Le 11 mai 1943, une opération de la 15e brigade régionale de police judiciaire en forêt de Haye, près de Nancy, entraînait la mort de Marcel Simon, chef des "FTP de Meurthe-et-Moselle et des Vosges", et l'arrestation de trois de ses hommes.
Dans son ouvrage "Militants ouvriers de Meurthe-et-Moselle sous l'Occupation. Dictionnaire biographique" (Kaïros/Histoire, 2020), Jean-Claude Magrinelli a évoqué longuement la figure de ce résistant, né le 4 février 1913 à Nancy. Marié et père d'un garçon, chaudronnier, communiste, Marcel Simon avait été blessé en juin 1940. Revenu à Nancy, il s'est investi dans l'Organisation spéciale/FTP dès février 1942. C'est l'époque où les effectifs de l'organisation sont particulièrement importants... avant son démantèlement consécutif à l'arrestation de Giovanni Pacci (mai 1942). Après un accrochage avec les gendarmes, Simon a dû se réfugier dans un village de l'Aisne, Montigny-Lengrain, entre janvier et avril 1943, avant de revenir en Lorraine reprendre sa place dans le combat.
C'est grâce à des documents retrouvés en forêt de Haye et aux procès-verbaux d'audition des trois "partisans volants" servant sous les ordres de Simon - Louis Chaunavel, René Joannès et Robert Viry - que nous connaissons dans le détail les activités de ce groupe opérant dans deux départements, du 25 avril au 11 mai 1943.
Les trois FTP sont tous Vosgiens. Ancien adhérent des Jeunesses communistes, René Joannès, 23 ans, habite à Fraize. Il s'est échappé du chantier de Soulac (Gironde) de l'Organisation Todt. Son concitoyen Louis Chaunavel (Mickey), 25 ans, s'était engagé dans les tirailleurs marocains avant-guerre. Blessé en 1940, il est parti travailler en Allemagne en novembre 1942, mais n'y est pas retourné le 7 mars 1943 à l'issue d'une permission. Robert Viry est le plus jeune : il n'a que 18 ans. Domicilié à Plainfaing, il s'était engagé en 1942 dans l'armée d'armistice. Requis pour travailler à Cherbourg, il n'y est resté que du 4 au 10 avril 1943, avant de revenir à Plainfaing. Pour chacun d'entre eux, il s'agit désormais de plonger dans la clandestinité. Contacté par Prosper Cuny, "ex-secrétaire de la cellule de Plainfaing", et par Joseph Luron, Joannès fait la connaissance de Marcel Simon (Charlot, Pierre) dès le 9 avril 1943. Le résistant lui demande de recruter des camarades pour former un groupe FTP. Ils seraient payés 1 800 F par mois.
La rencontre entre les volontaires et Marcel Simon a lieu le 25 avril 1943, au café de Mme Joannès à Fraize. Simon, Chaunavel, Joannès et Viry forment "un groupe de quatre hommes de partisans volants". Ils opéreront avec deux "francs tireurs" - Roger Lathmann, alias Marcel, de Plainfaing, et Jacques, de Nancy, sans aucun doute Maurice Flachat - ainsi qu'avec une agent de liaison (Georgette : Marie-Jeanne Staub). Dès la nuit du 25 au 26 avril 1943, Simon et Joannès réalisent le cambriolage de la mairie de Mandray (Vosges), où ils récupèrent des tickets d'alimentation, des cachets de la mairie, une somme de 40 000 F. C'est le premier événement mentionné dans "le rapport sur la composition et l'action des FTP de Meurthe-et-Moselle et des Vosges" rédigé par Marcel Simon et remis le 3 mai 1943 à Georges - non identifié - qui est responsable régional du PCF, après Marceau - vraisemblablement Auguste Deloison - et avant Jules Didier, alias Jean.
Voici quelles sont les opérations du groupe.
Nuit du 25 au 26 avril 1943 : cambriolage de la mairie de Mandray (Vosges) par Pierre (Simon), Paul (Joannès) et Marcel (Lathmann).
Nuit du 25 au 26 avril 1943 : Rapport d'opérations : "Mickey (Chaunavel) et Gaston (Viry) ont été à la gare de Saint-Dié où nous devions mettre hors d'état un[e] ou plusieurs locomotives. Quand Pierre et Paul sont arrivés, ils avaient coupé les raccords de frein à au moins quinze wagons. Ensuite nous avons miné l'embiellage d'une loco, le coup n'ayant pas parti, nous avons été rechercher la charge et nous sommes partis." Louis Chaunavel précise de son côté avoir sectionné "cinq ou six" accouplements de freins Westinghouse en caoutchouc, et Robert Viry "deux ou trois". Tous deux affirment que c'est Marcel Simon qui leur a donné cet ordre. René Joannès, qui avec Roger Lathmann et Marcel Simon a participé au cambriolage de la mairie de Mandray, affirme : "En nous attendant, [Viry et Chauvanel] qui savaient déjà ce qu'ils avaient à faire avaient déjà coupé une quinzaine de tuyaux de trains, je crois ; Simon et moi, nous n'en avons pas coupé."
27 avril 1943. Chaunavel et Viry partent en train en direction de Nancy. Ils retrouvent Simon et Joannès dans un café (Strock) de Jarville, et y passent la nuit. Ce sera une des habitudes du groupe : dîner dans un restaurant de l'agglomération de Nancy ou du département.
28 avril 1943. Chaunavel et Viry gagnent un nouveau lieu de rendez-vous fixé par Marcel Simon : "une baraque abandonnée située sur la route de Nancy à Toul, non loin de la poste de Velaines. [...] Simon nous a conduits à 300 m de la maison abandonnée ou à la lisière du bois, il m'a fait installer ma toile de tente ou plutôt la toile composée de quatre coins qui m'appartenait. [...] Simon a décidé [...] de nous remettre un revolver et des cartouches ; pour ma part j'ai reçu un pistolet automatique du calibre de 7 m 65 avec un chargeur garni de sept cartouches, en nous recommandant de nous en servir contre ceux qui tenteraient de nous arrêter" (PV d'audition de L. Chaunavel, 11 mai 1943). "Pour ma part je recevais un revolver de calibre 10 avec un chargeur complet et il restait encore sous la tente une arme ou deux en réserve" (PV d'audition de R. Viry, 11 mai 1943). Le soir, tous quatre retournent manger chez Strock à Jarville avant de se livrer à une succession d'opérations.
Nuit du 28 au 29 avril 1943 : Rapport d'opérations : "Pierre, Paul, Gaston et Mickey ont coupé les raccords de frein à quatre wagons sur le raccordement de la Mécanique moderne à Maxéville, nous sommes entrés dans les bureaux où nous avons pris une machine à écrire, une enveloppe contenant 230 F 40 remise à Georges le 30 avril ; nous avons été dans la salle du compresseur où nous avons mis de la ferraille dans le moteur afin de le rendre hors d'usage. Je ne connais pas encore le résultat." Puis le groupe opère le minage d'une tête de pylône à l'usine Solvay. Au sujet de ce sabotage, René Joannès raconte : "Arrivés au pied d'un pylône [de ligne téléphérique], Simon m'a désigné pour monter après celui-ci, il m'a expliqué que je devais attaquer en haut une charge de dynamite et y mettre le feu. Je suis monté à moitié de ce pylône et je suis redescendu, ne voulant pas accomplir ce travail. Simon y est alors allé lui-même. [...] Après avoir parcouru 800 m environ, nous avons entendu une forte détonation." Rapport de Marcel Simon : "Il nous a semblé entendre le bruit de la chute des bennes dans la Meurthe, c'est tout ce que je peux dire car je n'en sais pas plus."
29-30 avril 1943. En l'absence de "Simon qui nous a quitté vers midi" (R. Joannès), les FTP restent au camp de la forêt de Haye.
30 avril 1943. Les partisans de Marcel Simon le retrouvent à Nancy, où ils mangent de nouveau dans un restaurant (le Ferry III). Puis tous se portent jusqu'au bord du canal à Jarville, volant deux bicyclettes. Enfin, ils tentent de faire sauter une péniche. René Joannès : "Simon nous a commandé de mettre celle-ci en travers du canal, afin de barrer la navigation. Pendant cette opération, nous avons fait du bruit, les mariniers se sont réveillés. Le marinier étant sorti sur le pont, nous avons pris la fuite en direction de Heillecourt." Ultérieurement, Joannès ajoutera dans sa déposition qu'il a accompagné Simon, avenue de Gentilly à Nancy, pour un rendez-vous avec Georges. Marcel Simon remet à son "chef" une somme de 39 979,65 euros dérobée à Mandray
1er-2 mai 1943. Repos au camp. Marcel Simon qui était absent revient l'après-midi du 2.
2 mai 1943. Le groupe se rend à Toul et mange le soir dans un restaurant, dont la serveuse est Georgette. Il s'agit de l'agent de liaison de Simon, Marie-Jeanne Staub. Celle-ci a recueilli des informations sur le camp d'internement d'Ecrouves, près de Toul.
3 mai 1943. Tandis que Simon va rencontrer Lathmann (Marcel) au terminus de Laxou (il devait voir également ce jour-là Georges à qui il devait remettre son rapport), ses compagnons restent au camp. A son retour, il leur donne l'ordre de voler une voiture (ou une camionnette) pour que Simon puisse se rendre "dans l'Aisne où il avait des amis et où il avait un dépôt d'explosif" (L. Chaunavel). Ce dépôt se trouve à 266 km de Nancy, où Simon "serait connu sous le prénom de Louis" (R. Joannès). On se souvient qu'il y a un mois encore, Marcel Simon se trouvait à Montigny-Lengrain, dans l'Aisne. C'est sans doute dans ce secteur qu'il dispose d'un dépôt. Première tentative de vol de véhicule : au garage allemand du boulevard Albert-1er, à Nancy, dans la nuit du 3 mai au 4 mai. C'est un échec.
4 mai 1943. Simon se rend à Toul. Il revient le lendemain.
Nuit du 5 au 6 mai 1943. Nouvelle tentative de vol de véhicule, à Gemonville, nouvel échec. Par ailleurs, "Simon s'était muni d'explosif avec l'intention de faire sauter un pylône électrique près d'Autreville" ( L. Chaunavel).
6 mai 1943. Au passage à Toul, Simon quitte ses camarades. Il "nous ordonnait au cas où il ne serait pas là pour 19 h de lever le campement, de replacer les affaires dans les tonneaux, de dissimuler ceux-ci dans le sol, et de le rejoindre aussitôt sous le pont en reconstruction de la Moselle. Mais comme il pleuvait très fort cette soirée-là, aucun de nous trois n'a obéi, et Simon rentrait le lendemain furieux et plein de reproches" (R. Joannès).
7 mai 1943. Nouvelle tentative de vol de voiture à Toul. Encore un échec.
8 mai 1943. Retour au camp de Marcel Simon qui se rend à Nancy.
Nuit du 9 au 10 mai 1943. Le groupe se rend à Laneuveville pour faire sauter un pylône électrique. Simon "a allumé la mèche pendant que nous faisions le guet", déclare Louis Chaunavel, mais aucune explosion ne se produit. Leur chef "a constaté que la poudre dont il s'était servi n'avait pas brûlé". Le groupe se rend au camp par Heillecourt et Vandoeuvre où il cherche à nouveau à dérober une voiture. Mais Chaunavel a "constaté qu'il ne restait que trois litres d'essence" (R. Joannès).
11 mai 1943. Marcel Simon abattu par la police, ses trois hommes arrêtés. "Cette nuit nous devions chercher à dérober une voiture allemande" (L. Chaunavel). Simon a dû voir Georges "cet après-midi encore dans les fonds de Toul" (R. Viry).
D'autres arrestations sont opérées dans les jours suivants dans l'entourage du groupe. Ils sont treize résistants pris au total. Tous sont déportés. Deux ne reviennent pas : Robert Viry et Joseph Luron.
Il faut attendre début août 1943 pour que d'autres FTP relèvent le gant en Meurthe-et-Moselle.
Sources : dossier consacré à Marcel Simon, 1251 W 13012, Archives départementales de la Meuse ; J.-Cl. MAGRINELLI, Militants ouvriers de Meurthe-et-Moselle sous l'Occupation, Kaïros/Histoire 2020.