mardi 28 janvier 2025

Quelques cadres du PCF clandestin dans le quart nord-est de la France (1941-1943)


Joseph Raynaud, arrêté à Port-sur-Saône, déporté à Buchenwald. (Source : Arolsen).

    Après la défaite de la France (juin 1940), le Parti communiste français (PCF), toujours interdit depuis le 26 septembre 1939, cherche à se réorganiser dans la clandestinité. Des militants sont envoyés dans les différents départements (régions) pour rassembler les énergies, structurer le Parti, développer (à partir de juin 1941) le mouvement de résistance Front national de lutte pour l'indépendance de la France, ainsi que les Francs-tireurs et partisans français.

    Nous avons cherché, à partir des procès-verbaux d'audition des militants et sympathisants arrêtés, des rapports d'enquête de police, des dossiers d'instruction, d'identifier autant que faire se peut qui étaient ces envoyés spéciaux venus notamment de la région parisienne et connus sous des pseudonymes. Ce travail porte sur le quart nord-est de la France, c'est-à-dire sur le territoire des interrégions 21 (Franche-Comté, partie de la Lorraine, partie de la Champagne), 28 (Champagne-Bourgogne) et 25 (Nord-Pas-de-Calais, partie de la Picardie, partie de la Champagne, partie de la Lorraine). En voici quelques exemples.

TournierMarcel SERVIN (1918-1968), né à Versailles, domicilié à Belfort puis à Nîmes à partir de septembre 1941. Présent dans l'Est, au moins en juillet 1943 (Chaumont, Nancy, Besançon...), comme "intertechnique". Affecté ensuite en Bretagne. Il est peut-être remplacé par Gaston HUET, né à Chaumont en 1922, nommé "responsable technique" pour l'interrégion le 25 juillet 1943 (selon ses déclarations), arrêté par la 12e brigade régionale de police à Chaumont le 4 septembre 1943, déporté le 12 mai 1944 à Buchenwald, rentré.

Gerbault : Marcel MUGNIER (1906-1970), né au Creusot (Saône-et-Loire), domicilié à Boulogne-Billancourt, responsable du FN dans l'Yonne puis interrégional FN dans l'interrégion 21, arrêté par la feldgendarmerie en gare d'Epinal le 4 août 1943, évadé le même jour de l'hôpital de Golbey, réfugié en Haute-Saône puis passé dans d'autres interrégions.

Lambert. D'après le PV d'audition de Gaston Huet, la police le décrit en 1943 comme âgé d'environ 28 ans (donc né vers 1915), d'une taille de 1,70 m environ, de "corpulence plutôt forte". Lambert, responsable aux cadres, est vu à Chaumont le 11 juillet 1943 puis dans le train Paris-Belfort le 25 juillet 1943, et à Nancy le lendemain pour un rendez-vous avec M. Mugnier et M. Servin notamment. Le nom de Lambert est effectivement cité dans les notes prises sur Mugnier le 4 août 1943. Il pourrait s'agir de Jules DEVAUX, alias Célestin, né au Houlme (Seine-Maritime) en 1913, cordonnier, domicilié à Saint-Denis, clandestin depuis 1940, et dont le frère Fernand a été déporté à Auschwitz en 1942. Selon Albert Ouzoulias, Jules Devaux était un cadre communiste en Franche-Comté et Lorraine, ayant eu un rendez-vous avec Pierre Georges (commandant Patrie) et M. Mugnier le 2 août 1943 (ou peut-être le 3) à Lure (Haute-Saône), ce qui est compatible avec une fonction d'intercadres. Par ailleurs, Devaux a initialement été confondu par les enquêteurs allemands avec Robert Dubois, responsable de la commission des cadres du PCF, ce qui rend également crédible une mission dans ce domaine de compétence à l'échelle interrégionale. Sources : fiche relative à Jules Devaux, Archives de la préfecture de police de Paris (APP) ; A. Ouzoulias, Les Bataillons de la jeunesse, Editions sociales, 1967. 

Marceau. Selon le PV d'audition d'Emile Killing, c'est un homme âgé de 45 à 50 ans, "responsable pour la région Est de la propagande" du PCF, que Killing a rencontré pour la première fois fin février - début mars 1943 à Varangéville (Meurthe-et-Moselle), et qui a cessé ses fonctions en avril 1943. La police française ajoute que ce militant recevait sa correspondance au nom de "Marceau Dartois", était un ancien employé des chemins de fer et avait l'accent du Nord".  Marceau semble correspondre, selon ces précisions, à Maurice DELOISON (1906-?), né à Argenteuil (Seine-et-Oise), domicilié à Calais. Ancien combattant 14-18 (blessé en 1916, fait prisonnier en 1917). Adhérent du PCF et de la CGTU, employé des chemins de fer à Avion (Pas-de-Calais). Adjoint au maire de sa commune. Arrêté début décembre 1939 par la police française. Membre du PCF clandestin dans le Pas-de-Calais puis dans les Ardennes. Arrêté dans les Ardennes, condamné le 13 septembre 1941 par la section spéciale de Nancy. Evadé de la maison d'arrêt de Nancy dans la nuit du 16 au 17 octobre 1941 (cf. notice d'Emile Rogé). Aurait effectivement été nommé dans l'Interrégion Est par Auguste Lecoeur vers l'automne 1942. Passé en Algérie (témoigne lors du procès Pucheu en mars 1944). Sources : 2496 W 85, ADMM ; Maitron. 

Georges. Non identifié. Selon Emile Killing, il succède à Marceau en avril 1943. Agé d'une quarantaine d'années environ. Il s'agit du militant à qui Marcel Simon, chef régional FTP de Meurthe-et-Moselle, remet son rapport d'opérations le 3 mai 1943. Puis Georges cesse ses fonctions en mai 1943 au profit de Jean (Jules Didier). Source : 2496 W 85, ADMM.

Autres cadres en poste dans l'interrégion Est

GUILLOIS (René) (1906-1983). Né à Montreuil (Seine). Employé de voirie à Neuilly-sur-Marne. Marié, deux enfants. Se dit adhérent du FN. Sillonne le département de la Haute-Marne à partir de fin juin 1942 pour recruter des adhérents. Arrêté le 16 août 1942 par la police française en gare de Vesoul (Haute-Saône) alors qu'il se rendait chez Marcel Hacquard (arrêté la veille) à Noidans-lès-Vesoul. Interné à Besançon, La Santé, Fontevrault, Blois, Compiègne. Déporté le 6 avril 1944 à Mauthausen. Rentré. Source : L. FONTAINE, Des Hommes, Liralest, 2023.

DIDIER (Jules) (1903-1991). Né à Dannemarie (Doubs). Ebeniste d'art à Vesoul. Marié. Arrêté à Vesoul par les Allemands le 21 juin 1941. Evadé le 19 février 1943. Recueilli dans l'Aisne. Rejoint Vesoul. Nommé responsable régional pour le Doubs et le Territoire-de-Belfort, puis en Meurthe-et-Moselle. Connu sous le nom de Jean à partir de mai 1943. Echappe à l'arrestation à Giraumont (M.-et-M.) le 15 août 1943. Affecté à compter du 15 septembre 1943 à la Haute-Marne pour "organiser le FN et les FTP". Y est connu sous le nom de Mercier. Quitte la Haute-Marne le 5 janvier 1944 pour le Doubs. Sources : archives de Jean-Marie Chirol, club Mémoires 52 ; L. FONTAINE, Des Hommes, op. cit. 

PATTINIEZ (Emile) (1903-1992). Né à Dunkerque. Adhérent de la CGT et du PCF. Marié, cinq enfants. Contribue à réorganiser le PCF dans le Nord. Condamné en octobre 1940 par contumace. Nommé en Meurthe-et-Moselle en septembre 1942 sous la fausse identité d'"Edouard Monier". Arrêté à Champigneulles par la 15e brigade régionale de police le 15 novembre 1942, trois jours après Lucien Richier (cf. notice d'Emile Rogé). Transféré à la Sipo. Déporté le 24 janvier 1943 à Sachsenhausen. Rentré de déportation. Source : J.-Cl. MAGRINELLI, Dictionnaire des militants ouvriers de Meurthe-et-Moselle sous l'Occupation, Kaïros, 2020.

ROGE (Emile) (1895-1958). Né à Nancy. Marié, quatre enfants. Conseiller municipal à Saint-Dié (Vosges). Interné au camp de Sablou (Dordogne) en 1940. Arrêté à Saint-Dié en mars 1941. Condamné en septembre 1941 à cinq ans de travaux forcés par la cour spéciale de Nancy pour infraction au décret du 27.09.1939. Evadé le 16 octobre 1941 de la prison de Nancy avec François Clauvelin, Maurice Deloison et Léon Lutherer. "Toutes les portes, y compris celles du réfectoire, étaient ouvertes. [...] Nous sommes passés à une dizaine de mètres de deux gardiens et d'un soldat allemand." (PV d'audition d'Emile Rogé). Tous quatre s'évadent depuis le réfectoire. Monte avec Deloison dans un train de marchandises à destination de Noisy-le-Sec. Selon ses déclarations, travaille aux halles à Paris où il vit d'octobre 1941 à "fin septembre - début octobre 1942". Part pour Commercy puis Vignot (Meuse). Mis en cause par Lucien Richier, arrêté par la police française le 12 novembre 1942 à Paris, qui déclare que Rogé est le "responsable pour l'acheminement des colis de propagande communiste pour la région Est". Arrêté le 15 décembre 1942 à Vignot par la 15e brigade régionale de police de sûreté, porteur des fausses cartes d'identité aux noms d'André Bidard et Raymond Clauss. Nie avoir repris contact avec la IIIe internationale. Interné à Compiègne. Déporté le 24 janvier 1943 à Sachsenhausen. Libéré le 5 mai 1945. Sources : 1251 W 1301 (2), AD Meuse ; Geneanet.

RAYNAUD (Joseph) (1894-1962). Né à Puligny-Montrachet (Côte-d'Or). Condamné en décembre 1939 par le tribunal militaire de Montpellier à deux ans de prison pour activité communiste. Interné à Clairvaux jusqu'en juin 1940. Travaille à l'arsenal de Dijon comme sellier-garnisseur (employé auparavant dans une carrosserie à Hyères, dans le Var). Repéré par la police qui le soupçonne d'être secrétaire de la section du PCF à Dijon, quitte son emploi le 20 mars 1942. Selon ses déclarations, se rend à Troyes puis à Paris. Loge dans un garni rue des Fossés-Saint-Marcel à Paris dans la nuit du 7 au 8 août 1942. Présent dès le 1er novembre 1942 à Port-sur-Saône (Haute-Saône) où il reçoit en gare des colis au nom d'André Legrand. Arrêté le 26 novembre 1942 par la police française à Port-sur-Saône. Selon la police, était responsable du PCF clandestin en Haute-Saône. Déporté le 14 mai 1944 en Allemagne. D'après sa fiche Arolsen, son épouse habitait à Boulogne-Billancourt, son frère à Dôle. Libéré le 11 avril 1945. Source : 163 W 3087, AD Marne.

DESIRAT (Charles) (1907-2005). Né à Paris. Adhérent du PCF, employé de la Ville de Paris. Marié, trois enfants. Arrêté après la manifestation du 11 janvier 1941 à Paris, condamné le 12 février 1941 à 18 mois de prison. Evadé de Compiègne dans la nuit du 21 au 22 juin 1941. Envoyé dans les Vosges sous le nom de Roger. Arrêté entre le 15 et le 18 novembre 1942 (à Epinal selon Jean-Claude Magrinelli). Déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943. Rentré. Sources : Maitron (notice de Claude Pennetier) et J.-Cl. MAGRINELLI, op. cit.

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