu’à la sortie Est, le peloton Catala vers la sortie Ouest. Le peloton Chevalier attaque le village venant du nord (près du cimetière). » Le sous-lieutenant Jean Baillou de Masclary, 27 ans, du peloton d’éclaireurs du 12e RCA, « accompagnant le sous-lieutenant Vaultrin, est tué d’une rafale de mitraillette » - à 14 h 30 selon l’historique du régiment. 

La résistance tombe rapidement. Les archives du 12e RCA revendiquent entre une centaine et 200 prisonniers, un GMC récupéré, un autre détruit par un tir du char Armagnac II (sous-lieutenant Dufour). Le même document rend compte de la mort de 30 Allemands, tandis que l’enquête de 1948 évoque seize tués, exécutés par les soldats français en représailles de la mort du soldat Armand Button (selon les confidences d’un officier français à l’historien Olivier de Boissoudy). Parmi les blessés allemands, le médecin-capitaine du 12e RCA, Jean Netik, se souvient avoir soigné le lieutenant allemand Bürr. Côté français, il y a deux tués : Masclary et le soldat Button, du RMT, tué d’une balle dans la tête. Il y a également quatre blessés : le sergent-chef Emile Trebald, du RMT, par une balle au bras droit, le brigadier-chef Pierre Rougetet (peloton de mortiers), d’une balle de mitraillette, Marc Gianni, d’une balle à la cuisse droite, Mohamed Tenia, d’une balle au poignet droit, ces trois derniers appartenant au 12e RCA. Puis, après la prise de Prez-sous-Lafauche, à laquelle ont assisté brièvement le général Leclerc - qui, un peu plus tôt, avait fait halte avec sa jeep au carrefour de la RN 67 et de la RD 40, à Vignory - et le colonel de Langlade, le 4e escadron du 12e RCA poursuit sa route en direction des Vosges, précédé de l’escadron du Hays et d’un peloton de TD. Le camp Z1SA des FFI locaux a participé également au nettoyage de la région, revendiquant deux tués ennemis. 

A 15 h, le sous groupement Minjonnet repart, atteint Goncourt puis Sommerécourt puis entre dans le département des Vosges. Tandis que Massu s’empare de Contrexéville, le 3/12e RCA, en réserve, garde les ponts de Goncourt et Saint-Thiébault

De son côté, le détachement Roumiantzoff s'est porté sur Vignes-la-Côte (1er escadron) et Andelot (4e escadron et peloton Chavannes du RBFM). Le peloton Serizier s'est heurté à Andelot à une résistance allemande, perdant un tué (le brigadier Robert Derocle), plusieurs blessés dont un mortellement (Robert Chaplain). L'obusier Edith a été détruit par un coup de panzerfaust. 

12 septembre 1944

Le 12 septembre 1944, c’est le GT V (général Pierre Billotte), parti de la veille de l'Yonne et arrivé dans la région de Saint-Blin - Vignes-la-Côte, par Vignory et Doulaincourt, qui a pour mission de réduire le centre de résistance d’Andelot. Tandis que le sous-groupement Putz reste à Bettaincourt-sur-Rognon, ce sont les sous-groupements La Horie, par Rimaucourt, et Cantarel, par Signéville, qui attaquent la localité.

L'enseigne de vaisseau Philippe de Gaulle (RBFM) à Bologne.


La bataille d'Andelot

Le matin, un ultimatum est lancé à la garnison - le kampfgruppe de l'oberstleutnant Ludwig Wienkoop - par l'intermédiaire des capitaines Branet et Dronne, afin qu'elle se rende avant 10 h. Ce que les Allemands refusent. Après une courte mais violente préparation d'artillerie exécutée par le XI/64e régiment d'artillerie de la division blindée (RADB) et une batterie américaine du 273rd Armored Field Artillery Battalion (à 13 h 45), les sous-groupements Cantarel et de La Horie qui débouchent des directions de Vignes-la-Côte et de Saint-Blin passent à l'assaut. Il s'agit essentiellement des 9e (Raymond Dronne) et 10e (Maurice Sarazac) compagnies du IIIe RMT, de la 3e compagnie (Buis) du 501e RCC, d'éléments du 13e bataillon du génie arrivés la veille à Saint-Blin. 

Le combat est relativement bref mais violent, la résistance réduite, les otages civils retenus en mairie libérés vers 15 h. Côté français, sept soldats ont été tués (adjudant Roger Deschamps, sergent Henri Pertuiset et Marc Logez, du 501e RCC, sergent-chef Manuel Morillas et caporal Gilbert Biscay, du IIIe RMT, sergent Gabriel Vaugien et Francis Ricardi, du 13e BG), et douze ont été blessés. Le GTV revendiquera plus de 300 morts et 750 prisonniers, dont le lieutenant-colonel Wienkoop, capturé sous le pont du Rognon et conduit au PC du général Billotte à Reynel. Si le bilan revendiqué par les Français est élevé, les fosses communes ne contiendront toutefois que les corps de 66 soldats allemands. Cette différence de bilans humains, certes courante dans une période de guerre, est à l'origine d'une polémique sur un probable massacre de prisonniers allemands. Plusieurs témoignages, et même des documents photos, montrent en effet que des prisonniers ont été froidement abattus, notamment par un officier de la division Leclerc. 

Les prisonniers allemands réunis dans une prairie d'Andelot.


Tandis que le GTL libère Andelot, le 4/1er RMSM et le peloton Chavannes du RBFM s'installent à Bourmont, font six prisonniers et détruisent un canon lors de patrouilles sur Levécourt, Maisoncelles et Breuvannes. Pour sa part, le sous-groupement du lieutenant-colonel Jacques de Guillebon, qui comprend la 1ère compagnie (capitaine Boussion) du Ier RMT, un escadron du 12e cuirs et une batterie du 3e régiment d'artillerie coloniale, se porte sur Andelot depuis Villars-en-Azois, via Laferté-sur-Aube, Longchamp-sur-Aujon, Lavilleneuve-au-RoiBlaisy, Juzennecourt,  Bologne. 

La 2e DB de passage à Laferté-sur-Aube.


13 septembre 1944

Le 13 septembre 1944, un peloton du 5e escadron du RMSM et une section de la 2e compagnie du 13e BG, c'est-à-dire des éléments du GT Dio également composé du 12e cuirs et du 3e escadron du RBFM, reçoivent à 14 h l'ordre de reconnaître Chaumont. Venus par Villiers-le-Sec, ils parviennent, malgré les obstacles (des abattis, les gravats du viaduc partiellement détruit, un fossé anti-chars) à entrer dans la ville à 16 h. D'autres éléments arrivant de Brethenay pénètrent dans la cité dans la soirée. 

Un half-track de la 2e DB dans le centre-ville de Chaumont.


14 septembre 1944

Le 14 septembre 1944, rejoint la veille par les éléments détachés à Châtillon-sur-Seine et Essoyes, le Ier RMT laisse l'escadron Bonhomme à Villars-en-Azois et se dirige (3e compagnie du capitaine Joubert) sur Vrécourt (Vosges) au sein du groupement Rouvillois, avec un escadron du 12e cuirs, le peloton de 105 et une batterie du 3e RAC. Ce groupement passe par Andelot, Saint-Blin, Chalvraines et Bourmont. La compagnie du RMT du sous-groupement de Guillebon est à Brainville-sur-Meuse. Au détachement Roumiantzoff, le peloton Serizier du 4/1er RMSM et un peloton du RBFM détruisent à Damblain (Vosges) un canon de 88 et douze véhicules dont deux blindés. 

La jonction entre la 2e DB et la 1ère DB venue de Provence se fait ce jour-là en Haute-Marne à Chamarandes par le 1er RMSM et le 2e RSAR, et à Clefmont le lendemain par les mêmes unités. 

15 septembre 1944

Le 15 septembre 1944 (selon le JMO du Ier RMT), le sous-groupement Rouvillois pousse sur Rimaucourt via l'itinéraire précédent, à partir de 9 h 20. « Le passage du canal de la Marne à la Saône à Bologne sur un pont de fortune retarde la marche de la colonne qui parvient à destination à 12 h 30 » (JMO). Au soir, le Ier RMT - dont le commandant Robert Quilichini a pris le commandement le 12 septembre 1944 à Villars-en-Azois en lieu et place du commandant Henry Farret - est à Rimaucourt (où est le PC du GTD), Bourmont, Andelot et Orquevaux. Se déplaçant sur Chaumont, le sous-lieutenant Debos, de l'escadron Bonhomme (FFI parisiens), fait deux prisonniers dans la ferme de Huguenotte. 

Un obusier, de passage sur un pont de fortune. 


Le 16 septembre 1944, le Ier RMT quitte Rimaucourt pour Bulgnéville via Bourmont, rejoint le lendemain par l'escadron Bonhomme. Les opérations de la 2e DB en Haute-Marne sont terminées.

A l’occasion de son passage dans le département, plusieurs FFI s’enrôlent dans les rangs de la division, issus principalement de la Compagnie du Val. 

Source principale : journaux des marches et des opérations du 1er RMSM, du 12e RCA, du RMT, Service historique de la Défense ; Jérémy GERARD, Andelot dans la tourmente, 1940-1944 ; La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale, club Mémoires 52, 2023 ; archives de Daniel Guérain et Olivier de Boissoudy ; photos issues de la collection du club Mémoires 52.

mardi 4 novembre 2025

A la recherche de l'équipage du Piper Cub tombé entre Chaumont et Condes, 1er - 5 septembre 1944

James H. Munford, après sa capture par les Allemands. (Source : Nara).


En 1994, dans 1944 en Haute-Marne, le club Mémoires 52 faisait état, à la date du 5 septembre 1944, de la mort de trois soldats américains "dans le secteur de Brethenay" et de la chute à Condes d'un chasseur de l'USAAF dont le pilote aurait été tué. En réalité, ces deux évènements se sont déroulés aux portes de Chaumont à deux dates certes proches mais différentes, ainsi qu'en avait conclu Claude Ambrazé, membre actif du club, lors d'une enquête menée en juin 1996. 

Faute d'avoir pu découvrir des documents officiels "dans les archives municipales de Condes et Brethenay", cet enfant de Bologne a pu apprendre, auprès d'habitants, qu'un avion est bien tombé au lieu-dit Les Combes sur le territoire de Condes, en limite du faubourg de Buxereuilles (Chaumont), que des pièces ont été récupérées par des civils, et qu'elles ont permis d'identifier l'avion comme étant un Piper Cub, un appareil pouvant accueillir deux occupants - le pilote et un passager. Pour Claude Ambrazé, "il est vraisemblable que les deux aviateurs américains détenus prisonniers le 5 septembre par les Allemands en poste à La Chaumière sont les deux membres d'équipage de cet avion". Car en effet, c'est pour obtenir la libération de deux Américains à Condes, dans ce restaurant situé au bord de la RN 67, qu'une expédition a été montée par leurs compatriotes.

Claude Ambrazé (1930-2022) devant des pièces du Piper Cub.


Mais revenons d'abord à la chute de cet appareil, l'un des 26 tombés sur le sol de Haute-Marne sous l'Occupation. Elle est intervenue, non pas le 5, mais le 1er septembre 1944, à 3 km au nord de Chaumont selon les Archives américaines. Il s'agit donc bien de l'avion tombé à Condes. L'appareil correspond au Piper Cub L-4 43-30439. Contrairement à ce que nous avons d'abord pensé, il ne dépendait pas de la 4th Armored Division, qui a libéré Saint-Dizier le 30 août 1944 et Joinville le lendemain, mais du 752nd Field Artillery Battalion (bataillon d'artillerie de campagne). Cantonné à Guindrecourt-aux-Ormes, ce bataillon appartenant à la Third Army était vraisemblablement attaché à la 35th Infantry Division, dont une Task Force s'est installée dans la région de Joinville à partir du 2 septembre 1944. 

Le pilote se nomme Rollin Francis Wade. Né le 4 juillet 1915 à Kenne (Nebraska), domicilié dans le Kansas, il s'engage en février 1941 dans l'armée américaine. First lieutenant, il sert à l'état-major (Hq) du 752nd FA Bn. Son passager - et camarade - James Hunter Munford est également originaire du Kansas où il est né le 29 août 1913 à Greeley, mais il habite en Californie. Bactériologue (dans le civil), il sert dans la Batterie C du bataillon comme second lieutenant.

Tous deux sont capturés - Munford aurait été blessé - et internés en Allemagne, Wade dans un Stalag Luft, Munford à l'Oflag 64 (en octobre 1944). Ils sont libérés en 1945 par l'Armée rouge. Rollin F. Wade décède en 1992, James H. Munford en 1989.

Mais avant leur départ Outre-Rhin, leurs compatriotes ont cherché à les libérer.

La mort d'un Louisianais

Le 5 septembre 1944, une Jeep s'arrête à Bologne. Claude Ambrazé, adolescent à cette époque, se souvient bien de l'épisode, d'autant qu'il coïncide avec son 14e anniversaire. Il note, dans son journal : "Le matin, je suis sur la place avec les Américains qui y sont stationnés. Vers 11 h, deux Jeeps partent vers Brethenay pour identifier un avion qui y est tombé. Deux soldats sont tués et un officier aviateur venu spécialement est blessé et meurt. Les autres Américains reviennent en rampant à Bologne après avoir mis le feu à la voiture." De source américaine, l'expédition a été réalisée par le 121st Cavalry Reconnaissance Squadron, et effectivement, deux soldats de la Troop C, alors installée à Biernes, près de Colombey-les-Deux-Eglises, ont perdu la vie ce jour-là : Louis A. Laudiero et Morris H. Lance. Ce sont deux des trois victimes de l'embuscade. Le troisième, c'est l'officier. "Blessé grièvement à l'entrée de Brethenay, il est emmené par les Allemands à "La Chaumière" où il meurt et ensuite est enterré au cimetière de Condes", écrit Claude Ambrazé - pour Roger Doré, qui avait rencontré l'expédition à Marault et lui avait suggéré de passer par Laharmand et Jonchery plutôt que par la RN 67, la mort de l'officier serait plutôt survenue devant la maison de Mme Gouot.

Les archives américaines nous apprennent que cet officier est le first lieutenant Samuel Washington Humber, lui aussi de l'état-major du 752nd FA Bn, "killed in action" le 5 septembre 1944. Elles ne précisent pas le lieu de décès mais situent sa mort à 11 h 30, ce qui correspond à l'horaire donné par Claude Ambrazé. Egalement pilote de Piper Cub, Humber est né le 14 août 1911 à Carthage, en Caroline du Nord. Il grandit à Baltimore puis se marie en 1937 à Shreveport, en Louisiane. Il exerce le métier de directeur de magasin de chapeaux Wormser et s'engage le 14 mai 1942. Sur le site "Find a grave", où l'on peut voir son portrait, il est indiqué - de façon erronée - qu'Humber est décédé à Chaumont... dans l'Allier alors qu'il s'agit bien de Chaumont en Haute-Marne. D'abord enterré à Condes, il est inhumé au cimetière de Limey (Meurthe-et-Moselle). Aujourd'hui, Humber repose à Arlington.

Samuel W. Humber. Source : Find a Grave.


Y eut-il, ce jour-là, des victimes autres que Laudiero, Lance et Humber lors de cette embuscade ? Selon l'extrait du rapport d'un officier de l'aviation d'observation d'artillerie de la Third Army, cité par l'historien britannique Ken Wakefield dans son ouvrage The fighting grasshoppers, le pilote, dont il ne mentionne pas l'identité, était accompagné de trois soldats, et tous, montés dans une seule Jeep, avaient été tués. Mais nous n'avons pas trouvé trace d'une quatrième victime, ni dans les archives du 121st Cav Rec Sqn, ni dans celles du 752nd FA Bn.  

Autre mystère : Claude Ambrazé se souvient bien de la carcasse de la Jeep incendiée - par les Allemands - "dans le fossé de la RN 67 avant Brethenay, à peu près à l'emplacement du magasin Atlas actuel", mais n'évoque pas le destin du deuxième véhicule. Pour Roger Doré, cité dans le tome 3 de La Résistance en Haute-Marne, "les occupants de la deuxième Jeep abandonnèrent leur voiture et regagnèrent Bologne à travers champs".

Concluons cette page d'histoire méconnue en précisant qu'une semaine plus tard, le 12 septembre 1944, alors que Brethenay - ainsi que Condes - est défendu par des éléments du Luftnachrichten-Ausbildungs-Regiment 302, une autre embuscade aux conséquences tragiques - trois Américains tués, six prisonniers dont trois journalistes - s'est déroulée au même endroit, la veille de la libération de Chaumont. 

Sources principales : Archives nationales américaines - notes de Claude Ambrazé. 

mardi 21 octobre 2025

Les trois soldats américains tombés à Brethenay, le 12 septembre 1944

Le cimetière du village de Brethenay. (Photo L. Fontaine).


Nous avons déjà évoqué ici, en 2011, l'incroyable histoire des trois correspondants de guerre américains faits prisonniers devant Chaumont, le 12 septembre 1944. Depuis quatorze ans, nous avons pu recueillir de nouvelles et précieuses informations, non seulement sur le déroulement de cet épisode, mais également sur ses autres acteurs malheureux. Trois d'entre eux ont en effet perdu la vie ce jour-là à Brethenay et sont restés depuis dans l'anonymat le plus total en Haute-Marne. Il était naturel de leur rendre hommage par ces quelques lignes.

    Commençons d'abord par le récit d'un des trois journalistes, Edward W. Beattie, d'United Press. Son témoignage en forme d'article est notamment paru dans l'Indianiapolis Times du 7 mai 1945. En voici de larges extraits.

 "Chaumont-sur-Marne [sic], 12 septembre 1944.

Ces premiers mots dans ce qui promet d'être un journal plutôt lugubre sont écrits à la lueur d'une petite bougie dans une vieille caserne française. Nous sommes derrière les barreaux, et à moins que la Providence ou "Georgie" Patton ne fassent quelque chose pour y remédier bientôt [...], nous serons derrière les barreaux pour une période importante.

John Mecklin du Chicago Sun et moi-même, ainsi que Jimmy Schwab, qui était le conducteur d'une jeep nommée June jusqu'à un malheureux évènement survenu vers 13 h aujourd'hui, venons d'être enfermés avec trois GI dont la jeep est tombée dans le même piège allemand qui nous a attrapés. Ils sont particulièrement dégoûtés parce que leur régiment [749th Tank Battalion : bataillon de chars], retranché quelque part au nord d'ici, s'est vu promettre pour la première fois des steaks pour le dîner du soir [...]. Wright Bryan, rédacteur en chef de l'Atlanta Journal et présentateur principal de la chaîne NBC, se trouve à environ à 1 mile de là, dans un hôpital où un médecin allemand lui a extrait une balle de la jambe cet après-midi. Wright a été la seule victime de notre jeep, ce qui est remarquable compte tenu du petit barrage de feu que les Allemands ont fait subir à nos soldats pendant les quinze minutes durant lesquelles nous sommes restés allongés en dessous, nous demandant quoi faire ensuite. Trois de mes compagnons de cellule ont été blessés ce soir alors que les six occupants de leur jeep tentaient de se sortir du danger en rampant dans un fossé. Wright semble parfaitement à l'aise, en dehors du fait qu'il est beaucoup trop grand pour le lit de six pieds dans lequel il a été placé, et qu'il doit se maintenir en tire-bouchon pour pouvoir rentrer. Il est au centre d'un cercle admiratif de patients civils français, qui acceptent apparemment le fait que trois correspondants américains aient été capturés, comme convaincus que les troupes combattantes ne peuvent être loin derrière.

Direction Châtillon-sur-Seine

Nous n'avions pas l'intention aujourd'hui de nous approcher du front [...]. En fait, nous étions en route pour Châtillon-sur-Seine pour assister à la reddition de 20 000 Allemands qui avaient été tenus en échec pendant plusieurs jours par une petite force mixte d'Américains et de Français sur le flanc gauche de la 3e Armée*, et qui en avaient finalement assez d'être attaqués par la 9e [Air Force]. [...] Chaumont était sur le chemin, et nous pensions que les Américains la tenaient déjà. Ce n'était pas le cas. 

Deux miles avant d'atteindre le barrage routier allemand, nous avions dépassé un pont où deux hommes portant les brassards des célèbres FFI français** montaient la garde avec des fusils. L'un d'eux fit un geste hésitant vers nous. Nous avons discuté cet après-midi pour savoir s'il s'agissait en réalité de collaborateurs agissant comme éclaireurs pour les Allemands. John Mecklin en était convaincu. Personnellement, je ne vois pas l'armée allemande utiliser les Français [...], et je pense que ces Français, nous voyant saluer gaiement à notre passage, ont songé que nous allions repérer les Allemands près de Chaumont et qu'une force plus importante nous suivrait. On peut dire ici que toute ressemblance entre trois correspondants et une patrouille offensive est purement fortuite.

Si la jeep n'avait pas transporté une remorque chargée de [nourriture, notamment], nous aurions peut-être pu faire demi-tour lorsque nous avons vu le barrage routier [...]. Il barrait une route française droite et bordée d'arbres [...]. Nous n'avons rien soupçonné jusqu'à ce que nous atteignons un tronçon où la route était jonchée de petites branches des arbres coupées par des tirs. Les feuilles étaient encore vertes [...]. Puis nous avons vu le barrage routier et les deux jeeps calcinées, ce qui signifiait que d'autres avaient été arrêtés avant nous. 

L'un d'entre nous a crié "demi-tour vite !", ou peut-être que nous avons tous crié ensemble. Jimmy a commencé frénétiquement à ramener la remorque sur la route, [en essayant de] la maintenir à l'écart des bas-côtés, où les Allemands aiment enfouir des mines. Je ne pense pas qu'aucun d'entre nous n'ait réalisé qu'il y avait des Allemands à moins de 100 mètres.

Feu sur la jeep 

Les Allemand semblent avoir été tout aussi surpris que nous. Il a dû s'écouler plus d'une minute entre le moment où ils nous ont vus et le premier coup de feu, et sans la remorque, qui continuait obstinément à pivoter dans la mauvaise direction, nous aurions depuis longtemps fait demi-tour et été hors de vue.

Il y a eu deux ou trois coups de feu, et le dernier a touché l'avant de la jeep. Il y eut ensuite une petite fusillade et alors que nous nous mettions à l'abri, je me souviens avoir pensé qu'il ne s'agissait pas de tireurs d'élite. La salve ressemblait à un barrage réglementaire à mes yeux ; en fait, elle consistait en une ou deux mitrailleuses légères, quelques mitraillettes ou pistolets et quelques fusils.

Je me suis retrouvé à l'abri sous la jeep, coincé sous l'arrière, le nez contre l'essieu arrière, me demandant quelle partie du corps de Beattie était exposée au feu. Wright [Bryan] était allongé sur le côté. Jimmy Schwab était grimpé sur la barre de remorquage entre la jeep et la remorque, essayant toujours de retirer la goupille d'attache, et prenant le temps, toutes les poignées de secondes, de donner aux Allemands une bonne dose de [mots de] Gnaden[h]ut[t]en [commune de l'Ohio dont il est originaire]. Mecklin avait plongé dans le fossé et nous n'arrêtions pas de lui crier dessus pour savoir s'il allait bien. Nous n'avons eu aucune réponse. En fait, il se faufilait avec succès dans le fossé, et aurait pu s'enfuir si la deuxième jeep n'était pas apparue et n'avait pas attiré le feu sur lui.

Je ne sais pas pourquoi nous nous sommes sentis en sécurité sous la jeep durant les premières minutes. Les balles claquaient sur la route et de temps en temps, l'une d'elles mordait sourdement la carcasse du véhicule. [...]. Je pensais que les Allemands étaient de mauvais tireurs et j'espérais ardemment qu'ils ne s'améliorent pas. Ils continuaient à tirer haut.

Deuxième jeep 

Derrière les roues, de chaque côté [...], je pouvais voir des champs ouverts. Il n'y avait pas d'abri, et j'ai soudain réalisé qu'il ne pouvait y avoir d'échappatoire. [...] On n'aime pas l'idée de se rendre, même quand on est désarmé et presque sans abri, et que c'est l'ennemi qui tire. Nous sommes restés sous la jeep et avons espéré [sans trop y croire] que quelque chose arriverait.

Je pense que Wright a reçu une balle dans la jambe au bout de trois ou quatre minutes. Il a juste dit doucement : "J'ai été touché". Je lui ai demandé si c'était grave, et il répondu : "Non, c'est juste ma jambe, et je n'ai pas senti la balle toucher l'os". Je lui ai demandé s'il voulait une cigarette et il a dit oui. J'en ai allumé deux et je lui en ai passé une. Elles avaient bon goût.

De temps en temps, les tirs sporadiques se sont intensifiés pour devenir une courte salve. Il y avait un homme qui travaillait dans le champ à droite, accroupi la plupart du temps, mais qui se levait de temps en temps pour nous regarder [...]. 

La blessure de Wright m'a soudainement fait comprendre que nous étions coincés pour de bon [...]. Nous avons convenu que le drapeau blanc était indiqué. J'ai donné mon mouchoir à Jimmy et je lui ai dit de l'agiter au-dessus de la jeep, ce qu'il pouvait faire depuis la barre de remorquage. Il a commencé à l'agiter et à jurer, et les tirs ont continué. Puis la deuxième jeep est arrivée dans le virage derrière nous. Je me suis penché sous notre voiture et j'ai essayé de les faire reculer. [...] Ils avaient réussi à faire demi-tour lorsqu'un tir malchanceux a touché le moteur. Cela a attiré des tirs pendant quelques minutes, à l'exception d'un ou deux coups de feu occasionnels tirés dans notre direction. Les Allemands tiraient sur les six hommes de la deuxième jeep alors qu'ils descendaient dans le fossé. Trois des six gisent encore là-bas. L'un d'eux a reçu une balle dans la bouche et au moins un autre est grièvement blessé.

"Jeune lieutenant de la Luftwaffe"

Après ce qui m'a semblé une heure, mais qui n'en était en réalité qu'un quart, une voix a crié "Herauskommen, herauskommen" - "sortez, sortez". Nous sommes sortis de dessous la jeep à grand peine, et Jimmy et moi avons pris les bras de Wright sur nos épaules et avons commencé à nous traîner vers le barrage routier. Il y avait une demi-douzaine d'Allemands debout, vêtus de casques d'acier, d'uniformes de la Luftwaffe et de capes de parachutistes camouflées. Ils étaient armés de fusils et d'armes automatiques, et il y avait trois ou quatre grenades à main coincées sous chaque ceinture. 

J'avais d'abord décidé de cacher ma connaissance de l'allemand pendant quelques jours, mais j'ai abandonné l'idée, pour que la jambe de Wright soit soignée. Lorsque le jeune lieutenant de la Luftwaffe qui commandait a commencé à nous crier dessus en anglais, j'ai répondu en allemand. [...] Mecklin nous a rejoint dans le camion, avec trois GI de la deuxième jeep. Il s'agit du sergent Ralph Harris, de Screven, en Georgie, du sergent Forest Eadler de Richmond, dans l'Indiana, et de Charles Padgett de Washington, dans l'Indiana. Ils avaient l'après-midi de libre et étaient sortis à la recherche d'un peu de divertissement paisible. Ils sont très dégoûtés. [...]."

Trois soldats du 749th Tank Battalion tués

    Le récit de l'embuscade s'arrête ici, mais le témoignage d'Edward J. Beattie s'étend bien au-delà de sa capture. Voyons maintenant, sur la foi de cet article, des archives américaines et d'informations recueillies par le club Mémoires 52, quelles nouvelles précisions peuvent être apportées sur cet événement.

Les lieux : Edward Beattie précise que la jeep June a circulé sur une route bordée d'arbres en direction de Chaumont, non loin de la ville. Il ne fait mention d'aucune habitation visible, à l'exception d'une ferme dans laquelle les captifs ont été rassemblés. Le journaliste indique que sur les lieux du barrage d'où sont partis les tirs ennemis se trouvaient déjà deux jeeps calcinées. Il s'agit en effet des vestiges du combat du 5 septembre 1944 qui a vu des soldats américains - dont trois ou quatre ont été tués, parmi lesquels deux militaires du 121st Cavalry Reconnaissance Squadron et un officier aviateur*** - tomber dans une précédente embuscade. Selon les souvenirs de Claude Ambrazé, ces hommes étaient partis de Bologne vers 11 h en direction de Brethenay, à la recherche d'un ou deux pilotes américains. L'embuscade a eu lieu à l'entrée du village de Brethenay, sur la RN 67, et la carcasse de la jeep incendiée par les Allemands est restée dans le fossé à hauteur de l'ancien magasin Atlas. C'est donc à cet endroit que s'est produit un nouvel accrochage le 12 septembre 1944.

Le chauffeur de la jeep : James Edward Schwab est soldat au sein du 2nd Service Team, 72nd Publicity Service Battalion, unité spéciale américaine chargée de la propagande et "de la guerre psychologique", dont l'état-major est alors stationné à Puxe (Meurthe-et-Moselle). Engagé dans l'armée le 3 mai 1943, Schwab - numéro de matricule : 35173606 - est né dans le comté de Tuscarayas, dans l'Ohio, le 21 mars 1924. Il est décédé en 1975 à Gnadenhutten - d'où la référence à cette commune dans le récit d'Edward Beattie. Les archives américaines précisent que Schwab a été libéré le 14 septembre 1944 - donc au lendemain de l'évacuation de Chaumont - et qu'il a retrouvé les lignes amies le 19.  

Les trois victimes américaines : le 749th Tank Battalion est arrivé en Haute-Marne le 8 septembre 1944. Il est établi jusqu'au 15 septembre 1944 - et son départ pour Blumerey puis la Lorraine - à 6 miles (environ 10 km) au sud-ouest de Joinville, donc vraisemblablement dans le secteur de Ferrière-et-La-Folie. Les six hommes tombés dans l'embuscade sont tous originaires de la compagnie d'état-major (Hq company). Les trois militaires qui ont perdu la vie sont :

. le sergent Keith Giles Davis (matricule 39676543), né à Lehi (Utah) le 17 janvier 1917, marié ;

. le soldat Earl Frederick Harden (matricule 35711994), né le 10 janvier 1923 dans le comté de Monroe (Indiana) ;

. le caporal John F. Rhoads (matricule 35540816), né à Shiloh (Ohio) le 5 novembre 1922.

Contrairement aux informations lues sur Internet, ces hommes ne sont ni morts à Chaumont dans l'Oise, ni même au Luxembourg, mais bien à Chaumont en Haute-Marne, soit lors de l'embuscade, soit peut-être lors d'une hospitalisation dans la ville (Davis et Harden sont portés décédés le 13 septembre 1944, Rhoads le 12 par les archives américaines). Aucun ne repose en Haute-Marne.

La liste des hommes du 749th Tk Btn tombés ou pris le 12 septembre 1944. (Nara).


Les adversaires : Edward Beattie parle d'un lieutenant de la Luftwaffe, et cite la présence d'Autrichiens parmi les soldats ennemis. Effectivement, des éléments du Luftnachrichten-Ausbildungs-Regiment 302 (régiment de détection aérienne) commandés notamment par les lieutenants Zillet et Holer étaient présents à Condes à cette époque et sont mis en cause dans le meurtre, le 11 septembre 1944, c'est-à-dire la veille de l'embuscade, et dans Brethenay, de Louis Jolibois et son fils Albert. Le barrage était donc vraisemblablement tenu par des hommes de cette unité.

Post scriptum : tôt le 13 septembre 1944, la garnison allemande quitte Brethenay où entrent dans la journée des éléments de la 2e DB française et les FFI de la Compagnie du Val ; ce même jour, vers 3 h, Beattie est extrait de sa cellule de Chaumont et emmené dans un convoi précurseur ennemi prenant la direction de Langres, puis celle de Bourbonne-les-Bains et les Vosges ; ses compagnons d'infortune partent également le 13 septembre 1944 avec la garnison chaumontaise, toujours en direction de Bourbonne mais par Montigny-le-Roi. Ils parviendront peu après à s'échapper près de Jonvelle dans les Vosges ; Wright Bryan est interné en Pologne et sera libéré en janvier 1945, Beattie ne recouvrera la liberté, par l'Armée rouge, que le 22 avril 1945...

Sources : Archives nationales américaines ; archives du club Mémoires 52.

* Il n'y eut en réalité que quelques centaines de prisonniers après la bataille dite du pont de Maisey, Beattie ne fait-il pas plutôt référence à la reddition de la colonne Elster sur la Loire ?  

** Les FFI du Nord de la Haute-Marne étaient alors en position à Bologne, à Marault et à Meures, non loin de Brethenay qui constituait le poste avancé de la garnison de Chaumont.

*** Inhumé provisoirement dans le cimetière de Condes (il serait décédé dans une maison du village ou dans le restaurant La Chaumière).

Si une plaque rendait hommage à ces trois soldats américains, son texte pourrait ressembler à celui-ci...


lundi 20 octobre 2025

Les "Cavalry Squadrons" dans la libération de la Haute-Marne, 30 août - 11 septembre 1944

Une auto-mitrailleuse M8 Greyhound du 42nd Cav Rec Sqn à Wassy, le 31 août 1944.
(Collection Jean-Marie Chirol).

C'est la 4e division blindée américaine (4th Armored Division) qui a libéré le nord de la Haute-Marne entre le 30 août et le 1er septembre 1944. Mais d'autres unités plus légères, les Cavalry Reconnaissance Squadrons (escadrons de cavalerie de reconnaissance), attachées à une division ou à un corps d'armée, ont opéré dans le département durant les jours qui ont suivi, d'abord pour éclairer l'avance des chars et de l'infanterie, ensuite pour couvrir le flanc Sud de la 3rd Armyqui se battait en Lorraine. Grâce aux morning reports (rapports matinaux) de l'armée américaine conservés par les Archives nationales (Nara), nous pouvons suivre les mouvements des différents Cav Rec Sqn, dotés d'automitrailleuses et de jeeps armées, qui ont été engagés durant ces opérations.


30 août 1944

25th Cavalry Reconnaissance Squadron (4th Armored Division). Le jour de la libération de Saint-Dizier, Villiers-en-Lieu, Chancenay, etc., par le CCA de la 4th Armored Division, la troop E de l'escadron de reconnaissance de cette même division, venu des environs de Chavanges (Aube), s'installe près de Droyes, à proximité de Montier-en-Der, à 21 h 30*. 

31 août 1944

25th Cavalry Reconnaissance Squadron. C'est le jour où le CCB de la division traverse le Nord Haute-Marne d'ouest en est, libérant Doulevant-le-Château, Wassy, Joinville... L'état-major de l'escadron part des environs de Droyes à 12 h 45 et parvient à l'ouest de Ferrière à 18 h 30 ; la troop A rencontre des éléments ennemis à Guindrecourt(-aux-Ormes) et fait huit prisonniers, avant de se porter sur Rachecourt(-sur-Marne, vraisemblablement) ; la troop C partie de Brienne-le-Château à 9 h arrive à Fronville et perd au combat Edward L. Rogers. Edward L. Rogers est né à Castleton (Vermont) le 26 février 1920. Marié, père d'un enfant, il s'engage dans l'armée en février 1942. Caporal, il fait son entrée dans Joinville en milieu d'après-midi du 31 août 1944. Puis il appartient à une reconnaissance de trois automitrailleuses M8 et quatre jeeps qui est accrochée sur la RN 67 entre "les Maisonnettes" de Mussey-sur-Marne et Donjeux. Rogers est mortellement blessé d'une balle à la gorge et expire lors de son transfert à Joinville. C'est le seul soldat américain de la 4th Armd Div tué ce jour-là en Haute-Marne.

42nd Cavalry Reconnaissance Squadron (3rd Army). La troop A de cette unité du 2nd Cavalry Group - avec le 2nd Cavalry Squadron -, qui s'était portée de Saint-Vrain (Marne) à Valcourt, se rend à Chevillon.

Le caporal Edward L. Rogers, tombé près de Mussey-sur-Marne.


1er septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. Détaché auprès du XV Corps de la 3rd Army, le 106th Cavalry Group comprend les 106th et 121st Cavalry Reconnaissance Squadrons. Le 121st est le premier à opérer en Haute-Marne. La troop B quitte Villemorien (Aube) pour Colombey-les-Deux-Eglises, la troop A du capitaine Faris J.Hess se porte sur Bar-sur-Aube. Selon Fernand Roethlisberger, habitant de la commune, la troop B est arrivée à Colombey dans la matinée. Elle se serait ensuite portée ce jour-là jusqu'aux Côtes-d'Alun, entre Blaisy et Jonchery, aux portes de Chaumont - ville toujours occupée - avant de faire demi-tour.  

25th Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop C réalise des reconnaissances entre Joinville et Chaumont. Au-delà de la rive droite de la Marne, sa 1st platoon (peloton) est engagée à 16 h 30 dans un accrochage à Rimaucourt, revendiquant dix tués et 25 prisonniers côté ennemi. C'est cette incursion qui encourage la Compagnie Châtel des FFI à entreprendre la première attaque de la garnison d'Andelot (c'est un échec).

Des soldats du 25th Cavalry Squadron à Joinville. 


2 septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop B quitte Colombey-les-Deux-Eglises pour se porter sur Dainville-Bertheléville (Meuse). Durant ce mouvement, elle passe par Vignory où plusieurs photos sont prises par les habitants. De leur côté, la troop B est à Doulaincourt (jusqu'au 8 septembre 1944), la troop C est à Biernes (près de Colombey), tandis que l'état-major et la troop E quittent Vendeuvre-sur-Barse (Aube) pour Blumerey et Doulevant-le-Château.

25th Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop C se porte sur Roches-sur-Rognon. 

Une automitrailleuse de la B/121st Cav Rec Sqn à Vignory, le 2 septembre 1944.


5 septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. Sa mission est de protéger le flanc droit de la 35th Infantry Division, qui s'est installée dans la région de Joinville en attendant l'arrivée du XV Corps. La majeure partie du squadron (troop E, company F, état-major) s'établit à Rouvroy-sur-Marne. 

La troop A fait mouvement sur Bettaincourt-sur-Rognon. Ses platoons établissent des postes à Montot-sur-Rognon, Reynel et Busson. 

La troop C, qui est toujours à Biernes, déplore la disparition au combat du caporal Morris H. Lance et du soldat Louis A. Laudiero. Il s'agit vraisemblablement des victimes d'une embuscade, le même jour, à Brethenay. Le 5 septembre 1944, en effet, selon les témoignages d'habitants de la région, quatre Américains à bord d'une jeep sont allés recueillir des renseignements sur un pilote américain et son passager, le lieutenant Rollin Francis Wade (1915-1992) et le sous-lieutenant James Hunter Munford (1913-1989), dont le Piper Cub L-4 est tombé à proximité de Condes le 1er septembre 1944 - ces deux officiers, affectés au 752nd Field Artillery Battalion, avaient été fait prisonniers, et peut-être enfermés dans l'établissement La Chaumière entre Brethenay et Chaumont. Les quatre Américains auraient été tués dans l'embuscade, dont un officier (que nous avons enfin pu identifier et à qui nous consacrerons un prochain article). 

25th Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop A qui a son PC à Leurville mène une reconnaissance dans le secteur de Saint-Blin.

6 septembre 1944

25th Cavalry Reconnaissance Squadron. La 2nd platoon de la troop C est prise sous le feu d'une mitrailleuse MG dans la région de Neufchâteau : trois soldats (Cox, Drumm, Eklund) sont légèrement blessés. De son côté, la 3rd platoon de la même troop a un engagement avec l'ennemi dans la région de Liffol-le-Grand (Vosges). 

7 septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. Le troop A se porte à Vignory, la troop E gagne les alentours de Liffol-le-Grand. 

8 septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop B fait mouvement sur Busson.

9 septembre 1944

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. Dans la nuit du 9 au 10 septembre 1944, une patrouille allemande se heurte à Busson à un poste avancé constitué d'une auto-mitrailleuse et de FFI de la Compagnie Châtel. Elle est repoussée. D'autres accrochages ont lieu à Doulaincourt (un FFI tué) et à Bologne (trois FFI blessés). Ces événements ne sont pas mentionnés par les morning reports de l'escadron.

10 septembre 1944

106th Cavalry Reconnaissance Squadron. En Côte-d'Or, la troop A entre dans Brion-sur-Ource (1st platoon) et "sécurise" Montigny-sur-Aube (2nd platoon), tandis que la 3rd platoon mène une reconnaissance en direction de Châteauvillain. Au cours d'un accrochage, au sud-ouest du bourg, cinq Allemands sont tués, douze sont capturés, et un camion détruit, selon le rapport quotidien. C'est la 2nd platoon qui, dans l'après-midi, entre dans Châteauvillain via Dinteville. Cet accrochage est confirmé par un habitant de Latrecey, Victor Gindrey (archives du club Mémoires 52). Celui-ci précise que l'escarmouche a eu lieu au carrefour de la route de Coupray, qu'une auto-mitrailleuse allemande a été incendiée et que trois Allemands ont été capturés. De son côté, le maire de Châteauvillain confirme l'entrée des Américains dans sa commune le 10 septembre 1944 (le lendemain, ce sera au tour d'éléments de la 2e division blindée française). Selon cet élu, un combat aurait auparavant opposé Allemands et Américains à Châteauvillain le 8 septembre 1944, combat qui aurait provoqué la mort de deux Allemands. 

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. Le squadron HQ (état-major), la company F, les troops C, E se rassemblent à Chermisey (Vosges).

11 septembre 1944

106th Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop B, qui était à Auxon (Aube), s'installe à Aizanville, près de Châteauvillain. Elle y reste jusqu'au 16 septembre 1944, recueillant treize prisonniers allemands durant son séjour.

121st Cavalry Reconnaissance Squadron. La troop A quitte Busson pour Removille (Vosges). 

A partir de cette date, le XV Corps (79th Infantry Division et 2e DB française) attaquent depuis la rivière Marne en direction des Vosges. Prez-sous-Lafauche tombe le 11 septembre 1944, Andelot le 12, Chaumont le 13, tandis que l'armée B (française) débarquée en Provence s'empare de Langres.

* Tous les horaires indiqués correspondent aux heures américaines.

Sources principales : US National Archives and Records Administration - publications du club Mémoires 52.


jeudi 16 octobre 2025

Chancenay : "Jimmy", cet Américain honoré comme tué au combat en 1944... et décédé en 1979

Le monument du maquis Mauguet, à Chancenay. (Photo L. Fontaine).


Parmi les noms gravés dans le marbre du monument aux morts du maquis Mauguet à Chancenay, figure celui de "Jimmy", originaire des Etats-Unis. Selon les souvenirs de René Triffaut, chef du maquis, il s'agissait d'un des deux prisonniers américains évadés qui avaient rejoint son unité en août 1944. Il avait été blessé au genou lors du combat de Chancenay, le 30 août 1944, puis hissé sur un char US pour être évacué. Pourquoi ses camarades français l'ont-ils cru mort de ses blessures ? Cette version, Jean-Marie Chirol, créateur du club Mémoires 52 et historien du maquis Mauguet, ne l'avait jamais admise. Mais encore fallait-il fallait retrouver la trace de ce "Jimmy", savoir qui il était, ce qu'il est devenu. Une quête que l'historien disparu en 2002 n'a pu mener à bien.

C'est la découverte, dans les Archives nationales américaines (Nara), par Didier Desnouvaux, du rapport d'évasion d'un soldat américain nommé Henry Huitink qui nous a permis, en 2022, d'exploiter une piste très sérieuse. Originaire de l'Iowa, âgé de 27 ans, le caporal Huitink servait dans la 3rd Armored Division. Ce fantassin avait été fait prisonnier en juillet 1944 dans la région de Saint-Lô, en Normandie, comme des milliers de soldats américains. Dirigé sur Châlons-en-Champagne, à l'arrière du front, ce soldat est ensuite acheminé par le train jusqu'à un Stalag en Allemagne. Mais il réussit à s'évader pendant le trajet, en compagnie d'un compatriote, James Findlay, le 13 août 1944. Comment parviennent-ils aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne ? Nous l'ignorons précisément. Mais les deux évadés transitent par une ferme située entre Montiers-sur-Saulx et Chevillon, là où des aviateurs anglais ont également été recueillis. Dans cette vallée de la Marne, les deux Américains ont pour contact Jean Moitrot, de Rachecourt-sur-Marne, et comme ce jeune Français appartient au maquis Mauguet, c'est naturellement qu'ils se joignent à lui pour essayer de retrouver leurs lignes. L'occasion leur est donnée le 30 août 1944, lorsque les Américains attaquent Saint-Dizier et Chancenay. Henry Huitink ne cite pas le lieu exact de la blessure, mais indique que son ami Findlay est touché au genou lors de leur tentative.  


Henry Huitink (1917-1999). Avec l'aimable autorisation de sa fille Barbara.

Un Américain prénommé James ("Jimmy" en est le dérivé), en relation avec le maquis Mauguet, blessé le 30 août 1944 au genou : il est donc établi que "Jimmy" correspond sans le moindre doute à James Findlay. Que savons-nous sur cet homme ? Ici encore, les Archives nationales américaines nous sont d'un grand secours pour connaître davantage la vie de celui dont on honore la mémoire depuis 1945 !

Pris huit jours après son arrivée en France

James C. Findlay est né à Cochran, dans le comté de Bleckley (Géorgie), le 26 octobre 1909. La première partie de sa vie active est militaire. Ayant hérité dans l'armée du numéro de matricule 6372642, il est affecté à Panama où il sert dans les années 30, d'abord comme soldat d'infanterie, puis comme sergent. Puis il revient à la vie civile. Alors célibataire, exerçant la profession de charpentier, Findlay s'engage de nouveau dans l'armée, pour trois ans, le 15 octobre 1941, à Fort Jackson (Caroline du Sud). Il est affecté au 28th Infantry Regiment de la 8th Infantry Division. Promu Technical Sergeant (sergent de première classe) à compter du 21 septembre 1942, Findlay rejoint l'Angleterre puis débarque le 4 juillet 1944 sur la plage d'Utah Beach, en Normandie. Il sert alors dans la Company L du 3rd Battallion. L'unité est rapidement engagée dans les combats de Normandie, pendant la "bataille des haies". Le 12 juillet 1944, dans le secteur de Vesly (Manche), le bataillon est pris sous un violent feu de 88. "Dans la zone de la compagnie L, le lieutenant Becker a été touché et tué par un prisonnier, et les lieutenants Enswiller et Shull furent sérieusement blessés par le feu, écrit Harold E. MacGregor, auteur en 1946 d'une histoire du régiment. La compagnie fut désorganisée." Il faut l'intervention du lieutenant Kaufman, de la Company M, pour que la "A" reparte de l'avant. Mais les pertes ont été lourdes. Le 16 juillet 1944, le rapport quotidien annonce que Findlay est porté disparu depuis quatre jours. En réalité, il est prisonnier...

Le 6 octobre 1944, alors que le 28th Inf Regt opère au Luxembourg, sa compagnie* apprend que le T/S Findlay n'est plus disparu mais qu'il a été "légèrement blessé" un mois et demi plus tard et hospitalisé le 31 août 1944. Souffrant de la rotule et de la patella, le sous-officier passe par plusieurs établissements : d'abord le 103rd Evacuation Hospital, à Normée, près de Fère-Champenoise**, le 104th General Hospital (à compter du 11 septembre 1944) et le 22nd (US) General Hospital (7 novembre 1944) en Angleterre, puis au Moore General Hospital (28 novembre 1944) aux Etats-Unis.

Titulaire de la Silver Star, de la Bronze Star, de la Purple Heart, James Christopher Findlay, qui était marié, décède le 23 juillet 1979 des suites d'un cancer. Il repose dans un cimetière de Caroline du Sud. Barbara, la fille de son camarade Henry Huitink se souvient être allée lui rendre visite, sur son lit d'hôpital, et avant de mourir, Findlay avait remis à son compagnon d'évasion le drapeau qu'il portait avec lui. Il n'a peut-être jamais su que chaque année, un village de France honorait sa mémoire... devant un monument aux morts.

Sources : Archives nationales américaines, rapport d'évasion de Henry Huitink, rapports du matin de l'armée américaine - Harold MacGREGOR, History of the 28th Infantry Regiment, 1946 - remerciements à Barbara Huitink, Didier Desnouvaux, Cyrille (du site Genealomaniac).

* A la fin de la guerre en Europe, la Company L aura perdu 76 tués, dix disparus, 246 blessés.

** Cet hôpital d'évacuation est ensuite installé en Haute-Marne, à Germay, du 12 au 18 septembre 1944.

D'autres évadés américains passés par la Marne et la Meuse 

    L'épopée du sergent Findlay et du caporal Huitink n'est pas unique. D'autres soldats américains faits prisonniers en Normandie se sont évadés lors de leur transfert en Allemagne et sont restés dans la région, que ce soit en Champagne ou en Lorraine. 

    James J. Sheeran, 21 ans, appartient à la Company I du 506th Parachute Infantry Regiment - il s'agit du régiment auquel appartient la fameuse Compagny E (Easy) immortalisée par la série TV Band of Brothers. Comme nombre de ses camarades, parmi lesquels son chef, le captain John T. McKnight, Sheeran est fait prisonnier après avoir sauté en Normandie - lui deux jours après son parachutage. Il saute du convoi prenant la direction de la Belgique début juillet 1944, avec un autre parachutiste de sa compagnie, Burnie V. Rainwater, 23 ans. Au cours de cette évasion, un de ses camarades est tué par un gardien, deux autres parviennent à rejoindre Paris. Au cours de leur périple, Sheeran et Rainwater passent par le nord de Mézières (Ardennes), puis restent notamment deux semaines dans un maquis de l'Argonne, près de Vienne-le-Château (Marne). Ils transitent également par Bar-le-Duc, et c'est à proximité de cette ville qu'ils sont pris en charge par leurs compatriotes, le 1er septembre 1944. James J. Sheeran a raconté ses souvenirs d'évadé en 2011 dans un ouvrage intitulé No Surrender.

James J. Sheeran (1923-2007).


    Caporal au Medical Detachment 38, le caporal James P. Wilson, 26 ans, est capturé le 1er août 1944 près de Saint-Lô. D'abord conduit à Paris, il est également interné à Châlons-en-Champagne jusqu'au 19 août 1944. Il situe son évasion dans la nuit du 21 août 1944, avec plusieurs soldats britanniques parmi lesquels Thomas Gent et John Sheperd. Dans son témoignage livré aux autorités américaines, Wilson se souvient d'être rendu le 22 août 1944 dans une ferme. Le 26, il marche jusqu'à Bar-le-Duc. Pris en charge par un camion de lait, il gagne un village où il reste jusqu'au 27 août 1944. En contact avec des FFI, il est mis en sûreté dans la nuit du 31 août 1944 par des compatriotes du 2nd Cavalry. James P. Wilson cite Marie-Renée Redouté et Janine Birden (de la Croix-Rouge), de Bar-le-Duc, comme deux Français lui ayant apporté leur aide.

    Un autre Américain a joint son destin avec des soldats britanniques : Raymond J. Mosiej, de la Company E du 116th Infantry Regiment. Fait prisonnier le 30 juillet 1944 dans les environs de Saint-Lô, il gagne Châlons puis est transféré en train jusqu'en Allemagne. Etait-il du même convoi que Wilson ? C'est vraisemblable. En effet, Mosiej donne tantôt la date du 21 août 1944, tantôt celle du 24 août 1944 comme étant celle de son évasion, par un trou pratiqué dans le wagon, avec six parachutistes britanniques. Les évadés restent durant dix jours dans un village et sont témoins d'actions des FFI, avant leur "libération" par les Américains le 2 septembre 1944. Labbé et Jean Chevalier, de Lavincourt (Meuse), Gabriel Guillemin, Paul Baud, Charles Collet et Pol Roussel, d'Haironville (Meuse), sont les noms de Lorrains qui l'ont aidé. 



mardi 14 octobre 2025

Qui sont les auteurs du massacre de Prauthoy ?



Le monument dédié aux victimes du massacre de Prauthoy. (Photo L. Fontaine).

A l'exception de cas isolés et qui n'ont pu être confirmés (Dancevoir, le 22 août 1944 : un retraité exécuté ; Marnaval, le 30 août 1944 : une adolescente tuée à sa fenêtre), les Waffen-SS n'ont pas été impliqués dans les crimes de guerre commis durant l'été 1944 contre la population civile de Haute-Marne. La majorité des massacres ont été perpétrés par les cosaques de la Freiwilligen-Stamm-Division et par des militaires de la Luftwaffe. Des soldats détachés auprès de l'armée de l'air sont d'ailleurs vraisemblablement responsables du massacre de Prauthoy, le 9 août 1944.

L'un des évènements les plus tragiques de l'Histoire de l'Occupation en Haute-Marne a d'abord été relaté en 1945 par le chanoine Louis-Emmanuel Marcel. Son récit a notamment été publié dans le tome 1 de La Résistance en Haute-Marne (1982). L'ecclésiastique précise que ce crime - seize victimes - a été commis après le passage, "vers 9 h du soir", d' "un train de parachutistes allemands, à l'effectif d'une compagnie - 150 hommes environ de SS (Stosstruppen, troupes de choc)". Précision importante : le chanoine note que le convoi victime d'un sabotage* à hauteur de la ferme de Suxy, sur la ligne entre Dijon et Chalindrey, correspond au "train (46) 224, indice matricule 132 429 jusqu'à Chalindrey et (15) 243 de Chalindrey à Neufchâteau, venu de Grenoble par Lyon, Mâcon, Dijon, et chargé d'un matériel d'autobus, notamment d'un car bleu, intact, du Dauphiné". Ce sont là les seuls éléments connus depuis 81 ans pour essayer d'identifier l'unité en cause dans cette tragédie, unité n'ayant jamais été identifiée.

Hélas, le dossier consacré au massacre de Prauthoy dans les archives du Service de recherche des crimes de guerre (SRCGE), délégation régionale de Reims, n'apporte pas plus de précisions. Outre le témoignage poignant de Mathilde Fourot, veuve du fermier de Suxy, y figure cependant le procès-verbal d'audition de Claudette Cornu, recueilli le 30 janvier 1945 par des gendarmes de Saône-et-Loire, qui est de nature à renseigner davantage l'itinéraire du convoi.

En effet, parmi les victimes, figurent trois hommes originaires de Saône-et-Loire (Montbellet et Uchizy), arrêtés quelques jours plus tôt et qui se trouvaient dans le train. Claudette Bontemps - veuve de l'un d'entre eux, René Cornu -, 24 ans, domiciliée au hameau de Merçey, commune de Montbellet, raconte : "Dans la soirée du 7 août 1944, mon mari en qualité de pompier s'est rendu avec d'autres camarades de la commune au hameau de Marfontaine, protéger les habitations voisines de la ferme de M. Monin, que les Allemands venaient d'incendier. [...] J'ai trouvé un cycliste, le jeune Grappin Lucien, [demeurant] à St-Oyen, qui venait me prévenir que les occupants venaient d'emmener mon mari, ainsi que deux autres habitants de la commune. [...] Ils ont fait monter ces hommes dans un train arrêté en face du hameau de Marfontaine, et le convoi est parti en direction de Chalon-sur-Saône. Le lendemain [8 août] je me suis rendue dans cette ville [...] Là, j'ai appris que le convoi ne s'était arrêté que quelques instants à Chalon et avait continué sur Dijon. Deux jours plus tard, je suis allée à Dijon. [...] Des employés de la SNCF m'ont déclaré que ledit train était déjà au-delà d'Is-sur-Tille."

Retour à Nancy

Des soldats - "parachutistes" - qui ont donc combattu dans le Dauphiné, ont pris le train à Lyon et, par la Bourgogne (Chalon, Mâcon, Dijon, etc.), se dirigeaient sur Neufchâteau... Ces informations apportées par Louis-E. Marcel et Claudette Cornu sont toutefois précieuses, car elles correspondent à l'itinéraire emprunté par la seule unité parachutiste à avoir opéré dans le Vercors : une formation détachée auprès du Kampfgeschwader 200 (KG 200). 

Le KG 200 est une unité de la Luftwaffe dont les hommes ont été aérotransportés le 14 juillet 1944 d'Essey-lès-Nancy à Lyon-Bron avant d'être déposés en planeurs le 21 juillet 1944 sur le plateau de Vassieux-en-Vercors... dans le Dauphiné. Dans le Vercors, ces hommes - des Allemands commandés par l'oberleutnant Friedrich Schäfer - ont participé à des massacres de civils, au prix d'une trentaine de tués durant les combats** - les historiens évoquent un effectif initial de 200 hommes au sein du "kampfgruppe Schäfer", chiffre à rapprocher des 150 passagers du train passé par Suxy.

Leur mission dans le Vercors a pris fin le 30 juillet 1944. L'auteur allemand Jon Volker Schlunk, qui s'est intéressé à leur histoire, précise (pages 436-437) que ces parachutistes ont ensuite regagné Lyon puis que "le haut commandement de la flotte aérienne 3 avait prévu de faire intervenir les paras après un bref détour par Nancy dans la région d'Avranches". L'auteur ajoute qu'à la date du 18 août 1944, cette troupe se trouvait près de Meaux, puis qu'elle s'est repliée en direction de l'Allemagne par Reims, la Belgique et le Luxembourg. Pas un mot, dans cet ouvrage fourmillant de détails, sur les conditions du retour entre Lyon et Nancy, encore moins sur d'éventuelles exactions commises lors de ce trajet. 

En revanche, les auteurs britanniques Geoffrey J. Thomas et Barry Ketley, auteurs d'une étude sur le KG 200, écrivent que c'est bien en train que les hommes de l'oberleutnant Schäfer sont remontés en direction de la Lorraine, et que les destructions opérées sur les lignes ferroviaires ont rendu ce trajet particulièrement long.

En effet, le train transportant les auteurs du massacre de Prauthoy a par exemple mis trois jours pour relier Mâcon à Langres. Claudette Cornu l'a indiqué dans son témoignage : le 7 août 1944, il est à Montbellet - après Mâcon, à 100 km au nord de Lyon -, le 8 à Chalon-sur-Saône puis Dijon, le 9 dans le sud de la Haute-Marne. On ignore précisément la suite de son trajet mais après un retour à Nancy via Neufchâteau, il est ensuite tout à fait possible d'être présent au 18 août 1944 en Seine-et-Marne.

Même nature des militaires, même retour du Dauphiné, même itinéraire emprunté : l'hypothèse de l'implication du groupe Schäfer dans le massacre de Prauthoy apparaît donc comme plausible, au vu des témoignages recueillis et des travaux historiques, même si aucune preuve tangible n'est venue jusque-là la confirmer. Le dossier du SRCGE ne fait en tout cas pas état de l'avancée de l'enquête. Précisons que Friedrich Schäfer, décédé en 1992, n'a jamais été condamné pour les crimes commis à Vassieux.

* Sur les auteurs du sabotage, lire l'ouvrage de Gilles HENNEQUIN, Résistance en Côte-d'Or, tome 3, 1995.

** Le chiffre des pertes a été donné par Jon Volker Schlunk.

SOURCES : Jon VOLKER SCHLUNK, Parachutistes allemands dans le Vercors : juillet 1944, Privat, 2016 - Geoffrey J. THOMAS et Barry KETLEY, Luftwaffe KG 200, Stackpole Books, 2015 - Archives départementales de la Marne, série 163 W, archives du SRCGE - informations communiquées par Maurice Bleicher. 

mercredi 1 octobre 2025

Alfred Migeot (1920-1945), un Langrois mort en déportation



Alfred, Jean Migeot naît le 28* septembre 1920 à Paris 18e, au 61, rue des Cloys. Il est le fils de Charles Migeot, employé de chemin de fer, et de Marie, Rose Porte, ménagère. Ses deux parents sont natifs de Larivière-sur-Apance (Haute-Marne). Au moment de la naissance de ce fils cadet (l'aîné, René, a vu le jour en 1918), la famille réside au 9, rue Caillié (appartement 8), quartier de la Chapelle. Puis elle retourne en Haute-Marne, à Langres, où naît un troisième enfant, Geneviève (1933-2024). Les Migeot résident au faubourg des Auges. 

Employé par la SNCF comme auxiliaire, affecté à la gare de Langres, Alfred Migeot est membre des Jeunesses communistes, comme son frère René. Selon leur maman, il aide son père, également cheminot à Langres, à réparer les voies coupées en juin 1940 au moment de l'invasion. Tous cheminots, Charles, René et Alfred Migeot sont au nombre des cinq communistes langrois qui figurent sur une liste de personnes à surveiller, établie en octobre 1940 par la préfecture de la Haute-Marne. Peintre de profession, Alfred Migeot réside encore à Langres à la date du 16 mai 1941. Ce jour-là, son frère aîné, qui travaille à Chalindrey, vient le rencontrer dans la cité avant une distribution de tracts. L'évènement fait l'objet d'une enquête de police.

Le 22 juin 1941, la Feldgendarmerie arrête Charles Migeot, retiré depuis quelques mois dans son village natal de Larivière-sur-Apance. Contrairement à ce qu'indique un document préfectoral, Alfred Migeot n'est pas pris dans ce coup de filet visant les militants et sympathisants du PCF. Tout comme son frère René, il parvient à fuir. De source familiale, Alfred Migeot gagne la Zone libre où il s'engage début 1942 au 405e régiment d'artillerie de défense contre avions (RADCA) à Istres. Rendu à la vie civile en novembre 1942, requis du STO, il rejoint la clandestinité, après s'être peut-être caché à Larivière.

Selon ses déclarations, Alfred Migeot, qui se dit palefrenier à Bayannes (Drôme), gagne un camp de réfractaires basé à Theys, dans l'Isère, en octobre 1943. Il quitte ce camp assez rapidement et, avec trois camarades - Julien Sagot, enseignant normand, André Dessaigne et Henri Pollez -, il se fixe dans une maison abandonnée près de Saint-Appelinard (Isère). 

En décembre 1943, un homme est exécuté près de Saint-Marcellin. Il était soupçonné d'avoir dénoncé le maire d'une commune. Cet homicide, ainsi que des vols de bicyclettes, sont imputés aux quatre clandestins qui sont arrêtés le 4 février 1944, dans leur repaire, par les gendarmes de Saint-Marcellin. Coïncidence : le chef de la brigade de gendarmerie qui procède à leur interrogatoire, le lieutenant Charles Morel, est lui aussi originaire de la Haute-Marne (Bologne) - il sera un grand combattant du Vercors.

Migeot, Sagot, Dessaigne et Pollez sont transférés à la maison d'arrêt de Grenoble, puis à la prison Saint-Paul de Lyon. Ils sont tous quatre déportés le 29 juin 1944 de Lyon à destination du camp de Dachau, où le Langrois a le numéro matricule 75 908. Passé le 21 juillet 1944 à Flossenburg, Alfred Migeot est déclaré décédé le 1er février 1945 au Kommando de Leitmoritz (Tchecoslovaquie). Selon sa fiche de déporté Arolsen, il était domicilié à Châteauneuf (Drôme) au moment de son arrestation. Il a été homologué au grade de sergent.

Son frère René, commissaire militaire interrégional FTPF dans le Sud-Ouest, a été fusillé le 26 janvier 1944 au camp de Souge, près de Bordeaux. Son père Charles, déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, y est décédé le 30 septembre 1942. Sa mère Marie-Rose, arrêtée par la police française le 8 août 1942, a pu retrouver son foyer. Elle est, avec sa fille, la seule survivante de cette famille.

Sources : Dossier 52 n°1 (juin-juillet 1997) - Archives dép. de la Haute-Marne, 342 W 307 - Arch. dép. de la Côte-d'Or, 32 U 19 et 1072 W 2-230 - Ach. dép. du Rhône, 1035 W 67 - Archives Arolsen - Etat civil de Paris.

* Et non le 27 septembre 1920 comme il est couramment admis.