jeudi 11 septembre 2025

12 septembre 1944 : deux FFI de la Marne tués à Darmannes


Robert Cormier (1922-1966). 


La mort de deux soldats des Forces françaises de l'intérieur (FFI) de la Marne, le 12 septembre 1944, près de Darmannes, est une page méconnue de l'histoire de la libération de la Haute-Marne. Ce drame s'inscrit dans le cadre du dispositif FFI demandé par l'état-major de la 3e armée américaine au major britannique Nicholas R. Bodington, pour tout à la fois assurer la sécurité des lignes de communication alliées en attendant l'arrivée du 15e corps américain, et couper à la garnison de Chaumont toute possibilité de sortie.

A partir du 8 septembre 1944, des FFI de la Haute-Marne, de l'Aube et de la Marne font mouvement vers l'arrondissement de Chaumont pour tenir une ligne Juzennecourt - Bologne. Formant une troupe d'environ 500 hommes*, ayant leur poste de commandement à Sexfontaines, ils appartiennent essentiellement au Bataillon FFI de Saint-Dizier (Compagnie du Val et maquis Mauguet), à la Compagnie Pierre (Commandos M), à la Compagnie du Der, à la Compagnie de Joinville...

Dès la nuit du 9 au 10 septembre 1944, des accrochages opposent les FFI - et soldats américains - à des patrouilles allemandes vraisemblablement sorties d'Andelot : à Bologne, Doulaincourt et Busson. Ces engagements coûtent aux FFI un tué (Jean-Claude Mougeot, à Doulaincourt) et trois blessés (à Bologne). Le 10 septembre 1944, le 15e corps qui vient d'arriver sur la Marne attaque en direction des Vosges. Le 11, c'est au tour de la 2e division blindée française de franchir la rivière et le canal de la Marne à la Saône, et de progresser vers l'Est. Le 12, la 2e DB attaque Andelot.

Darmannes se situe entre Chaumont - toujours aux mains des Allemands - et Andelot - qui sera réduit dans l'après-midi. L'engagement du 12 septembre 1944 a été raconté par deux officiers. L'un, Américain : le lieutenant Robert A. J. A. Cormier (1922-1966), saboteur (OSS) du circuit allié Pedlar. L'autre, Français : le sous-lieutenant André Pierrot.

Cormier, dit Bob, est d'origine française. Il est parachuté dans l'Aube dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944, reste plusieurs semaines au nord-est de Troyes, avant de se porter fin juillet 1944, avec le sergent radio Herbert M. Roe (Maurice), sur le hameau de Billory, à Robert-Magny. Désormais attaché à la Haute-Marne, Cormier prend contact avec le maquis de Cirey-sur-Blaise de l'adjudant Benjamin Chrétien, et participe à l'instruction de la Compagnie du Der, tout en réalisant des sabotages. Il accompagne les FFI dervois jusqu'à Juzennecourt, ainsi que le capitaine Percy John Harratt (Peter), lui aussi membre de Pedlar.   

André Pierrot, dit André, sert dans la Compagnie Pierre du capitaine Raymond Krugell. Cette compagnie est formée de FFI des Commandos M, organisation de la Résistance de l'Aube et de la Haute-Marne où Pierrot commandait le maquis Maurice. 

Les relations du combat

Voici le récit de l'engagement du 12 septembre 1944 fait par Robert Cormier, dans son rapport conservé par les Archives nationales : "Nous avons attaqué une ferme, où il y avait quelques Allemands, lors d'une reconnaissance personnelle faite avec le capitaine Harratt, dans les lignes ennemies. En arrivant à la ferme, trois Allemands se tenaient sur la route. Malheureusement, notre mitrailleuse s'est enrayée. Nous nous sommes retirés sur la route et avons commencé à attaquer la ferme, avec six hommes. Le capitaine Harratt avec deux hommes s'est retiré en me criant de faire de même. C'était impossible, car nous avions un blessé de l'autre côté de la route, et le feu ennemi nous empêchait de l'atteindre. Nous avons réussi à faire fonctionner notre mitrailleuse et, sous un tir de couverture, nous avons traîné le blessé jusqu'à la voiture, et nous nous sommes repliés. Pertes : deux tués et un blessé. Pertes ennemies : deux blessés, un cheval tué."

Le rapport du sous-lieutenant Pierrot est à peu près similaire, quoique plus succinct : "Le 12 septembre, trois Allemands se trouvaient dans la ferme régie par [les parents d'Henri H.] ; quatre FFI du groupe de Marault ont livré l'attaque, deux de nos camarades ont été tués. [...] Lors du combat livré dans sa ferme, [madame H, mère d'Henri.] a joué un rôle assez louche à éclaircir, les Allemands étant postés pour commander tous les défilements." Ce "rôle assez louche" motivera l'arrestation et l'interrogatoire des membres de cette famille.

Les victimes

Deux hommes ont donc perdu la vie, le jour de la libération d'Andelot : un Algérien et un Champenois. Le caporal Abdelkader Boudjema, prisonnier de guerre évadé du camp de Mailly, a rejoint le maquis des Chênes (Marne). Ce groupe s'associe à la Compagnie du Der et se porte effectivement à Marault, près de Bologne. Boudjema repose dans la nécropole de Suippes (Marne). Le sergent Adolphe Joannes, 48 ans, vient des Commandos M. Il avait résidé à Magneux (Haute-Marne) dans les années 20. Blessé devant Darmannes, il décède le même jour des suites de ses blessures à Bologne. Nous ignorons le nom du blessé évoqué par Robert Cormier. 

Le lendemain de la mort de ces deux hommes, des éléments de la 2e DB - accompagnés côté Nord par les FFI de Saint-Dizier, côté Sud-Ouest par ceux du maquis Duguesclin - font leur entrée dans Chaumont. Trois jours plus tard, la Haute-Marne est totalement libérée.

Sources : Archives nationales, 72 AJ 85, rapport du circuit Pedlar - Archives départementales de la Côte-d'Or, 30 U 4, dossier H... - Maitron des fusillés, notices rédigées par Jocelyne et Jean-Pierre Husson, et Lionel Fontaine - La Haute-Marne et les Haut-Marnais durant la Seconde Guerre mondiale, club Mémoires 52, 2022.

* Un millier de FFI, selon le rapport du circuit Pedlar. 





lundi 1 septembre 2025

Rene J. Guiraud, un Américain bien Français



R. J. A. Guiraud (1920-1970). Photo parue dans le North Virginia Sun. 

Certains le pensaient "Canadien français". Il est vrai, se souviendra le résistant Marcel Thivet, qu'André, cet officier allié parachuté en Haute-Marne en juin 1944, parlait "parfaitement le français". Mais en réalité, les recherches menées sur Rene J. A. Guiraud avaient permis d'établir qu'il était Américain d'origine française. Etait-il né à Chicago de parents français, voire même en France sans plus de précision ? L'état civil nous apporte la réponse : René, Jean, André Guiraud a bien vu le jour dans notre pays, à Lavaur, dans le Tarn, le 5 octobre 1920.

Il est né à 8 h du matin, au lieu-dit Saint-Genest, de l'union d'Augustin Guiraud, ingénieur, et de Charlotte Girard, sans profession. Une union particulièrement brève : Augustin, Louis Guiraud avait pris pour épouse Jeanne, Charlotte, Marcelle Girard le 21 janvier 1919 à Vélizy (aujourd'hui Yvelines), ils divorcent le 28 octobre 1921, soit un an tout juste après la naissance de René.

Fille d'un directeur de l'hôpital Laennec de Paris, la mère, qualifiée d'artiste dramatique, se remarie le 26 septembre 1927 à Paris XVIIIe avec Georges Pierkot, un musicien belge. Tous deux résident au 70, boulevard de Clichy. Ici encore, le mariage ne durera pas.

Né à Colombiers (Hérault) en 1886, le père, Augustin, est ingénieur des Arts et métiers, spécialité mécanique. Durant la Première Guerre mondiale, ce sous-officier de cavalerie est blessé à deux reprises : en 1916 dans les Vosges et en 1917 dans la Somme. Au moment de cette deuxième blessure, il servait dans l'observation aérienne. Promu sous-lieutenant de réserve, Augustin Guiraud est fait chevalier de la Légion d'honneur en 1933. Il réside alors à Hossegor (Landes), puis l'année suivante à Toulouse, enfin en 1949 - l'année de sa mort - au Portet-sur-Garonne.

Tandem franco-américain

René Guiraud semble vivre plutôt avec sa mère. C'est en 1927 que Charlotte s'établit aux Etats-Unis, avec son nouveau mari. Le jeune homme a donc passé les six premières années de sa vie en France. En 1940, après le divorce des époux Pierkot, mère et fils sont domiciliés à Cicero, dans l'Illinois (comté de Cook), dans la banlieue de Chicago. 

Naturalisé américain, René (devenu Rene), qui a fait ses études à la Northwestern University, sert dans l'armée américaine à compter du 2 mars 1943. Passé caporal, il est promu second lieutenant (sous-lieutenant) le 16 novembre 1943. Il rejoint la section F (française) de l'OSS, service qui le charge d'organiser, en Haute-Marne, le circuit (réseau) Glover. Glover signifie gantier, référence évidente à l'industrie du gant qui faisait la réputation de Chaumont - région dans laquelle il doit opérer. Autres coïncidences : son opérateur radio, le second lieutenant Louis Frédéric Gérard-Varet Hyde est le fils d'une Française, a vécu en Bourgogne, et son grand-père a été enseignant à Chaumont !

L'histoire du circuit Glover est bien connue, notamment grâce au rapport du sous-lieutenant Hyde, mais le rôle de Guiraud, dit "commandant André", mérite d'être mis en exergue. Après plusieurs faux départs, les deux Américains d'origine française sont parachutés dans la nuit du 1er au 2 juin 1944 près de Leffonds. Réceptionnés par Hubert Aubry, ils se fixent d'abord dans la localité et les bois environnants, prenant contact avec plusieurs personnalités de la Résistance haut-marnaise (Pierre Brantus, colonel Emmanuel de Grouchy, etc.). Le lendemain de l'escarmouche du bois de Fays qui coûte la vie à un maquisard, Guiraud part rejoindre Le Pailly le 16 juin 1944. Il y est logé par la famille Marchetti avec un jeune Troyen recruté dans l'Aube et qui lui sert d'agent de liaison, Michel P. Dans son ouvrage sur les massacres commis dans ce département, l'historien Roger Bruge a raconté - sans le nommer - la visite faite par Guiraud à l'état-major de l'Armée secrète auboise installé au domaine de Beaumont à Cunfin (Aube), la méfiance qu'il a suscité auprès d'officiers français qui le suspectaient d'être un agent double. Guiraud avait pris contact avec l'AS après avoir rencontré Claude Quilliard, chef du secteur Ouest de Chaumont des FFI - lui aussi sera pris quelques semaines plus tard et mourra en déportation.

Déporté à Dachau

Le 27 juin 1944, le second lieutenant Guiraud qui s'est imprudemment aventuré dans Langres est capturé par des feldgendarmes, en compagnie de Michel P. et de Gaston Simonet. Lors des interrogatoires, l'Américain assiste, atterré, aux aveux faits en sa présence par le jeune Troyen. Il aurait été ensuite emprisonné à Chaumont et à Châlons-en-Champagne, puis déporté à Natzweiler.

De source américaine, c'est à la date du 6 septembre 1944 que Guiraud aurait été inscrit sur le registre du camp de concentration de Dachau, avec le matricule 103 018. Sur ce document, il est précisé qu'il est né le 5 octobre 1917 à Chicago. Sans doute s'agissait-il de cacher sa naissance en France. Rene J. Guiraud reste connu comme étant le seul citoyen américain présent à Dachau lors de la libération du camp, fin avril 1945.

Une fois libre, il retrouve sa place dans l'armée américaine. Il est promu capitaine le 27 juillet 1945 puis, après le conflit, il se voit confirmer dans le grade de first lieutenant (lieutenant) en 1946. Il se marie une première fois en août 1946, puis une seconde - avec Alma Jean Buchanan - en 1957 à Manhattan.

Selon sa notice nécrologique parue dans le North Virginia Sun le 11 février 1970, Guiraud se bat en Corée, à la tête d'une compagnie et comme officier de renseignement du 8th Cavalry Regiment. Blessé par l'explosion d'une mine, il perd un bras et une jambe. Ayant quitté l'armée avec le grade de major (commandant), il rejoint la CIA puis, en 1960, l'AID, célèbre agence de développement américaine. Ses missions le portent en Iran, au Laos, au Rwanda. 

Il est directeur de la sécurité publique de l'AID au Vietnam lorsqu'il décède d'une embolie pulmonaire à Saigon, le 29 janvier 1970. Il n'était âgé que de 49 ans et demi. Domicilié en Virginie du Nord depuis 1952, il était père de deux garçons, Mark A. et Richard S. (aujourd'hui décédé), et deux filles, Diane R. et Janine. Le major Guiraud repose dans le cimetière d'Arlington. Il était notamment titulaire de la Legion of Merit, de la Bronze Star, de la Purple Heart.

Sources : état civil de Lavaur et de Paris - Archives nationales américaines (Nara) - North Virginia Sun du 11 février 1970 - dossier de membre de la Légion d'honneur d'Augustin-Louis Guiraud, base Léonore - Josette et André GROSSETETE, Voisines. Chronique d'un massacre annoncé, Dominique Guéniot éditions, 2005 - Roger BRUGE, 1944. Le Temps des massacres, Albin Michel, 1994 - Geneanet.