lundi 7 octobre 2024

Armand Tosin (1920-1942), alias Armic, le compagnon d'arme de Lucien Dupont



Armand Tosin est né à Bassano (Italie) le 23 mai 1920. Il est le fils de Pietro Tosin et d'Antonia Filapi. La famille s'installe en France à Freyming (Moselle) en 1926, puis à Hobling. Après le départ du père du foyer conjugal, Antonia Filapi et ses trois fils rejoignent Dijon où vivent des compatriotes. Ils résideront au 6, rue Benjamin-Guérard, dans le nord de la cité ducale, puis au 24, route de Langres.

A l'âge de 16 ans, Armand Tosin commence à travailler comme commis pour plusieurs boulangers : à Dijon, à Meursault, à Marcilly-sur-Tille, à Cunfin, de nouveau à Dijon. Le 14 octobre 1941, il est embauché sur un chantier de la Société industrielle d'entreprise et de mécanique (SIEM). Il y travaille jusqu'au 15 janvier 1942. Alors qu'il doit comparaître devant la justice pour un vol sur son lieu de travail, Armand Tosin quitte le domicile familial vers le 6 ou 7 mars 1942, selon sa mère.

D'après Lucien Dupont, Tosin a accompagné ce dernier lorsque tous deux ont blessé l'oberleutnant Winicker, le 28 décembre 1941, avenue Victor-Hugo à Dijon, puis lancé une bombe contre le Soldatenheim, le 10 janvier 1942. Soit cinq jours avant que le jeune Italien ne cesse de travailler pour la SIEM. 

Tandis que Dupont gagne la Saône-et-Loire, Armand Tosin se porte jusqu'à Troyes. Il est accueilli courant février 1942 chez Antoine Paquis, rue du Général-Saussier. Paquis dit l'avoir hébergé - ainsi qu'un camarade : Dupont ? - à quatre reprises. La dernière fois, c'était le 17 mars 1942, de retour de Reims où Tosin était logé par l'ouvrier Maximilien Thomas à la demande de Roger Bourdy (Pierre).

Le 18 mars 1942, la police française, informée de la présence d'inconnus à cette adresse, se rend chez Antoine Paquis et l'interpelle. Au cours de la perquisition, les enquêteurs tombent sur un homme : Armand Tosin. Ils l'arrêtent et le conduisent jusqu'à la cour de l'hôtel de ville où se trouve le commissariat central. C'est alors que le Dijonnais sort une arme qu'il avait dissimulée, ouvre le feu sur l'inspecteur Feral - qui est blessé - et prend la fuite, par les rues Charbonnet et Paillot de Montebert. Sa trace est perdue rue Champeaux...

Armand Tosin revient à Reims - où Lucien Dupont s'était également porté - mais ne reste pas inactif. Logé vers le 21 mars 1942 chez Maximilien Thomas, celui qui dans les FTP se fait appeler Armic s'attaque, le 10 avril 1942, avec le jeune Rémois Henri Morel (il n'a que 18 ans), dit Ricky, au local de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF). Puis, le 1er mai 1942, toujours accompagné de Morel, il fait à nouveau feu sur un policier français - l'inspecteur Henouil - qui le contrôlait et le blesse.

Pendant trois jours, Armand Tosin s'éloigne de Reims. "A son retour, il m'a dit être allé à 150 km dans l'Est", précise Maximilien Thomas, qui le loge alors dans sa cabane du Mont-Saint-Pierre, entre Saint-Brice-Courcelles et Champigny.

Armic a faim. Le 5 juin 1942, il commet un vol de lapin - chez un prêtre, selon Maximilien Thomas - à Breuil. Gendarmes français - contre lesquels il aurait fait feu - et allemands se mettent à sa recherche. D'après Thomas, Armand Tosin est dénoncé par une habitante de La Neuvilette, en périphérie de Reims. Retrouvé, il est abattu d'une balle dans le dos par un feldgendarme, le 9 juin 1942. D'abord, la police pensera qu'il s'agissait là de Lucien Dupont, avant que Marc Tosin, son frère, ne vienne reconnaître son corps. 

Sources : 1072 W 1-126, AD 21 ; 163 W 3053 et 163 W 3097, AD 51 ; GB 68-168-173, APP.


mercredi 25 septembre 2024

Né à Paris, mort à Buchenwald : révélations sur le "commandant Legrand", disparu à Dijon


Un communiqué signé "Legrand". (Source : ADCO/Photo de l'auteur). 


 Pour qui s'intéresse à la Résistance en Côte-d'Or, l'oeuvre en sept tomes du regretté Gilles Hennequin est incontournable. L'auteur a eu l'occasion d'évoquer à plusieurs reprises le parcours du commissaire aux opérations régional (COR) des FTPF de la Côte-d'Or, Legrand, dont il n'a jamais su précisément ni le véritable nom, ni les date et lieu de naissance.

Au gré des différents tomes écrits par Gilles Hennequin, l'homme s'appellerait Lenormand (Max ou Etienne), ou Albert Moorel. En réalité, il se nommait Albert Moreels.

Il est né le 17 janvier 1922 à Paris (14e), boulevard Port-Royal, sous le nom de sa mère, Raymonde Delaistre, domestique à Vitry-sur-Seine âgée de 17 ans. Albert Delaistre grandit à Brénouille (Oise), où il est reconnu en mairie par Kléber Moreels, puis à Saint-Martin-Longueau. Au moment de l'Occupation, le jeune homme serait étudiant à l'école normale de l'Oise.

Réfractaire au STO, il est en Côte-d'Or en 1943. Sous le nom de Legrand, il commande la compagnie Lucien-Dupont, unité FTP de la région de Gevrey-Chambertin qui se livre à de nombreux sabotages. Début 1944 vraisemblablement, Albert Moreels hérite de la fonction de COR de la Côte-d'Or, c'est-à-dire en charge des opérations militaires des FTP. Selon Gilles Hennequin, il assume parallèlement la fonction de commissaire aux effectifs régional (CER).

Toujours d'après G. Hennequin, Legrand est arrêté le 18 avril 1944 à Dijon. Ensuite, sa trace se perd. Mort des suites de torture dans la cité ? Décédé lors de son transfert vers le camp de Compiègne ou en déportation ?

En réalité, Moreels a bien été déporté à Buchenwald. Dans son édition du 7 décembre 1945, le journal La Défense a en effet lancé un avis de recherche pour savoir ce qu'était devenu le déporté Albert Moreels, dit Maurice Lenormand, vu pour la dernière fois à Buchenwald (bloc 34) en octobre 1944. En mention marginale de son acte de naissance (sans mention "mort pour la France"), Moreels est déclaré décédé le 15 octobre 1944, en un "lieu non précisé".

Parmi les déportés du 17 août 1944 en direction de Buchenwald, il n'y a pas d'interné au nom d'Albert Moreels, mais un nommé Maurice Lenormand (sa fausse identité), né selon les sources en 1916 ou 1918. Ce déporté (matricule 78 469, bloc 38) est décédé de la turberculose le 27 janvier 1945 à Buchenwald. Or aucun Maurice Lenormand n'a vu le jour à Calais aux dates indiquées sur les documents consultables dans les archives Arolsen. En revanche, il est mentionné, sur une des fiches, que Lenormand résidait à Couchy (sic) en Côte-d'Or. Il s'agit plutôt de Couchey, où Albert Moreels, précisément, était hébergé sous l'Occupation. 

Il ressort de toutes ces informations qu'Albert Moreels est plutôt mort le 27 janvier 1945 à Buchenwald que mi-octobre 1944.

Homologué au grade de lieutenant, Albert Moreels, considéré comme FTP (groupe Alexandre Truchot) du 31 août 1943 au 18 avril 1944, a été fait chevalier de la Légion d'honneur à titre posthume en 1950 et il a reçu la médaille de la Résistance.

Sources : G. Hennequin, Résistance en Côte-d'Or, sept tomes, 1985-2010 ; archives du groupe Alexandre Truchot, GR 19 P 21/48, SHD ; état civil de Paris ; archives Arolsen.  

mardi 3 septembre 2024

Les zouaves dans la libération du Sud-Haute-Marne, 13-14 septembre 1944

 


Des zouaves portés du 1er BZP et le half-track "Nancy", à Fayl-Billot. (Collection club Mémoires 52).


    Equivalent du Régiment de marche du Tchad (RMT) de la 2e division blindée (DB), la 1ère Demi-brigade de zouaves constitue l'infanterie portée de la 1ère DB (1ère armée française), un bataillon étant associé à chacun des trois combat command (CC).

    Le 3e BZP du commandant Michel Létang opère avec le CC1 du général André Sudre. A l'exception d'une compagnie laissée à Is-sur-Tille, ce bataillon prend part le 13 septembre 1944 aux opérations de libération de Langres, dans le cadre du groupement Létang. Couvert par l'escadron André des chasseurs d'Afrique, ce groupement part de Saint-Michel, entre Longeau et Langres. En chemin, "les autos mitrailleuses rencontrent des résistants [au] Pailly, le village est occupé vers 11 h, quelques prisonniers sont capturés", note le journal des marches et des opérations du 3e BZP.

    Commandant la compagnie d'accompagnement, le capitaine Le Morillon est à la tête d'un détachement qui, "vers 18 h, [...] pénètre dans Langres par le sud-est", alors que durant toute la journée, les militaires du 2e régiment de spahis algériens de reconnaissance (RSAR), du 12e régiment de cuirassiers, du Groupe des commandos de France, de l'Operational Group (américain) Christopher et des FFI du maquis Max se sont cassés les dents sur les défenses de la citadelle. Le JMO ne mentionne pas ce fait, mais la 2e compagnie (capitaine Guinard) a participé, en appui du 2e escadron (capitaine Jean Fougère) du 12e cuirs, à la réduction de la position de Hûmes, au nord de la ville. A l'issue de la journée, qui marque le retour à la liberté de la cité langroise, le 3e BZP déplore six blessés dont le sergent-chef Lorfranc, le sergent Salah ben Amor et le caporal Albert Arty qui meurt de ses blessures. 

La mort d'un aspirant

    De son côté, le 1er BZP du commandant André Barbier quitte le 13 septembre 1944 Dijon pour le sud-est haut-marnais au sein du CC 2 du colonel André Kientz. Barbier est à la tête d'un groupement composé notamment du 1er bataillon du Charollais, composé de FFI de Saône-et-Loire. 

    Pendant que le CC1 de la division se bat à Langres, le groupement Barbier a pour premier objectif  Coublanc. La 2e compagnie du capitaine Le Huede nettoie aisément le village. "A 21 h, précise le JMO du bataillon, une reconnaissance de la section Aubel (2e compagnie) trouve le village de [Maatz] libre. La 3e compagnie [capitaine Vianne] reçoit l'ordre de l'occuper. Une reconnaissance de la section Chabrolle (2e compagnie) sur Grenant se heurte à courte distance à un panzerfaust. Le sergent-chef Cohen est grièvement blessé et l'aspirant Chabrolle reste longtemps introuvable malgré les recherches effectuées par d'autres éléments de la 2e compagnie survenue pour dégager la reconnaissance et rechercher les victimes. Le corps affreusement mutilé de l'aspirant Chabrolle n'est trouvé que le lendemain." Fils du chef de bataillon Marius Chabrolle, Raymond Chabrolle était âgé de 25 ans. Formé par l'école de Cherchell, financé en Algérie, il s'était distingué quelques jours plus tôt lors de la libération de Villefranche-sur-Saône.

Officier hors de combat

    Le 14 septembre 1944, la réduction du kampfgruppe Von Brodowski est engagée par le CC2. Les zouaves et les chars nettoient Grenant. "A 9 h 30, l'opération terminée, le lieutenant Aubel avec sa section reçoit la mission de reconnaître le village de Saulles, rapporte le JMO. Mais au moment de son départ, il est grièvement blessé par l'explosion d'un véhicule allemand à proximité duquel il se trouvait. Le sergent Dumont et deux hommes de la section sont également blessés." Roger Aubel sera amputé de la jambe gauche.

Le nettoyage de Fayl-Billot

    Après l'occupation de Saulles, le 1er BZP poursuit sa progression en direction de Fayl-Billot, sur l'axe Langres - Vesoul. La 2e compagnie s'installe à Rougeux, la 3e compagnie du capitaine Vianne occupe Grandchamp et Rivière-le-Bois, et la 1ère du lieutenant Puigt, partie de Frettes, participe au nettoyage de Fayl-Billot. 

    Là, la 1ère section du lieutenant Elie Rieffel et la 3e section du sergent-chef Roger Feltin appuient le 3e escadron du 5e RCA. A Fayl-Billot, "l'ennemi se dérobe, relate le journal de marche de la 1ère compagnie, il est serré de près (neuf prisonniers aux lisières Sud du bourg) et rabattu vers le carrefour de La Folie où la section Vand et l'escadron Dumesnil capturent près de 150 prisonniers dont deux officiers, en fuite devant notre attaque." La nuit, pour la compagnie, est passée à La Folie, hormis la 3e section de l'adjudant-chef Georges Vand qui, avec l'escadron Dumesnil, pousse jusqu'à Vitrey-sur-Mance (Haute-Saône). Dès lors, c'est en Franche-Comté que les zouaves portés de la 1ère DB vont opérer.

Sources : archives des 1er et 3e BZP, Service historique de la Défense ; "La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale", club Mémoires 52, 2022.


mercredi 28 août 2024

Compagnie du Val : quelques Combattants volontaires de la Résistance (CVR).


La 6e section qui vient de se former descend sur Saint-Dizier le 30 août 1944. 

Au premier plan : le sous-lieutenant FFI Marcel Carlin. Parmi ces hommes : Jean Lamiral, 

Louis Hecquet. (Collection familiale).

CARRIER (Fernand), né à Pargny-sur-Saulx (Marne) en 1915, de Saint-Dizier. Il participe - selon son dossier -, dans les nuits du 23 au 24 août et 27 au 28 août 1944, à des sabotages, ce qui entraîne la "destruction d'un train de blessés, bloquant le passage de 21 trains de SS" selon Raoul Laurent.

COLLIN (Auguste-Jean), sergent, né à Wassy en 1908, de Saint-Dizier, 1ère section, blessé le 30 août 1944 à Saint-Dizier.

COULON (Raymond), caporal-chef, de Saint-Dizier, adjoint au sergent Sancier (5e section).

DUPIED (Raymond), né dans le Gers en 1918, de Saint-Dizier, 5e section.

DUPIED (Roger), né à Paris en 1907, de Saint-Dizier, 5e section.

GODARD (Pierre), 6e section.

GRAPINET (Guy), né à Troyes en 1925, de Saint-Dizier.

HECQUET (Louis), de Saint-Dizier, 6e section.

JOBERT (Marcel), chef de la 4e section. Combat à Bologne du 9 au 11 septembre 1944.

LAMBERTH (André), 6e section.

LIEBGOTT (Jean), né à Saint-Dizier en 1919, employé SNCF. Il opère des sabotages les 23 et 28 août 1944 sur la ligne 37 Saint-Dizier - Revigny. 

MARCOUP (Alfred), 6e section.

SANCIER (Paul-Jean), sergent (9 septembre 1944), né à Eurville en 1908, de Saint-Dizier, 1ère classe, chargé de la 5e section.

STOLARECK (Stanislas), section de commandement.

WASILEWSKY (Joseph), né en Allemagne en 1915, de Saint-Dizier, blessé au pied gauche le 30 août 1944.

Sources : séries 1548 W  et 1623 W, Archives départementales de la Haute-Marne.

mardi 27 août 2024

La Compagnie du Val, de sa formation à la libération de Saint-Dizier

 



Une messe en forêt du Val, après la guerre. (Club Mémoires 52).

    « N'ayant été armée que pratiquement la veille de la libération, la principale opération de cette unité, en dehors de quelques sabotages, souvent d'ailleurs très efficaces, a été la prise de Saint-Dizier. » C'est ainsi que le journal de marche du colonel de Grouchy, commandant des Forces françaises de l'intérieur (FFI) de Haute-Marne, introduit le relevé d'opérations du Bataillon de Saint-Dizier, dont la 1ère compagnie correspondait à la Compagnie du Val, connu aussi sous l'appellation de maquis du Val.

Plusieurs documents, pour la plupart inédits, provenant notamment d'archives familiales, nous aident à en savoir davantage sur cette unité, constituée de volontaires de la région bragarde et relevant du mouvement Libé-Nord.

Sous les ordres d'un officier d'active

    Bragard d'adoption, Victor Thérin est Breton d'origine. Né le 9 mai 1917 à Yffiniac (Côtes-d'Armor), il se définit lui-même1 comme un « officier d'active sortant de Saint-Cyr en 1939 et [qui] s'était fait mettre en congé de l'armée après l'armistice en 1940 pour ne pas servir Vichy et s'était retiré provisoirement chez ses beaux-parents à Saint-Dizier pour y travailler avec son beau-père dans une entreprise de grains ». Admis à l'école spéciale militaire en 1937, ce soldat était en effet l'époux d'Andrée Fenault, et tous deux seront, après-guerre, les gérants des établissements Fenault & Thérin.

    Son entrée dans la Résistance active, le lieutenant Thérin la raconte ainsi :« Le capitaine2 Thérin a été contacté fin mai 1944 par M. Mourey, instituteur, lequel était délégué de la résistance pour la zone Nord Haute-Marne. M. Mourey a demandé à M. Thérin de bien vouloir former une compagnie de résistance à Saint-Dizier […] M. Mourey, pour preuve du bien-fondé de sa demande et de son appartenance à la Résistance, a indiqué à M. Thérin qu'il entendrait un message spécial, radio de Londres, le soir même. Ce qui fut fait. M. Thérin s'occupa donc immédiatement d'organiser sur le plan militaire une compagnie de quatre sections de 30 hommes et un groupe de commandement. » Né à Saint-Barthélémy (Haute-Saône) le 18 juillet 1911, domicilié à Saint-Dizier où il est instituteur (il résidait rue Anatale-France, en 1936), le lieutenant Marc Mourey, alias François Jardin, était en effet, dans l'organisation FFI du département, le responsable de la zone Nord – zone à propos de laquelle le secrétaire du Comité départemental de la Libération, responsable de Libé-Nord, et lui-même Bragard, Raoul Laurent, déplorera le manque de liaison avec l'état-major départemental.


Poursuivons la lecture du récit de Victor Thérin : « Deuxième quinzaine de juillet, cette compagnie était complètement formée. Les gens qui en faisaient partie connaissaient très peu de noms des autres résistants, étant donné que M. Thérin avait adopté la méthode triangulaire, chaque personne trouvant trois autres résistants, lequel résistant devait trouver trois autres résistants... La Gestapo se trouvait en face du domicile de M. Thérin, et la Kommandantur dans la maison voisine. Les Allemands ont eu certains renseignements et ont cherché à le trouver, mais sans résultats […] M. Thérin, capitaine, prenait ses ordres de M. Grob, commandant militaire pour la région de Saint-Dizier, puisqu'il y avait une autre unité de résistance dit maquis Mauguet », qui lui relevait du Front national (FN), proche du Parti communiste français.


    Quand Victor Thérin parle de compagnie « complètement formée », il faut comprendre : sur le «papier». Car les FFI ne prendront le maquis que quelques semaines plus tard. Le commandant Jean Grob, né en 1904 à Ungersheim (Haut-Rhin), est effectivement le chef militaire de la zone (et du Bataillon de Saint-Dizier). Selon Raoul Laurent, le commandant Grob « était cadre supérieur d'une usine lorraine repliée au début de la guerre à Saint-Dizier... C'est par le truchement de Dupuy3, Mourey, Thérin [qu'il] a été mêlé à nos aventures ».


Premiers pas

    En attendant le jour de la mobilisation, les sections se forment. Le "Compte-rendu concernant la 2e section de la Compagnie du Val"4, que commande le lieutenant Paul Lelong, né à Montreuil-sur-Blaise en 1898, domicilié à Saint-Dizier, indique ainsi : « Formés dans la clandestinité, les éléments du premier groupe furent contactés en mai 1944 par le chef de section. La section fut définitivement formée le 1er août 1944. Ordre fut donné par le commandant de compagnie de tenir les trois groupes en alerte. Au début du mois d'août, le chef du groupe n°2 fut chargé de déminer les fourneaux de mine installés par les Allemands au pont des Eturbées5 à Saint-Dizier. Il s'acquitte avec succès de cette mission, avec quelques hommes de son groupe, sous la direction du directeur d'une usine de Saint-Dizier. »


    A la mi-août 1944, les FFI vont se livrer à leur première grande opération clandestine. Un parachutage a eu lieu précédemment sur le terrain Gargouille du hameau de Billory, commune de Robert-Magny, près de Montier-en-Der. Une opération est intervenue avec certitude dans la nuit du 10 au 11 juillet 1944, réceptionné par deux agents du Special Operations Executive (circuit Pedlar) et, notamment, Raoul Laurent, chef départemental de Libé-Nord, un adjoint, Eugène Roux, de Saint-Dizier. Toutefois, les sources britanniques évoquent également, sur ce même terrain, un parachutage le 9 août.

    Pour les résistants bragards, il s'agit d'aller chercher les armes récupérées et de les entreposer. Le lieu qui sera finalement choisi : le Château Gane, en forêt du Val. C'est ainsi que l'endroit sera associé à l'histoire du futur maquis.


    Le Val est une vaste forêt privée s'étendant entre la Marne et la Blaise. Y a été érigée, en son cœur, la Belle-Maison, une maison forestière qui, selon l'historien haut-marnais Emile Jolibois, est un ancien rendez-vous de chasse des princes de la maison de Guise. De la Belle-Maison, partent huit tranchées forestières menant à Roches-sur-Marne, Saint-Dizier, Marnaval, Valcourt, Humbécourt, Wassy, Villiers-au-Bois et Prez-sur-Marne. C'est sur la tranchée de Prez-sur-Marne, un peu après la Belle-Maison, qu'est situé le Château-Gane, indiqué aux responsables de la Résistance bragarde par Michel Zeller, le jeune fils (il a 22 ans) d'un officier installé à Saint-Dizier.


    Selon le lieutenant Eugène Roux et Raoul Laurent, c'est le 16 août 1944 que le transport d'armes depuis Montier-en-Der est réalisé. Roux est accompagné de l'entrepreneur bragard Guy Grapinet, qui a mis deux camions de sa société à disposition des FFI avec le chauffeur Lucien Masselot6, Louis Pernel, Buret (ou Jean Buhet), Emile Marcillet, Lucien Van Echelpoel et Jean Thiéblemont. D'autres volontaires – Pierre Dubus, Alexandre Gairaut, Yves Vidberg, André Serrurier – veilleront à la garde des armes et explosifs, dont les plus endommagés seront réparés par Zeller, Gairaut, Dubus et Thiéblemont, et qui seront ensuite entreposés dans la baraque appartenant à un boucher de Saint-Dizier (Leclerc), toujours sur la tranche menant à Prez-sur-Marne. C'est à la « baraque Leclerc » que s'installera le maquis, après l'arrivée au camp de Raoul Laurent et d'un de ses collaborateurs, René Quellais.


Premiers volontaires, premières actions

    Les hommes cités plus haut, et qui sont donc présents depuis la mi-août dans la forêt, forment le noyau de la 1ère section (lieutenant Eugène Roux) du maquis. La 2e est constituée le 24 août 1944, c'est-à-dire au lendemain de la mobilisation générale des FFI de la Haute-Marne. "Le chef de section reçoit l'ordre de faire monter sa section dans la forêt du Val, à la Belle-Maison, indique le compte-rendu du lieutenant Lelong. A 21 h, l'effectif est au complet. Transport des armes au nouveau camp. Installation du camp. Préparation des charges d'explosif pour le sabotage de la ligne de chemin de fer de Baudonvilliers..."

    Dans la nuit du 27 au 28 août 1944, interviennent effectivement deux opérations. La première, c'est un parachutage. Victor Thérin rapporte : « Le capitaine était averti qu'un parachutage d'armes lui serait fait dans la plaine, […] au nord [de la] route Pont-Varin – Voillecomte. » Il s'agit du terrain du BOA – Bureau des opérations aériennes, service dépendant de la France libre - Tobbogan, qui a déjà été destinataire d'une opération aérienne début juin 1944. « Avec plusieurs camions à charbon de bois appartenant à M. Grapinet, nous sommes allés à l'endroit du parachutage et avons normalement reçu des conteneurs d'armes », précise l'officier. 

    Dans Combattants de la liberté, Jean-Marie Chirol apporte d'autres précisions sur cette opération aértienne : « L'expédition commence. Point de départ : la baraque Leclerc, dans la forêt du Val, non loin de Villiers-aux-Bois. Itinéraire : tranche de Villiers, tranche ferrée et, par le château du Val, atteindre route de Wassy, puis Louvemont, Pont-Varin, la côte de Voillecomte et terrain Toboggan. Là, ils retrouveront l'équipe de Wassy : Dedet, Garcia, Pirson, Thieblemont père et fils... La petite armada s'ébranle. La 11 CV, conduite par Pierre Dubus, ouvre la marche. Il a à côté de lui Michel Zeller, mitraillette braquée, et, derrière, colt au poing, Victor Thérin, Raoul Laurent, également armé d'un colt, et René Quellais, dont le fusil anglais passe par la portière. Viennent ensuite deux camions appartenant à Guy Grapinet, qui conduit le premier. Un fusil-mitrailleur est installé sur la cabine de chaque camion.

    La 1ère section, commandée par Eugène Roux, tireur de FM Schultz, monte dans le premier camion, et la 2e section, commandée par Mougel7, dans l'autre. Des ennuis de durite affectent l'un des camions près du château du Val. Le bruit occasionné par les gazogènes donne à cette équipée nocturne et clandestine une allure un peu trop bruyante. Heureusement, le terrain est atteint et chacun se met à l'ouvrage : le lieutenant Eugène Roux est chargé de la protection, Raoul Laurent de la partie technique (balisage, signaux en morse, etc.) et Victor Thérin est le responsable militaire. Tout se passe normalement malgré la pluie qui menace. Trois avions se présentent successivement, et malgré le tir des Allemands qui ont été mis en alerte, deux avions parviennent à larguer un important matériel... Vite, le balisage est donné, la lettre conventionnelle aussi, et de nombreux parachutes descendent au-dessus de la plaine. Les équipes se mettent au travail avec ardeur pour récupérer les «tubes» et les charger sur les camions. Lorsque le troisième appareil se présente, il est repéré par les Me 110 du Robinson8, la DCA et les projecteurs. Aucun signal ne lui est envoyé par Raoul Laurent en raison du danger encouru pour l'appareil et la cargaison des maquisards provenant des deux premiers avions. Ce troisième appareil n'insiste pas et disparaît. Il reste bien des parachutes accrochés aux arbres, mais les gars de Wassy s'en chargeront... »

    De son côté, le lieutenant Lelong note : « Participation de la section au parachutage d'armes de Voillecomte (nuit du 27 au 28 août). Message « Le brigand se cache dans la camisole ». Un des hommes de la section (1er groupe) est blessé par un tube. Convoyage des armes de Voillecomte au camp du Val ». Le FFI blessé (à la main), c'est Marcel Thiery, de Saint-Dizier.


    La deuxième opération de cette même nuit est tout aussi hardie, mais ô combien importante : le sabotage de la ligne ferroviaire Revigny – Saint-Dizier. Médecin bragard de 53 ans, le Dr Pierre Vesselle révèle qu'une qu'une « division blindée » doit venir de la région de Commercy (Meuse) à Saint-Dizier, par cette ligne, pour « empêcher l'avance des troupes alliées ». Les renseignements sont dignes de foi : le Dr Vesselle fut un agent du service de renseignements Kléber puis du Service de renseignements Air, qui s'est montré décisif dans le vol – important – de documents de la Gestapo à Saint-Dizier, en 1943, avec le capitaine Johnson. Alors « le capitaine Thérin décide de faire sauter la ligne de chemin de fer qui se trouve entre Robert-Espagne et Baudonvilliers (…) Les charges de plastic furent préparées par le capitaine Thérin et par plusieurs autres résistants. »

    L'équipe de saboteurs est composée d'Aimé Voisot, né en 1907 à Rachecourt-sur-Blaise, quartier-maître, de Jean Liebgott, né à Saint-Dizier en 1919, du Bragard Pierre Lassalle, qui a vu le jour à Pont-Varin en 1910, et de Jean Lebrun, né dans la cité bragarde en 1917. Ils sont accompagnés par Fernand Carrier, André Etienne et André Serrurier.

    En réalité, il y eut, avant la nuit du 27 au 28 août, une première tentative de sabotage au même endroit, le 23 août selon la presse haut-marnaise (ou dans la nuit du 24 au 25, selon la gendarmerie), « mais celle-ci n'avait pas donné les résultats escomptés. Il fallait donc recommencer... »

    C'est ce même article, paru en 1945, qui apporte des détails sur la mission de cette équipe, partie, selon le capitaine Thérin, de la forêt du Val, en bicyclette : Aimé Voisot, « un cheminot, spécialiste du sabotage, homme aussi modeste que froid et courageux » et quatre de ses hommes « avaient pour mission de placer les engins sur les voies. Deux de leurs camarades, Serrurier André et Etienne André, étaient chargés d'assurer leur protection tant pendant le trajet aller et retour du «maquis» au lieu d'exécution que pendant l'opération (...)

    (Ils) quittèrent le «maquis» lestés de leurs musettes contenant les explosifs pour gagner le champ d'action situé à 12 km de la ville. » Le lieu-choisi, c'est le tunnel de la Belle-Epine, entre Baudonvilliers et Robert-Espagne (Meuse). « Ils y parvinrent sans encombre, après avoir parcouru un secteur cependant étroitement surveillé par l'ennemi et qui comporte la traversée de la Marne et de deux routes nationales. Avec un calme capable de démonter les âmes les plus solidement trempées, Voisot et son équipe se mirent aussitôt à l'oeuvre. Les voies furent minées à l'endroit où elles forment une courbe, à quelque distance du tunnel de Baudonvilliers, sans, toutefois, que les détonateurs fussent fixés à l'explosif, car on savait que les Boches, pour parer aux dangers qui menaçaient leurs convois, les faisaient précéder d'une machine haut-le-pied. Le travail terminé, l'équipe se préparait à recommencer l'opération sous le tunnel même lorsqu'un grondement sourd l'avertit de l'approche d'un train. Vite, elle se cacha, et, bientôt, en effet, arriva une machine haut-le-pied. Elle passa sans encombre, naturellement. La machine n'avait pas encore disparu dans la nuit que bondissant de leur cachette, les cinq hommes se retrouvaient sur la voie. Vivement les détonateurs furent fixés aux charges d'explosifs, puis toute l'expédition ralliée disparut. Nos courageux «maquisards» avaient à peine parcouru quelques centaines de mètres qu'un fracas épouvantable les avertit que leur «coup» avait parfaitement réussi. En effet, un train chargé de troupes venait de sauter sur les mines et plusieurs de ses wagons éventrés obstruaient maintenant les voies de leurs débris. Satisfaits, nos gars s'éloignèrent alors, cependant qu'une grêle de balles tirées par les boches, sortis indemnes de l'aventure, s'abattait dans toutes les directions. Cette rageuse fusillade n'eut d'ailleurs d'autre effet que de transpercer la locomotive qui tirait le convoi». 

    Pour cet exploit, complété le lendemain par une intervention de l'aviation alliée, et qui avait donc empêché cette nuit-là des troupes allemandes de gagner Saint-Dizier, Aimé Voisot et ses hommes furent décorés. La « division blindée » attendue correspondait en fait à la 3. Panzergrenadier-Division retirée du front italien et qui, le 29 août 1944, commettra les atroces massacres de la vallée de la Saulx, notamment à Robert-Espagne...


Veillée d'arme

    29 août 1944. Vitry-le-François (Marne) est libérée par la 4th Armoured Division (division blindée américaine). Son prochain objectif est forcément Saint-Dizier. Ce qui explique que ce jour-là, l'animation gagne la forêt du Val. « A 20 h 30, ordre de rassemblement sur la ferme du Bois-l'Abbesse. Dispositif de sécurité pour la nuit autour du cantonnement », précise le rapport de la section Lelong. D'autres volontaires vont gagner la forêt.

    Il est temps de faire plus ample connaissance avec la compagnie. Comment était-elle organisée ?

    Selon le journal de marche du colonel de Grouchy, établi en novembre 1944, elle réunissait cinq sections, plus une de commandement.

    Un document non signé et non daté - « Renseignements concernant la libération de Saint-Dizier9 » - précise que ces cinq sections étaient respectivement commandées par MM. Roux, Lelong, Jobert, Henri Mougel et Carlin, « ayant comme adjoint M. Sancier ».

    Cependant, le registre d'incorporation du maquis, qui recense les noms des volontaires l'ayant rejoint, donne une autre organisation. Il confirme que les 1ère et 2e sections ont été confiées aux lieutenants Eugène Roux et Paul Lelong. En revanche, la 3e correspond plutôt au groupe d'Eurville-Bienville, sous les ordres de René Brassier, tandis que le lieutenant Marcel Jobert dirige la 4e. Le document ne cite pas le lieutenant Mougel comme chef de section, mais attribue la 5e au sergent Jean-Paul Sancier, et la 6e à l'adjudant Marcel Carlin. D'ailleurs, dans différentes pièces, ce dernier parle toujours de 6e section, et non de 5e.

    Quels sont les effectifs de la compagnie, qui relève du mouvement Libé-Nord ? Si le registre comprend 265 noms, le colonel de Grouchy attribuera à l'unité un effectif de cinq officiers, 32 sous-officiers et 291 hommes, soit 328 FFI. Ce qui est très exagéré, car en décembre 1944, il avait donné un effectif de 250 hommes au Bataillon de Saint-Dizier, réunion des deux maquis du Val et Mauguet.


Les cadres

    Chef de la 1ère section, le lieutenant Eugène Roux est né le 7 août 1914 à Saint-Dizier. Sous-officier d'active, il a obtenu son congé d'armistice et est rentré dans sa ville natale le 1er mars 1943. Cet ancien militaire de l'école d'équitation de Fontainebleau, sous les ordres du lieutenant-colonel Gabriel Zeller, avait d'abord rejoint le maquis Mauguet, puis a quitté rapidement cette unité FTPF. Selon le registre, sa section se compose de 29 hommes.

    La 2e section rassemble 39 FFI, en partie originaires de Marnaval. Parmi ses cadres, citons – tous Bragards - les sergents-chefs Jean Lurat, 30 ans, et André Villeval, 38 ans, les sergents Georges Vallet, 36 ans, et André Tollitte, 37 ans, ainsi que les - futurs - aspirant Robert Mougel, de Saint-Dizier, sergent-chef Michel Procot, 20 ans, de Sainte-Savine, sergent Martial Thiery, 21 ans, de Saint-Dizier (fiancé avec la fille du lieutenant Lelong)... Y servent également deux Biterrois de 21 ans, André Crassous et Robert Laur, venus des Chantiers de jeunesse, qui seront promus tous deux au grade de sergent.

    Les 35 hommes de René Brassier, de Saint-Dizier, viennent pratiquement tous d'Eurville.

    La 4e section, selon le registre, est commandée par le lieutenant Marcel Jobert, né en 1910 à Saint-Dizier, et ses FFI (45) viennent d'Ancerville et Marnaval.

    La 5e a pour chef le sergent Jean-Paul Sancier, né en 1908 à Eurville (21 noms).

    Né le 18 novembre 1910 à Saint-Dizier, l'adjudant de réserve (sous-lieutenant FFI) Marcel Carlin est artisan tailleur, rue du Midi (rue du Colonel-Raynal). Marié et père de trois enfants, ce sportif accompli – gymnaste, prévôt d'armes d'escrime – était chef de section dans la 11e compagnie du III/242e RI lorsqu'il a été capturé à Xonrupt (Vosges). Il a participé aux activités du FN à l'automne 1943, notamment, selon Gilbert Thieblemont, au transport d'armes du commissariat de police de Saint-Dizier. Ayant rejoint la Compagnie du Val, il a été « envoyé reconnaître les positions des pièces d'artillerie allemande entre Saint-Dizier et Perthes, le dimanche 27 août 1944. Je suis arrêté par les Allemands dans le bois dit de la Garenne, sud d'Hallignicourt, et ne doit la liberté qu'à la parfaite connaissance de la langue allemande du volontaire FFI Steffan Aloïs qui m'accompagnait ». Le 29 août 1944, sa 6e section, à laquelle appartient Aloïs Steffan, est rassemblée dans la forêt du Val. Une liste que Marcel Carlin a dressée contient 33 noms, incorporés à compter du 1er août. Plusieurs sont gradés : Emile Pioche est sergent-chef, Robert Belbezier, André Lamberth et Maurice Demolis sont sergents, Georges Hadet adjudant10. Seuls cinq sur 33 sont célibataires. Lamberth, Alfred Marcours, Maurice Rigal et Eugène Pasquier ont quatre enfants. Dans la section, on retrouve Jean Lamiral, qui travaillait au HKP, et Maurice Daville, frère d'un garagiste, ainsi que le beau-frère de Marcel Carlin, Paul Chapron.

    Enfin, la section de commandement, avec notamment Jean Perrin, réunit 37 volontaires, l'effectif étant complété par 24 noms de FFI non situés dans une section11.


François Bazire, un des jeunes de la 1ère section.


C'est donc le 29 août 1944, surtout, que les volontaires gagnent la forêt. L'un d'eux, Victor Gross, à qui rendez-vous a été donné pour 16 h au Café de la Marina, témoigne12 : « Nous étions une vingtaine de gars, sac au dos, qui partions allègrement avec l'insouciance de la jeunesse. On ne devait pas tarder à déchanter : les Allemands avaient fait un barrage à la Marina et à l'entrée de Marnaval. Nous avons «planqué» nos sacs tyroliens dans des baraques à lapins (…), nous n'étions plus que quatre... Passent deux jeunes filles de Marnaval sur la route. Elles nous prirent en charge et nous permirent de passer le barrage à la barbe des Allemands qui se bornèrent à la présentation des papiers. Nos anges gardiens nous ont ensuite dirigés dans les bois de Marnaval. Restés seul, nous avons erré dans la nuit à la recherche du maquis, et nous finîmes par le trouver les minuit. Mon fils était là... »


Le récit de la libération

29 août 1944

    Nous avons vu plus haut que la 2e section s'est portée le soir sur la ferme du Bois-l'Abbesse. En effet, écrit le capitaine Thérin, « nous fûmes avertis que les Américains allaient arriver à Saint-Dizier par l'ouest. Nous reçûmes des ordres d'entrer à Saint-Dizier et de nous emparer de la ville par le sud. »

    Raoul Laurent, qui les jours précédents avait réuni l'état-major (Grob, Mourey, Roux) et les autres chefs de section sur la plate-forme surplombant l'étang, dans la forêt, témoigne : « Le maquis du Val, à peine mieux armé grâce aux parachutages de Voillecomte, la veille, fit mouvement sur Saint-Dizier par la tranche de la Belle-Maison, jusqu'à la clairière de la ferme du Bois-l'Abbesse.

    D'après nos renseignements, les Allemands occupaient le secteur situé en contrebas : ferme de Saint-Pantaléon, la Forge-Neuve, le Clos-Mortier, le stade municipal, et avaient installé des canons antichars et des mitrailleuses lourdes aux points stratégiques, comme par exemple le carrefour des deux RN 67. »

    Le 28 août, jour du départ des «Souris grises» de l'Hôtel Excelsior, Saint-Dizier a vu passer les soldats allemands en retraite, certains sur des charrettes tirées par des chevaux. Le 29, l'ennemi a préparé la défense de la ville, creusant des trous de mines dans le tablier du pont Godard-Jeanson (sur la Marne), installant des pièces d'artillerie en différents points de la ville :

. un canon anti-char, à l'intersection des rues Thiers (rue de la Commune-de-Paris) et de l'Arquebuse ;

. un canon camouflé et braqué en direction de la rue du Général-Giraud ;

. une pièce, avenue de la Paix ;

. des canons installés près des cités de l'Est (non loin de là, vers le pont de l'écluse de La Noue, des tranchées ont été creusées), ou à Bettancourt-la-Ferrée...

La 3. Panzer-Grenadier-Division ayant reçu pour mission de s'opposer à l'avancée alliée sur la Marne, on peut penser que ce sont des éléments de cette division qui défendent Saint-Dizier.

    Raoul Laurent : « Nous partîmes en reconnaissance avec Roux et le jeune Thiéblemont, dit «Mickey» ; en nous dissimulant derrière les haies, nous parvînmes au passage à niveau de la voie ferrée de Doulevant, puis jusqu'à un redan boisé en léger surplomb de la voie ferrée où, la nuit venue, une petite équipe avec un FM (équipe Michel Bollot) fut postée... Le stade municipal nous apparaissait bourré de matériel, armes, camions, hommes... Nous allâmes avec Lucien Godde, en rampant lentement, reconnaître tout le secteur... »


30 août 1944

    Raoul Laurent : « Le jour naissant, nous partîmes en rampant vers la lisière du bois, à la sortie de la clairière du bois l'Abbesse, et nous fûmes rejoints par une demi-section qui s'installa à gauche du chemin, tandis qu'Eugène Roux et sa section partaient en reconnaissance vers la ferme de Saint-Pantaléon. La majeure partie du maquis se groupait alors dans les sous-bois, à droite. »

    La section Roux se dirige, selon le capitaine Thérin, « vers le tournant de la route de la Marina, route nationale », tandis que deux autres gagnent, pour l'une, le stade municipal, pour l'autre la rue des Capucins.

    Il est peut-être 9 h, selon le journal de marche du colonel de Grouchy, lorsqu'un accrochage implique la section Roux et un détachement ennemi vers la ferme de Saint-Pantaléon, propriété de M. Pesme. Sous-officier bragard âgé de 32 ans, l'adjudant Lucien Godde se souvient que c'est après avoir marché pendant une trentaine de minutes que les FFI se sont heurtés à l'ennemi. Il s'agissait, à l'angle de la route de Joinville et du chemin de la Marina, de deux canons anti-chars et deux mitrailleuses allemands, précise le lieutenant Roux. Le rapport du capitaine Thérin fait état de deux blessés côté FFI. Ils furent en réalité quatre. Joseph Wasielewsky, un Bragard né en Allemagne en 1915, a été touché par un éclat d'obus au pied gauche, qui le laissera mutilé. Roger Marchal, né à Saint-Dizier, et le sergent bragard Jean Collin, né à Wassy en 1908, ont également touchés, de même qu'un FFI que ne recense pas le chapitre sur le maquis du Val dans Résistance en Haute-Marne (tome 2) : Georges Fabert, atteint à la cuisse gauche. Né à Villiers-en-Lieu en 1903, teinturier chez Largeot à Saint-Dizier où il réside, ce vétéran du 141e RI en 1940 sera hospitalisé jusqu'au 25 janvier 1945 et cité par le général Puccinelli.

    « Le courage du sergent Schultz et de Timmermann permet l'évacuation des blessés, précisera un article paru dans L'Est républicain en août 1949. Cinq hommes ont suivi le lieutenant Roux : Michel Zeller, Jean Thiéblemont, Lucien Claudin, Roger Marchal – celui-ci bien que blessé – et Van Echelpoel. Les Allemands les aperçoivent et tandis que sur ce secteur s'abat le tir des chars américains, les Allemands décrochent. »

    Charpentier bragard né en Belgique en 1909, Lucien Van Echelpoel faisait bien partie « des quatre hommes qui, seuls, avaient pu suivre ma progression, écrit le lieutenant Roux13, les autres ayant été tués14 ou blessés, ou dans l'impossibilité de passer le feu des armes automatiques (malgré notre petit nombre, avons continué notre attaque sur les pièces qui décrochent). Entre-temps, les deux nids de mitrailleuses sont détruites par un FM de la section. »

    Les Allemands décrochent alors en direction de Marnaval par la route de Joinville, sous le tir des Américains. Ainsi dégagés, les blessés sont transportés à la ferme du Bois-l'Abbesse, où ils recevront les soins de Madeleine Faivre, une grande résistante, et Fernande Lombard. « Le capitaine Thérin demande un volontaire pour joindre un docteur et pour s'assurer des dispositions de l'ennemi, s'informer de ce qui passe en ville, précise une relation de la libération de Saint-Dizier produite par l'amicale des maquis du Val et Mauguet. Perrin se présente.. » Il s'agit du quartier-maître Jean Perrin, né à Maxéville (Meurthe-et-Moselle) en 1908, célèbre boulanger bragard, gradé de la section de commandement.

    Toujours par le chemin qui relie la ferme du Bois-l'Abbesse au stade municipal, les sections de la Compagnie du Val se déploient. Las ! précise l'amicale des maquis du Val et Mauguet, « les tirs des chars américains qui arrosent tout le secteur des Ajots, route de Vitry, ferme Saint-Pantaléon, route de Joinville - quelques maisons atteintes et plusieurs civils tués - arrêtent chaque fois la progression. Un piper cub américain survolant le quartier et la forêt règle ces tirs, l'observateur ne peut savoir s'il a sous lui des Allemands ou des amis... » Le récit de l'amicale a raison. L'observateur du 94e bataillon d'artillerie blindée américaine, le lieutenant Harley S. Merrick, témoignera en effet avoir repéré, depuis son piper-cub, une force qu'il estime à environ un bataillon et correspondant sans aucun doute aux troupes ennemies et... aux FFI !


    Le sergent-chef René Quellais et des maquisards font des prisonniers près du stade, « d'autres Allemands fuient en tiraillant par les parcs de la Forge-Neuve et du Clos-Mortier et les bois de la Marina. » La voie du centre-ville s'ouvre.



Les hommes de la Compagnie du Val accueillis par les Bragards.

    Nous avons vu l'action de la section Roux. Qu'en est-il de la section Lelong ? « Le 30 au matin, la section est dirigée à l'orée du bois sur la route de Valcourt, en face de la ferme du Dr Reny. Formation de combat pour attaquer Saint-Dizier. Les Américains arrivent sur le terrain d'aviation de Robinson. La section essuie le feu de l'artillerie ennemie ainsi que le tir des mitrailleuses lourdes des Américains, sans pouvoir se faire reconnaître de ceux-ci. » Cette évocation confirme donc la confusion qui règne dans la cité entre les belligérants. « Surveillance des mouvements de l'ennemi en retraite qui bientôt quitte définitivement la route de Valcourt, il est environ 11 h 30. A 13 h 30, la section entre dans Saint-Dizier par la route de Valcourt, le pont Godard-Jeanson. Liaison avec les chars américains ».


    En effet, selon le récit du capitaine Thérin, « il fut facile de rentrer en ville, empêcher le pont de l'hôpital15 de sauter16 et de nous emparer de la mairie. Par ailleurs, le maquis Mauguet est arrivé venant du nord par la route de Chancenay. Les Américains sont arrivés, et les Allemands qui étaient encore à Ancerville, Marnaval se sont retirés vers l'est. » La relation de l'amicale des maquis confirme ce témoignage : «Au cours d'une accalmie (…), le pont Godard-Jeanson sur la Marne, miné par les Allemands, est aussi sauvé de la destruction (…) Le gros des maquisards atteint les promenades du Jard et pénètre dans la ville où les Américains bientôt aidés par eux et les habitants donnent la chasse aux derniers fuyards. L'hôtel de ville est occupé par des résistants et maquisards. Le commandant FFI coordonne les opérations de nettoyage et de sécurité tandis que Laurent et Dupuy17 rejoignent le commissariat de police où, durant plusieurs heures, les officiers américains s'informent près d'eux, cartes de la région en mains, de secteurs occupés encore par les Allemands, des forces FFI locales, des maquis encore en territoire contrôlé par l'ennemi, opérations de parachutages projetées...»

    Pour le document «Renseignements sur la libération de Saint-Dizier», c'est « entre 10 h et 11 h du matin » que la mairie, la sous-préfecture et La Poste furent occupés.

    Le rapport de la section Lelong précise : « Nettoyage des tireurs isolés dans Saint-Dizier, au collège – Note : aujourd'hui l'Estic, entre la rue Lalande et la rue du Maréchal-de-Lattre – et à l'église Notre-Dame. »


    Les troupes entrées dans Saint-Dizier sont sous les ordres du lieutenant-colonel George L. Jaques, appartenant au combat command A de la 4e DBUS. Venant de la direction de Vitry, elles ont fait mouvement à partir de 7 h (heure américaine), s'emparant du terrain de Robinson (la compagnie MacMahon du 37e bataillon de chars, qui y détruit trois avions, un Dornier 217 et deux Me 110), neutralisant à 9 h 30 deux ou trois pièces d'artillerie à l'entrée de la ville et remontant l'avenue de la République (compagnie Miller du 35e bataillon de chars et 53e bataillon d'infanterie blindé). A 12 h 30, Saint-Dizier est considérée comme nettoyée.


Lucien Groffe, exécuté à Marnaval. (Collection club Mémoires 52).


    Dans l'après-midi, complète la relation de l'amicale, « des Allemands sont arrêtés ici et là, une patrouille commandée par Pernel arrête, rue Buffon, un tireur revêtu de l'uniforme allemand. Des reconnaissances sont faites dans les environs, tandis que (...) de tous côtés, des Bragards aux brassards tricolores à Croix de Lorraine fraternisent avec les maquisards et les Américains dont les chars et les jeep sillonnent les rues. Des opérations de police ont lieu aussi, nombre de citoyens considérés comme collaborateurs (des femmes surtout) sont appréhendés. »


Saint-Dizier a été libérée par le CCA de la 4e DB.

    Dans le quartier de Gigny, un FFI de la section Lelong, Georges Mainvis, 20 ans, se propose, avenue Alsace-Lorraine, de guider un char américain afin de réduire au silence une pièce anti-char servie par sept Allemands. Ce qui est exécuté, grâce à une manœuvre par la rue de la Bénivalle. Embossé derrière un tas de charbons, le blindé tire deux obus, la pièce vole en éclats, ses servants sont tués ou blessés. Dans cette même avenue (route de Nancy), l'époux de la patronne du bar de l'Est, Germain Pin, membre du PCF clandestin et des FTPF (avec le grade d'adjudant), résistant de longue date, est tué vers 11 h, d'une balle à la carotide, alors qu'il renseignait un char américain.


L'équipe de la 2e section qui a réalisé le sabotage de Baudonvilliers, au côté du capitaine Victor Thérin.

(Collection club Mémoires 52).

    Durant cette journée, la Compagnie du Val ne déplorera qu'une victime : Lucien Groffe, FFI marnavalais de 31 ans né à Doulaincourt. Dans l'après-midi, ce membre de la section Lelong a été pris dans son quartier de résidence, porteur d'une arme et d'un brassard FFI, et exécuté près du cimetière – une plaque rappelle son assassinat. Signalons qu'à Marnaval, dès 8 h 30, les Allemands avaient pris seize hommes en otages qui seront fouillés, parqués et gardés derrière un café, route de Güe, jusque vers 21 h.

    Notons aussi que, longtemps méconnues, les pertes de la population civile, ce 30 août, ont été particulièrement importantes, notamment sous les tirs américains : 23 habitants ont trouvé la mort (aux Ajots, dans la rue des Carpières, à Marnaval), et au moins quatre ont été blessés. Le club Mémoires 52 leur a consacré un supplément en 1999.


31 août 1944

    Journal de marche des FFI de Haute-Marne : « Liaison à Hallignicourt avec éléments blindés légers américains pour nettoyage région de Chamouilley, Bienville.» Le chef de la 1ère section, le lieutenant Roux, « a été blessé dans une mission à Chamouilley », selon le rapport du capitaine Thérin. Il s'agit d'un accident de la circulation, entre Güe et Chamouilley, qui occasionne une blessure à la jambe gauche.

    Ce même jour, des éléments de la Compagnie se portent dans la vallée de la Saulx, victime d'un massacre deux jours plus tôt. Le capitaine Thérin18 fera un rapport sur ces exactions. «Deux prisonniers SS sont faits par les FFI», note le journal de marche du colonel de Grouchy. Ce que ce document ne mentionne pas, c'est que ces deux hommes ont été fusillés.

    Quelques jours plus tard, la 1ère compagnie du Bataillon de Saint-Dizier (commandant Grob) fait mouvement sur Bologne où, en liaison avec des éléments de reconnaissance américains, elle subira un accrochage dans la nuit du 9 au 10 septembre 1944. Puis elle entrera dans Chaumont le 13 septembre. Cette page de son histoire est évoquée par ailleurs sur ce blog.

    Le 29 septembre 1944, les engagés pour la durée de la guerre de la compagnie quittent Saint-Dizier pour Chaumont et seront majoritairement affectés dans la 3e compagnie du 21e régiment d'infanterie coloniale. 


1«Exposé du capitaine Thérin, 1944», archives familiales de l'auteur.

2Il sera promu capitaine à titre FFI.

3. Maxime Dupuy, né à Saulxures (Haute-Marne), ancien combattant du 242e RI en 1939-1940, futur sous-préfet de Saint-Dizier.

4Archives familiales de l'auteur.

5Quartier du Clos-Mortier.

6Le parc se compose aussi d'un camion du Secours national à Eurville, d'un autre amené par M. Benoit, directeur du dépôt d'essence de la Standard.

7Henry Mougel servait bien dans cette section, mais c'est le lieutenant Lelong qui la commandait.

8Le terrain d'aviation de Saint-Dizier, utilisé par la Luftwaffe.

9Archives familiales de l'auteur.

10Dans une autre liste, Marcel Carlin précise que ses chefs de groupe sont Aloïs Steffan, Emile Pioche et Louis Hecquet, Georges Hadet son adjoint, mais que plusieurs sous-officiers (Robert Belbezier, André Lamberth, Maurice Demolis) servent comme deuxième classe au maquis.

11Le registre donne donc 265 noms.

12Dans un article de L'Est républicain (août 1949).

13Dans une attestation concernant Van Echelpoel signée le 9 novembre 1944.

14Aucun FFI n'a trouvé la mort dans cet accrochage.

15Pont Godard-Jeanson.

16Selon les «renseignements sur la libération de Saint-Dizier», «le maquis du Val avait assuré la protection des ponts sur la Marne en faisant rester en ville quelques hommes chargés d'empêcher les Allemands de mettre le feu aux charges de dynamite mises en place par les services du Génie allemand».

17Maxime Dupuy, désigné pour occuper la fonction de sous-préfet de Saint-Dizier.

18Dont la fille Marie-Anne naîtra le 2 septembre.


Le départ pour Chaumont, 29 septembre 1944.


jeudi 8 août 2024

Lionel Jouet (1912-1944), interrégional FTP, dernier fusillé de la Citadelle de Besançon



Lionel Jouet (1912-1944) (Source : AD de la Seine-Maritime).

 Le 18 août 1944, les Allemands passaient par les armes le résistant Lionel Jouet. Ce Normand était interrégional FTP dans l'est de la France. Quel fut son parcours avant et après son arrivée dans la région ? C'est ce qui a motivé notre enquête, à l'issue de laquelle nous avons acquis la conviction qu'il s'agissait du chef FTP Baron.

Gilbert, ou Roussel, ou Baron, ou Jacques apparaît formellement dans les archives début août 1943 (vraisemblablement le 3), à l'occasion d'un rendez-vous au parc de la Pépinière à Nancy. Ce jour-là, par l'intermédiaire de Jules Didier (Baudin), régional du Front national (FN) en Meurthe-et-Moselle, il fait la connaissance de deux nouvelles recrues pour les Francs-tireurs et partisans français (FTPF) : René Malglaive et Jean Saltel. Selon les déclarations de ce dernier, Gilbert était âgé de 25 ans environ, mesurait 1,60 m, "marche légèrement voûté, cheveux châtain foncé, les tempes légèrement dégarnies". Avec un quatrième homme, Gabriel Szymkowiak, Gilbert vole un vélo devant un café de la rue Saint-Jean, puis, le 13 août 1943, tous quatre participent au sabotage d'entrées d'eau de l'usine Solvay près de Varangéville. Saltel ayant souhaité mettre un terme rapidement à ses actions clandestines, seuls Gilbert et Malglaive entreprennent ensuite, dans la nuit du 2 au 3 septembre 1943, un déboulonnage de rail sur la ligne Toul - Blainville-sur-l'Eau, à hauteur de Rosières-aux-Salines. Mais dans les deux jours qui suivent ce sabotage, Jean Saltel et René Malglaive sont arrêtés par la police française. Le premier est déporté, le second fusillé le 22 octobre 1943 à La Malpierre.

Condamné par contumace, Szymkowiak s'est réfugié, après sa fuite, en forêt près de Blénod-lès-Toul. C'est là que, fin octobre 1943, Gilbert et un autre chef FTP, le commandant Camille (Pierre Georges), viennent l'informer de sa condamnation et l'affectent à un autre département : la Haute-Saône.

A Belfort

A cette époque, Gilbert, qu'on appelle désormais Baron, est déjà commissaire politique (puis aux effectifs) interrégional. C'est-à-dire qu'avec Pierre Georges (opérations) et Albert Poirier dit Jean (technique), il est un des trois membres du triangle de direction de l'interrégion 21 (Doubs, nord du Jura, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle, Haute-Saône, Vosges et Territoire de Belfort). Au vu de sa fonction politique, Baron est vraisemblablement communiste.   

Son activité l'amène à opérer sur tout le territoire de l'IR 21 : mi-décembre 1943, il est à Chaumont où il remet de faux papiers d'identité à l'agent de liaison André Camus, puis tous deux se revoient à Nancy ; le 17 décembre 1943, Baron vient présider, à Magny-Vernois, près de Lure (Haute-Saône), une réunion du comité militaire régional de la Haute-Saône, réunion qui ne peut avoir lieu à cause de l'arrestation de deux des commissaires régionaux. D'après Camus, l'interrégional s'appelait alors Roussel - c'est en effet sous ce pseudonyme qu'il signe, le 30 décembre 1943, et en qualité de commissaire aux effectifs interrégional, une note de service -, et on le touchait essentiellement à Belfort. A ce moment, Pierre Georges et Albert Poirier ont quitté l'Est. Roussel/Baron apparaissait alors comme l'un des principaux responsables de l'interrégion.

Le 8 ou 9 janvier 1944, "le chef militaire interrégional Roussel dit Baron" (sic) se rend à Chaumont (Haute-Marne) où il rencontre, au domicile du chef de détachement FTP Marcel Lallemand, les commissaires régionaux Szymkowiak (Bacchus), transfuge de la Haute-Saône, et Louis Frossard (Marc), évadé de la maison centrale d'Ecrouves. Roussel doit revoir Bacchus et Marc le 13 janvier 1944 près du musée de Chaumont. Mais le jour fixé, les deux cadres FTP ne le rencontrent pas, et tous deux sont arrêtés par la Sipo-SD ainsi qu'un troisième résistant, Martial Bel. Trois jours plus tôt, l'agent de liaison André Camus avait fait en vain le trajet Chaumont - Belfort, sans pouvoir non plus rencontrer Roussel. Que lui est-il arrivé ? Interrogé par la Sipo-SD, tandis que Frossard a mis fin à ses jours en prison après avoir été torturé, Szymkowiak apprend de la bouche d'un de ses tortionnaires que son arrestation est consécutive à une information donnée depuis Besançon ou Belfort. Pour Szymkowiak, Roussel a forcément été arrêté, et il a parlé.

Ce que, bien plus tard, la justice française apprendra lors de son enquête sur la trahison de Szymkowiak - car le chef FTP a entre-temps dénoncé ses camarades -, c'est que l'interrégional "Roussel dit Baron", qu'elle n'est pas parvenue à identifier, a été arrêté en gare Viotte de Besançon puis a été fusillé. Un seul parcours de martyrs de la Citadelle de Besançon correspond à ces quelques éléments : celui de Lionel Jouet.

Parti de Normandie

Lionel Jouet est né le 11 août 1912 à Sanvic, près du Havre (Seine-Maritime). Il est le fils de Gaston Jouet et de Suzanne Bance. Le brevet élémentaire en poche, il entre au Comptoir d'escompte du Havre comme employé. En 1933-1934, il fait son service militaire au 3e régiment du génie à Rouen. Sa fiche le matricule mentionne qu'il a les cheveux châtains et une taille de 1,60 m. Ce sont deux des caractéristiques physiques de Gilbert...

Militant communiste et syndicaliste, Lionel Jouet écrit des articles dans L'Avenir normand. Domicilié au 66, rue de la Marne à Sanvic, il est mobilisé en septembre 1939 et affecté au dépôt du génie n°3. Il n'est pas fait prisonnier en 1940 et revient au Havre occuper la fonction de rédacteur en chef de son journal désormais clandestin. Avec André Duroméa et Gaston Avisse, il s'investit dans l'animation du Parti dans son département. Le 2 septembre 1942, avec le premier, il fait main basse sur une serviette contenant une forte somme d'argent en menaçant de leurs armes un percepteur à Rouen. Ce qui lui vaudra d'être condamné à mort par contumace par la section d'appel de la cour d'appel de Rouen.

Soit en décembre 1942 (après avoir dérobé des tickets de ravitaillement à Grand-Quevilly) selon la résistante Paulette Lefèbvre, soit en février 1943 d'après André Duroméa, Lionel Jouet, dont la chambre au 54, cours de la République au Havre sera perquisitionnée mi-mars 1943, quitte la Normandie pour "le Doubs". Nous pensons que sous le nom de Rochet, un de ses pseudonymes selon un résistant de Haute-Saône, il vient organiser le FN dans le Territoire de Belfort. D'après le colonel FTP Albert Ouzoulias, qui lui donne le prénom de Maurice, Jouet, alias Jacques, aurait également cherché à éliminer l'agriculteur du Doubs Marcel Curty, qui avait dénoncé, en octobre 1942, le groupe de Pierre Georges. Nous noterons que Jacques est un autre pseudonyme de Gilbert/Roussel/Baron...

Mi-décembre 1943, le jeune chef de détachement FTP Jacques Bergez, de Besançon, rencontre Lionel Jouet qu'il désigne sous le nom de Richard et qui est interrégional FTP à Belfort. Or c'est à Belfort que se trouvait, à la même époque, "Roussel dit Baron"... 

Le 8 janvier 1944, Bergez et Jouet se revoient à Besançon. Le premier laisse le second à la gare Viotte car il doit reprendre le train. C'est alors que l'arrivée inopinée de feldgendarmes - qui recherchaient les auteurs d'un double assassinat de supposés collaborateurs venant de se produire - surprend Lionel Jouet dans la salle d'attente. Il tente de fuir mais est arrêté. Torturé pendant quatre jours, il finit par parler le 12 janvier 1944. Toutes ces précisions viennent de confidences faites par une employée de la Sipo-SD à Jacques Bergez, qui avait rendez-vous ce jour-là avec son chef et qui a été arrêté à son tour près de la synagogue de Besançon.

Scénario cohérent

Nous avons vu les similitudes physiques entre Roussel et Lionel Jouet. Nous avons vu également l'existence d'autres indices concordants : la même fonction de commissaire interrégional politique, une même présence à Belfort, l'arrestation à la gare Viotte... et le même tragique destin. Les deux hommes apparaissent donc vraisemblablement comme une seule et même personne. 

A l'aide des éléments en notre possession, nous pouvons établir le scénario suivant quant au déroulé des événements. Le 8 janvier 1944, Lionel Jouet est à Chaumont et fixe rendez-vous à l'état-major FTP haut-marnais cinq jours plus tard. Puis il se rend en train à Besançon où il rencontre Jacques Bergez. Mais il est arrêté et, après quatre jours de violences, finit par parler. Voilà pourquoi la Sipo-SD de Chaumont peut déclarer que l'information du rendez-vous chaumontais vient "de Besançon ou de Belfort". A la suite des aveux de l'interrégional obtenus sous la torture et les menaces, Szymkowiak, Frossard, Bergez sont pris à leur tour. 

Ensuite, Lionel Jouet est incarcéré à la prison de la Butte à Besançon. Proche collaborateur de l'ex-commissaire militaire interrégional Pierre Georges, Pierre Durand, lui aussi arrêté dans la cité (le 10 janvier 1944), mais a priori sans lien avec la capture de Jouet, le voit lors d'une confrontation. Il a toujours ignoré le nom de Baron mais précise qu'il était "trapu", ce qui correspond à la silhouette du Normand. Durand écrit surtout que Baron a nié le connaître. De son côté, Szymkowiak précise que "Roussel dit Baron" était toujours emprisonné à Besançon en avril 1944.

En effet, Lionel Jouet a été condamné à mort par le tribunal de la Feldkommandantur 560 de Besançon le 4 avril 1944. Mais la sentence n'a pas été exécutée immédiatement. Finalement, après un nouveau sursis accordé le 26 mai 1944, il est fusillé le 18 août 1944, à 6 h 42, à la citadelle.

Lionel Jouet n'a été reconnu "mort pour la France" qu'en 2014, sur l'intervention de la Ville de Besançon.

Sources : Lionel Fontaine, Des Hommes. Les FTP en Haute-Marne et dans l'est de la France. 1942-1944 (préface de Franck Liaigre), Liralest/Le Pythagore éditions, 2023. Principaux documents consultés : 29 U 54 et 29 U 66, AD de la Côte-d'Or ; 2 496 W 85 et 2 101 W 15, AD de la Meurthe-et-Moselle ; 54 W 5312 et 54 W 5327, AD de la Seine-Maritime ; GR 28 P 8 935, SHD Vincennes ; 21 P 466 253, SHD Caen (communiqué par le Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon).