jeudi 3 septembre 2020

Maquis Duguesclin (4) : de précieux renseignements recueillis



Des volontaires langrois du maquis Duguesclin. A droite, Marc Pleux. (Collection B. Voirin/CM 52).


6 septembre 1944
 Journal de marche du maquis : «Le colonel Michel arrive à Valdelancourt, accompagné du capitaine Schreiber, des lieutenants Parcollet, Bocquillon et Collin, il se rend à l'état-major de la 3e armée (général Patton), où il a une entrevue avec le colonel Darvel, chef du 2e bureau. Celui-ci lui demande d'assurer la protection du flanc-droit de la 3e armée et de continuer à le renseigner sur l'occupation, les travaux et les mouvements de l'ennemi».
En fait d'un certain Darvel, il s'agit plutôt du lieutenant-colonel Robert L. Powell, chef du Special Force Detachment de l'armée Patton. L'entrevue a eu lieu dans la Marne, sans doute à Reims.
Si les Américains demandent l'aide des FFI, c'est qu'ils craignent que leur flanc-droit, pour l'heure gardé par quelques éléments de cavalerie appuyés par des maquisards, ne soit menacé par les troupes allemandes en retraite depuis le Centre et le Sud de la France.

«A Valdelancourt, de nouveaux abattis sont faits de nuit par la section Michaut1.
A Arc-en-Barrois, une embuscade est montée contre une colonne allemande signalée qui change brusquement d'itinéraire.
Un parachutage a lieu à Courcelles, auquel participent les sections d'Arc-en-Barrois (lieutenant Blanchot). Deux avions parachutent des munitions et quelques armes individuelles».
Ce terrain, «Versailles», est situé sur le territoire de la ferme de La Rente-sur-Villiers. Relevant du BOA, il a été servi dans la nuit du 5 au 6 septembre 1944.


7 septembre 1944
«De retour de l'état-major de la 3e armée, le colonel2 rend visite à Châlons-sur-Marne au Commissaire de la République et à Saint-Dizier au préfet de la Haute-Marne3. Contact est pris avec les FFI du nord du département.
Des reconnaissances sont envoyées en direction des barrières de Villiers-le-Sec pour tester l'importance des défenses ennemies (lieutenant Chaize).
Dans la nuit, une section se porte à Bologne pour assurer un parachutage qui ne se produit pas».

8 septembre 1944
«Le bataillon fait mouvement sur Lavilleneuve-au-Roi et laisse une section en observation à Valdelancourt.»
Antoine Simons : «On embarque de nuit sur de vieux camions à gazogène servant au débardage forestier. L'on arrive à Lavilleneuve-au-Roi, tout de suite affectation des cantonnements, formation des groupes, des sections, quelques rudiments militaires, pas encore d'armes mais ça commence à ressembler à quelque chose...»
Journal de marche : «Visite du commandant («Pic») qui arrive avec douze FM. Le lieutenant Blanchot rapporte d'Arc-en-Barrois des armes et des munitions.
Le lieutenant Heidet est envoyé à Arc pour prendre le commandement de la compagnie et procéder sur place au recrutement de une ou deux sections.
La section de l'adjudant Holweg4 part en embuscade.
Dans la journée, le capitaine et le sous-lieutenant Bocquillon se rendent à Bar-sur-Aube porter des renseignements au capitaine «Jack», renseignements concernant particulièrement les défenses de la ville de Chaumont».

C'est sans doute lors du mouvement du maquis sur Lavilleneuve-au-Roi que des volontaires rejoignent l'unité. Dans son témoignage5, André Herdalot situe ainsi son incorporation à l'arrivée des FFI dans ce village, s'enrôlant avec d'autres jeunes du village de Veuxhaulles-sur-Aube (Côte-d'Or) où il est né en 1924. Pendant l'Occupation, Herdalot jouait au football à Latrecey, ce qui explique qu'il aura connaissance du maquis Duguesclin. Parmi les volontaires, André Barrachin, qui a été STO du 11 novembre 1942 au 29 février 1944, s'était caché à Créancey puis chez une sœur d'André Herdalot.
Employé de ferme à Latrecey, Robert Guyot, de Froncles, appartient sans doute à ce groupe : il se souvient qu'à l'heure de la messe, deux camions de FFI sont passés à Latrecey pour demander des volontaires, et qu'il a rejoint le camp de Lavilleneuve.

9 septembre 1944
«Instruction.
Quatre prisonniers sont faits par une patrouille».
Jean Pujol : «Il s'agissait de soldats de la Wehrmacht, qui ont avoué carrément avoir déserté et cherché à se rendre aux Américains en marchant vers le nord-ouest à travers champs et bois, pour ne pas se faire repérer et reprendre par l'armée allemande...»

Journal de marche : «Dans la soirée, une section se rend à Juzennecourt pour assurer un parachutage. Trois avions parachutent des armes (30 tubes)». Il s'agit soit du terrain SOE «Chicago» cité par le lieutenant américain Hyde (message du terrain : «La bouilloire va éclater»), soit plutôt de «Nicole» («Charles aime les blondes») où le même officier signale une opération aérienne.
A noter que Robert Bocquillon penche plutôt pour le site d'Annéville-la-Prairie comme terrain de parachutage – alors qu'un autre se souviendra avoir participé à deux opérations à Lavilleneuve-au-Roi...

«Dans la nuit, une section se porte sur la route de Châteauvillain à Chaumont.
Visite de Gérard du PC du colonel». «Gérard» correspond au sous-lieutenant Jacques-Gérard Henriet, élève aspirant né à Besançon en 1919, en poste à Chaumont où il a grandi, responsable du 2e bureau de l'état-major FFI, homologué sous-lieutenant le 13 octobre 1944 avant de rejoindre le II/21e RIC.
L'évènement n'est pas mentionné dans le journal, mais ce jour-là, le gendarme Lucien Macé, né en 1902 à Puteaux, en poste à Juzennecourt, qui a rejoint le maquis le 28 août avec le gendarme Gilbert Denizot (Andelot), aurait éclairé, selon son témoignage, trois voitures transportant «des officiers américains parachutés» de Lavilleneuve-au-Roi à Arc-en-Barrois.
Par ailleurs, ce jour-là, un officier FFI de Paris, le lieutenant Lefèvre, arrivé la veille à Joinville avec trois autres résistants, dans le cadre d'une mission de renseignements au profit de l’état-major national des FFI, parvient dans l'après-midi dans le secteur du maquis. Via Vignory, il gagne Lavilleneuve-au-Roi, «rencontre un sous-lieutenant de renseignements6» - vraisemblablement Bocquillon - «avec lequel il décide de se rendre à Chaumont... Arrivée à Chaumont à 17 h 45». Les renseignements recueillis permettent de noter qu'à La Maladière (lieu-dit à la sortie de la ville), deux ponts sont minés et gardés «par des Russes», qu'au carrefour des routes de Biesles et Andelot il y a des chars enterrés, à la Croix-Coquillon dix pièces anti-chars, puis une pièce de 88 avec 200 hommes à la sortie de Chaumont en direction de Semoutiers, et dans la ville une garison estimée de 2 700 à 3 000 hommes. Le journal du maquis ne souffle mot de cette mission.


10 septembre 1944
«Visite du lieutenant-colonel Bocquillon7.
Une section avec bazukas (sic) se porte en embuscade sur la route de Chaumont à Villiers-le-Sec.
Dans la journée, arrivée du commandant Julien, accompagné du capitaine Breda, du lieutenant Menetrier et de nombreux gendarmes.
Dans la nuit, nouveau parachutage».

Volontaires au sein de la section Dupré de la compagnie Angelot du maquis Henry (Bussières-lès-Belmont), Henri Mourot et André Guillemin, de Chalindrey, se sont vus confier, le 4 septembre 1944, par un officier jedburgh britannique, la mission de recueillir des renseignements sur les dispositifs ennemis dans le quadrilatère Langres-Rolampont-Neuilly-l'Evêque-Rochetaillée.
Cinq jours plus tard, les deux FFI arrivent dans le secteur du maquis Duguesclin. Après avoir passé la nuit du 9 au 10 à Semoutiers, ils arrivent à Valdelancourt. Henri Mourot raconte8 : «C'est alors que nous prîmes contact, d'une manière inattendue, avec les groupements de résistance dont nous ignorions la présence et qui occupaient les bois aux alentours... Nos camarades du maquis nous tenaient pour rien moins que des miliciens en quête d'aventure ou de renseignements !... Lorsque l'on répondit négativement à toutes les explications que nous voulions donner, que nous fûmes enfermés dans une pièce exigüe et gardée par une sentinelle armée, nous estimâmes sincère, dans l'esprit de ceux qui l'avait prononcée, l'accusation qui pesait sur nous... Vers 14 h, une automobile vint nous chercher et nous conduisit, sous la constante menace d'une mitraillette, à Lavilleneuve-au-Roi où nous fûmes traduits devant des officiers français du 2e bureau».
«Nous étions réellement suspectés et ce n'est qu'après un interrogatoire qui dura près de deux heures (…) que nos accusateurs jugèrent injustifiés les soupçons que nous avions suscités. Ils nous muniront alors d'un laisser passer et nous indiquèrent Juzennecourt comme point de stationnement des premiers éléments alliés. Nous repartîmes vers 17 h et touchâmes enfin vers 18 h 30 au but de notre mission où nous rencontrâmes le 121e escadron de reconnaissance américain...»

11 septembre 1944
«Arrivée des docteurs Bonnet, Huel et Lacassagne.
Instruction, tir, visite du colonel Deleuze». Ce dernier, en fait lieutenant-colonel, en provenance de l'armée française du général de Lattre, vient d'être nommé commandant de la subdivision militaire de la Haute-Marne. Né à Baccarat (Meurthe-et-Moselle) en 1907, le Dr Robert Huel, de Chaumont, sera député de la Haute-Marne de 1951 à 1958. Beau-frère et ami du lieutenant Chaize, le Dr Jean-François Bonnet donnera son nom à un établissement hospitalier à Riaucourt.
«Embuscade tendue sur le terrain d'aviation de Montsaon par la section du sous-lieutenant Michaut.
Une autre section est encore envoyée sur la route de Villiers-le-Sec à Chaumont pour tenter d'intercepter une automitrailleuse qui ravitaillait les troupes ennemies stationnées à la barrière de Villiers-le-Sec.
Le capitaine, avec son officier de renseignements, lance un premier ultimatum à la garnison allemande de Chaumont, lui demandant de capituler.
A Arc-en-Barrois, une section sous les ordres du lieutenant Bigorgne fait une feu sur une colonne allemande avec son FM».


Est-ce ce jour, ou l'un des précédents, qu'Antoine Simons, qui se voit prêter une carabine russe, part en embuscade ? «Un fort poste allemand est embusqué sur la route Chaumont-Châtillon dans le virage de la route neuve (emplacement actuel des silos)... Il nous faut des prisonniers pour avoir connaissance des forces allemandes qui restent à Chaumont... Nous devons tendre une embuscade à la relève à l'endroit où la route est en tranchée à 5 ou 600 m du viaduc... Il fait nuit, les camions nous déchargent à Valdelancourt. On contourne l'aérodrome... Je distingue la chapelle Sainte-Anasthasie... L'on se met à couvert dans la forêt du Corgebin. Au jour, on contourne sous bois la ferme du bois Saint-Georges. On retraverse la route d'Arc dans les virages de la Combe...» L'embuscade se met en place. «Je suis sur la partie gauche du dispositif. Thomas et son FM et l'autre copain sont à une trentaine de mètres à ma gauche... Tout au-dessus, là-haut, une sentinelle allemande fait les cent pas : nous devons être discrets...» Finalement, l'embuscade est démontée avant la nuit, le repli se faisant par Villiers-le-Sec, Buxières-lès-Villiers puis, en camions, Lavilleneuve. Dans la nuit, se souvient Antoine Simons, deux capitaines FFI manquent d'en venir aux mains au sujet de la répartition des armes du parachutage précédent !

1Sous-lieutenant Pierre Michaut, né à Chaumont en 1913, fils du directeur du Petit Haut-Marnais.
2De Grouchy.
3Louis Régnier, agent des PTT à Chaumont, qui vient de prendre part à la libération de Paris.
4Agé de 34 ans, Georges Holveck résidait à Langres.
5Recueilli par Bernard Sanrey.
6Selon le récit du chef de mission, le capitaine Chanot, retranscrit par M. El Baze.
7René, père de Robert Bocquillon, officier de réserve.
8Témoignage inédit communiqué par M. Bertrand Châtel au club Mémoires 52.

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