mardi 12 juillet 2011

Des inventeurs restés dans l'ombre

La Haute-Marne n’a pas manqué d’inventeurs nés sur son sol. Illustres, à l’exemple de Philippe Lebon, de Brachay (éclairage au gaz), ou de Jouffroy d’Abbans, de Roches-sur-Rognon (navigation à vapeur). Fameux, comme Emile Baudot, de Magneux (télégraphe), et Cornevin, de Montigny-le-Roi (vaccin contre le charbon). Et d’autres restés à jamais anonymes. Astreints – dans leur intérêt, reconnaissons-le – à déclarer leur trouvaille auprès des services de l’Etat, ces inventeurs, industriels ou simples travailleurs soucieux de faire progresser leur profession, ont heureusement laissé une trace, par le dépôt de demande de brevet, dans les publications officielles. Citons ainsi le charron Agnan Caussin, de Brethenay, qui, en 1840, baptise la machine qu’il a imaginée du nom de « moissonneuse », ou le cultivateur bragard Louis-Augustin Buret-Sollier qui, en 1844, conçoit un « genre de machine (sic) propre à battre les grains » - que ne se sont-ils associés pour mettre au point une moissonneuse-batteuse… Ou encore le Langrois Claude Roret, inventeur d’une « canne niveau de pentes » (1847) à destination des géomètres, ou l’ingénieur Muel, de Ragecourt (aujourd’hui Rachecourt), concepteur d’une charrue portant son nom.

Parmi tous ces anonymes, il en est un qui mérite de passer à la postérité : Hugues Champonnois, considéré comme le créateur de la distillerie agricole. Né le 12 germinal an XI (2 avril 1803) à Chaumont, il est issu, côté paternel, d’une famille de marchands chaudronniers (son grand-père Gilles, son père François) et, côté maternel, d’une famille de marchands chapeliers (les Dimey). Aîné d’une famille de cinq enfants, selon l’auteur d’une notice nécrologique, le jeune homme est élève au Conservatoire des Arts et métiers à Paris, suivant les cours d’un des célèbres frères Molard. C’est par l’intermédiaire de celui-ci qu’il fait la rencontre, déterminante, du comte Jean-Antoine Chaptal, Pair de France. C’est ce chimiste renommé qui le décide à se diriger, plutôt que vers la pharmacie ou la chimie, vers la sucrerie, en 1825. Champonnois met alors au point, au bénéfice de cette activité, un laveur continu. Dès 1829, le Bulletin des sciences technologiques évoque ce système imaginé par le Chaumontais, « construit par M. Hallette, (qui) fonctionne très bien, expédie beaucoup de besogne et dépense peu d’eau. » Entre-temps, Champonnois est qualifié de manufacturier chimiste lorsqu’en 1828, à 25 ans, il épouse, à Pont-la-Ville (canton de Châteauvillain), une Haut-Marnaise, Marie-Delphine Jourdain.

En 1834, on le désigne comme fabricant de sucre indigène. Avec Charles-Edouard Daboville (ou d’Abobille) – est-ce le futur général d’artillerie ? -, qui demeure à Jonchery, il dépose un brevet de cinq ans pour un appareil « servant à opérer par la continuité, la concentration instantanée des sirops et autres liquides ».En 1836, avec Adrien-Xavier Martin, il met au point un « système complet de fabrication du sucre indigène, fondé sur des méthodes toutes nouvelles ». On le retrouve encore, dans les années 1840, inventeur d’un appareil calorifère applicable aux poêles et cheminées, puis de pompes dites économiques.
C’est en 1854 – année où, d’ailleurs, il écrit une « Notice sur les distilleries agricoles de betteraves et autres » - que Champonnois crée les premières distilleries agricoles. Un événement dont le cinquantenaire sera célébré en 1904.

Titulaire d’une grande médaille d’honneur à l’Exposition universelle de 1855, on dit de lui, en 1869 : « C’est à M. Champonnois qu’est due l’introduction définitive de la distillation de la betterave dans les fermes, par la création d'un outillage simple, relativement peu coûteux, par l'emploi d'un mode facile et peu dispendieux de traitement de la betterave et par la reconstitution de cette racine quant à sa valeur nutritive. Le procédé Champonnois consiste, on le sait, à découper en cossettes les betteraves préalablement lavées et à les faire macérer dans un cuvier par les vinasses. Le jus ainsi obtenu est dirigé dans une cuve où il est soumis à une fermentation continue par le mélange avec le jus plus ancien d'une cuve précédente en pleine fermentation, lorsque le travail du ferment est terminé, ce jus est dirigé dans la chaudière à distiller et la vinasse constitue ce qui reste dans la chaudière, lorsque ce jus a été complètement épuisé d'alcool. Un laveur, un coupe-racines, trois cuves à macérer, quatre cuves à fermenter, un appareil distillatoire, une ou deux pompes à jus, deux réservoirs à vinasse et un réservoir à alcool, forment l'outillage nécessaire à l'exploitation agricole de ce procédé.»Notons que le Chaumontais a travaillé dans le laboratoire d’un chimiste réputé, Payen. Lequel, membre de l’Institut, a adressé un rapport élogieux, en 1854, à la Société impériale et centrale d’agriculture de France sur le procédé de M. Champonnois, prenant pour exemples des exploitations auboises.

Ingénieur civil, domicilié rue des Petits-Champs à Paris, Champonnois est qualifié de fabricant de distilleries agricoles lorsqu’il est fait membre de la Légion d’honneur – il sera officier de cet ordre. Il meurt dans la capitale le 18 avril 1896, à 94 ans.

Parmi ses frères, Gilles-Victor, né le 11 nivôse an XIII (1er janvier 1805) à Chaumont, élève à l’école polytechnique, promotion 1824, sorti en 1826, affecté aux Ponts-et-Chaussées, sera ingénieur ordinaire, notamment dans le Morbihan, en 1831, et décédera avant 1855.

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