Le 18 juillet 1944, les corps de cinq inconnus tués par balles sont retrouvés en forêt de Trois-Fontaines, au lieu-dit maison forestière de Brassa. Ils sont inhumés dans le cimetière du village de Trois-Fontaines-l'Abbaye (Marne). Quatre de ces hommes, victimes d'une opération de l'armée allemande, seront formellement identifiés par leurs familles un mois plus tard*. Le cinquième est resté inconnu.
Nous savons, grâce à l'acte de décès, qu'il était âgé d'une trentaine d'années et qu'il était marié. D'après un membre du groupe, il avait pour nom de guerre "Electrique". Selon le sous-lieutenant Daniel Simon (Jim), chef du maquis (FTP) de Trois-Fontaines, il s'appellerait Chauvot, de Paris. Sur les lieux du combat, les gendarmes de Sermaize-les-Bains ont effectivement retrouvé une carte postale adressée à un certain André Chauneau (ou plutôt Chauveau), au 34, rue Duhesme à Paris. Surtout, un document conservé par les Archives départementales de la Marne à Reims - un fichier des personnes arrêtées ou mortes dans ce département sous l'Occupation - mentionne un nommé Albert Chauveau, né à Rochefort (Charente-Maritime) en 1900, tué le 18 juillet 1944 à Trois-Fontaines.
Albert-André Chauveau (prénom usuel : André) est né le 12 mars 1900 à l'hospice civil de Rochefort. Il est le fils de Marie Guillet, et il est reconnu par Charles-Jules Chauveau en 1902. La famille s'installe à Bessancourt (Seine-et-Oise). Charcutier, André Chauveau s'engage en 1918 en mairie de Mont-de-Marsan (Landes) au titre des équipages de la flotte. Après cinq ans de service dans la Marine, il retrouve la vie civile et se marie, le 24 novembre 1923, à L'Isle-Adam, avec Louise Bohers. Deux fils naissent en 1925 et 1927.
Electricien, André Chauveau vit à Bessancourt puis à Paris, au 8, rue de la Présentation. Nous ignorons s'il a été mobilisé en 1939. En revanche, le 1er avril 1942, il signe un contrat pour travailler en Allemagne pour le compte de la société des frères Giulini à Ludwigshaffen. Il est notamment employé à Bad Oldesloe. Son contrat s'arrête le 30 août 1943. Puis sa trace se perd. Un membre de sa famille que nous avons contacté n'a jamais eu connaissance de son destin.
Si Albert-André Chauveau est bien l'inconnu de Trois-Fontaines - ce qui est l'hypothèse la plus vraisemblable au terme de notre enquête, d'autant que le nom de guerre de Chauvot (sic) est Electrique - nous ignorons dans quelles circonstances il a rejoint ce maquis de la Marne (Compagnie Valmy).
Aucune date de décès ne figure en mention marginale sur son acte de naissance. Son épouse obtient un jugement de divorce par défaut en 1947. Il n'y a pas de dossiers au nom d'Albert-André Chauveau dans les archives du Service historique de la Défense (Vincennes et Caen). Mais il y a bien un dossier au nom de Chauveau, sans date et lieu de naissance, qui n'apporte pas de précisions.
Dans la nécropole nationale de Suippes (Marne), figure la tombe du "chef de groupe FFI" André Chauveau tué le 18 juillet 1944.
Sources : fichier des personnes arrêtées dans la Marne (161 W 78, AD 51) ; état civil des communes de Rochefort et de Trois-Fontaines-l'Abbaye ; dossier individuel de Jacques Ferré, GR 21 P 183 770, SHD Caen ; fiche matricule d'Albert-André Chauveau, 1 R/RM 624, AD 78 ; archives Arolsen ; Lionel FONTAINE, Partisans en forêt de Trois-Fontaines, 2024.
* Jacques Ferré, adjudant Raymond Gaillet, Gabriel Trusgnach et Abel Voiselle.
Chronologie d'un massacre
18 juillet 1944, avant l'aube : des soldats allemands, certainement engagés pour délivrer leurs cinq camarades capturés la veille par les FTP à Vanault-le-Chatel, s'arrêtent à Maurupt-le-Montois.
Vers 6 h : trois véhicules venus de la direction de Maurupt arrivent dans le secteur de la maison forestière Jean-le-Grand. Trois soldats fouillent un baraquement dans le chemin face à la maison forestière. Puis le convoi prend la direction de Trois-Fontaines.
Raymond Protin : "J'étais chef de groupe au maquis dit Trois-Fontaines. [...] Ces cinq patriotes se trouvaient dans une baraque. [...] L'un d'eux était malade, un autre blessé et les trois autres se reposaient de fatigue. [...] Au moment de l'attaque, je me trouvais dans les environs, mais je n'étais pas à l'endroit où ces cinq patriotes ont été tués."
Serge Lampin (Cobaye) : "Nous avons été cernés par les Allemands. Vers 9 h du matin, environ 150 soldats allemands armés de mitrailleuses et de mortiers ont ouvert le feu sur nous. J'ai été blessé à la cuisse par une balle et je me suis blotti dans un buisson. Après quelques minutes de combat, j'ai vu sortir d'une baraque où il était cerné mon camarade Raymond Gaillet. [...] Il levait les bras pour se rendre. Après avoir fait quelques pas, les Allemands l'ont abattu d'une rafale et l'un d'eux est venu l'achever d'une autre rafale de mitraillette dans la tête. Quelques instants plus tard, j'ai vu que mon camarade Gabriel Trusgnach, également de Sainte-Menehould, gisait inanimé sur le sol, il avait été touché d'une rafale.
Les Allemands se sont ensuite approchés de moi et l'un de leurs officiers leur a ordonné de me faire sortir de mon abri en disant : "Il nous en faut un de la bande". J'ai alors été fait prisonnier..."
Jacques Renard (Jacky) : "J'appartenais au groupe FTP Michel. [...] J'avais été envoyé en reconnaissance avec mon camarade Henri Tabournot, dit Riquet, sur la route de [Baudonvilliers]. A notre retour de cette mission, vers 10 h, j'ai entendu des coups de feu provenant des mitrailleuses et de mortiers. [...] Je me suis rendu immédiatement avec mon camarade au dit camp. Lorsque nous sommes arrivés, il était déjà occupé par les Allemands. Nous avons vaguement aperçu à une cinquantaine de mètres le corps de deux camarades dont un semblait avoir été mortellement blessé d'une balle explosive à la tête. Je crois qu'il s'agissait de mon camarade Gaillet Raymond, dit Mataf."
Entre 10 h et 11 h : le bûcheron Da Silva Fernandez qui marche sur le chemin de la Belle-Epine voit une cinquantaine d'Allemands.
Vers 16 h : les gendarmes Léon Henriet et Adolphe Boussard, de la brigade de Sermaize, sont informés par le brigadier Georges Psaume, des Eaux et forêts, du combat du matin. Ils apprennent aussi qu'un maquisard grièvement touché à la jambe et au bras gauche a été soigné par le Dr Henry Fritsch, chez Pierre Caye où il a été déposé par Jean-Marie Brulliard.
Sur place, à la maison forestière de Brassa, les gendarmes découvrent deux cadavres devant le pavillon de planches, un troisième dans l'embrasure de la porte, et deux autres dans une pièce.
Un véhicule conduit par Paul Dervogne transporte les corps jusqu'au cimetière de Trois-Fontaines. Les cinq actes de décès sont dressés à 18 h.
Jacques Renard : "Vers 18 h, nous nous sommes rendus sur les lieux. [...] Les corps [de nos camarades] avaient déjà été enlevés avant notre arrivée. Il s'agit des nommés Trusgnach Gabriel, Gaillet Raymond, Voiselle Abel, Ferré Jacques et un cinquième originaire de Paris que je connaissais sous le nom de guerre de Electrique [Chauveau]"
J'ai nettement l'impression que l'emplacement de notre groupe a été indiqué aux Allemands, par une personne connaissant parfaitement la forêt, car les Allemands semblent être arrivés directement sans aucune recherche préalable à la baraque forestière de Brassa, qui se trouvait complètement perdue dans l'immense forêt de Trois-Fontaines. J'ignore quelle est cette personne."
Serge Lampin : "Quand les Allemands se sont groupés pour repartir, j'ai vu parmi eux un civil que je présume être [un] garde des Eaux et forêts. [...] C'est ce civil qui a guidé les Allemands à notre maquis, et je l'ai vu descendre d'un camion allemand au retour à Cheminon.
Les forces militaires allemandes étaient composées de feldgendarmes de Châlons-sur-Marne et de Vitry-le-François et du SD de Châlons. Le SD de Châlons avait la direction des opérations. Il était commandé par un capitaine de grande taille, portant des lunettes. [...] C'est ce capitaine qui m'a interrogé par deux fois et brutalisé... A la suite de ma capture, j'ai été déporté au camp de Dachau. [...]"
Vers 19 h 30 : une ambulance dépêchée par la Kreiskommandantur de Vitry-le-François prend en charge le blessé grave, déserteur autrichien qui parait avoir succombé à ses blessures.
Source principale : procès-verbaux d'audition en 1946 pour le Service de recherche des crimes de guerre ennemis, 163 W (MM) 3179, AD 51.