Il y eut, sous l'Empire, les frères Jobert, de Pressigny, tous trois officiers dans le même régiment d'infanterie. Et il y eut, durant la Grande Guerre, les Jacquin, de Wassy. Leur particularité : ils ont servi tous trois comme chefs d'escadron dans l'artillerie coloniale, les fameux Bigors. L'un d'eux est même passé à la postérité en capturant le chef africain Samory, en 1898...
De prime abord, il paraissait difficile de faire la distinction entre les différents chefs d'escadron servant dans l'artillerie coloniale (aujourd'hui artillerie de marine) durant la Grande Guerre et portant le patronyme Jacquin. Il s'avère qu'il s'agit, précision extraordinaire, de trois frères. Tous trois sont les fils de Jules-Hubert Jacquin, clerc d'avoué puis huissier dans la cité, et de Caroline-Léonie Lefèvre.
Premier à obtenir un grade d'officier supérieur, Paul-Emile Jacquin, né en 1861, est promu chef d'escadron au 1er régiment d'artillerie coloniale le 24 décembre 1907. Il a 46 ans. Retraité en 1910, cet officier qui s'est distingué au Dahomey, en 1892, demande, selon une citation à l'ordre de l'armée (parue au JO du 20 mars 1917), «à reprendre du service actif pendant la durée de la campagne. Commande depuis six mois un groupe de 75. A donné pendant la période du 23 août au 17 septembre au personnel sous ses ordres le plus bel exemple de bravoure, d'énergie et d'ardeur.» En effet, après avoir dirigé le dépôt du parc d'artillerie du 5e corps d'artillerie (17 avril 1915), Jacquin a pris le commandement d'un groupe du 3e RAC le 10 mars 1916, avant d'être rayé des cadres le 22 janvier 1917. Officier de la Légion d'honneur en 1916 (il était chevalier en 1902 comme capitaine au 1er RAC), blessé en service commandé le 18 mars 1915, le Wasseyen s'était marié en 1899 à Brest et décède le 1er septembre 1918 à Lorient.
Fait extraordinaire : dans ce même régiment, un autre groupe est commandé par un Jacquin, son cadet Léon-Alphonse, né à Wassy en 1865, capitaine en premier d'artillerie depuis 1901. Chef d'escadron, il commande le 2e groupe du 3e RAC, dès 1915 (notamment pendant la bataille de Champagne), est officier de la Légion d'honneur le 12 juillet 1917. Entre-temps, Léon Jacquin a été promu lieutenant-colonel, toujours au sein du régiment, pour prendre rang du 4 avril 1917, en remplacement d'Hippolyte Sales, passé colonel. Commandant l'artillerie divisionnaire 122 à l'armée d'Orient, le Flûteau est nommé colonel par décision du 7 janvier 1919, pour compter du 10 novembre 1918. Puis il sera colonel du 111e RALC, à Lorient (lui aussi), en 1924. Il a été qualifié de «très bon officier supérieur d'envergure, ayant du commandement».
Enfin, il y a le benjamin Gaston-Jules Jacquin, qui n'est pas répertorié par la base Léonore des membres de la Légion d'honneur, mais qui se sera rendu le plus fameux. Né à Wassy le 20 février 1871, élève au collège de sa ville natale, il est maréchal des logis lorsqu'il est admis, en 1895, à l'école militaire de l'artillerie et du génie. Sous-lieutenant dans une compagnie auxiliaire d'ouvriers, au Soudan, Jacquin est promu lieutenant d'artillerie de marine à compter du 1er avril 1898. Selon l'historique du 2e régiment de tirailleurs sénégalais, il se distingue d'abord le 23 juillet 1898 contre Saranké-Mory. Puis il appartient à la colonne de 220 hommes du capitaine Gouraud chargée de mettre fin à la rébellion du chef Samory Touré. Le 29 septembre 1898, les militaires le surprennent. Samory, selon cet historique, «se sauve en courant sans prendre le temps de s'armer. Reconnu à sa haute taille et à sa chechia rouge ornée d'un turban bleu, il est poursuivi à outrance par les tirailleurs du sergent Bratières et bientôt, épuisé, s'assied en disant : «Tuez-moi». Le sergent Bratières le saisit et le remet au lieutenant Jacquin accouru avec sa section». Cette capture est considérée comme l'un des faits d'armes les plus importants de la conquête du Soudan (notre photo, collection BNF)
Dès le 17 octobre 1898, le journal Le Figaro, en évoquant ce fait d'armes, rappelle les exploits des trois frères Jacquin, indiquant que Paul est au Tonkin et Léon à Brest.
Par décret du 24 octobre 1898, Gaston Jacquin est fait, à seulement 27 ans, chevalier de la Légion d'honneur (comme le seront ses deux frères). On précisera à son sujet : «Sept ans de services, cinq campagnes dont trois de guerre. Faits de guerre au Soudan. S'est emparé lui-même de Samory à la course.»
Le 26 février 1899, le capitaine Vieillescaze, président de la 314e section de vétérans de Wassy, remet un sabre d'honneur, aux armes de la cité, au lieutenant Gaston Jacquin, «vainqueur de Samory».
Marié à Lorient en 1905, le benjamin des Jacquin est capitaine, commandant la 2e batterie du 1er groupe du 1er RAC au début de la guerre. Il a ainsi l'occasion de se battre non loin de Wassy, lors de la bataille de la Marne, entre Vitry-le-François et Saint-Dizier. A titre temporaire, Jacquin est promu chef d'escadron pour compter du 21 mars 1915 (il a 44 ans), prenant la tête du 2e groupe du 1er RAC, commandement qu'il conservera jusqu'en 1918. Officier de la Légion d'honneur le 20 novembre 1915 après s'être distingué en septembre («brillant soldat, d'un courage à toute épreuve»), titularisé le 26 décembre 1915 en remplacement du chef d'escadron Roux, le Wasseyen est blessé le 20 septembre 1917 au Chemin des Dames.
Puis il se distingue lors de l'attaque du fort de la Pompelle près de Reims (1918), ce qui vaudra à son groupe d'être proposé pour une citation à l'ordre de l'armée (le 1er RAC l'obtiendra). Par ordre du 19 août 1918, Jacquin, commandant le II/1er RAC, est cité à l'ordre de l'armée comme un «commandant de groupe d'un entrain et d'une énergie exceptionnels. A obtenu des résultats particulièrement brillants, les 1er et 18 juin, les 16, 23 et 25 juillet».
Après guerre, le Haut-Marnais, qui sert en Indochine, notamment en 1921, passe lieutenant-colonel d'active le 24 septembre 1924, reste au 111e régiment d'artillerie coloniale, lorsqu'il est proposé pour le grande de colonel en 1928. Mis à la retraite, il est maintenu comme colonel de réserve au centre de mobilisation d'artillerie coloniale n°31, en 1930.
Trois fois cité à l'ordre de l'armée durant la Grande Guerre, Gaston Jacquin décède à Lorient en 1961, comme son frère quelques décennies plus tôt.
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