André Legros (1925-1944), FFI joinvillois tombé à Brethenay.
Samedi 2 septembre 1944, aux environs de 14 h, une Traction-avant est prise soudainement sous le feu allemand au creux de la N 67, entre Brethenay et Condes, à hauteur du pont sur le canal. Dans cet accrochage, un passager trouve la mort : André Legros, né en 1925 à Joinville, où il est domicilié et où il est FFI. Le chauffeur, Roger Blandin, de Thonnance-lès-Joinville, est blessé et capturé. Quant au troisième occupant de la voiture, il parvient à s'échapper. Alors adolescent, Claude Ambrazé, fils de l'ingénieur des Ponts et chaussées de Bologne, reçoit dans l'après-midi la visite d'un ami, Henri Thiébault. Ce dernier n'est pas seul. Il est accompagné « d'un jeune sous-lieutenant français, en uniforme de l'armée britannique. Il porte l'insigne des parachutistes sur la poche droite et le patch France à l'épaule. Quelques rubans de décoration ornent son blouson. Il est nu tête et est armé d'un colt, d'une dague para et d'une carabine M1 avec le chargeur engagé. Une trousse de pansements est accrochée à sa ceinture... » L'officier n'est autre que le passager de la Traction-avant. Selon les explications qu'il a donné, « après avoir sauté dans le ravin par-dessus la route, (il a) réussi à (s')échapper en rampant vers les buissons et à revenir en suivant le canal jusqu'à Riaucourt ». C'est là qu'il a rencontré, à la ferme Jourd'heuil, Henri Thiébault, qui l'a convoyé jusqu'à Bologne sur le porte-bagages de son vélo. L'ingénieur Pierre Ambrazé a confié alors à l'officier sa moto pour lui permettre de regagner Joinville. Véhicule qui lui sera rendu le soir-même par le sous-lieutenant, revenu à Bologne avec des FFI joinvillois et des soldats américains.
Lorsqu'il a apporté son témoignage, en 1993, Claude Ambrazé ignorait tout de l'identité et du destin de l'officier. En consultant une vieille coupure de presse, il a pu apprendre que le sous-lieutenant portait le pseudonyme de « Lenormand », qu'il s'appelait en réalité Debray ou De Bray, et qu'il a été parachuté à la ferme de Baudray, près d'Osne-le-Val la veille (donc le 1er septembre). Selon le journal Le Haut-Marnais républicain, c'est le général de brigade Edmund Sebrée, adjoint au commandant de la 35e division d'infanterie américaine, dont le groupement allait s'installer dans la région de Joinville à compter du 1er septembre, qui l'avait envoyé en mission. Le parachutiste « devait se rendre à Chaumont et à Courcelles-sur-Aujon pour se mettre en contact avec la Résistance du département », précisera Oscar Becker, lieutenant au bataillon FFI de Joinville, lors de l'inauguration du monument dédié au FFI Legros. Sur la foi de ces renseignements, il n'a pas été possible au club Mémoires 52 de retrouver la trace du sous-lieutenant Debray ou « Lenormand », notamment auprès d'amicales d'anciens de la France libre – pour l'anecdote, cette quête aura toutefois permis, au milieu des années 90, d'entrer en contact avec un autre officier français et la famille d'un second, tous deux parachutés en Haute-Marne, et dont le souvenir n'était jamais parvenu jusqu'aux historiens...
Finalement, le hasard, la persévérance auront permis, de fil en aiguille, grâce à la collaboration de plusieurs amateurs d'histoire et de généalogie (MM. Charbonnier, Larcher, Barbier de La Serre,) d'être mis sur la piste du plan Proust et, finalement, du fameux officier. Le plan Proust correspondait, en 1944, à un ensemble de missions initiées par les services spéciaux américains, l'Office Strategic Service (OSS). Elles consistaient à infiltrer ou à parachuter des agents de renseignements français derrière les lignes allemandes, dès le lancement du débarquement de Normandie. Or, quatre agents français ont été parachutés à Osne-le-Val, dans le cadre de ce plan. Parmi eux, un observateur répondant effectivement au pseudonyme de « Lenormand ». D'autres informations aimablement communiquées par Serge Larcher ont ensuite permis d'identifier précisément ces quatre agents. Surprise : le sous-lieutenant « Lenormand » ne s'appelait pas Debray mais Sabouret Garat de Nedde, 25 ans, et dont il s'avérera que la mère s'appelait... Lenormand. Un contact avec la famille de cet officier, hélas décédé en 1989, a permis d'identifier enfin, de façon formelle, en 2004, le passager de la Traction-avant. Quelques mots sur Bernard Sabouret Garat de Nedde : né en 1919, il avait été blessé et capturé le 18 juin 1940 au sein du 19e dragons, s'est évadé à deux reprises, a rejoint la zone libre, retrouvé l'arme de la cavalerie, puis est passé en Algérie en 1941. Officier, il s'est battu en Tunisie, porté volontaire pour les missions spéciales, a été breveté parachutiste à Ringway. Selon sa famille, le sous-lieutenant Sabouret Garat de Nedde, détaché auprès de la 82e division aéroportée américaine, a été parachuté le 6 juin 1944 à Sainte-Mère-Eglise, puis dans la région de Cherbourg. Blessé, évacué en Angleterre pour être hospitalisé, il a rejoint l'état-major du 12e corps de la 3e armée américaine, et c'est à ce titre qu'il a été parachuté à Osne-le-Val, le 30 ou le 31 août 1944 selon les sources. Observateur de la mission «Bébé », « Lenormand » faisait équipe avec Georges Brana. Une autre mission (« Chat ») a été parachutée le même jour et au même endroit : elle était formée du sous-lieutenant Raymond Marmande (observateur) et de Michel Faivre (radio). Nous ignorons le destin de ces trois hommes.
C'est après avoir traversé sans incident – précision étonnante, car le village de Brethenay, à 5 km de Chaumont, sera défendu par les Allemands jusqu'au 12 septembre – que le véhicule transportant « Lenormand », Legros et Blandin est tombé dans l'embuscade devant le pont-canal, bordé d'un petit bois. Soucieux de ne pas tomber aux mains de l'ennemi, le sous-lieutenant s'est échappé. « Nous sommes fichus, protégeons sa retraite », aurait dit André Legros avant d'être tué. Grièvement blessé, Roger Blandin « dut son salut à un officier allemand qui, passant, l'emmena à Chaumont pour l'interroger et où il le fit soigner » (lieutenant Becker). C'est à la maternité de Chaumont que ce chauffeur a été hospitalisé, et c'est le 12 septembre qu'il a pu quitter la ville pour rejoindre, à moto, son village. Quant à Bernard Sabouret Garat de Nedde, ultime précision le concernant pour le moins étonnante : c'est fortuitement que nous avons appris que, par sa belle-famille, il avait des attaches avec la Haute-Marne, du côté de Juzennecourt...
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