L'évolution en faveur des Alliés des opérations en Normandie, accentuée par le débarquement allié en Provence, entraîne en août 1944 le repli des forces de police allemande en direction de l'Est. Elles iront se fixer - avec leurs auxiliaires français - dans les Vosges où elles se livreront à de nombreux crimes de guerre, dont voici une liste chronologique non exhaustive.
1er août 1944 : le Kommando des Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst (Sipo-SD) - KdS - de Rennes commandé par l'oberst Hartmut Pulmer, 36 ans, quitte la Bretagne en direction de l'Est. Il est accompagné par le groupe d'action du Parti populaire français (GA PFF) dirigé par Lucien Imbert et par le Bezen Perrot, une formation d'autonomistes bretons. Itinéraire de ce convoi : Angers, Tours, Orléans, Montargis, Fontainebleau, puis Châlons-sur-Marne...
3 ou 4 août 1944 : le sturmbannführer Hans-Dietrich Ernst part d'Angers avec ses agents du KdS établi dans la ville. Il transite également par Tours, Orléans, Melun (où, selon le PV d'audition de l'oberscharführer Georg Bruckle, onze indicateurs français dont cinq femmes le rejoignent), Châlons-sur-Marne... Son itinéraire est donc le même que celui du KdS de Rennes auquel il s'est joint. Parmi les Français au service du KdS d'Angers, figurent le PPF Jacques Chalumeau (fusillé en 1945), le franciste Marcel Juino (condamné à mort en 1947), des légionnaires de la LVF qui, venus de Paris, auraient rejoint la troupe à Verdun...
Mi-août 1944. Le standartenführer Erich Isselhorst, befehlshaber (commandant) de la Sipo-SD pour l'Alsace et le Bade-Wurtemberg à Strasbourg, expose la nouvelle mission confiée aux services de police qui se replient : "Nous avions appris que des éléments du maquis des Vosges, cantonnés dans la région de Raon-sur-Plaine, devaient attaquer le camp de concentration de Schirmeck. [...] J'ai chargé le lieutenant-colonel SS Schneider de former des kommandos de quatre ou cinq hommes. [...] Le rôle de ces kommandos était de rechercher les maquis et de les anéantir avec l'aide de la troupe." Isselhorst se souvient en particulier de quatre kommandos installés durant cette période dans les Vosges : à Raon-sur-Plaine puis Giromagny, à Vexaincourt puis dans la région de Belfort, à Velval - commandé par l'obersturmführer Schoener - et à Allarmont.
15 août 1944 : le KdS d'Angers arrive à Verdun (selon Georg Bruckle), tandis qu'une partie du KdS de Rennes s'installe à Chaumont, sous les ordres du sturmbannführer Fritz Barnekow (untersturmführer Emil Luck et Mannel, 30 hommes), et l'autre, plus importante, à Troyes, sous les ordres directs de Pulmer. De son côté, l'antenne chaumontaise du KdS de Châlons (SS-untersturmführer Aloïs Koch) part dans la nuit du 15 au 16 rejoindre le siège régional avant de gagner la région de Longwy.
17 août 1944 : des Français de la Sipo-SD quittent le 42, rue Victor-Hugo à Paris pour la rue des Saussaies où ils se joignent au groupe du SS-untersturmführer Karl Kleindiest. Ils quittent la capitale et arrivent à Sainte-Menehould (Marne) où ils s'installent au lycée Chanzy, sous les ordres de Friedrich Berger. Un agent évalue les effectifs rassemblés dans la Marne à une cinquantaine de personnes. Le même jour, départ du convoi parisien de l'hauptsturmführer Erich Wenger, d'abord pour Vichy, puis pour Nancy. "C'est à la Cité universitaire de [Nancy] que se sont formés les kommandos qui ont été plus tard dirigés sur les Vosges", explique Max Kester, du kommando Wenger.
19 août 1944 : le GA PPF de Rennes, dit Schutzkorps Imbert (25 femmes, onze femmes), qui était arrivé à Briey (Meurthe-et-Moselle), rejoint finalement Fritz Barnekow à Chaumont. Du 21 au 26 août 1944, ce groupe arrête une douzaine de personnes en Haute-Marne, en Côte-d'Or et dans l'Aube, dont un homme exécuté le 26 août 1944 à Chaumont (aux côtés d'un inconnu).
22 août 1944 : exécution de 49 détenus de la prison de Troyes à Creney, par la Sipo-SD de Rennes et au moins trois membres du Bezen Perrot.
24 août 1944 :
. les éléments parisiens de Friedrich Berger qui sont établis à Sainte-Menehould arrêtent 25 personnes dans la Meuse. Trois résistants sont exécutés, les autres sont déportés le 29 août 1944 de Belfort à Neuengamme.
. le Bezen Perrot, peut-être alors commandé par Ange Péresse, arrive à Chaumont en provenance de Troyes. C'est vraisemblablement ce jour-là que l'obersturmbannführer Pulmer, qui a laissé un petit kommando à Troyes, rejoint en Haute-Marne son adjoint Barnekow.
25 août 1944 :
. envoyé en mission de Chaumont à Troyes, l'obersturmführer Max Ohmsen, du KdS de Rennes, "fut surpris par le maquis et abattu" (PV d'audition de F. Barnekow). De source américaine, Ohmsen a été tué vers Mesnil-Saint-Père (Aube).
. un GA PPF de Lyon fait étape à Dijon avant de se porter dans les Vosges.
. l'aussenstelle de Reims du KdS de Châlons part pour Longwy où se rassemblent également les éléments de Châlons-sur-Marne et de Chaumont. Tous arrivent le 3 septembre 1944 en Westphalie après être passés par Luxembourg.
26 août 1944 : dans la nuit du 26 au 27, le GA PPF (Imbert) et le Bezen Perrot quittent Chaumont pour Vittel (Vosges). Avant de partir, le PPF Daniel Travert exécute un cheminot, Gilbert Diligent, qui survit. A Prez-sous-Lafauche, trois hommes du Bezen désertent.
27 août 1944 :
. le kommando commandé par Erich Wenger, présent à Baccarat (Meurthe-et-Moselle) depuis le 20 août 1944, arrête à Péxonne (Meurthe-et-Moselle) 112 habitants, dont 83 sont déportés. Au sein de ce kommando servent une douzaine d'agents ayant suivi Wenger, cinq agents en poste avenue Foch, sept Français et deux Belges (PV d'audition de Max Kester).
. un train transportant notamment 35 détenus des prisons de Langres et Chaumont quitte Chaumont pour Belfort (ces hommes seront déportés le 29 août à Neuengamme).
. des Français de la Sipo-SD du Nord exécutent à Verzenay (Marne) trois hommes arrêtés à Reims, puis sans doute trois autres le lendemain à Brimont.
29 août 1944 : quinze agents allemands et auxiliaires français partent de Dijon pour mener une opération en direction de Lyon. L'obersturmbannführer Klaus Barbie est blessé lors de cette opération, qui se solde également par un mort. Puis ces hommes rejoignent Vittel.
30 août 1944 : seize résistants sont massacrés au tunnel du Faux de Tavannes, près de Verdun. Le KdS d'Angers est mis en cause dans ces crimes. Cf. à ce sujet Jean-Pierre HARBULOT et Claude COLLIN, La Gestapo à Verdun, Les Dossiers documentaires meusiens, 2023.
31 août 1944 : un élément du KdS d'Angers qui s'est porté à Etain (Meuse) arrête le lieutenant-colonel Frédéric Autun, qui est exécuté. Le reliquat part de son côté pour Longwy. Il se porte ensuite à Luxembourg, puis près de Trèves, avant de s'établir à Saint-Dié en octobre 1944.
1er septembre 1944. Déclarations d'Erich Isselhorst : "Un nouveau dispositif a été créé. [...] Du 1er au 7 septembre, la zone Nord a été placée sous les ordres de l'hauptsturmführer SD Hauger de Wolfack qui avait installé un kommando d'une vingtaine d'hommes à Badonviller aux ordres de l'obersturmführer Sillhof et un autre plus important encore à Saint-Dié aux ordres [du] SS-obersturmführer Schoner." Parmi ces unités, le Kommando (spécial) commandé par le hauptsturmführer Helmut Retzek s'établit à Raon-l'Etape jusqu'au 15 septembre 1944.
3 septembre 1944 : des militants PPF de Lyon arrivent à Saint-Dié. Ils appartiennent notamment au kommando de l'oberst Otto Muller qui est présent également à Bruyères et Senones.
9 septembre 1944 : l'untersturmführer Joseph Karas quitte Nancy avec une trentaine de personnes pour Saulxures. Il se porte ensuite à Champenoux.
Vers le 15 septembre 1944 : le KdS d'Angers arrive à Saint-Dié où il reste jusqu'à la fin septembre 1944, puis il gagne Provenchères. Son chef, Ernst, se fixe à Saales.
17 ou 18 septembre 1944 : le château de Cirey-sur-Vezouze et le château de Châtillon, près de Cirey, sont occupés par le KdS de Rennes. Un témoin fait état d'une force de plus de 150 hommes. Pulmer a son PC au château de Châtillon. Auparavant, la Sipo-SD rennaise était casernée à Lunéville. En quittant les lieux, six Français ont été exécutés sur la route de Blâmont, par des PPF et un Allemand.
. Joseph Karas arrive à Blâmont où se trouve notamment le KdS de Nancy du kommandeur Hoth ainsi que l'obersturmbannführer Suhr, du BdS. Il gagne ensuite Gerardmer.
21 septembre 1944 : Karas s'établit au col de La Schlucht avec cinq membres du kommando et y reste jusqu'au 28 octobre 1944. Puis, selon ses déclarations, il rejoint l'Allemagne avant de gagner l'Autriche.
23 septembre - 15 octobre 1944 : selon Max Kester, 350 habitants sont arrêtés à Senones (Vosges). En réalité, l'opération Waldfest menée par les kommandos de la Sipo-SD se traduit par un millier de déportations.
Fin septembre 1944 : les kommandos du haupstsurmfürhrer Stein et de l'obersturmführer Pfanner (chef de la section IV du KdS de Nancy) se rendent dans la région de Bussang.
10 octobre 1944 : arrestation du maréchal des logis-chef Jean Coupaye, chef de la brigade de gendarmerie de Blâmont. Il est conduit au château de la comtesse de Guichen à Cirey-sur-Vezouze puis fusillé le 14 octobre avec trois autres prisonniers au lieu-dit Maîtrechet : le maire de Domèvre-sur-Vezouze, Edouard Morquin, Roger Roger, de Pexonne, et Charles Thomas, de Val-et-Châtillon. PPF et agents de la Sipo-SD de Rennes sont impliqués dans ces exécutions.
13 octobre 1944 : trois membres du GA PPF Imbert sont arrêtés sur ordre de leur chef, remis aux Allemands puis déportés à Schirmeck.
15 octobre 1944 : huit parachutistes SAS anglais qui avaient été capturés sont exécutés au lieu-dit La Grande Fosse, près de Saales. Le standartenführer Isselhorst et Hans Hubner accusent le KdS d'Angers d'être impliqué dans ce crime et, au total, dans l'exécution de 22 parachutistes britanniques. Par ailleurs, Isselhorst met en cause Wilhelm Schneider (fusillé en 1947) dans le massacre de résistants à Natzweiler, les 1er et 2 septembre 1944.
20 octobre 1944 : à cette date, selon Erich Isselhorst, qui sera fusillé en 1948 (PV d'audition du 30 juin 1947), entre 2 000 et 2 200 maquisards vosgiens environ ont été capturés depuis le 1er septembre 1944.
9 novembre 1944 : le KdS de Rennes quitte Cirey-sur-Vezouze. Il prend la direction du Donon.
14 novembre 1944. Après la libération de Saint-Dié, le GA PPF Imbert passe en Allemagne où il se disperse. La majeure partie de ses hommes rejoint l'école d'espionnage et de sabotage du PPF à Reutlingen, d'autres éléments la 8e compagnie (française) de la Division Brandebourg. Au moins cinq membres du Schutzkorps seront condamnés à mort et fusillés à la Libération.
Vers 22-23 novembre 1944 : "Au moment de l'offensive des troupes françaises sur la Meurthe [...], les différents groupes du Kommando Ernst se sont repliés individuellement pour se regrouper à Lützelhouse" (PV d'audition de Pierre Haudry, 12 février 1947). A la même période, vers le 20 novembre 1944, le Kommando Bruckle du KdS d'Angers, qui employait plusieurs agents français, quitte les Vosges après avoir stationné à Saint-Dié et Provenchères.
Des Français au service de la Sipo-SD
Plusieurs documents conservés à Reims, Nancy, Chaumont et Dijon permettent de recenser de nombreux Français ayant agi au sein ou au côté de la Sipo-SD. En voici quelques exemples.
Schutzkorps Imbert : Pierre Brossard, Gérard Cheville, Léon Coupel, Raymond Chappron, Pierre Eggermont, Gérald Gallais, Claude Garavel, Gaston Guglielminotti, Maurice (dit Lucien) Imbert, Jean Kerdraon, André Laîné, Jean Lefebvre, René Legagneur, Mathurin Le Pottier, Armand Lussiez, Jean Marot, Raymond Poste, Mohamed Rabhi, René Robert, Jacques Sergeant, Marcel Terrier, Georges Tilly, Daniel Travert, Paul Wald, Roger Walvaert, ainsi que onze femmes et enfants (à la date du 19 août 1944).
Kommando Retzek : Jenny Terrier, Paul Thevenot, Suzanne, Robert Verez, "Zazou"...
KdS d'Angers : Paul Barrière, Léon Bauduin, Pierre Brohys, Buisson, Jacques Caillard, Jacques Chalumeau, Lucien Chassard, José Ernandez, Floquet, Jacques Girard, Pierre Haudry, Marcel Juino, Henri Renaud, Norbert Ribault, Claude Souffois, Jacques Vasseur (d'après le PV d'audition de P. Haudry, 12 février 1947).
Kommando Wenger : Charles Camba, René Louvrier, Munch, Louis Perdon, Henri Przyzinski, Jean Radet (d'après le PV d'audition de Max Kester).
Divers kommandos du KdS de Lyon : Marcel Bergier, Sylvain Bressy, Jean Commeinhes, Depucci, Desgeorges, Durand, André Francis, Georges Gallioud, Charly Guggisberg, Charles Marandin, René Mazot, Mermet, Joseph Sassut, Veraud, Vincent (d'après le PV d'audition de Ch. Marandin, 22 janvier 1948).
Un policier parmi d'autres : Fritz Barnekow
Fritz-Hans Barnekow est né le 18 décembre 1899 à Alt Ruppin, au nord-ouest de Berlin, en Allemagne. Il sert entre 1917 et 1919 au sein du 2e régiment d'artillerie de la Garde et mérite la Croix de fer. Etudiant à Berlin et à Kiel, il s'oriente vers la carrière de policier (1928). Lieutenant de réserve d'artillerie, il est en poste à Dortmund et à Berlin. Versé en 1933 à la Preussische Geheime Staatpolizei Amt, adhérent du NSDAP (parti national-socialiste) en 1937, il se marie en 1940 à Kiel. Nommé Kriminal Direktor en 1943, Barnekow, promu ss-haupsturmführer en février 1938 puis sturmbannfürher en avril 1942, dirige la Gestapo de Kiel de décembre 1943 à fin janvier 1944. Affecté en février 1944 au BdS à Paris, il est nommé, en avril 1944, chef de la section IV du KdS de Rennes, puis adjoint du kommandeur Pulmer. Il reconnaît avoir dirigé personnellement une opération à Pontivy mais niera tout crime de guerre en Lorraine. Fritz Barnekow dirige la police de la frontière danoise fin avril 1945 et se rend aux Anglais à Suderlägum. Emprisonné, notamment à Neuengamme, il est libéré pour être hospitalisé à Kiel. Remis en septembre 1947 aux autorités françaises qui le recherchent pour les crimes de guerre commis en Bretagne et en Lorraine, il est dirigé sur Metz en janvier 1948. Il est notamment interrogé le 21 février 1949 à la maison d'arrêt Charles-III à Nancy. Cité à comparaître en septembre 1953 devant le tribunal militaire de Paris, il ne peut être présent à l'audience en raison de son état de santé. Il serait décédé en Italie en 1959 (selon sa fiche Wikipedia). Source principale : 102 W 67, AD 54.
Sources de cet article : série 102 W, AD 54 ; série 163 W, AD 51 ; série 213 W, AD 35 ; série 29 U, AD 21.