Jeudi 27 janvier 1944. Il est 8 h 30, lorsque l'occupant opère une rafle de grande ampleur dans la communauté juive haut-marnaise, et notamment bragarde. « Un court délai est donné aux familles pour rassembler un minimum de choses à emporter, puis un camion prend, au fur et à mesure, à son bord, les personnes arrêtées. Le regroupement s'effectue à l'Hôtel Rigole, près de la gare », écrira Jean-Marie Chirol dans la « Lettre aux membres du club Mémoires 52 ».
Au sein de la famille Lévy, les parents et la fille, Colette, sont appréhendés. Le fils, Jacques, 18 ans et demi, travaille alors à la graineterie Collot, avenue d'Alsace-Lorraine. Un ouvrier de la menuiserie Chanfrault, Aldo Griggio, part le prévenir de la rafle en cours. Depuis le « Coop » de l'avenue de la République, géré par M. Bécart, son père parvient, par téléphone, à le joindre. « Sauves-toi ! Tu es assez grand pour te débrouiller seul. Fais ton devoir... » Et il lui conseille vivement d'aller se réfugier chez des amis, les Chaumont, agriculteurs qui résident dans une ferme à Châtillon-sur-Broué, près de l'actuel lac du Der. Aussitôt, Jacques Lévy se rend aux fonderies de La Noue, où P. Mogin et V. Paquis lui prêtent un vélo et des vêtements chauds. Une fausse carte établie en mairie, au nom de « Jacques Cléry », lui est délivrée, puis, par des chemins détournés, il se dirige, à deux-roues, vers la ferme des Bourgeois. Il y arrive au soir, et reste deux mois chez Léa et Henri Chaumont, qui ont six enfants. Pour la sécurité de cette brave famille et la sienne, le Bragard rejoint l'Aquitaine, où il sert dans un groupe FFI, pour revenir à Saint-Dizier en novembre (les trois membres de sa famille ont péri à Auschwitz). Grâce à son témoignage, les époux Chaumont seront faits Justes en 1978.
Toujours à Saint-Dizier, Suzanne Girard, 48 ans, fille de l'ancien maire Charles Lucot, directrice d'école dans le quartier de La Noue, résidant alors rue du Château-Renard, assiste à la rafle et appelle son jeune fils Robert. Celui-ci témoigne (Dossier 52 n°29) : « Un camion allemand y était arrêté, et des « feldgrau » faisaient sortir nos voisins de leur logement, avec un maigre balluchon, Paul Greilsammer, sa mère et sa tante (Notes : déporté, Paul Greilsammer, 38 ans, sera l'un des rares survivants d'Auschwitz. Jeanne Greilsammer, 64 ans, ne reviendra pas du sinistre camp). Nous sommes allés vers eux par sympathie, mais leurs geôliers nous intimèrent de nous éloigner en nous menaçant de leur mitraillette. Nous échangeâmes alors un regard et un geste de la main... »
Suzanne Girard songe alors aux autres israélites de la cité, notamment à une de ses élèves, Denise. Aussitôt, l'enseignante enfourche une bicyclette, vient prévenir l'enfant, que son fils ira rechercher. « Je me souviens qu'elle portait toujours l'étoile jaune cousue sur son vêtement, et que je fis retomber son cache-nez pour dissimuler cette dangereuse indication... » Ramenée au domicile des Girard, l'enfant sera sauvée...
Habitant de l'arrondissement de Saint-Dizier, Jacques Rabner, 16 ans, domicilié à Chevillon, dont le père et la belle-mère ont été arrêtés deux ans plus tôt, sera également sauvé grâce à l'intervention de patriotes. S'enfuyant par le toit, aidé par son ami Maurice Charpentier, bénéficiant de la complicité du chauffeur du car, il gagne la gare SNCF du bourg où M. Clément, un cheminot, le ramène à son domicile de Breuil-sur-Marne. Jacques Rabner rejoindra ensuite le camp de réfractaires d'Ecot-la-Combe, comme bûcheron, puis la région de Tours, où réside sa mère. Il créera un cabinet d'assurances à Nancy, et sera fait membre de la Légion d'honneur en 2004 pour ses activités professionnelles et de résistance.
Le 27 janvier 1944, selon nos recherches, si cinq personnes ont pu fuir (Hortense Ach, Denise et Yvonne Greilsammer, Jacques Lévy et Jacques Rabner), ce sont 93 juifs qui ont été arrêtés dans treize localités haut-marnaises (19 à Chaumont, dont Marie Baer, 2 ans, et Joseph Liebner, 85 ans) et internés. Parmi eux, un décède à Drancy (Léon Blum) ; deux resteront internés dans ce camp mais ne seront pas déportés (Mathilde Ratoret et Edmond Lévy) ; une sera libérée et hospitalisée à Paris (Kryta Hirsch) ; et 88 sont déportés le 10 février 1944*. UN SEUL REVIENDRA...
* Dont Hermine et Lucien Kahn, de Bourbonne, qui n'avaient pas été recensés dans nos précédents travaux.
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