mardi 16 janvier 2024

Les évadés du convoi du 3 septembre 1943 pour Buchenwald


Arrêté le 16 juin 1943 à la frontière franco-espagnole, Claude Baverel perdit une jambe lors de sa tentative d'évasion. (Collection club Mémoires 52).


Vendredi 3 septembre 1943, un convoi transportant 943 internés du camp de Compiègne prend la route de Buchenwald. C'est, pour cette année 1943, le transport enregistrant le plus d'évasions, réussies ou manquées.

Dès le passage du train dans l'Aisne, Jean Raymond (non recensé par la Fondation pour la mémoire de la Déportation) et Christian Cheveau se laissent glisser dans l'ouverture de 70 cm pratiquée sur le plancher d'un wagon à l'aide d'un presson. Originaire de Besançon, Jean Raymond avait été arrêté le 5 avril 1943, puis emprisonné à Dijon. Christian Cheveau était natif de Blois. Tous deux "restent bien allongés entre les rails et, dès que le wagon de queue est passé, ils se précipitent vers la gare de Guignicourt. La pendule marque 13 h 30. Les deux évadés sont bien accueillis par les employés qui remettent à chacun une veste et un brassard SNCF. Raymond et Cheveau montent ensuite dans un train pour Laon, puis pour Paris où ils arrivent le lendemain vers 8 h" (Jean-Marie CHIROL, Sur les chemins de l'enfer, club Mémoires 52, 1996).

Le convoi poursuit son sinistre trajet dans la Marne. Le Haut-Marnais Claude Baverel, 21 ans, domicilié à Ageville, se trouve dans le wagon à bestiaux où plusieurs détenus ont fomenté un projet d'évasion. "Il est environ 15 h, écrit-il, aussitôt l'orifice ouvert ce fut la ruée pour sortir, chacun revendiquant son tour. D'aucuns voulant remonter, effrayés par la vitesse du train. Le principe était de poser ses pieds sur l'essieu puis le ballast et se laisser tomber à plat ventre entre les voies. Il se trouva que Baverel Claude fut un des derniers à pouvoir tenter sa chance, la vitesse toujours plus forte devient assez compromettante. C'est le grand risque, sans hésitation il prend position et hop la liberté. Deux ou trois wagons passent bien, puis soudain, il ressent une douleur atroce, sa jambe gauche est happée par une roue du convoi [...] Le dernier de ces wagons est une plate-forme avec fusils mitrailleurs ou mitrailleuses, c'est la mitraille de partout, il s'aplatit de nouveau et attend. La mitraille continue sur les camarades qui doivent être au nombre de seize. Plusieurs furent blessés dont un grièvement atteint d'une rafale de la jambe à l'abdomen..." (témoignage de Claude Baverel adressé à Jean-Marie Chirol en 1987).

Décédé à l'hôpital

Le rapport de l'inspecteur de police Henri Labeste, qui évoque dix évadés, le confirme : c'est bien à 15 h 10 que "des jeunes gens, probablement des requis", sont descendus par un trou du train DA 901 et se sont couchés sur la voie, entre la gare de triage et l'Entretien de Châlons-sur-Marne. Le blessé évoqué par Claude Baverel correspond à Robert Fortin, né à Beaumont-en-Beine (Aisne) en 1922, apprenti SNCF, touché par trois balles dans l'abdomen, au genou gauche et à la cheville droite. Baverel et Fortin (non recensé par la FMD) sont conduits à l'hôpital civil de Saint-Memmie. Le premier ne sera jamais déporté. Le second décède le 4 septembre 1943. Parmi les évadés, figurent Claude d'Arcangues (blessé), Henri Doat, André Lamarche et Jean-Baptiste Vallée. 

Ayant déjà enregistré l'évasion (ou la tentative d'évasion) d'au moins huit évadés, le train entre maintenant sur le territoire de la Meuse. Cheminot à Bar-le-Duc, Robert Horville se trouvait, vers 17 h 10, en gare de Revigny-sur-Ornain. Il voit "un train de déportés civils se ranger sur le deuxième quai [...] Il était militairement escorté par des membres de la Feldgendarmerie qui, dès l'arrêt, se mirent à veiller auprès de chaque wagon pour le cas où des détenus essaieraient de fuir [...] Je vis [...] cinq jeunes gens dont un pompier de Paris en tenue, se glisser sur la voie par le plancher de leur wagon à bestiaux et rester allongés entre les rails." (témoignage apporté le 5 décembre 1944 à la justice, Archives départementales de la Meuse). 

En Meuse et Moselle

Le train redémarrait, lorsqu'un Allemand aperçoit les évadés. Le convoi stoppe. "Une bonne partie des soldats allemands qui accompagnaient les déportés descendit sur le quai et immédiatement, qui avec des mitraillettes, qui avec des fusils, se mit à ouvrir le feu sur les cinq fugitifs dont trois furent tués, criblés de balles. Le pompier de Paris, et un de ses camarades, plus jeune, grièvement blessés, furent reconduits dans leur wagon..." (témoignage de Robert Horville). Le message de la gendarmerie de la Meuse, qui parle du train BR 901 arrivé à Revigny à 16 h 30 et reparti à 17 h 20, confirme qu'il y eut trois tués - non identifiés - et deux blessés, échappés du sixième ou septième wagon du train. Nous en sommes donc déjà à au moins treize évadés depuis le départ de Compiègne.

Et ce n'est pas terminé. Pour le département de la Moselle, la FMD recense treize autres évadés, dont dix à Peltre*. Parmi eux, deux Haut-Marnais : Albert Gaudry, de Chaumont, qui s'est échappé avec Michel Launay (non recensé par la FMD), et Henri Masson, né à Droyes, qui présente la particularité de s'être déjà évadé d'un train de déportation, à Lérouville (Meuse), en janvier 1943 !

Il apparaît qu'il y eut donc, le 3 septembre 1943, entre Compiègne et la frontière allemande, au moins 27 évadés (19 selon la FMD), sans doute davantage d'après Claude Baverel. 

* Jacques Anfray, Georges Balesdens, Pierre Blaret, Georges Carles, Paul Dagnas, Christian Decouve de Nuncques, Albert Gaudry, André Guillemin, Marcel Guillou, Yves Jaigu, Henri Masson, Gabriel Rod, Samuel Schnazi.

D'autres évasions de déportés, entre janvier 1943 et mai 1944

24 janvier 1943 : Henri Masson (à Lérouville), blessé et capturé.

25 mars 1943 : Aron Perelstein, exécuté dans les environs d'Epernay.

26 juin 1943 : Francis Debuigne, blessé grièvement (et capturé) à Saint-Martin-sur-le-Pré.

28 octobre 1943 : François Dabouzy et trois Hollandais (vers Longeville-lès-Metz). Sont cités également Rousseaux, Léon Wynen et au moins 6 évadés.

20 novembre 1943 : Jean Cohen-Salvador, Maurice Kalifat et au moins 17 évadés (près de Bar-le-Duc). Parmi eux, Charles Mager, blessé en sautant entre le pont de Dammarie et la gare de Longeville.

7 décembre 1943 : Gisèle Gonse (après Revigny-sur-Ornain).

14 décembre 1943 : Léon Chaumet, François Le Caignec, René Schouteten, Louis De Bakker, et au moins trois évadés (près de Châlons-sur-Marne). Ces derniers correspondent peut-être à Théodore Riere, Lucien Rigaud, Georges Zieba et un inconnu, morts entre Recy et Châlons. 

15 janvier 1944 : Paul Schwarz (avant Novéant).

22 janvier 1944 : Raymond Piquet, Félix Bride et cinq détenus (près de Mairy-sur-Marne).

27 janvier 1944 : Jantet et Garnier (vers Bar-le-Duc).

30 janvier 1944 : Pierre H. Cassé, trois Français et un Polonais (avant Vitry-le-François). 

23 février 1944 : Pierre Mondolini, tué en sautant à la gare de Damery.

23 mars 1944 :  un inconnu tué en sautant d'un train à Marseuil.

6 avril 1944 ; Michel Alliot, René Laurin, Louis Calinon, Paul Vangi, Jacques Girard et un sixième détenu (avant Pagny-sur-Moselle). 

12 mai 1944 : Roger Arvois et Yves Calvez (vers Lérouville), Amable et Benitte blessés et achevés.

(D'après Jean-Marie Chirol et des dossiers conservés par les Archives départementales de la Marne et de la Meuse). 

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