mardi 4 novembre 2025

A la recherche de l'équipage du Piper Cub tombé entre Chaumont et Condes, 1er - 5 septembre 1944

James H. Munford, après sa capture par les Allemands. (Source : Nara).


En 1994, dans 1944 en Haute-Marne, le club Mémoires 52 faisait état, à la date du 5 septembre 1944, de la mort de trois soldats américains "dans le secteur de Brethenay" et de la chute à Condes d'un chasseur de l'USAAF dont le pilote aurait été tué. En réalité, ces deux évènements se sont déroulés aux portes de Chaumont à deux dates certes proches mais différentes, ainsi qu'en avait conclu Claude Ambrazé, membre actif du club, lors d'une enquête menée en juin 1996. 

Faute d'avoir pu découvrir des documents officiels "dans les archives municipales de Condes et Brethenay", cet enfant de Bologne a pu apprendre, auprès d'habitants, qu'un avion est bien tombé au lieu-dit Les Combes sur le territoire de Condes, en limite du faubourg de Buxereuilles (Chaumont), que des pièces ont été récupérées par des civils, et qu'elles ont permis d'identifier l'avion comme étant un Piper Cub, un appareil pouvant accueillir deux occupants - le pilote et un passager. Pour Claude Ambrazé, "il est vraisemblable que les deux aviateurs américains détenus prisonniers le 5 septembre par les Allemands en poste à La Chaumière sont les deux membres d'équipage de cet avion". Car en effet, c'est pour obtenir la libération de deux Américains à Condes, dans ce restaurant situé au bord de la RN 67, qu'une expédition a été montée par leurs compatriotes.

Claude Ambrazé (1930-2022) devant des pièces du Piper Cub.


Mais revenons d'abord à la chute de cet appareil, l'un des 26 tombés sur le sol de Haute-Marne sous l'Occupation. Elle est intervenue, non pas le 5, mais le 1er septembre 1944, à 3 km au nord de Chaumont selon les Archives américaines. Il s'agit donc bien de l'avion tombé à Condes. L'appareil correspond au Piper Cub L-4 43-30439. Contrairement à ce que nous avons d'abord pensé, il ne dépendait pas de la 4th Armored Division, qui a libéré Saint-Dizier le 30 août 1944 et Joinville le lendemain, mais du 752nd Field Artillery Battalion (bataillon d'artillerie de campagne). Cantonné à Guindrecourt-aux-Ormes, ce bataillon appartenant à la Third Army était vraisemblablement attaché à la 35th Infantry Division, dont une Task Force s'est installée dans la région de Joinville à partir du 2 septembre 1944. 

Le pilote se nomme Rollin Francis Wade. Né le 4 juillet 1915 à Kenne (Nebraska), domicilié dans le Kansas, il s'engage en février 1941 dans l'armée américaine. First lieutenant, il sert à l'état-major (Hq) du 752nd FA Bn. Son passager - et camarade - James Hunter Munford est également originaire du Kansas où il est né le 29 août 1913 à Greeley, mais il habite en Californie. Bactériologue (dans le civil), il sert dans la Batterie C du bataillon comme second lieutenant.

Tous deux sont capturés - Munford aurait été blessé - et internés en Allemagne, Wade dans un Stalag Luft, Munford à l'Oflag 64 (en octobre 1944). Ils sont libérés en 1945 par l'Armée rouge. Rollin F. Wade décède en 1992, James H. Munford en 1989.

Mais avant leur départ Outre-Rhin, leurs compatriotes ont cherché à les libérer.

La mort d'un Louisianais

Le 5 septembre 1944, une Jeep s'arrête à Bologne. Claude Ambrazé, adolescent à cette époque, se souvient bien de l'épisode, d'autant qu'il coïncide avec son 14e anniversaire. Il note, dans son journal : "Le matin, je suis sur la place avec les Américains qui y sont stationnés. Vers 11 h, deux Jeeps partent vers Brethenay pour identifier un avion qui y est tombé. Deux soldats sont tués et un officier aviateur venu spécialement est blessé et meurt. Les autres Américains reviennent en rampant à Bologne après avoir mis le feu à la voiture." De source américaine, l'expédition a été réalisée par le 121st Cavalry Reconnaissance Squadron, et effectivement, deux soldats de la Troop C, alors installée à Biernes, près de Colombey-les-Deux-Eglises, ont perdu la vie ce jour-là : Louis A. Laudiero et Morris H. Lance. Ce sont deux des trois victimes de l'embuscade. Le troisième, c'est l'officier. "Blessé grièvement à l'entrée de Brethenay, il est emmené par les Allemands à "La Chaumière" où il meurt et ensuite est enterré au cimetière de Condes", écrit Claude Ambrazé - pour Roger Doré, qui avait rencontré l'expédition à Marault et lui avait suggéré de passer par Laharmand et Jonchery plutôt que par la RN 67, la mort de l'officier serait plutôt survenue devant la maison de Mme Gouot.

Les archives américaines nous apprennent que cet officier est le first lieutenant Samuel Washington Humber, lui aussi de l'état-major du 752nd FA Bn, "killed in action" le 5 septembre 1944. Elles ne précisent pas le lieu de décès mais situent sa mort à 11 h 30, ce qui correspond à l'horaire donné par Claude Ambrazé. Egalement pilote de Piper Cub, Humber est né le 14 août 1911 à Carthage, en Caroline du Nord. Il grandit à Baltimore puis se marie en 1937 à Shreveport, en Louisiane. Il exerce le métier de directeur de magasin de chapeaux Wormser et s'engage le 14 mai 1942. Sur le site "Find a grave", où l'on peut voir son portrait, il est indiqué - de façon erronée - qu'Humber est décédé à Chaumont... dans l'Allier alors qu'il s'agit bien de Chaumont en Haute-Marne. D'abord enterré à Condes, il est inhumé au cimetière de Limey (Meurthe-et-Moselle). Aujourd'hui, Humber repose à Arlington.

Samuel W. Humber. Source : Find a Grave.


Y eut-il, ce jour-là, des victimes autres que Laudiero, Lance et Humber lors de cette embuscade ? Selon l'extrait du rapport d'un officier de l'aviation d'observation d'artillerie de la Third Army, cité par l'historien britannique Ken Wakefield dans son ouvrage The fighting grasshoppers, le pilote, dont il ne mentionne pas l'identité, était accompagné de trois soldats, et tous, montés dans une seule Jeep, avaient été tués. Mais nous n'avons pas trouvé trace d'une quatrième victime, ni dans les archives du 121st Cav Rec Sqn, ni dans celles du 752nd FA Bn.  

Autre mystère : Claude Ambrazé se souvient bien de la carcasse de la Jeep incendiée - par les Allemands - "dans le fossé de la RN 67 avant Brethenay, à peu près à l'emplacement du magasin Atlas actuel", mais n'évoque pas le destin du deuxième véhicule. Pour Roger Doré, cité dans le tome 3 de La Résistance en Haute-Marne, "les occupants de la deuxième Jeep abandonnèrent leur voiture et regagnèrent Bologne à travers champs".

Concluons cette page d'histoire méconnue en précisant qu'une semaine plus tard, le 12 septembre 1944, alors que Brethenay - ainsi que Condes - est défendu par des éléments du Luftnachrichten-Ausbildungs-Regiment 302, une autre embuscade aux conséquences tragiques - trois Américains tués, six prisonniers dont trois journalistes - s'est déroulée au même endroit, la veille de la libération de Chaumont. 

Sources principales : Archives nationales américaines - notes de Claude Ambrazé.