mardi 2 janvier 2024

Les fausses identités haut-marnaises de déserteurs alsaciens


La gare de Bar-le-Duc, en 2023. (Photo Lionel Fontaine).


Le 23 novembre 1943, la Feldgendarmerie de Bar-le-Duc procède, dans un train circulant sur la ligne Paris - Nancy, à un contrôle d'identité. Au cours de l'opération, elle arrête douze hommes porteurs de fausses cartes. Parmi eux, Victor Claudel, qui serait né à Chaumont en 1918, Paul Boillot, qui déclarait avoir vu le jour à Buxières-lès-Froncles en 1911, Auguste Lavigne, originaire de Remiremont (Vosges) où il est né en 1918, etc.

Ces hommes sont conduits dans les locaux de la Feldgendarmerie (Hôtel Terminus), place de la gare. Puis, à 20 h 30, sans avoir été interrogés, ils sont incarcérés à la prison allemande (Ecole normale). Le 24 novembre, trois d'entre eux sont ramenés à la Feldgendarmerie pour y être auditionnés. C'est à ce moment que Lavigne tente de s'évader. Un an plus tard, le 21 décembre 1944, les gendarmes meusiens écriront à propos de cette fuite : "Les Feldgendarmes ont poursuivi cet homme. En cours de route, à la passerelle de la rue Saint-Mihiel, l'interprète Ernevin de la Feldgendarmerie a tiré plusieurs coups de pistolets dans sa direction, mais le fugitif a continué sa course, pour être rejoint dans l'impasse des Gravières, par l'automobile de la Feldgendarmerie. Le feldgendarme Knaupp dit Le Tueur l'a fait monter en voiture, en lui administrant de nombreux coups de pied." Auguste Lavigne, qui selon un témoin a reçu une balle entre les épaules,est ensuite violemment frappé dans les locaux de la Feldgendarmerie, puis "transporté mourant à la prison allemande". Il décède le 24 novembre 1943, entre 23 h 20 et 23 h 45. Thèse avancée par l'occupant : un suicide par pendaison.

Discrètement, le docteur Gallais examine, en dépit de l'interdiction, le corps du malheureux qui a été déposé à la morgue de l'hôpital. Il "avait autour du cou la ceinture de son pardessus", précise le praticien. Mais ce que celui-ci constate surtout, ce sont des plaies sur le crâne, aux épaules et à la main gauche, une hémorragie par voie buccale, un gros épanchement sanguin dans le dos... et "un sillon peu marqué autour du cou". Pour le docteur, il est clair qu'Auguste Lavigne ne s'est pas suicidé. Cet homme, en réalité, se nomme Auguste-Louis Mathieu, né le 20 juin 1915 à Liepvre (Bas-Rhin). Trois de ses camarades, "Auguste Rousel" alias Camille Petitdemange, "Victor Claudel" alias Armand Knecht et "André Durand", de son vrai nom André Michel, sont également originaires de cette commune alsacienne. Mathieu était un "ancien militaire français démobilisé, demeurant en Alsace, incorporé dans l'armée allemande, en état de désertion", croient savoir les renseignements généraux.

Le 16 décembre 1943, Knecht et Michel sont déportés en direction de la prison de Baden-Baden. Extradé deux jours plus tard de la prison de Bar-le-Duc, Petitdemange sera dirigé le 7 novembre 1944 sur le camp de Schirmeck, puis à Vaihingen où il sera libéré en avril 1945. Quant à leurs camarades, selon un document recensant les détenus de la prison de Bar-le-Duc (dans l'école normale), Maurice Villenser, Georges Laronde et Joseph Dapiant ont été contraints d'aller travailler en Allemagne, et Paul Boillot a été condamné à six mois de prison dont trois avec sursis.

Sources : rapports des renseignements généraux au préfet de la Meuse, 209 W 2 et 209 W 3, Archives départementales de la Meuse ; dossier d'enquête contre le feldgendarme Knaupp, 102 W 69, Archives départementales de la Meurthe-et-Moselle ; Livre-mémorial de la Fondation de la mémoire de la Déportation. 

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