Les tombes des maquisards tombés le 18 juillet 1944, reposant provisoirement dans le cimetière de Trois-Fontaines (collection famille Trusgnach/club Mémoires 52)
Les aviateurs alliés
Entre 1940 et 1944, le terrain d’aviation de Robinson, à Saint-Dizier, était la base d'opération d'appareils de la Luftwaffe particulièrement efficaces contre les bombardiers alliés. Ce qui explique que de nombreux avions de la RAF ou de l’USAAF ont été abattus dans la Marne, la Meuse ou la Haute-Marne.
Plusieurs de leurs rescapés, hébergés par des patriotes, ont été recueillis par le détachement SAS du lieutenant Laws. Parmi eux, deux publieront des souvenirs : Stanley Hawken et Paddy Leary, membres du même équipage (celui qui a été abattu à Villers-le-Sec).
Des témoignages intéressants, quand ils évoquent leurs relations avec les SAS - Paddy Leary n’est d’ailleurs pas tendre avec eux, puisqu’il estime qu’une de leurs actions est à l’origine des massacres de la vallée de la Saulx (lire plus loin) – ou avec les maquisards : Stanley Hawken se souviendra d’un certain « capitaine Henri » qui parlait « assez bien anglais » (1)
On apprend également, sous la plume d’Hawken (qui était hébergé à Saint-Vrain), qu’au cours d’un parachutage, un des deux avions attendus a été abattu ; selon lui, les pilotes ont été trompés par la multiplication des lumières, celles allumées par les SAS et celles par les résistants (2). Il se souviendra encore de ces 50 à 60 maquisards rencontrés (où ? Dans la Meuse ?) et commandés par un Britannique, un certain capitaine Williams, du Bengal lancers (capturé au début de la guerre, il se serait évadé de Pologne), des hommes qui se seraient même attaqués à des chars allemands !
De son côté, Paddy Leary se rappellera de deux soldats russes (« Arkadi » et « Nikolai ») recueillis comme lui à Revigny-sur-Ornain (meuse) et qui se joindront à des compatriotes, « environ 20 Russes échappés (qui) ont été groupés ensemble dans une forêt (…) formant un maquis ». Il semble que ces deux sujets de l’Union soviétique correspondent aux deux Russes du maquis de Trois-Fontaines évoqués dans ses souvenirs par Odette Leclercq. Leary rejoindra pour sa part le camp SAS de Laws, où il note la présence de « trois Américains, cinq Australiens et six Anglais ».Parmi ces hommes, figurent : les Américains Bernoski, Harold Mac Curdy et Jack Rhyner, Albert De Bruin (hébergé à la La Neuve-Grange puis à Robert-Espagne, il échappera au massacre du 29 août 1944), Stanley Hawken, Paddy Leary, Lawrence William Mc Gowen, Mark William Edgerley, Denis Vaughan Kelly, W. F. Marshall, Red Banville, John Nicholson, Ken Hoyle…
Parachutistes et maquisards sortent du bois…
La dizaine de jours précédant la libération est essentiellement marquée par le renforcement de l’opération « Rupert ». Laquelle n’aura toutefois guère le loisir d’être une grande utilité contre l’occupant…
Dimanche 20 août 1944, sur le terrain de la ferme de La Neuve-Grange, le lieutenant Laws accueille d’abord trois SAS, dont le capitaine Walters et le lieutenant Maynard.
Puis, dans la nuit du 23 au 24, nouveau parachutage de SAS avec une jeep à La Neuve-Grange : il s’agit du major Rooney (3), nouveau chef du « G » squadron qui, selon son homologue du « D » squadron Roy Farran, se serait blessé au dos lors de son arrivée au sol (4), des SAS Tait et Walsh. Opération marquée par un incident : un parachute accroche une ligne de haute tension, ce qui a fait disjoncter la station électrique de Revigny.
Jeudi 24 août, une jeep emmène le major Rooney, le lieutenant Maynard, quatre SAS et deux guides locaux en direction de l’Argonne. Cet équipage, parvenu ensuite en Moselle, recevra l’ordre de rentrer en Grande-Bretagne le 10 septembre…
Enfin, vendredi 25, le stick du lieutenant B.T. Arnold est parachuté, alors qu’un appareil de la Luftwaffe qui survolait le terrain a largué une bombe, explosant sans faire de dégât. Selon le rapport de l’opération « Rupert », ce groupe ne parviendra pas à se joindre aux hommes de Laws. Ils seront basés du côté de la maison forestière de La Sabotière, à la sortie de Trois-Fontaines en direction de Saint-Dizier.
Quelques précisions sur les activités des SAS. Le 26 août, Laws informe sa hiérarchie qu’il a déjà recueilli seize aviateurs de la RAF qui attendent leur rapatriement ; sept SAS et deux de ces aviateurs, marchant vers le sud en direction de Saint-Dizier, passent la nuit du 29 au 30 dans les bois de Villiers-en-Lieu ; le 29 ou le 30, le capitaine Walters et trois SAS prennent sous leur feu un véhicule allemand empruntant la route (nationale ou forestière ?) Saint-Dizier – Chancenay. Selon le rapport de l’opération « Rupert », deux Allemands sont tués, le SAS Chambers est blessé.
Cette période est surtout marquée par l’apparition, dans le secteur, de la 3. Panzer-Grenadier-Division (général Hans Hecker), unité allemande qui, le 23 août, commence à être retirée du front italien. Sa mission : tenir le secteur Commercy – Saint-Mihiel – région Sud de Verdun, face à la progression des armées alliées, et protéger la retraite de la 15. PzGrenDiv qui se replie depuis l’Yonne puis l’Aube.
Samedi 26, ses premiers éléments débarquent dans la région située à l’ouest de Bar-le-Duc et de Saint-Dizier ; des Allemands cantonnent à Cheminon, village voisin de Trois-Fontaines…Notes :
(1) Qui était ce « capitaine Henri » ? Certainement pas Daniel Simon. Peut-être ce Belge chef de groupe évoqué par Odette Leclercq.
(2) Un témoin a en effet mentionné la chute d’un avion allié à proximité de la route entre Saint-Dizier et Trois-Fontaines, information non confirmée à ce jour.
(3) Sans doute O. B. Rooney, qui servit comme capitaine dans les commandos britanniques.
(4) Dans son célèbre ouvrage « Winged dagger » (1948). Le major Farran opère dans le nord de la Côte-d’Or et le sud de la Haute-Marne.
L’embuscade du Faux-Miroir
Quant au maquis de Trois-Fontaines, qui semble alors porter l’appellation de « Compagnie Valmy » sous l’étiquette des FTPF, il se livre à quelques actions, en particulier le 26 août 1944.
Ce jour-là, selon le rapport des FFI de Sermaize, des écluses sont sabotées entre Pargny-sur-Saulx et Revigny. Odette Leclercq précisera que l’une de ces actions a été exécutée par Jim, le chef du maquis, et le lieutenant Nicolas.
Les effectifs du maquis gonflent, pouvant atteindre une cinquantaine d’hommes (jusqu'à 85 selon son chef). Une embuscade est donc décidée afin de récupérer des armes. Elles interviendra dimanche 27 août.
Au matin, dix maquisards, qui ont pour chef Max, partent se poster au lieu-dit « Faux-Miroir », territoire de la commune de Contrisson (Meuse).
Il est environ 15 h. Un maquisard, père de famille de Vitry-en-Perthois, Gaston Vogué, alias Tonton, raconte (1) : « Nous attaquions une voiture de tourisme qui roulait au moins à 50 km/h. J’ouvrai le feu avec un mousqueton sur le chauffeur que je tuai froidement : le FM qui se trouvait à mes côtés cracha en rafale, les camarades vidèrent également leurs chargeurs… Nous ne rapportions pas d’armes, mais notre joie était grande… » Vogué restera persuadé qu’ils ont tué un « général SS (sic) et son état-major ». Max parlera de son côté d’’un gruppenführer ou quelque chose comme ça », tandis qu’Odette Leclercq, qui situe l’action entre Robert-Espagne et Revigny, citera « un lieutenant, un général, un colonel et un commandant tués ».
Grades sans doute purement fantaisistes, comme bien souvent dans les historiques de maquis. Il n’est pas non plus certain que les quatre occupants du véhicule aient tous trouvé la mort. L’épouse du garde forestier précisera d’ailleurs que l’arrivée d’un camion a forcé les maquisards à fuir sous les balles. Elle tient ces détails de la bouche des auteurs de l’embuscade, puisqu’elle leur a offert l’hospitalité le lendemain.
A noter que ce même matin, des Allemands traversant Lisle-en-Rigault (Meuse) en camions ont prétexté qu’on leur a tiré dessus dans la localité (il pourrait s’agir d’un éclatement de pneu) pour prendre parmi les habitants 42 otages, qui seront finalement relâchés en début d’après-midi, non sans que plusieurs maisons aient été incendiées (2).
Dernier événement de ce 27 août 1944. Dans la nuit, des maquisards de la Compagnie du Val (FFI de Saint-Dizier) sabotent la voie ferrée entre Baudonvilliers et Robert-Espagne, à hauteur du tunnel de la Belle-Epine. Le lendemain, l’aviation alliée viendra mitrailler le convoi bloqué par ce sabotage. Les maquisards resteront persuadés qu’ils ont ainsi empêché l’arrivée d’éléments de la 3e PanzerGrenadierDivision dans la région bragarde.
Un certain commandant « Lariflette ».
Dans ses souvenirs, Odette Leclercq précisera avoir hébergé à La Colotte, dans la nuit du 28 au 29 août 1944, deux hommes, parmi lesquels un certain « commandant Lariflette ». Pour Max, il s’agit d’un « responsable régional FTPF qui nous investit de missions que les plus raisonnables eussent évalué impossibles ». Odette Leclercq notera qu’il s’appelait Protin, qu’il était originaire de Saint-Amand - sans doute Saint-Amand-sur-Fion - et qu’il était surnommé également « Le Grand Robert » (3). Quant à Georges Fritssch, il se rappellera qu’ « en 1947, m’occupant d’exploitations forestières en Allemagne, j’ai rencontré Protin… C’est là que j’ai appris son nom, ne le connaissant que sous son pseudonyme de « La Riflette » en 1944… »
Nos recherches ne nous ont pas permis de trouver une trace de Lariflette. Pour Daniel Simon, son supérieur était le commandant Armand Liebaut (Armand), un Troyen âgé de 40 ans*.
Le maquis de Trois-Fontaines semble avoir évolué dans un contexte opérationnel plutôt brumeux. Etiquetté FTPF, il devait donc agir dans le cadre de ce mouvement. Mais son territoire d’opérations relevait du secteur FFI de Sermaize (puisqu’en contact avec le Dr Fritsch et son fils), il a prêté main forte, lors de parachutages, à l’équipe BOA d’André Renaudin, et il s’est même vu commanditer des actions par l’officier SAS Laws, comme le confirment le rapport de la mission « Rupert » (4) et le témoignage de Max. Plutôt difficile, donc, de se retrouver dans ce maquis de donneurs d’ordres…
Notes :
(1) Article paru en octobre 1944 dans « La Champagne ouvrière », cité par René Boulanger dans l’ouvrage « Les larmes de la liberté ».
(2) « Le martyre de trois villages meusiens, Robert-Espagne, Beurey, Couvonges », par l’abbé Briclot et Jean Villiers (s.d.)(3) Cet officier se serait ensuite engagé à Reims parmi les FTPF qui seront affectés au 106e RI. Son nom n’apparaît toutefois pas parmi celui des officiers du 1er bataillon de ce régiment, composé pour partie d’anciens FTPF marnais, dont ceux du maquis de Trois-Fontaines.
(4) Qui rapporte : « Le 25 août, le lieutenant Laws donne l’ordre aux maquisards d’attaquer les transports par route ennemis ; il cherchait ainsi à récupérer de petits véhicules ainsi que les armes des occupants… Le 27 août, le lieutenant Laws constata que les maquisards faisaient du bon travail sur les routes au nord de la forêt, et le jour suivant, 48 conteneurs arrivèrent pour armer les Français, (qui) enlevèrent le contenu si rapidement que le lieutenant Laws fut incapable de vérifier ce qui était arrivé… »
* Dossier d'homologation FFI de Daniel Simon, SHD.
D’autres groupes
Les hommes de Jim ne sont pas les seuls patriotes à opérer dans le massif forestier.
Ainsi, le brigadier des Eaux et forêts Georges Psaume commande un groupe de résistance de Trois-Fontaines, fort de treize hommes, basé à la maison forestière de La Sabotière, au bord de la route Saint-Dizier – Trois-Fontaines. Ce groupe repère en forêt un important dépôt de munitions allemand (« Christa »), le long de la route menant de la maison forestière de Reculée-Fontaine à Chancenay (1). Le 30 août au matin, le groupe met en fuite six Allemands gardant ce dépôt et, à dans l’après-midi, à hauteur de La Haie-Renaud (forêt domaniale bragarde, ville libérée ce jour-là), un Allemand est tué et un autre blessé par ce même groupe.
Nous avons vu plus haut que des FFI bragards de la Compagnie du Val se sont livrés à une action de sabotage au tunnel de La Belle-Epine.
Et c’est à cet endroit que des FFI meusiens, le 29 août, accrochent des soldats allemands, comme nous le verrons plus loin.
Nous citerons encore le maquis Mauguet, stationné quelques jours près de Baudonvilliers, et le groupe de résistants commandé par Maurice Brochard et basé à la ferme de la Taille-Jacquemin, près de Beurey-sur-Saulx. Dans ses témoignages (2), un réfractaire de 22 ans originaire de Pillon (Meuse), Jean Altemaire, gardera le souvenir d’une mission d’élimination de deux supposés miliciens lorrains cherchant à infiltrer le maquis (avec son ami Robert Dehaye, il leur laissera la vie sauve, et l’un d’eux aurait même servi au sein du maquis). Le 29 août 1944, Brochard, Dehaye et Pillon partent guider des volontaires pour le maquis originaires de Beurey et Couvonges…
Notes :
1. Cité par le rapport des activités du groupe, publié par Miguel Del Rey.
2. Lettres à l’auteur et dans « Histoires de Résistance en Meuse » (Claude Collin et Jean-Pierre Harbulot).
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