mardi 27 mai 2025

Un sillage sanglant en Champagne derrière la 15. Panzergrenadier-Division, août 1944


 Le lieutenant Otto Probst, tué le 30 août 1944 à Chancenay. (Collection club Mémoires 52).


    Comme dans la vallée de la Saulx (Meuse et Marne), c'est à une troupe assimilée à "l'Afrika Korps" qu'a été imputée la responsabilité de nombreux crimes de guerre, fin août 1944, dans l'Aube et en Haute-Marne. Ici, il ne s'agit pas de la 3. Panzergrenadier-Division mais de la 15. Pz-Gren-Div commandée - semble-t-il - par le generalleutnant Eberhardt Rodt, qui n'avait rien à envier à sa devancière sur le plan de la cruauté.

    L'histoire de cette grande unité en France commence le 23 août 1944, à Semur-en-Auxois, en Côte-d'Or. Selon l'historien Roger Bruge, un seul corps de la 15. Pz-Gren-Div - le Panzergrenadier-Regiment 104 - aurait été acheminé par le train en Bourgogne afin de s'opposer à la progression des armées alliées. En réalité, comme nous le verrons, d'autres éléments de la division sont engagés dans ces opérations. 

    Après la Côte-d'Or, on retrouve rapidement cette division dans l'Yonne. Le 26 août 1944, une colonne allemande évaluée à environ 600 hommes par le lieutenant FTP Meliki se heurte à la Compagnie Rouget de l'Isle, à Tonnerre, à une soixantaine de kilomètres de Semur. Au cours d'un combat entre l'unité ennemie associée à "l'Afrika Korps" - la 15. Pz-Gren-Div venait d'être retirée du front italien après avoir combattu en Afrique du Nord - et les FTP, un officier, le lieutenant Georges Tardy de Montravel, est fait prisonnier. Il suivra, contraint et forcé, cette colonne au cours de son repli.

    Le 27 août 1944, les Allemands quittent Tonnerre, qui est aussitôt réoccupée par les maquisards. Nous savons que le Pz-Gren-Reg 115, autre régiment de la division, est passé par cette région parce qu'un de ses hommes, le soldat Erwin Lattwein, appartenant à la compagnie de l'oberleutnant Joachim Arendt, est blessé le 28 août 1944 à Saint-Martin, près de Tonnerre.

    Puis la division pénètre sur le sol aubois. Elle est surtout localisée dans la vallée de la Barse, entre Troyes et Dolancourt, aux abords de la RN 19, entre le 27 et le 29 août 1944, alors que les Américains sont entrés dans Troyes. Dans cette région, les crimes de guerre sont particulièrement nombreux.

    Le massacre de Mesnil-Saint-Père, le 28 août 1944, est le plus important imputable à la 15. Pz-Gren-Div. Pour établir les faits, les gendarmes de Lusigny-sur-Barse ont notamment recueilli, le 16 octobre 1944, le témoignage d'un cultivateur âgé de 65 ans, Aristide Moguet. Ce dernier avait vu, vers 12 h, "arriver une troupe en formation de tirailleurs, en marche d'approche dans la partie Sud-Ouest du village. [...] Il était environ 5 h, lorsque j'aperçus de chez moi plusieurs hommes du pays, les mains croisées sur la tête, en marche avec l'ennemi. [...] Le rassemblement avait lieu dans la cour d'une propriété particulière, située en bordure de la route principale. Quelques instants plus tard, ces hommes étaient conduits en formation de section, encadrés par les Allemands, dans un verger situé à environ 150 m de chez moi. Ils furent ensuite alignés à 2 m d'intervalle".

    Le bûcheron Zacharie Gousselet fait partie des hommes rassemblés par les soldats. Il se souvient, entre autres, parmi ses camarades d'infortune, d'André Borgne qui "a réussi à s'échapper. [...] En arrivant chez Mme Viriet, ils nous alignèrent le long d'un mur. Un officier, en manches de chemises, nous dit tranquillement : "Vous pouvez vous asseoir". Ce que nous fîmes, par groupes de trois ou quatre. De 15 h à 18 h, nous sommes restés ainsi. Pendant ce temps, les Allemands avaient déterré le calot d'un des leurs, tué le vendredi précédent. [...] Ils avaient également découvert la voiture que les FFI leur avaient capturée. Un officier s'approcha de nous et nous demanda à plusieurs reprises, en français : "Lequel d'entre vous peut dire qui a tué cet homme ?". Nous lui dîmes que c'était les Américains. "Non, dit-il, s'il s'était agi d'eux, ils auraient emmené la voiture. Ce dialogue se répéta plusieurs fois. [...] L'officier commanda aux hommes d'avancer par quatre." 

    Aristide Moguet : "Ma vue était gênée par une haie et d'autres broussailles, mais me trouvant à peu de distance, j'entendis le commandement de l'officier allemand qui ordonna le feu, pour l'exécution. Soudain le crépitement de la mitraille se fit entendre. [...]"

    Zacharie Gousselet : "Etant derrière, j'ai pu voir les gardiens sortir leurs revolvers : un sergent saisit sa mitraillette, d'autres avaient des fusils. Ils s'alignèrent sur un rang et d'une rafale fusillèrent les hommes assemblés, puis à coups de fusil donnèrent le coup de grâce à certains. [...]"

    Aristide Moguet : "Un quart d'heure plus tard, j'entendis un coup de sifflet, bref. C'était le signal du rassemblement et de départ des barbares. Les Allemands quittaient le village, il était environ 18 h."

    Qui étaient ces "barbares" ? Selon Charles Jouanet, débitant, qui avait discuté avec un Luxembourgeois, ce dernier "m'a fait connaître qu'il appartenait à l'armée d'Italie, disant être en France depuis une quinzaine de jours, après avoir franchi le Brenner". Le commerçant suppose qu'il s'agit là de l'Afrika Korps. Le boulanger Gaston Drouilly, le gérant des Economiques troyens, Roger Bienaimé, le cultivateur Georges Mauguet évoquent également un détachement de "l'Afrika Korps". Cette troupe était habillée en kaki ou en vert. D'après Zacharie Gousselet, qui a échappé à l'exécution, elle venait de la direction de Montreuil-sur-Barse et est repartie vers Lusigny-sur-Barse. Il se souvient également de la présence de deux "autos mitrailleuses".

    "A Mesnil-Saint-Père, rapportent les gendarmes Louis Poupard et Pierre Masson, le 20 février 1946, aucun document provenant des Allemands n'a été découvert ; toutefois ces soldats appartenaient à la même unité que celle qui se trouvait à Lusigny, attendu que des pièces d'identité appartenant à des habitants de Mesnil-Saint-Père ont été retrouvées après le départ des Allemands". A Lusigny, effectivement, a ainsi été trouvé un courrier d'un obergefreiter associé au feldpostnummer 57 394 E (Stab II u 5-8 Kompagnies Pz-Gren-Reg 104). Un autre document - toujours retrouvé dans cette vallée - fait état du feldpostnummer 57 502 B (Stab II u Einheit Artillerie-Regiment 33). Le Pz-Gren-Reg 104 et l'AR 33 sont deux corps de la 15. Pz-Gren-Div. 

    Les victimes de ce massacre, selon le rapport de gendarmerie, sont : Daniel Arbelot, Jules Auguste (ou Augustin), Raoul Beuvelet, Aldo Casagrande, Robert Champagne, René Cot, André Dallemagne, Jean Dallemagne, Jules Dutertre, Marcel Ganichon, Charles Girard (18 ans), Gilbert Girard, Henri Krack (ou Kraak), Charles Laroche, Eugène Laroche, Joseph Marche, Etienne Moguet (17 ans), André Petit, Stanislas Pushaw (ou Puskarz), Emilien Senez, Edmond Senez, Roger Theveny, René Vierdet. Un 24e nom est ajouté en manuscrit à la liste : celui d'Eugène Marche.

Un policier SS allemand tué trois jours plus tôt

    Pourquoi ces représailles, au lendemain d'une reconnaissance de l'armée américaine ? Trois jours auparavant, le 25 août 1944, un accrochage a eu lieu entre des FFI et des soldats allemands. Interrogé par les autorités américaines, le maire de Mesnil-Saint-Père, Gaston Drouilly, témoigne que le 25 août 1944, "six Allemands ont été tués sur la route nationale. [...] Les FFI les attaquèrent comme ils pensaient vers la sucrerie de Montieramey, en haut de la côte, vers 16 h. [Il y avait] peut-être deux [voitures] en tout. L'une d'elles, une Mercedes, que les FFI avaient amenée ici. [...] On a laissé [les morts allemands] étendus dehors jusqu'au lendemain matin."

    Parmi les militaires allemands tués, figure un homme au statut bien particulier : il s'agit du SS-untersturmführer Max Ohmsen, du Kommando des Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst (Sipo-SD) de Rennes. Commandant en second du KdS Rennes, le sturmbannführer Fritz Barnekow, qui s'était installé le 16 août 1944 à Chaumont, avait envoyé Ohmsen, en mission de liaison entre le chef-lieu haut-marnais et Troyes, et c'est à cette occasion que le policier a trouvé la mort dans une embuscade.  

Retraite sanglante

    Toujours dans l'Aube, "l'Afrika Korps" - donc la 15. Pz-Gren-Div - est également impliquée dans les crimes suivants :

. 12 fusillés le 27 août 1944 à Montreuil-sur-Barse, par une colonne venant de Chauffour-lès-Bailly où six FFI ont été passés par les armes ;

. "dix civils dont trois gendarmes" tués ou exécutés à Lusigny-sur-Barse ;

. neuf morts à Bourguignons le 28 août 1944, etc.

    Des documents appartenant à des soldats permettent d'établir la présence, dans ces communes, des 1er et 2e bataillons - ce dernier commandé par le hauptmann Hunger - du Pz-Gren-Reg 104 ; de l'Artillerie-Regiment 33 (le régiment d'artillerie de la division, commandé par l'oberst Simeon selon Roger Bruge). Ce sont les régiments identifiés par l'enquête portant sur le massacre de Mesnil-Saint-Père.

    La division Rodt ne s'éternise pas dans l'Aube où elle laisse derrière elle des dizaines de victimes civiles. Elle se replie par la Haute-Marne en direction de la Lorraine.

    Selon Marcel Mougen, le 28 août 1944, "environ 2 000 Allemands étaient aux environs" de Lusigny-sur-Barse où ils sont arrivés le matin. Ils en repartent un soir, soit le 29 août 1944, soit moins vraisemblablement le 30.

    Le 28 août 1944, un convoi de soldats allemands "en uniforme vert", venant de Lentilles (Aube), se dirigeant sur Droyes (Haute-Marne) et tirant quelques pièces d'artillerie, traverse Puellemontier (Haute-Marne) vers 13 h. Là, un habitant, Eugène Cartier, est tué. Ces hommes appartenaient-ils à l'AR 33 ?

    Le 29, une autre colonne entre dans le département haut-marnais par Anglus. A la sortie de ce village, elle exécute le lieutenant Tardy de Montravel, celui-là même qui avait été capturé à Tonnerre où opérait notamment le Pz-Gren-Reg 115.

    Le 30, en tout début de matinée, une colonne de la division se scinde en deux, à Montier-en-Der. Une partie continue sur Wassy puis sur Joinville. Elle se dirige vraisemblablement vers la Lorraine. L'autre élément poursuit sa route en direction de Saint-Dizier. C'est ainsi qu'à Braucourt, un soldat de l'AR 33, Edwin Hoffmann, est tué. En représailles, Charles Jeanson et son fils Gilbert sont abattus. C'est sans doute à cette colonne qu'appartient le détachement de 150 hommes qui s'installe en bouchon entre Saint-Dizier et Bar-le-Duc, à Chancenay. Ce qui signifie qu'il a pu traverser la cité bragarde ou ses environs avant l'attaque américaine... Ce détachement est formé de militaires du Pz-Gren-Reg 104. On le sait d'une part parce qu'on a retrouvé dans le village des effets appartenant à des habitants de Lusigny-sur-Barse, d'autre part grâce aux papiers d'un des cinq soldats allemands tombés à Chancenay. Le lieutenant Otto Probst, 32 ans, et Siegfried Schäfer, 37 ans, font partie des victimes identifiées. Puis la division, ayant retraité par Commercy, est engagée dans la bataille dite de Nancy, notamment dans la région de Pont-à-Mousson. 

Sources consultées : 163 W (MM) 3172 (dossier Montreuil-sur-Barse), 3156 (dossier Afrika Korps), 3171 (dossier Mesnil-Saint-Père), AD Marne ; Maitron des fusillés ; Roger BRUGE, 1944. Le temps des massacres, Albin Michel, 1994 ; 1944 en Haute-Marne, club Mémoires 52, 1994.

    

    

jeudi 15 mai 2025

Les crimes de la 3. Panzergrenadier-Division dans la Marne, 29 août 1944


Des prisonniers allemands à Saint-Dizier. Certains de ses hommes appartenaient peut-être
à la 3. Panzer-Grenadier-Division. (Collection club Mémoires 52).


     Dans la région de Saint-Dizier, la journée du 29 août 1944 restera à jamais marquée par la tragédie de la vallée de la Saulx. Ce jour-là, des militaires appartenant essentiellement au 29. Panzergrenadier-Regiment (Pz-Gren-Reg 29) ont assassiné 86 civils dans les communes meusiennes de Robert-Espagne, Couvonges, Beurey-sur-Saulx, Mognéville, Trémont-sur-Saulx. Sur ces massacres, une étude fondamentale fait autorité depuis 1994 : celle de l'historien Jean-Pierre Harbulot*. 

    Nous nous intéresserons ici aux crimes qui ont été commis ce jour-là, et vraisemblablement par le même régiment, dans les communes voisines marnaises de Cheminon et de Sermaize-les-Bains, et, de façon générale, aux exactions perpétrées par la 3. Panzergrenadier-Division dans le triangle Vitry-le-François - Bar-le-Duc - Saint-Dizier.

    Rappelons tout d'abord que cette division, retirée du front italien, est arrivée à partir du 20 août 1944 aux confins de la Champagne et de la Lorraine. Ses éléments ont été acheminés d'Allemagne par voie ferroviaire. Il ont débarqué notamment dans les gares de Mussey, près de Bar-le-Duc, et de Saint-Dizier. Ils avaient pour mission de recueillir les convois d'une division soeur - la 15. Pz-Gren-Div - retraitant depuis l'Aube. Puis ils se battront en Lorraine.  

    Voici quels furent leurs méfaits, selon les témoignages des habitants recueillis par les gendarmes, en 1944 et 1945.

Maurupt-le-Montois, 29 août 1944, dans la matinée

    Henri Thiéblemont, 52 ans : « Vers 8 h, j’ai été interpellé par un soldat allemand qui m’a ordonné de me munir d’une pelle pour aller travailler. J’ai obéi et il m’a conduit à la mairie où se trouvait déjà une quarantaine d’hommes de la localité. Un officier allemand nous a prévenus que nous étions considérés comme otages, que quatre soldats de l’armée allemande avaient été tués par des civils dans un village voisin et que si l’un de leurs hommes était blessé ou tué, nous serions tous fusillés. Ensuite, nous avons été enfermés dans l’école et gardés par une sentinelle en arme. Nous étions 44 [...]. Aucun mauvais traitement […] Cette détention a duré jusqu’au 30 août 1944 à 5 h, moment où les Allemands ont quitté Maurupt-le-Montois. » Ce témoin se souvient de militaires dont les uniformes étaient de couleur verte, arrivés dans la nuit du 28 au 29 août 1944.

  Louis Gillet, charpentier, affirme que ces Allemands, qui ont également commis des vols, « appartenaient au 29e régiment d’infanterie. Parmi eux se trouvait un Alsacien du nom de Schmidt (Joseph). » Le 29e RI correspond évidemment au Pz-Gren-Reg 29. 

    Durant la présence de ce détachement à Maurupt, village proche de Cheminon, une habitante a été violée, une autre a été victime d'une tentative de viol, mais un radio nommé Valter, originaire de Cologne, serait intervenu pour empêcher ce crime. 

Sermaize-les-Bains, 29 août 1944, vers 12 h 40 - 13 h 40

    Henri Polliat, 2, rue des Tuileries : « Il était 12 h 45 quand un détachement de soldats allemands est arrivé dans la ville, venant de la direction de Bar-le-Duc, transporté dans plusieurs véhicules automobiles. Une des voitures dans laquelle se trouvait un gradé s’est arrêtée dans la rue Lombard en face de ma fenêtre. Immédiatement, un groupe de ces soldats [a] mis une pièce de canon en batterie sur le jardin anglais et une mitrailleuse lourde à l’entrée de la rue Lombard et aussitôt, ils ont commencé le feu. Je suis descendu me mettre à l‘abri dans la cave avec ma femme. »

    A partir de cet instant, les Sermaiziens assistent ou sont victimes des exactions de ces soldats venant de la direction de Revigny-sur-Ornain. 

    Raoul Tannier, 95, rue de Vitry : « Des Allemands mettaient des pièces en batterie rue de Vitry à proximité de chez nous. Quelques secondes plus tard, des coups ont été frappés à la porte d’entrée de notre cuisine. […] C’était bien des Allemands, mais ceux-ci, au nombre de trois ou quatre, sont entrés en criant "Raoust". Nous sommes sortis aussitôt, ma femme, mon fils de 17 ans, et moi, et nous nous sommes réfugiés chez une voisine, Mme Sauvage... » 

    De nouveau, des Allemands surgissent, et font sortir les deux familles de cette maison. Dans la rue, poursuit Raoul Tannier, « des coups de feu étaient tirés de tous les côtés et, après avoir fait quelques pas, le frère de Mme Sauvage a été touché d’une ou plusieurs balles et s’est affaissé. Au même instant, j’ai reçu une balle (que j’ai su après provenir d’une mitraillette, au jarret gauche). J’ai réussi en me traînant à terre à gagner le petit chemin conduisant aux jardins du Pré Maurupt. Un Allemand qui passait rue de Vitry et qui se trouvait à environ 40 mètres de moi, m’a aperçu et me mit en joue avec son fusil. Je lui ai crié – Ne tirez pas. C’est inutile, je suis mort. Il a déchargé néanmoins son arme sur moi, mais sans m’atteindre. Mon fils, qui était avancé dans ce chemin, est revenu en arrière et m’a traîné dans un jardin environnant où je me suis caché dans des rangées de rames à haricots. Je suis resté là pendant deux jours... » L'autre civil blessé se nomme André Froment, 39 ans, qui décèdera des suites de ses blessures. 

    Louise Gigout, 7, rue du 6-Septembre : « Deux […] soldats ont mis deux fusils mitrailleurs en batterie dans la rue de Cheminon et ont aussitôt ouvert le feu. [...] M. Lambert qui était avec nous dans la cave est sorti pour essayer d’éteindre l’incendie. En pénétrant dans le magasin, il s’est trouvé en présence d’un soldat allemand qui a tiré deux coups de feu sur lui. J’ai entendu le corps tomber. [...] Le malheureux a été carbonisé... » Né à Thionville (Moselle) en 1899, Georges Lambert était qualifié de rentier. 

    Isabelle Delissus, de Chaville (Seine-et-Oise) : « Au moment de l’affolement des personnes voisines, mon mari est allé leur ouvrir la porte ; presqu’aussitôt deux soldats se sont présentés au domicile et nous ont fait sortir dans la rue en poussant des hurlements incompréhensibles, nous sommes donc partis et plusieurs coups de feu ont retenti. Mon mari, à ce moment, s’est affaissé, ayant reçu plusieurs balles explosives dans le dos, et a succombé deux heures plus tard. » Habitant la région parisienne, Louis Delissus est né en 1893 à Waly (Meuse). 

    Alphonse Paul, 79 ans, 63, rue de Vitry : « Je me trouvais dans mon jardin et ma femme était dans la cuisine. […] A mon arrivée chez moi, j’ai trouvé ma femme étendue sur le carrelage ; elle avait été tuée par des balles automatiques tirées par des soldats allemands... » Louise Simon, épouse Paul, est née à Harmonville (Meuse) en 1860.

    Lucienne Prevost, 44, rue de Vitry : « Deux de ces soldats ont pénétré dans la cour de l’immeuble, où habitaient également M. et Mme Schaff et leurs six enfants en bas âge. A leur entrée dans la cour, ces soldats ont tiré plusieurs rafales de mitraillettes et fusils mitrailleurs. […] M. et Mme Schaff qui étaient dans la cour ont été atteints. J’ai entendu M. Schaff crier "camarade", mais la fusillade n’a pas cessé, et je l’ai entendu crier à nouveau "Ha ! Les sauvages", alors qu’ils s’affaissait près de sa femme déjà tuée. Deux de leurs enfants, la jeune Arlette, âgé de 4 ans, et Eddie, âgée de 6 mois, ont été blessées. » Employé SNCF, Paul Schaff est né en 1909 à Bussy-la-Côte (Meuse), son épouse Paulette a vu le jour en 1913 à Favresse (Marne). 

    Après avoir mis sa femme et ses enfants à l'abri, Roger Chollet veut aller chercher ses beaux-parents, M. et Mme Petit, dont l'un ne peut se déplacer. Il sort avec une brouette mais se heurte à un soldat allemand.  « Alors qu’il parlementait, un autre soldat l’a abattu à coups de revolver à bout portant », raconte Henri Polliat, qui détaille ensuite le martyre du couple : il voit Augustine Petit (née en 1879 à Isle-sur-Marne) « sortir pour aller près de son gendre qui venait d’être tué à bout portant. Ils ont refusé  et alors qu’elle insistait, un soldat l’a repoussée et enfermée dans la chambre où était le mari ». Le feu est alors mis à leur domicile, et le couple périt. « La femme avait appelé à son secours en criant "Ouvrez-moi, ouvrez-moi" ». Albert Petit avait vu le jour en 1877 à Revigny-sur-Ornain, l'ouvrier raffineur Roger Chollet en 1904 à Koeurs-la-Petite (Meuse). 

    Hélène Mansion, domiciliée place de l'Hôtel de ville : « Mon mari s’étant présenté pour ouvrir la porte [du magasin d’alimentation] a reçu une rafale de mitraillette à bout portant. [...] La brute lui avait jeté du liquide inflammable sur le corps. Quand je suis arrivée près de mon mari, ses pieds et ses cheveux étaient en flammes. Sur mon intervention immédiate, le feu a été maîtrisé. » Epicier, Pierre Mansion est né en 1904 à Paris. 

    Auguste Voliker, 53, rue de Vitry : « [Les Allemands] sont descendus avec des armes automatiques et ont ouvert le feu dans les rues pour interdire aux habitants de circuler et ont mis le feu aux habitations. Etant à ma fenêtre, j’ai vu passer le Dr Fritsch à motocyclette. Arrivé en face de la rue de la Gare, il s’est fait arrêter par deux soldats allemands. Après avoir parlementé un instant, ils lui ont pris sa motocyclette et l’ont obligé à entrer sous le porche de l’immeuble appartenant à M. Haumont. »

    Estelle Haumont aperçoit le cadavre d’un homme, sous le porche de son domicile, 11, rue de Vitry. M. Vauthrin l’identifie : c'est le docteur Henry Fritsch, né à Angoulême en 1892, veuf, père de cinq enfants, âme de la Résistance à Sermaize. « Près de lui, se trouvaient un poignard allemand et un couteau ».

    Soeur de l'infortuné médecin, Magdeleine Fritsch réside au 2, rue de la Gare, avec ses neveux et nièces. Les Allemands pénètrent dans leur domicile : « Comme ils arrosaient la table d’essence, mon autre neveu Henri leur a demandé en allemand de ne pas brûler. Ils ont alors tiré sur nous de quelques mètres, deux balles sont passées au-dessus et à travers la porte. » La famille, dont la salle à manger a été victime d'un incendie, reverra plus tard des Allemands « sur le vélomoteur de mon frère le Dr Fritsch qu’ils venaient de lui voler après l’avoir tué »...

    Marguerite Cavafian : « Cinq [Allemands] m’ont menacée de leurs revolvers et cinq autres ont mis la maison au pillage. […] Voyant que j’allais être fusillée par ces brutes, je leur ai dit "vous aurez à répondre de votre crime devant notre ambassadeur. Je suis Espagnole et cousine de Franco". […] Un gradé [...] a fait placer un lance-flammes devant moi. » Mais grâce à ses mots, elle aura la vie sauve. 

    Doyen René Bollot, curé de Sermaize : « Il y a eu l’assassinat de Mme Antoinette Loisier qui était venue soigner sa mère infirme ; ils ont tiré sur la jeune fille et ont arrosé d’essence la mère à l’aide d’une pompe et ont ensuite mis le feu à la maison. La première est morte peu après dans une maison voisine où elle avait été transportée. La maman est actuellement en traitement à l’hôpital et complètement défigurée. » Antoinette Loisier a vu le jour à Sermaize en 1904, elle est décédée à l'hôpital de Thiéblemont, sa mère Marie était âgée de 78 ans.

    Une heure après leur arrivée, les soldats allemands repartent en direction de Revigny-sur-Ornain, laissant une population meurtrie et traumatisée. Selon le maire, André Goblet, 46 maisons ont été brûlées, 200 personnes sont sans abri. Il y a aussi onze tués - et six blessés dont deux ont succombé à leurs blessures, ainsi que Raoul Morressée, 59 ans.

    Le curé Bollot évalue la force présente à Sermaize à une cinquantaine d'Allemands, armés d'au moins trois pièces de canon (une rue de Vitry, une place de l'Hôtel de ville, une troisième dans le bas de la route d'Andernay), et de plusieurs armes automatiques.  Paul Estienne se souvient que "ces soldats qui étaient tous très jeunes étaient habillés en kaki". Le photographe Léon Boulanger a conservé, chez lui, un casque allemand portant le nom de Gesbler. Un autre nom apparaît dans l'enquête menée par le Service de recherche sur les crimes de guerre ennemis (SRCGE) : celui de l'oberleutnant Kohlmeyer, sans que l'on sache s'il est réellement impliqué dans ce crime. Ce qui est certain, c'est qu'un oberleutnant Kohlmeyer appartenait à la 3e compagnie du 1er bataillon du Pz-Gren-Reg 29, donc à un bataillon distinct de celui qui a commis les massacres dans la vallée de la Saulx voisine. 


Cheminon, 29 août 1944, vers 15 h

    Jules Reuter : « Vers 15 h, j’ai vu arriver trois camions de la direction de Trois-Fontaines. Ils se sont arrêtés à l’entrée du pays à environ 150 mètres de mon habitation. Immédiatement les soldats sont descendus et ont mis deux ou trois pièces de mortier en batterie de chaque côté de la route et ont ouvert le feu sur le pays. Un des soldats est venu me demander une hache à l’aide de laquelle il a coupé un poteau de la ligne téléphonique. »

    Jules Reuter, dont la grange a elle-même été incendiée, ajoute : « Je les ais vus faire sortir les habitants des maisons voisines et y mettre le feu. A certains endroits, ils avaient répandu de l’essence avant d’allumer ».

    Arthémise Pierrejean, 71 ans : « Alors que des soldats allemands mettaient le feu au pays, mon fils Marcel, âgé de 41 ans, qui rentrait des champs, a dû discuter avec un groupe de ces soldats rencontrés dans la rue au moment où ils pénétraient dans la cour de l’immeuble. Ces soldats ont tiré sur lui. Il s’est affaissé puis ayant encore fait quelques mètres, il a été atteint une deuxième fois et s’est affaissé à mes pieds où il a perdu connaissance. Les soldats qui le suivaient ont mis le feu à la maison et aux engagements. […] Aidée d’un homme qui m’avait entendu appeler, j’ai sorti mon fils blessé hors du lieu de l’incendie. Il est mort le 31 août à l’hôpital de Saint-Dizier. » Marcel Pierrejean est né à Cheminon en 1903.

    Selon les témoins, les Allemands étaient de 30 à 40. « Les soldats qui composaient [le détachement] étaient vêtus d’une tenue kaki, quelques-uns porteurs d’une culotte courte et coiffés d’une casquette, note le maire, René Connesson. Ils appartenaient à une unité de l’Afrika korps ». Cette troupe venait de la direction de Trois-Fontaines-l'Abbaye. Il ne s'agit vraisemblablement donc pas de celle qui a semé la mort à Sermaize-les-Bains. Jules Reuter rapporte les propos d'un soldat allemand pour expliquer ces crimes : « Nous savons tout dans le bas du village, les avions détruisent chez nous, nous allons brûler le village et les fermes, et partout où nous passerons nous agirons de même » Virginie Donot, qui tient un café, se souvient que parmi les quatre Allemands venus chez lui, un parlait « correctement le français » et déclarait : « On a tiré sur nous dans le pays voisins ».

    Un rapport rédigé par le maire fait état de 25 obus tirés « sur le centre du village, aux alentours de l’église ». Bilan de ce bombardement et des incendies : 43 maisons complètement détruites, 118 personnes sans abri, relogées dans des maisons inoccupées. « Un jeune cultivateur, voulant détacher son unique cheval dans l’écurie en flammes, a reçu, à bout portant, une rafle de mitraillette. Il est mort deux jours après. » Il s'agit de Jean Pillard, né à Cheminon en 1925, décédé à l'hôpital de Saint-Dizier le 30 août. Paul Pelletier, né en 1889 à Cheminon, « a été tué par un obus, son commis, le jeune Pilliard (Jean), a été mortellement blessé et sa belle-fille très grièvement blessée », précise René Connesson, qui ajoute que le curé, l'abbé Roger Martelet, né en 1888, « a été blessé par un éclat d’obus tombé sur le presbytère ». L'autre habitante blessée, Claire Pelletier, était âgée de 29 ans. 


    Blacy, Matignicourt, 29 août 1944

    D'autres crimes ont été perpétrés, ce jour-là, par des éléments de la 3. Panzergrenadier-Division.

    Ainsi, à Blacy, près de Vitry-le-François, comme le rapportent les enquêteurs du SRCGE : « Dans la nuit du 28 au 29 août 1944, un engagement eut lieu, entre des forces allemandes et des FFI de la localité et des environs. Trois de ces FFI : Baudry, Edouard, né le 23.3.1924 à Vitry-le-François, Minier, Michel, né le ?, 20 à 25 ans, Penhould, Robert, né le 2.10.1909 à Persan (Seine-et-Oise), ont été faits prisonniers par les Allemands, puis exécutés peu après. Au cours de l’engagement, trois Allemands blessés avaient été faits prisonniers par les FFI et emmenés à l’hôpital de Thiéblemont : ce sont : Heinz, Siegle, demeurant à Secheppoch Krs. Obringen (All), numéro de matricule 26247/44, Hapski, Georges, demeurant à Hanovre, Bouvier, Edgard, demeurant à Berlin, numéro matricule 1074. Les deux derniers sont décédés à l’hôpital de Thiéblemont. Heinz a été fait prisonnier par les Américains le 11 9 1944.

    A l’endroit où se tenait le commandant de l’unité qui passait les FFI en jugement, il a été trouvé un papier portant l’inscription "Lieutenant From, 3 Division Grenadiers Panzers" ».

    A Matignicourt, selon le rapport de l'inspecteur Ragon (4 avril 1946), « un groupe d’auto-mitrailleuses ennemies au repos » a été attaqué par les FFI du maquis des Chênes. L'engagement a fait, côté FFI, deux tués et sept prisonniers. « Vers 16 h, les autos blindées quittèrent Matignicourt avec les prisonniers juchés sur les voitures et se dirigèrent vers Saint-Dizier. Elles s’arrêtèrent dans cette ville, avenue de la République, où quelques prisonniers furent reconnus par M. Vaysselle [Vesselle] Jacques... » Le détachement continue sa route jusqu'à Bar-le-Duc et arrive à Naives à 19 h 45. Là, six des sept prisonniers sont fusillés. Le septième - le lieutenant Claude Lamort de Gail - est vu le 30 août 1944 au matin dans une voiture, avec quatre Allemands. On ignore toujours son destin. Dans la chambre du village où a couché un général, une boîte portant le nom d'oberst (colonel) Kecker (sic) a été retrouvée. Horst Hecker était le nom du commandant de la 3. Pz-Gren-Div. 

    Dans d'autres communes marnaises où  le SRCGE a enquêté, ont été identifiés, à Vroil, la présence de la Stabkompanie (compagnie d'état-major) du 3e bataillon du Pz-Gren-Reg 29 ; à Cloyes et Norrois, le "peloton" commandé par un certain leutnant Beier du Panzer-Aufklarung-Abteiling 103, l'unité de reconnaissance de la division, à laquelle appartenaient certainement les auto-mitrailleuses de Matignicourt, Cette unité peut être identifiée grâce au numéro de feldpost (20 768 B) associé à un obergefreiter nommé Lorenz. 

    A l'issue de leur enquête, les autorités militaires françaises impliqueront les officiers suivants appartenant à ce régiment, et notamment dans les massacres de la vallée de la Saulx : le major (ou oberstleutnant) Dr Kurt Schaefer, le hauptmann Gerhard Wehrmann, né en 1914, commandant du III/Pz-Gren-Reg 29 - il s'agit vraisemblablement de l'officier sur lequel des résistants ont tiré vers 9 h 30, entre Baudonvilliers et Robert-Espagne, provoquant les crimes commis dans la journée -, le leutnant Edmund Fritsch, appartenant à la 10e compagnie du même bataillon, tandis que l'oberleutnant Wilhelm Dauer était impliqué dans des crimes à Martincourt et Mamey, en Meurthe-et-Moselle. 

    

* Sources consultées : 163 W 3158, 3171, 3177, AD 51 ; 102 W 72, 77, AD 54 ; 179 J 1, AD 55 ; « Les massacres du 29 août 1944 dans la vallée de la Saulx », in La vallée de la Saulx. Journées d'études meusiennes, Bar-le-Duc, Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc. 1999, p. 43-121. [texte d'une communication présentée aux XXIIe Journées d'études meusiennes organisées à Stainville les 1er et 2 octobre 1994 par l'Institut d'études lorraines de l'Université de Nancy 2].

Prochain volet : les crimes de la 15. Panzergrenadier-Division dans l'Aube et la Haute-Marne. 




    


    

mardi 6 mai 2025

La Sipo-SD et ses auxiliaires français dans l'Est, août - novembre 1944


Un officier de la Sipo-SD parmi d'autres : Fritz Barnekow. (Source : 102 W 67, AD 54). 


L'évolution en faveur des Alliés des opérations en Normandie, accentuée par le débarquement allié en Provence, entraîne en août 1944 le repli des forces de police allemande en direction de l'Est. Elles iront se fixer - avec leurs auxiliaires français - dans les Vosges où elles se livreront à de nombreux crimes de guerre, dont voici une liste chronologique non exhaustive.

1er août 1944 : le Kommando des Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst (Sipo-SD) - KdS - de Rennes commandé par l'oberst Hartmut Pulmer, 36 ans, quitte la Bretagne en direction de l'Est. Il est accompagné par le groupe d'action du Parti populaire français (GA PFF) dirigé par Lucien Imbert et par le Bezen Perrot, une formation d'autonomistes bretons. Itinéraire de ce convoi : Angers, Tours, Orléans, Montargis, Fontainebleau, puis Châlons-sur-Marne...

3 ou 4 août 1944 : le sturmbannführer Hans-Dietrich Ernst part d'Angers avec ses agents du KdS établi dans la ville. Il transite également par Tours, Orléans, Melun (où, selon le PV d'audition de l'oberscharführer Georg Bruckle, onze indicateurs français dont cinq femmes le rejoignent), Châlons-sur-Marne... Son itinéraire est donc le même que celui du KdS de Rennes auquel il s'est joint. Parmi les Français au service du KdS d'Angers, figurent le PPF Jacques Chalumeau (fusillé en 1945), le franciste Marcel Juino (condamné à mort en 1947), des légionnaires de la LVF qui, venus de Paris, auraient rejoint la troupe à Verdun...

Mi-août 1944. Le standartenführer Erich Isselhorst, befehlshaber (commandant) de la Sipo-SD pour l'Alsace et le Bade-Wurtemberg à Strasbourg, expose la nouvelle mission confiée aux services de police qui se replient : "Nous avions appris que des éléments du maquis des Vosges, cantonnés dans la région de Raon-sur-Plaine, devaient attaquer le camp de concentration de Schirmeck. [...] J'ai chargé le lieutenant-colonel SS Schneider de former des kommandos de quatre ou cinq hommes. [...] Le rôle de ces kommandos était de rechercher les maquis et de les anéantir avec l'aide de la troupe." Isselhorst se souvient en particulier de quatre kommandos installés durant cette période dans les Vosges : à Raon-sur-Plaine puis Giromagny, à Vexaincourt puis dans la région de Belfort, à Velval - commandé par l'obersturmführer Schoener - et à Allarmont.

15 août 1944 : le KdS d'Angers arrive à Verdun (selon Georg Bruckle), tandis qu'une partie du KdS de Rennes s'installe à Chaumont, sous les ordres du sturmbannführer Fritz Barnekow (untersturmführer Emil Luck et Mannel, 30 hommes), et l'autre, plus importante, à Troyes, sous les ordres directs de Pulmer. De son côté, l'antenne chaumontaise du KdS de Châlons (SS-untersturmführer Aloïs Koch) part dans la nuit du 15 au 16 rejoindre le siège régional avant de gagner la région de Longwy.

17 août 1944 : des Français de la Sipo-SD quittent le 42, rue Victor-Hugo à Paris pour la rue des Saussaies où ils se joignent au groupe du SS-untersturmführer Karl Kleindiest. Ils quittent la capitale et arrivent à Sainte-Menehould (Marne) où ils s'installent au lycée Chanzy, sous les ordres de Friedrich Berger. Un agent évalue les effectifs rassemblés dans la Marne à une cinquantaine de personnes. Le même jour, départ du convoi parisien de l'hauptsturmführer Erich Wenger, d'abord pour Vichy, puis pour Nancy. "C'est à la Cité universitaire de [Nancy] que se sont formés les kommandos qui ont été plus tard dirigés sur les Vosges", explique Max Kester, du kommando Wenger. 

19 août 1944 : le GA PPF de Rennes, dit Schutzkorps Imbert (25 femmes, onze femmes), qui était arrivé à Briey (Meurthe-et-Moselle), rejoint finalement Fritz Barnekow à Chaumont. Du 21 au 26 août 1944, ce groupe arrête une douzaine de personnes en Haute-Marne, en Côte-d'Or et dans l'Aube, dont un homme exécuté le 26 août 1944 à Chaumont (aux côtés d'un inconnu).

22 août 1944 : exécution de 49 détenus de la prison de Troyes à Creney, par la Sipo-SD de Rennes et au moins trois membres du Bezen Perrot.

24 août 1944 : 

. les éléments parisiens de Friedrich Berger qui sont établis à Sainte-Menehould arrêtent 25 personnes dans la Meuse. Trois résistants sont exécutés, les autres sont déportés le 29 août 1944 de Belfort à Neuengamme.

. le Bezen Perrot, peut-être alors commandé par Ange Péresse, arrive à Chaumont en provenance de Troyes. C'est vraisemblablement ce jour-là que l'obersturmbannführer Pulmer, qui a laissé un petit kommando à Troyes, rejoint en Haute-Marne son adjoint Barnekow.

25 août 1944 :

. envoyé en mission de Chaumont à Troyes, l'obersturmführer Max Ohmsen, du KdS de Rennes, "fut surpris par le maquis et abattu" (PV d'audition de F. Barnekow). De source américaine, Ohmsen a été tué vers Mesnil-Saint-Père (Aube). 

. un GA PPF de Lyon fait étape à Dijon avant de se porter dans les Vosges.

. l'aussenstelle de Reims du KdS de Châlons part pour Longwy où se rassemblent également les éléments de Châlons-sur-Marne et de Chaumont. Tous arrivent le 3 septembre 1944 en Westphalie après être passés par Luxembourg. 

26 août 1944 : dans la nuit du 26 au 27, le GA PPF (Imbert) et le Bezen Perrot quittent Chaumont pour Vittel (Vosges). Avant de partir, le PPF Daniel Travert exécute un cheminot, Gilbert Diligent, qui survit. A Prez-sous-Lafauche, trois hommes du Bezen désertent. 

27 août 1944 : 

. le kommando commandé par Erich Wenger, présent à Baccarat (Meurthe-et-Moselle) depuis le 20 août 1944, arrête à Péxonne (Meurthe-et-Moselle) 112 habitants, dont 83 sont déportés. Au sein de ce kommando servent une douzaine d'agents ayant suivi Wenger, cinq agents en poste avenue Foch, sept Français et deux Belges (PV d'audition de Max Kester).

. un train transportant notamment 35 détenus des prisons de Langres et Chaumont quitte Chaumont pour Belfort (ces hommes seront déportés le 29 août à Neuengamme). 

. des Français de la Sipo-SD du Nord exécutent à Verzenay (Marne) trois hommes arrêtés à Reims, puis sans doute trois autres le lendemain à Brimont.

29 août 1944 : quinze agents allemands et auxiliaires français partent de Dijon pour mener une opération en direction de Lyon. L'obersturmbannführer Klaus Barbie est blessé lors de cette opération, qui se solde également par un mort. Puis ces hommes rejoignent Vittel.

30 août 1944 : seize résistants sont massacrés au tunnel du Faux de Tavannes, près de Verdun. Le KdS d'Angers est mis en cause dans ces crimes. Cf. à ce sujet Jean-Pierre HARBULOT et Claude COLLIN, La Gestapo à Verdun, Les Dossiers documentaires meusiens, 2023.

31 août 1944 : un élément du KdS d'Angers qui s'est porté à Etain (Meuse) arrête le lieutenant-colonel Frédéric Autun, qui est exécuté. Le reliquat part de son côté pour Longwy. Il se porte ensuite à Luxembourg, puis près de Trèves, avant de s'établir à Saint-Dié en octobre 1944.

1er septembre 1944. Déclarations d'Erich Isselhorst : "Un nouveau dispositif a été créé. [...] Du 1er au 7 septembre, la zone Nord a été placée sous les ordres de l'hauptsturmführer SD Hauger de Wolfack qui avait installé un kommando d'une vingtaine d'hommes à Badonviller aux ordres de l'obersturmführer Sillhof et un autre plus important encore à Saint-Dié aux ordres [du] SS-obersturmführer Schoner." Parmi ces unités, le Kommando (spécial) commandé par le hauptsturmführer Helmut Retzek s'établit à Raon-l'Etape jusqu'au 15 septembre 1944.

3 septembre 1944 : des militants PPF de Lyon arrivent à Saint-Dié. Ils appartiennent notamment au kommando de l'oberst Otto Muller qui est présent également à Bruyères et Senones. 

9 septembre 1944 : l'untersturmführer Joseph Karas quitte Nancy avec une trentaine de personnes pour Saulxures. Il se porte ensuite à Champenoux.

Vers le 15 septembre 1944 : le KdS d'Angers arrive à Saint-Dié où il reste jusqu'à la fin septembre 1944, puis il gagne Provenchères. Son chef, Ernst, se fixe à Saales. 

17 ou 18 septembre 1944 : le château de Cirey-sur-Vezouze et le château de Châtillon, près de Cirey, sont occupés par le KdS de Rennes. Un témoin fait état d'une force de plus de 150 hommes. Pulmer a son PC au château de Châtillon. Auparavant, la Sipo-SD rennaise était casernée à Lunéville. En quittant les lieux, six Français ont été exécutés sur la route de Blâmont, par des PPF et un Allemand.

. Joseph Karas arrive à Blâmont où se trouve notamment le KdS de Nancy du kommandeur Hoth ainsi que l'obersturmbannführer Suhr, du BdS. Il gagne ensuite Gerardmer.

21 septembre 1944 : Karas s'établit au col de La Schlucht avec cinq membres du kommando et y reste jusqu'au 28 octobre 1944. Puis, selon ses déclarations, il rejoint l'Allemagne avant de gagner l'Autriche.

23 septembre - 15 octobre 1944 : selon Max Kester, 350 habitants sont arrêtés à Senones (Vosges). En réalité, l'opération Waldfest menée par les kommandos de la Sipo-SD se traduit par un millier de déportations. 

Fin septembre 1944 : les kommandos du haupstsurmfürhrer Stein et de l'obersturmführer Pfanner (chef de la section IV du KdS de Nancy) se rendent dans la région de Bussang.

10 octobre 1944 : arrestation du maréchal des logis-chef Jean Coupaye, chef de la brigade de gendarmerie de Blâmont. Il est conduit au château de la comtesse de Guichen à Cirey-sur-Vezouze puis fusillé le 14 octobre avec trois autres prisonniers au lieu-dit Maîtrechet : le maire de Domèvre-sur-Vezouze, Edouard Morquin, Roger Roger, de Pexonne, et Charles Thomas, de Val-et-Châtillon. PPF et agents de la Sipo-SD de Rennes sont impliqués dans ces exécutions.

13 octobre 1944 : trois membres du GA PPF Imbert sont arrêtés sur ordre de leur chef, remis aux Allemands puis déportés à Schirmeck.

15 octobre 1944 : huit parachutistes SAS anglais qui avaient été capturés sont exécutés au lieu-dit La Grande Fosse, près de Saales. Le standartenführer Isselhorst et Hans Hubner accusent le KdS d'Angers d'être impliqué dans ce crime et, au total, dans l'exécution de 22 parachutistes britanniques. Par ailleurs, Isselhorst met en cause Wilhelm Schneider (fusillé en 1947) dans le massacre de résistants à Natzweiler, les 1er et 2 septembre 1944.

20 octobre 1944 : à cette date, selon Erich Isselhorst, qui sera fusillé en 1948 (PV d'audition du 30 juin 1947), entre 2 000 et 2 200 maquisards vosgiens environ ont été capturés depuis le 1er septembre 1944. 

9 novembre 1944 : le KdS de Rennes quitte Cirey-sur-Vezouze. Il prend la direction du Donon.

14 novembre 1944. Après la libération de Saint-Dié, le GA PPF Imbert passe en Allemagne où il se disperse. La majeure partie de ses hommes rejoint l'école d'espionnage et de sabotage du PPF à Reutlingen, d'autres éléments la 8e compagnie (française) de la Division Brandebourg. Au moins cinq membres du Schutzkorps seront condamnés à mort et fusillés à la Libération.

Vers 22-23 novembre 1944 : "Au moment de l'offensive des troupes françaises sur la Meurthe [...], les différents groupes du Kommando Ernst se sont repliés individuellement pour se regrouper à Lützelhouse" (PV d'audition de Pierre Haudry, 12 février 1947). A la même période, vers le 20 novembre 1944, le Kommando Bruckle du KdS d'Angers, qui employait plusieurs agents français, quitte les Vosges après avoir stationné à Saint-Dié et Provenchères. 


Des Français au service de la Sipo-SD

    Plusieurs documents conservés à Reims, Nancy, Chaumont et Dijon permettent de recenser de nombreux Français ayant agi au sein ou au côté de la Sipo-SD. En voici quelques exemples.

    Schutzkorps Imbert : Pierre Brossard, Gérard Cheville, Léon Coupel, Raymond Chappron, Pierre Eggermont, Gérald Gallais, Claude Garavel, Gaston Guglielminotti, Maurice (dit Lucien) Imbert, Jean Kerdraon, André Laîné, Jean Lefebvre, René Legagneur, Mathurin Le Pottier, Armand Lussiez, Jean Marot, Raymond Poste, Mohamed Rabhi, René Robert, Jacques Sergeant, Marcel Terrier, Georges Tilly, Daniel Travert, Paul Wald, Roger Walvaert, ainsi que onze femmes et enfants (à la date du 19 août 1944).

    Kommando Retzek : Jenny Terrier, Paul Thevenot, Suzanne, Robert Verez, "Zazou"...

    KdS d'Angers : Paul Barrière, Léon Bauduin, Pierre Brohys, Buisson, Jacques Caillard, Jacques Chalumeau, Lucien Chassard, José Ernandez, Floquet, Jacques Girard, Pierre Haudry, Marcel Juino, Henri Renaud, Norbert Ribault, Claude Souffois, Jacques Vasseur (d'après le PV d'audition de P. Haudry, 12 février 1947).

    Kommando Wenger : Charles Camba, René Louvrier, Munch, Louis Perdon, Henri Przyzinski, Jean Radet (d'après le PV d'audition de Max Kester).

    Divers kommandos du KdS de Lyon : Marcel Bergier, Sylvain Bressy, Jean Commeinhes, Depucci, Desgeorges, Durand, André Francis, Georges Gallioud, Charly Guggisberg, Charles Marandin, René Mazot, Mermet, Joseph Sassut, Veraud, Vincent (d'après le PV d'audition de Ch. Marandin, 22 janvier 1948).

Un policier parmi d'autres : Fritz Barnekow

    Fritz-Hans Barnekow est né le 18 décembre 1899 à Alt Ruppin, au nord-ouest de Berlin, en Allemagne. Il sert entre 1917 et 1919 au sein du 2e régiment d'artillerie de la Garde et mérite la Croix de fer. Etudiant à Berlin et à Kiel, il s'oriente vers la carrière de policier (1928). Lieutenant de réserve d'artillerie, il est en poste à Dortmund et à Berlin. Versé en 1933 à la Preussische Geheime Staatpolizei Amt, adhérent du NSDAP (parti national-socialiste) en 1937, il se marie en 1940 à Kiel. Nommé Kriminal Direktor en 1943, Barnekow, promu ss-haupsturmführer en février 1938 puis sturmbannfürher en avril 1942, dirige la Gestapo de Kiel de décembre 1943 à fin janvier 1944. Affecté en février 1944 au BdS à Paris, il est nommé, en avril 1944, chef de la section IV du KdS de Rennes, puis adjoint du kommandeur Pulmer. Il reconnaît avoir dirigé personnellement une opération à Pontivy mais niera tout crime de guerre en Lorraine. Fritz Barnekow dirige la police de la frontière danoise fin avril 1945 et se rend aux Anglais à Suderlägum. Emprisonné, notamment à Neuengamme, il est libéré pour être hospitalisé à Kiel. Remis en septembre 1947 aux autorités françaises qui le recherchent pour les crimes de guerre commis en Bretagne et en Lorraine, il est dirigé sur Metz en janvier 1948. Il est notamment interrogé le 21 février 1949 à la maison d'arrêt Charles-III à Nancy. Cité à comparaître en septembre 1953 devant le tribunal militaire de Paris, il ne peut être présent à l'audience en raison de son état de santé. Il serait décédé en Italie en 1959 (selon sa fiche Wikipedia). Source principale : 102 W 67, AD 54.

Sources de cet article : série 102 W, AD 54 ; série 163 W, AD 51 ; série 213 W, AD 35 ; série 29 U, AD 21.